Population mondiale : de vraies interrogations à l’horizon 2100 (part 2)  

Le chemin démographique vers le milieu de ce siècle apparait déjà bien tracé à partir des réalités actuelles, au moins pour les regroupements régionaux, avec des idées-forces qui devraient peu varier (1).

Au-delà de cette date, le poids des hypothèses devient plus déterminant et conduit à des scenarii d’évolution encore vagues et fort divers. Pour l’échéance de 2100, les dernières projections actuelles pourraient être réparties en trois groupes.

Le premier s’appuie sur une prolongation de la plupart des tendances actuelles : allongement de la durée de vie moyenne, vieillissement de la population mondiale, poursuite du recul démographique des pays avancés mais baisse lente du nombre d’enfants par femme en Afrique et en Asie du Centre. Il en résulterait une hausse encore significative du nombre total d’habitants qui pourrait atteindre ou dépasser 11 milliards de personnes en 2100, ordre de grandeur précédemment jugé vraisemblable. Malgré tout, cette hypothèse « haute », déjà en retrait par rapport à celles émises ces dernières années, est devenue la moins probable et pourrait être assimilée au « scénario de la continuité »  

Un scénario central est jugé aujourd’hui le plus réaliste par une majorité d’experts, mais retient lui-même d’assez larges intervalles pour les projections de ses indicateurs. Selon cette approche, la baisse continue, généralisée et apparemment croissante du taux moyen de fécondité serait déterminante pour conduire à un ralentissement progressif de l’augmentation de la population du monde, puis à une éventuelle modeste diminution de cette dernière avant la fin du siècle. Sur ces bases, un « pic » global de quelque 10,4 milliards d’habitants pourrait être atteint aux environs des années 2080. Ces chiffres sont certes encore approximatifs et, selon les centres de recherche, varient entre 8,9 (voire 7) et 11 (voire 12) milliards d’êtres humains à l’horizon 2100, et un maximum pouvant être atteint dès 2064 pour les analystes les plus « radicaux ». Le trait d’union de ces travaux est sans doute l’idée que la période 2050/2100 devrait être celle d’un changement crucial d’inflexion dans l’évolution démographique du monde. Plusieurs faits justifient ces choix : la réduction des taux de fécondité dans les régions les plus en retard sur ce plan semble avoir pris une force nouvelle dans la période récente – le taux est proche de basculer en deçà de 3 en Afrique du Nord et de 4 en Afrique de l’Est  par exemple- ; les nombreuses actions menées pour une meilleure maîtrise de la natalité auront alors eu plus de temps pour étendre leur impact; les taux de mortalité et l’espérance de vie s’amélioreront sans doute  plus difficilement à l’avenir, sauf découvertes scientifiques majeures ; l’espoir de stratégies de développement plus efficaces dans les pays africains accélérant aussi le repli du taux de fécondité. La baisse du taux de progression de la population mondiale notée depuis deux ans vient conforter cette vision qui pourrait être dénommée le « scénario de retournement ».

Enfin, un dernier groupe, minoritaire, apparait pour la première fois de façon plus « offensive » et annonce une nette diminution de la population à la fin du siècle. Certaines de ces projections apparaissent caricaturales, telle celle qui annonce une humanité réduite à 4 milliards d’individus bien avant 2100. Mais d’autres conduisent à des résultats moins surprenants tout en étant sensiblement inférieures à celles du scénario précédent. Elles sont notamment fondées sur quelques constats très récents : recul de l’espérance de vie moyenne depuis 2019 ; effets de la pandémie Covid19, directs (6,5 millions de morts) ou indirects (réduction de la natalité dans certains pays avancés), maintien à un haut niveau dans une bonne partie du monde d’indicateurs comme les taux de mortalité infantile et maternelle. Les projections pessimistes induites sont aussi alimentées par d’autres faits qui pourraient influer négativement sur les taux de natalité dans les années à venir. L’ONU vient ainsi de souligner que l’Indice de Développement Humain (IDH) est globalement en baisse depuis deux ans et est ramené à son niveau de 2016, à la suite d’une dégradation de l’espérance de vie, de l’éducation et du niveau de vie. Les inquiétudes nées du dérèglement climatique touchent désormais tous les continents et ont été plus visibles que jamais en 2022 : leur impact pourrait s’exercer à la fois par le nombre de victimes de catastrophes naturelles mais aussi par des comportements accentuant la baisse des taux de natalité. Ce « scénario de rupture » risque donc de prendre plus d’importance dans les prochaines années.

Dans ce long terme, la situation de l’Afrique, notamment subsaharienne, est également incertaine. La variable fondamentale sera le taux de fertilité, clairement engagé à la baisse sur le continent, mais avec une intensité fort variable selon les régions. Atteindre un rythme plus rapide requiert normalement une accélération de la croissance économique. La corrélation constatée partout dans le monde entre développement économico-social et diminution du taux de fécondité tendrait en effet à conclure que la baisse à venir de ce taux sera lente si les turbulences qui handicapent la croissance ne s’estompent pas. Mais les phénomènes démographiques sont complexes, et donnent aussi une grande importance aux aspects religieux, sociaux, comportementaux, qui peuvent agir dans les deux sens. Trois nouvelles données essentielles de l’environnement pourraient cependant jouer un rôle essentiel. La première est l’impact multiforme des actions terroristes, qui frappent à l’Ouest comme au Centre et à l’Est, sur la large bande sahélienne :  le nombre considérable des personnes déplacées, toujours en total dénuement, l’absence d’investissements productifs dans certains territoires, les vols et destructions croissantes de récoltes devraient être des catalyseurs de la pauvreté déjà trop présente. Ces conditions de vie spécialement difficiles pourraient avoir un impact négatif sur la démographie des pays concernés. En second lieu, l’Afrique devrait supporter de plus en plus les effets négatifs du dérèglement climatique, même si elle ne porte qu’une responsabilité très limitée sur les causes de celui-ci. Les inquiétudes sur l’avenir que déclenche cette situation sont maintenant bien perçues par toutes les catégories de population et pourraient conduire, comme ailleurs, à une réduction du nombre de naissances par famille par suite de ces craintes existentielles. D’un autre côté, le continent subit toujours de lourdes pertes de population en raison d’endémies chroniques comme le paludisme ; pourtant, les espoirs actuels de la mise au point d’un vaccin contre cette maladie pourraient atténuer fortement ce type d’hémorragies humaines et favoriser la croissance démographique.

Les facteurs qui emporteront la population dans un sens ou dans l’autre entre 2050 et 2100 sont donc nombreux, variés et encore difficilement saisissables. Dans tous les cas, l’Afrique restera au centre du jeu pour au moins trois raisons. L’importance qu’elle aura alors acquise dans la population mondiale et qui donnera un impact crucial à toute évolution de sa part. L’originalité décisive qu’elle tient d’ores et déjà pour la variable du taux de fécondité par rapport aux autres continents : selon l’orientation que prendra ce taux dans les décennies à venir, l’un des scénarii évoqué ci-avant deviendra plus vraisemblable, à moins qu’un mouvement d’importance comparable mais opposé s’empare de ce taux dans les autres régions du monde. Enfin, son poids croissant dans les mouvements migratoires internationaux, en raison de la situation sécuritaire, climatique et économique du continent.

Les migrations pourraient être en effet dans les prochaines décennies un vecteur clé d’atténuation des déséquilibres profonds entre les pays à revenu élevé, au solde naturel de population de plus en plus négatif, et ceux à la sécurité la moins assurée ou aux revenus les plus bas, dans lesquels l’accroissement de la population locale est plus dynamique que la hausse des ressources économiques et financières. Ces écarts se sont nettement aggravés dans les dernières années, tant entre nations qu’entre individus au sein d’un même territoire, conduisant à des situations potentiellement insupportables. Le flux des migrations devrait gonfler dans la même proportion que ces différences et l’Afrique y tenir une place croissante. Face à ce mouvement inévitable, il est peu probable que des mesures coercitives étatiques de freinage suffisent à supprimer des déplacements issus des besoins vitaux des candidats à l’exode. Pour que ces flux développent leurs impacts positifs, il faut en revanche que les pays d’arrivée comme les pays d’origine des migrants réussissent à traiter cette question avec plus de responsabilité, de clarté et de coopération, pour résoudre au mieux les difficultés économiques, sociales et sociétales qui y sont liés. Chaque partie y trouvera plus d’avantages que d’inconvénients si les « règles du jeu » sont claires et si chacun consent et respecte une répartition équitable des efforts et des concessions. Dans cette humanité devenue si puissante mais si menacée, un peu de sagesse serait une bonne nouvelle.

(1) cf. sur ce blog « Population mondiale : Montée en puissance confirmée de l’Afrique en 2050 », septembre 2022

Paul Derreumaux

Article publié le 14/10/2022

Population mondiale : Montée en puissance réaffirmée de l’Afrique en 2050 (Part 1)

Alors que les médias annoncent déjà le franchissement du seuil de 8 milliards d’habitants sur la planète en novembre prochain, les nouvelles projections de la population mondiale par l’Organisation des Nations Unies (ONU) apportent en 2022 des précisions sur son évolution probable pour 2050. Surtout, elles soulèvent beaucoup de questions et de réactions sur les tendances possibles à l’horizon 2100. Quels que soient les scénarii envisagés, l’Afrique y garde une place centrale.

La science démographique est, pour une échéance à venir d’environ 30 ans, une science (presque) exacte. La lente évolution des principales variables qui peuvent infléchir les niveaux, les structures, la répartition spatiale des populations nationales donne une bonne consistance aux projections des experts. Les mouvements entrainant de brusques ruptures de trends – épidémies ou maladies nouvelles, découvertes scientifiques – sont rares et prennent souvent du temps avant de produire tous leurs effets quantitatifs. Les effets de la loi des grands nombres permettent aussi de compenser dans les données des regroupements régionaux les erreurs ou anomalies qui pourraient être faites dans les appréciations au plan national. De manière logique, les dernières projections pour 2050 sont donc peu différentes de celles émises depuis 2015 (1). Elles conduisent à quatre principales conclusions : durant les 28 prochaines années, la population grossit encore, mais ces variations sont de plus en plus inégales selon les régions ; en revanche l’humanité vieillit et s’urbanise partout.

A mi-parcours du 21ème siècle, le monde devrait héberger 9,7 milliards d’êtres humains, après un passage à 8,5 milliards vers 2030, soit quelque 1,9 milliard de plus qu’aujourd’hui. Cette progression n’est que très légèrement inférieure aux précédentes. En revanche, le taux d’accroissement annuel est passé en dessous de 1% en 2020 pour la première fois depuis 70 ans et reste inférieur à ce seuil. Ce résultat est dü à la simultanéité de la baisse continue du taux de natalité dans des régions à population élevée – Asie de l’Est ; une bonne partie de l’Europe – et d’un taux de mortalité relativement stable malgré les effets du Covid-19. 

Cette hausse d’ensemble sera concentrée à 93% sur deux régions du globe : l’Asie du Centre et du Sud et, surtout, l’Afrique subsaharienne. Celle-ci représenterait 62% de l’augmentation de la période, qui porterait sa population à plus de 2,1 milliards d’habitants en 2050 – un quasi-doublement en 30 ans -, soit 22% du total mondial à cette date. Si une fraction de l’Asie, et particulièrement l’Inde, participe à cet accroissement, c’est surtout en raison de son poids prédominant actuel, mais son augmentation, qui s’essouffle, ne serait « que » de 19% sur la période. Le mouvement de l’Afrique est beaucoup plus puissant. Ainsi 5 des 9 pays au monde dont le nombre d’habitants croîtrait le plus seraient africains : Egypte, Ethiopie, Nigéria, République Démocratique du Congo (RDC) et Tanzanie, les deux dernières progressant désormais le plus vite. Ces 5 mastodontes réuniraient à eux seuls près de 1,1 milliard d’habitants en 2050 soit autant que toute la zone subsaharienne en 2020. Cette évolution impressionnante est principalement fondée sur un taux de fécondité qui donne à cette dernière une place désormais unique dans le monde : environ 4,2 enfants par femme alors que ce taux ne dépasse plus 2,1 en moyenne sur les autres continents, ce qui suffit à peine au renouvellement des générations, et se situe en dessous de 3,5 dans les autres régions les plus prolifiques. Certes, les années récentes montrent une baisse de ce taux de fécondité sur le continent, dans le sillage de ce qui s’est déroulé à des périodes diverses sur l’ensemble de la planète, mais la tendance est encore globalement faible, à la différence par exemple de celle opérée en Asie depuis plusieurs décennies, et touche inégalement les pays. En Afrique, elle est presque achevée au Sud, en pleine réalisation au Nord, déjà bien engagée à l’Est, encore fragile à l’Ouest et à peine entamée en zone du Centre. Comme pour l’économie, l’Afrique subsaharienne affiche ainsi sa diversité grandissante en démographie. Malgré quelques progrès, le Niger est toujours à la traine pour cet indicateur avec 6,7 enfants/femme.  

Emportée par ce ralentissement de la natalité et un allongement jusqu’ici continu de la vie -l’espérance de vie moyenne dans le monde atteignait 73 années en 2019-, l’humanité poursuivra son vieillissement qui s’accélère. Certes, la pandémie du Covid 19 a provoqué pour la première fois un recul de cette espérance de vie, ramenée à 71,4 ans en 2021 dans le monde. Pour des pays comme les Etats-Unis ce recul est d’ailleurs plus conséquent et pourrait être plus durable pour des raisons sociologiques. Malgré cette incertitude, les projections restent optimistes en adoptant pour 2050 une valeur supérieure à 77 ans et un allongement étendu à tous les continents. Sur cette base, le poids des « plus de 65 ans » augmentera le plus vite et devrait passer d’environ 10% à plus de 16% en 2050. La part des « 20-65 ans », approximativement assimilables aux actifs, va diminuer en poids relatif et parfois en valeur absolue. Cette tendance posera de plus en plus des problèmes de croissance économique et de financement des charges liées aux « seniors », et aucune partie du monde n’y échappe. La Chine la ressentira particulièrement alors qu’elle sera sans doute globalement dépassée par l’Inde dès 2023, quatre ans avant la date antérieurement prévue. La population pourrait décliner dans une soixantaine de pays, notamment dans toute l’Europe et au Japon, et parfois jusqu’au niveau inquiétant de 10% sur la période. Même l’Afrique, où les « moins de 20 ans » restent majoritaires jusqu’au milieu du siècle, devrait voir la place des actifs commencer à régresser en raison de la poussée des « anciens ». Ceux-ci bénéficient en effet du fort allongement de la durée de vie – désormais proche de 65 ans, et de moins en moins en retard vis-à-vis de la moyenne mondiale – qui devrait se poursuivre, même de façon plus ralentie. Avec cette nouvelle composition de la pyramide des âges, le « dividende démographique » espéré s’éloigne sans que l’Afrique n’ait jamais pu en profiter vraiment, faute de la création effective d’emplois formels bien rémunérés.

Le renforcement de la concentration urbaine restera une dernière dominante des 30 ans à venir. L’exode rural ininterrompu depuis la révolution industrielle du XVIIIème siècle a donné un souffle vigoureux à cette tendance millénaire. Dans la période plus récente, la forte urbanisation a surtout profité aux très grandes conurbations, dressant un écart grandissant de conditions de vie et d’infrastructures économiques et sociales entre celles-ci, d’une part, et les villes moyennes et les zones rurales, d’autre part. Ainsi, non seulement 55% des habitants du monde habitent désormais en zone urbaine -et sans doute 70% en 2050 -, mais la planète compte en 2020 31 « méga-villes » de plus de 10 millions d’habitants, toute l’agglomération de Shanghai culminant à 70 millions de personnes. L’Afrique reste en retard sur ce plan, sous l’influence d’activités agricoles – de rente et vivrières confondues – qui occupent encore la majorité de la population totale : à ce jour, la population urbaine y reste minoritaire avec 42,5% du total et on ne compte que 3 conurbations de plus de 10 millions d’habitants. Mais elle suit bien le même chemin avec quelques nuances. La croissance urbaine est partout supérieure à 3% l’an et peut atteindre 5%, soit le double de la progression globale des pays : le cap des 50% devrait donc être dépassé rapidement. Cependant, à la différence de la plupart des pays asiatiques, cet apport concerne avant tout les capitales nationales qui deviennent tentaculaires et non les villes de l’intérieur du pays. Ce déséquilibre spatial renforce des handicaps mutuels : les capitales enflent souvent avec un désordre et une rapidité qui rendent difficile une urbanisation cohérente bénéficiant au plus grand nombre ; dans les autres villes, les déficits d’infrastructures et la modestie des conditions de vie réduisent les activités économiques et freinent l’ancrage local des populations rurales.

Ainsi le chemin démographique vers le milieu du siècle apparait déjà bien tracé à partir des réalités actuelles, au moins pour les regroupements régionaux, avec des idées-forces qui devraient peu varier. Au-delà de cette date, le poids des hypothèses devient plus déterminant et conduit à des scenarii d’évolution encore vagues et fort divers (cf. Article II à suivre)

(1) Cf. sur ce blog : « Démographie ; le casse-tête de l’Afrique », juin 2016 ; « l’Afrique, maître du destin démographique du monde, juin 2018 » ; Projections démographiques mondiales : Des incertitudes, mais l’Afrique reste maître du jeu », septembre 2021

Paul Derreumaux

Article publié le 22/09/2022

Projections démographiques mondiales : des incertitudes, mais l’Afrique reste l’arbitre du jeu

Projections démographiques mondiales : des incertitudes, mais l’Afrique reste l’arbitre du jeu

 

Les travaux récents de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et de l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) apportent de nouveaux éclairages sur les projections démographiques mondiales. A l’horizon de 2050, les dernières tendances sont logiquement inchangées puisque presque tous les mouvements -hors migrations- qui se manifesteront jusque-là sont déjà modélisables. Après cette date, les scénarii sont plus incertains. Toutefois, sur chaque période, l’Afrique verra sa place grandir fortement et sa situation sera déterminante pour connaitre le chemin le plus plausible pour le futur.

Sans surprise, la population mondiale, à 7,8 milliards de personnes en 2021, va continuer à augmenter et devrait être, selon l’hypothèse la plus probable, aux environs de 9, 8 milliards, en 2050. En revanche, la décélération de cette croissance, entamée depuis une cinquantaine d’années, constitue l’aspect le plus remarquable des dernières projections. La hausse annuelle du nombre d’habitants de la planète est en effet passée de 2,1% en 1970 à quelque 1% aujourd’hui et pourrait encore être ramenée à 0,5% en 2050.

L’inflexion est surtout due à l’effet sur le taux de fécondité (nombre d’enfants/femme) d’une mutation comportementale majeure à la suite d’un développement économique continu. L’espoir d’amélioration de niveau de vie dans la plupart des régions du monde a amené les familles à revoir à la baisse le nombre d’enfants souhaité. De plus de 6 dans les années 1800, le taux de fécondité moyen a été ramené à 2,4 actuellement et poursuit son recul, entrainant le ralentissement mondial. La non-simultanéité du développement économique dans les diverses parties du monde a provoqué des décalages chronologiques dans ce repli et donc des changements dans le poids relatif de chaque continent. La « vieille Europe » ne pèse plus désormais que 9,5% de la population du monde alors que l’Asie en comprend 59,4%.

Plus nombreuse, l’humanité sera aussi, comme prévu, plus vieille et plus citadine. Dans la pyramide des âges, une personne sur quatre aura en 2050 plus de 65 ans en Europe et en Amérique du Nord, et cette catégorie pèsera alors plus de la moitié des actifs (classe des 20 à 65 ans) dans cette zone. Le même phénomène s’observe avec retard en Asie où le « dividende démographique » a cessé de jouer. La Chine, dont la population commencera à baisser en 2030, en est l’exemple le plus frappant, qui montre la difficulté d’inverser des comportements devenus naturels. La politique de l’enfant unique et la priorité donnée maintenant par beaucoup de ménages à l’amélioration de leur niveau de vie ont réduit le nombre d’enfants à moins de 2 par couple et les mesures récentes pour encourager la natalité ne parviennent pas à inverser la tendance. Enfin, l’urbanisation accrue demeure un phénomène mondial, même si des décalages nationaux sont constatés, et est souvent concomitante à une réduction des taux de fécondité.

Dans cette évolution générale, l’Afrique, en particulier subsaharienne, gardera sur les 30 ans à venir ses multiples originalités. Sa population doublera sur la période et 60% des deux milliards d’habitants supplémentaires viendront d’Afrique. 50% d’entre eux seront issus de 5 pays : Nigéria, République Démocratique du Congo, Ethiopie, Egypte et Tanzanie. Le Nigéria sera bien en 2050, sauf accident majeur, la troisième nation la plus peuplée du monde avec 400 millions d’habitants. Cette poussée va avoir lieu car l’Afrique subsaharienne reste un « bloc » aux caractéristiques spécifiques. Même si les indicateurs progressent comme ailleurs dans le sens des nouveaux Objectifs du Développement, ils évoluent moins vite et sont éloignés des moyennes mondiales : 4,6 enfants par femme; mortalité infantile de 4,3%, 60% au-dessus de la moyenne générale; espérance de vie de 63,8 ans, inférieure de plus de 10 ans au reste du monde.

Il est difficile de ne pas relier au moins en partie ces handicaps de la zone subsaharienne au niveau élevé de pauvreté qui y persiste. Dans la région, le taux de pauvreté absolue (1,9 USD/jour de revenu) touche plus de 40% de la population, contre moins de 10% ailleurs, et ne décline que doucement. De plus, depuis 2016, le taux d’accroissement annuel du Produit Intérieur Brut (PIB) a été inférieur à 3%, dépassant à peine celui de la population proche de 2,6%. Ces facteurs, renforcés par la faiblesse des actions nationales de redistribution des richesses, ne favorisent pas la baisse du taux de fécondité observée ailleurs. On pourrait ajouter les freins au changement créés par une croissance plus lente des villes, où les Etats peinent à réaliser les infrastructures économiques et sociales, mais aussi par un dénuement croissant des campagnes, en termes de conditions de vie, d’emplois nouveaux ou d’équipements collectifs.

Il existe certes des différences régionales dans cet immense espace. L’Afrique orientale connait les taux de natalité les plus élevés, mais montre la réduction la plus rapide des taux de fécondité, sans doute en lien avec une croissance économique soutenue et des politiques de maîtrise démographique plus efficaces. L’Afrique occidentale enregistre toujours les nombres d’enfants par femme les plus élevés (jusqu’à 6,6 au Niger), probablement sous l’influence de traditions sociales et religieuses plus prégnantes, mais les belles performances économiques réalisées depuis plus de dix ans -près du double de la moyenne subsaharienne – conduisent à une baisse générale de ce critère, surtout marquée dans les pays les plus avancés au plan économique-Ghana, Côte d’Ivoire, Sénégal -. L’Afrique Centrale, frappée à la fois par une croissance économique plus modeste, un manque de réformes structurelles et certains conflits, est en tête pour les taux de fécondité et la hausse de sa population. Aucun de ces écarts ne remet cependant en question la profonde spécificité de la situation africaine.

Au-delà du milieu de ce siècle, les projections de population prennent désormais un tour nouveau. Certes, un scénario « haut » prévoit encore la prolongation des fortes augmentations antérieures, et une population mondiale approchant 16 milliards en 2100. Mais l’hypothèse principale retient l’accentuation de la décélération récente et un total inférieur à 11 milliards d’individus en fin du siècle. Un scénario « bas », prévoyant une diminution de la population à l’horizon 2100, compte en revanche de nouveaux partisans : la revue « The Lancet » vient de publier sa projection à 8,8 milliards d’habitants et l’ONU retient même quelque 7,5 milliards pour cette hypothèse. Les tendances centrale et basse sont fondées principalement sur la prolongation d’une baisse universelle des taux de fécondité, et surtout en Afrique, et diffèrent seulement sur l’intensité de celle-ci. Ces « trends » distincts s’accordent cependant sur d’importantes tendances globales : la population va partout vieillir de plus en plus vite, le poids relatif des personnes actives va encore décroitre et le nombre de personnes âgées pèsera de plus en plus sur les systèmes de protection et les dépenses publiques.

Dans le scénario le plus probable, les évolutions nationales oscilleraient entre deux extrêmes. Certains pays, affectés désormais d’un taux de fécondité inférieur à 2, verront leur population diminuer en valeur absolue. 26 nations sont déjà dans ce cas de figure en 2021 et 55 pourraient l’être dès 2050. Le Japon, la Russie et beaucoup de pays d’Europe de l’Ouest relèvent de cette catégorie mais l’exemple le plus frappant sera celui de la Chine : elle devrait être dépassée par l’Inde avant 2030 pour le « titre » de la nation la plus peuplée, et voir sa population baisser de 2% dans les 30 prochaines années puis de 24% entre 2050 et 2100.  A contrario, quelques pays asiatiques (Pakistan, Indonésie par exemple) et, surtout, l’Afrique subsaharienne   connaitraient une croissance démographique encore soutenue. Dans les révisions de poids relatif qu’elle provoque, cette hétérogénéité va de nouveau placer l’Afrique subsaharienne au premier plan.

La population du continent s’élèverait en effet de 2,5 à 4,3 milliards entre 2050 et 2100, l’Afrique subsaharienne composant à cette dernière date plus de 85% du surcroit mondial d’habitants sur la période. Près de deux humains sur 5 seraient donc africains en 2100 contre 1 sur 4 en 2050 et 1 sur 6 à ce jour. Dans ce total, les progressions nationales pourraient être très hétérogènes. Les cinq pays les plus peuplés tiendraient toujours une place essentielle mais avec des différences très marquées : l’augmentation de la population sur le demi-siècle pourrait être deux fois plus rapide en RDC qu’en Ethiopie. Le Niger serait alors plus peuplé que la France, et Kinshasa détrônerait de peu Lagos comme mégalopole la plus importante d’Afrique. La population du continent resterait la plus jeune du monde, mais la place des moins de 15 ans serait en déclin de même que le poids des actifs dans l’ensemble, signalant la fin d’un « dividende démographique » jusqu’ici peu exploité.

Violents par leur ampleur, tous ces chiffres s’appuient sur une hypothèse comportementale volontariste : un taux de fécondité en zone subsaharienne rapidement réduit, qui approcherait en moyenne 3,5 en 2050 et descendrait entre 2 et 2,3 en 2100, permettant alors tout juste le renouvellement des générations. Au vu des constats opérés dans le reste du monde, ce résultat suppose en Afrique subsaharienne la concrétisation de deux mouvements. Le premier est une nouvelle accélération de la croissance économique, après son ralentissement actuel, et une meilleure répartition des fruits de celle-ci afin qu’elle s’accompagne d’une réduction de la pauvreté et d’un changement des modes de vie. Or les faiblesses persistantes de gouvernance dans beaucoup de pays et l’absence d’une stratégie internationale performante pour le soutien au développement retardent en permanence les réformes nécessaires à ce dynamisme économique. Le second est un accroissement de la liberté laissée aux femmes dans le choix de leur destin personnel. Cette mutation ne peut exister que si sont réunis un environnement qui leur est plus favorable -planning familial, éducation des filles, réduction des mariages précoces, meilleure égalité professionnelle et économique des femmes et des hommes, …- et de nouvelles améliorations techniques -réduction de la mortalité lors des accouchements, densification des maternités, augmentation du personnel médical-. Malgré les avancées constatées sur certains plans, ces exigences ne progressent que lentement. Une croissance rapide de la population est en effet encore souvent considérée par les Autorités politiques comme un actif à protéger et l’égalité des genres n’est pas la priorité naturelle des pays les plus pauvres.

Le pari fait sur l’Afrique subsaharienne est donc audacieux, mais déterminant pour le monde entier. Le bouleversement qu’il recouvre sur le continent suppose que cet objectif bénéficie d’un sentiment d’urgence de la part de tous les acteurs, qu’ils soient nationaux ou étrangers, et que les moyens d’action les plus efficaces soient rapidement trouvés et mis en œuvre. Faute d’un tel effort, le scénario « bas » ressemblerait surtout à une incantation et l’évolution à long terme de la population mondiale pourrait dévier vers le scénario « haut ». Elle risquerait alors de provoquer des difficultés supplémentaires dans la maîtrise des menaces environnementales, la gestion de certains bien communs et le niveau des migrations. Dans tous les cas et plus que jamais, l’Afrique reste bien l’arbitre du destin démographique de la planète.

Paul Derreumaux

Article paru le 25/08/2021