Le nouveau rapport de la Commission Bancaire de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) met en évidence quelques constantes dans les grandes évolutions des systèmes bancaires de l’Union. Derrière cette tendance commune, des changements significatifs ou en gestation sont cependant en œuvre à au moins trois niveaux. Les données déjà disponibles sur le premier semestre 2023 confirment d’ailleurs cette juxtaposition de continuité et de nouveauté.
En plusieurs domaines, l’exercice échu est avant tout celui de la prolongation de trends antérieurs, la plupart positifs. Les banques gardent toute leur suprématie dans le système financier soumis au contrôle de la Commission Bancaire -qui englobe aussi les Systèmes Financiers Décentralisés (SFD) et les Emetteurs de Monnaie Electronique (EME)-, avec environ 90% du total des bilans de celui-ci. Les indicateurs globaux de ces établissements bancaires témoignent à nouveau de leur bonne forme, même si les hausses ont été inégales. Pour les valeurs bilantielles, les croissances ont oscillé en 2022 entre 12,7% pour les dépôts du public, 17,9% pour les placements et 19,8% pour les crédits à la clientèle. Sur les quatre dernières années, cette progression a été respectivement de 86%, 100% et 58% pour chacune de ces variables. Pour les données d’exploitation, l’année écoulée a été aussi très bénéfique : +7,6% pour le nombre de comptes de clientèle, +14,2% pour les produits nets bancaires, et surtout +25,5 % pour des résultats nets annuels qui ont été multipliés par 2,4 depuis 2018. Sur la même période, le coefficient net d’exploitation s’est amélioré de plus de 8 points et le coefficient de rentabilité de 5 points tandis que les créances en souffrance brutes représentaient moins de 10% des emplois de clientèle pour la première fois depuis longtemps. Ces performances ont été atteintes par les banques en même temps que celles-ci se pliaient à une nouvelle réglementation prudentielle plus contraignante, particulièrement en matière de fonds propres. Fin 2022, alors que les ratios prudentiels se stabilisent à leurs nouvelles valeurs, plus de 80% des banques sont déjà en harmonie avec cette nouvelle batterie d’indicateurs. Seul le ratio de division des risques, très éloigné des contraintes antérieures, peine à évoluer vers les objectifs requis tandis que l’appétit des banques pour les distributions de dividendes pénalise le renforcement des fonds propres dans les bilans. A mi-parcours de 2023, les données chiffrées des banques cotées tendent à confirmer que ces dernières gardent le même solide momentum dans l’Union, notamment pour les résultats nets affichés : la progression de +22% pour le groupe Coris Bank, et même de +58% pour la Société Générale en Côte d’Ivoire, en sont quelques exemples parmi d’autres.
Hors ces données globales positives, trois évolutions plus spécifiques sont surtout à souligner. La plus importante est sans doute la transformation à trois niveaux de la consistance du système bancaire régional. Le premier concerne la poursuite en 2022 de la montée en puissance des institutions à capitaux régionaux, comme le montrent plusieurs statistiques convergentes. Près de 53% des actifs, des guichets et des distributeurs de billets dans l’Union appartiennent désormais à des institutions où ces capitaux sont majoritaires. Toutes banques confondues, l’actionnariat régional -privé et public confondus- possède 77% du capital de l’ensemble du système, soit 11% de plus qu’en 2018. Le Top 3 des groupes bancaires en compte maintenant deux ayant un siège dans l’UEMOA, Ecobank et Coris Bank. La deuxième mutation, plus surprenante, est l’accroissement du poids relatif des entités à capitaux publics. Ces derniers s’élèvent fin 2022 à 452 milliards de FCFA, soit 18,5% de la capitalisation bancaire régionale et 200 milliards de FCFA de plus qu’en 2018. Ces participations sont parfois majoritaires, faisant basculer les banques concernées dans une catégorie en net recul depuis des décennies. Réalisées sous la forme de rachat d’établissements existants ou d’introduction de nouveaux acteurs, les opérations ont eu lieu notamment en Côte d’Ivoire. La troisième spécificité est l’absence à ce jour d’un grand mouvement de concentration. Certes les 13 groupes les plus importants, dont le nombre est resté stable en 2022 et qui contrôlent 61% des établissements de la zone, rassemblent près de 75% des bilans et des comptes de clientèle, et surtout 83% des profits. Mais leur poids s’est effrité par rapport à celui des 21 groupes d’envergure plus modeste, qui ont gagné globalement près de 2% de parts de marché en 2022 sur beaucoup d’indicateurs. L’analyse selon la taille montre aussi que la part des plus petites banques, souvent isolées, ne se réduit pas et pèse davantage dans la distribution de crédits et la collecte de dépôts que dans le poids bilantiel. Cet assortiment de données souligne à la fois que le système bancaire régional reste dispersé, sans doute en lien avec un appareil économique dominé par les acteurs de taille modeste, et que la modestie de la concentration n’est pas forcément une mauvaise nouvelle pour le financement de l’économie. Ces mutations tectoniques sont loin d’être figées. On note ainsi en 2023 au Sénégal l’ouverture de l’ABS, filiale commune de trois banques publiques algériennes, au capital de 100 millions de dollars US, et la reprise prévue par l’Etat de la Banque de Réglement des Marchés, institution privée en difficulté. De même, la cession possible de la Banque Populaire de Côte d’Ivoire, étatique, au groupe privé ivoirien African Finance Group ou la venue envisagée au Bénin de l’équato-guinéenne Bange Bank sont autant d’évènements qui devraient faire évoluer dès cette année ces indicateurs structurels dans des directions variées. L’accélération du départ des banques françaises a ouvert un long processus de recomposition aux résultats encore incertains.
Une autre particularité qui a dominé la période récente concerne la structure du portefeuille des banques. La césure peut être datée à l’année 2020, et donc à l’épidémie de Covid19. En trois ans, le poids des titres de placement a alors augmenté nettement plus vite que celui des concours à la clientèle, et a gagné 3 points dans le pourcentage des emplois. La montée des risques induite par l’épidémie et le ralentissement conjoncturel qu’elle a provoqué, la forte augmentation des émissions de titres publics à des taux attractifs et les caractéristiques d’une nouvelle réglementation bancaire plus exigeante, surtout en matière de fonds propres, se sont additionnées pour orienter les banques dans cette voie. En 2022, cette répartition s’est globalement stabilisée. Mais le gonflement continu des besoins financiers des Etats de la région et les difficultés croissantes pour ceux-ci de faire appel à des financements étrangers ont freiné les ambitions de beaucoup d’acteurs bancaires de redonner une meilleure priorité aux crédits à l’économie. De nouveaux facteurs interférent en 2023. La hausse des taux du marché, dans le sillage des variations de ceux-ci à l’international, et la contraction des refinancements par la Banque Centrale ont un moment perturbé les établissements bancaires dans la gestion de leurs trésoreries et l’arbitrage de leurs emplois. Les ripostes des banques à cet environnement différent ont eu deux effets positifs à court terme : un rapide accroissement des crédits interbancaires, dont le développement est recherché depuis longtemps, et des efforts tous azimuts pour accroitre les dépôts de la clientèle, ce qui consolide leurs moyens d’actions. Appuyées sur ces stratégies et sur un suivi attentif de leurs charges et de leurs risques, beaucoup de banques semblent avoir retrouvé de solides fondamentaux, qui expliquent les bons résultats au 30 juin évoqués ci-avant. Il restera à confirmer en fin d’année si les nouveaux équilibres sont ou non favorables aux concours à l’économie.
Enfin, les données chiffrées par pays font apparaitre des différences sensibles dans les systèmes bancaires locaux et une contribution variable de ceux-ci au financement des économies nationales. Les agrégats disponibles ne permettent que des comparaisons limitées, mais leurs conclusions invitent à des analyses plus approfondies, au vu de la seule mise en relations de données des deux principaux pays de l’Union : Côte d’Ivoire et Sénégal. Ainsi en 2022, le rapport entre la première et le second est de 1,6 pour la population, de 2,5 pour le Produit Intérieur Brut (PIB), de 1,6 pour l’encours de crédits directs à la clientèle, de 1,8 pour les dépôts collectés, de 2,2 pour le nombre de comptes bancaires et de 2,4 pour le résultat net des entités bancaires de la place. On observe aussi une quasi-égalité pour l’effectif des banques -respectivement 28 et 27-, et un rapport de 1,21 seulement au profit de la Côte d’Ivoire pour l’effectif des guichets. Ces données disparates interpellent mais rendent délicate leur interprétation. Certes les données de 2022 mettent en évidence en première observation un système bancaire sénégalais plus concurrentiel et proportionnellement plus actif en matière de crédits mais apparaissant moins performant dans l’accessibilité du public et moins rentable. Mais il conviendrait d’étendre cette comparaison sur plusieurs années. Il faudrait surtout recenser les différents facteurs qui peuvent influencer différemment ces variables dans les deux pays : intensité de présence d’autres circuits de financement, notamment pour les petites entreprises informelles ; caractéristiques majeures des banques présentes ; structure des appareils économiques ; influence éventuelle du niveau de pouvoir d’achat,… Le même tour d’horizon pour les autres pays de l’UEMOA ferait apparaitre d’autres différences et de nouvelles questions. Même si elle est complexe, la comparaison de ces données financières nationales serait sans doute essentielle pour apprécier les places de marché répondant le mieux aux besoins et pour savoir quels sont les environnements bancaires les plus efficaces pour le financement du développement.
Le maintien en 2022 d’une santé florissante du système bancaire de l’UEMOA, en termes de croissance, de qualité des ratios et de résultats, peut légitimement réjouir et traduit les efforts de tous les acteurs de cet éco-systéme. Il ne doit cependant pas nous éblouir car il passe sous silence des transformations et des défis qui pèseront lourd sur la capacité des banques de l’Union à assurer de mieux en mieux les missions qu’on attend d’elles. Les mutations qui s’accélèrent dans leur actionnariat, les incertitudes sur la répartition à venir de leurs emplois, la qualité sans doute inégale de leur rôle dans les pays concernés sont quelques-unes des interrogations actuelles. Il n’est nul doute que les années prochaines en mettront d’autres à jour et obligent la profession à demeurer vigilante et déterminée.
Paul Derreumaux
Article publié le 17/10/2023