UEMOA : sale temps pour les banques ?

UEMOA : sale temps pour les banques ?

 

Les banques de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ont vu quelques paramètres déterminants de leur activité  brutalement modifiés en ce début 2017.

Celles-ci étaient en effet devenues en quelques années des partenaires de premier plan dans le nouvel environnement mis en place pour le financement régional des besoins des Etats de l’Union en étant des souscripteurs essentiels dans les émissions d’emprunts obligataires publics. Au moins deux raisons expliquent cette situation. Ces titres publics offrent d’abord un rapport sécurité/rémunération de bon niveau : la signature des Etats garantit normalement l’absence de tout besoin de provision durant la vie de l’emprunt et donc de tout prélèvement sur la rentabilité ; les taux offerts, restés jusqu’ici entre 5,0% et 6,5%, sont en conséquence des taux nets et la défiscalisation de ces opérations conduit à un taux encore sensiblement supérieur en terme de contribution au bénéfice. La surveillance portée par les institutions du marché financier régional, tant dans l’émission de chaque emprunt que durant la vie de celui-ci, apporte un confort supplémentaire pour les détenteurs de ces actifs. En second lieu, la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a décidé que les titres émis par les Etats et la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) seraient tous éligibles au refinancement qu’elle peut apporter aux établissements bancaires, au même titre que les crédits bénéficiant d’un « accord de classement ». Or, ces accords de classement restent fort difficiles à obtenir, malgré quelques adoucissements apportés au fil du temps par l’Autorité monétaire : les critères comptables que doivent respecter les entreprises à qui sont attribués les concours sont en effet rigoureux au regard de l’environnement économique et des méthodes de fonctionnement de la quasi-totalité des entreprises de l’Union, et les accords de classement sont rares et peuvent aussi être brutalement supprimés au vu de mauvais résultats d’un exercice social.

Compte tenu de ces divers paramètres, les titres publics sont désormais pour les banques le support privilégié pour leurs éventuels refinancements mais aussi une composante croissante de leurs actifs. On note ainsi en 2016 que les titres publics représentent près de 30% des emplois bancaires et qu’ils croissent à un rythme nettement plus rapide que les concours à l’économie –respectivement 7,1% et 4,5% durant le premier semestre de l’année dernière-. Dans le même temps, les banques ont bénéficié de refinancements de la BCEAO pour un montant proche de leurs nouvelles souscriptions aux titres d’Etat. Les modalités de fonctionnement des deux guichets de refinancement ouverts par la BCEAO ont facilité cette évolution : le recours au guichet principal est certes resté réglementé et limité, mais la plus grande liberté de fonctionnement du guichet marginal et son coût modeste en ont fait un vecteur privilégié et les niveaux de son utilisation ont connu un grand développement. A fin juillet dernier, les refinancements basés sur ces titres dépassaient 3100 milliards de FCFA et donc la limite de 35% des recettes fiscales de l’UNION pour l’année 2014.

Deux décisions de la BCEAO de décembre 2016 ont brutalement remis en cause ces mécanismes : limitation des refinancements à 200% des fonds propres de l’établissement emprunteur, cette limite étant applicable dès fin juin 2017; relèvement significatif immédiat des taux pratiqués, surtout sur le guichet marginal, par ailleurs supprimé début avril 2017. Avec cette politique nouvelle, la Banque Centrale poursuit plusieurs  objectifs. Elle souhaite d’abord orienter davantage les banques vers les concours aux entreprises et ménages, en vue d’une contribution plus active au développement de l’économie régionale. Elle veut aussi encourager les banques à recourir  au marché interbancaire qui se développe insuffisamment à son gré et demeure surtout limité pour l’instant aux prêts à court ou très court terme, et entre établissements d’un même groupe.

Ces deux principales cibles ne sont pas aisées à atteindre. La confiance entre les banques est encore fragile et n’évoluera que lentement. La montée des risques de crédit freine par ailleurs les ardeurs des banques, notamment vis-à-vis de cibles difficiles comme les Petites et Moyennes entreprises (PME). En revanche, l’effet des mesures sur la participation des banques aux souscriptions de titres publics a été immédiat. Durant les quelques semaines qui ont suivi, les émissions de Bons et Obligations de quelques Trésors Publics n’ont pu être entièrement souscrites par des banques craignant pour leur liquidité. Les émissions suivantes ont en outre été marquées par des taux en hausse notable pour faciliter le placement des titres mis sur le marché. Pour rassurer les banques et lever les inquiétudes possibles de certains Etats quant au financement de leurs besoins de trésorerie, la BCEAO a pris rapidement deux autres mesures ; abaissement de 5% à 3% du coefficient de réserves obligatoires, libérant de la trésorerie à due concurrence ; augmentation massive du montant mis en adjudication de l’injection hebdomadaire de liquidités, de façon à réduire le recours au guichet de prêt marginal.

Il faudra sans doute quelque temps pour savoir si ces différentes dispositions permettent de retrouver un nouvel équilibre satisfaisant pour toutes les parties en jeu. Dans tous les cas, chaque acteur aura à réaliser de nouveaux efforts. Pour les Etats, le levier du marché régional obligataire, solution de plus en plus utilisée ces dernières années, sera sans doute moins aisé, ce qui imposera, pour ne pas retomber dans les excès d’endettement extérieur, des efforts accrus en matière d’impôts et de droits de douanes : les ratios « Recettes fiscales/ Produit Intérieur Brut » peinent en effet à atteindre le seuil souhaité de 20%, tant par suite de la structure présente des impôts que de l’efficacité de leurs recouvrements. Pour le secteur bancaire, actuellement déjà soumis dans la zone aux contraintes résultant du passage des normes de Bâle I à celles de Bâle III, il va s’agir de s’adapter aux nouvelles règles par l’identification de produits de substitution ou une augmentation supplémentaire des fonds propres. Il pourrait en résulter une baisse au moins provisoire de la rentabilité.

Alors, sale temps pour les banques ? Pas si sûr. Les réformes structurelles sont souvent indispensables pour ne pas tomber dans la facilité et pour fonder de nouveaux progrès. La fin des placements de trésorerie rémunérateurs offerts par la BCEAO dans les années 1990 n’a pas empêché, bien au contraire, les établissements bancaires de poursuivre leur expansion et de  gagner une santé florissante. Elle a en même temps fortement contribué à développer les crédits à l’économie et à renforcer le rôle des banques. Une nouvelle fenêtre d’opportunités peut ainsi déboucher des récents changements si certaines conditions sont réunies. La transformation des moyens de paiement devrait accroitre fortement les ressources drainées si les systèmes bancaires prennent bien leur part à la révolution digitale en cours. La multiplication tant souhaitée des PME et des crédits à l’habitat offre des possibilités immenses si les banques réussissent enfin à mettre au point des formules leur permettant une plus grande implication sans augmenter à l’excès les risques encourus. Une modération volontaire et provisoire des dividendes versés et un plus grand recours aux marchés financiers pour des augmentations de capital apporteraient les suppléments de ressources propres requis pour des investissements dans l’organisation, la modernisation, les gains en productivité permettant de mieux franchir de nouvelles étapes.

Comme dans l’art de la guerre, la meilleure défense des banques sera leur capacité de reprendre l’offensive. Elles en ont, ou peuvent trouver, les moyens financiers et peuvent s’appuyer sur une forte attente de leur clientèle et sur le soutien probable des Autorités politiques et administratives. Celles qui passeront le plus vite à l’acte dans ces mutations structurelles seront très certainement celles qui transformeront le mieux cette phase délicate en facteur de succès. 

Paul Derreumaux

Article publié le 28/04/2017

Mon voisin le jardinier

Mon voisin le jardinier

Mon voisin le jardinier s’appelle Ousmane F. Quand nous avons emménagé sur cette rive droite du Niger  à Bamako il y a maintenant plus de quinze ans, il a d’abord regardé avec méfiance cette famille qui venait s’installer dans ce qui était encore un coin de brousse, se demandant s’il avait à craindre pour ses cultures maraîchères et fruitières. Il s’est bien vite rassuré en voyant que je ne chercherais pas à étendre ma propriété aux dépens de son potager et de ses quelques agrumes. Tranquillisé sur le maintien de son gagne-pain, il m’a alors rapidement toléré dans son voisinage, et nos relations se sont détendues.

Ousmane est petit de taille -court comme on dit ici-, pas très souriant, peu causant mais sympathique. Avec lui, pas de fioritures ou de temps perdu. Comme pour tout paysan dans le monde, le temps c’est le travail, et le travail compte pour que la terre produise. Chaque matin, il arrive, courbé, les mains derrière le dos, puis s’arrête au bord du champ, sans doute pour réfléchir quelques instants à ce qui va l’occuper aujourd’hui. Alors il commence, tantôt plié en deux, tantôt accroupi, tantôt assis, piochant, désherbant, binant, semant, plantant, arrachant, récoltant, selon les saisons et les produits. Très souvent, sa femme et une jeune fille l’accompagnent. Toute la journée, ils travaillent tous trois sans relâche, se partageant les tâches. Presque sans causer, ou alors si bas que le piaillement des oiseaux au plumage bleu électrique, si nombreux sur ce site, couvre la conversation de leurs cris. Ses seuls moments d’arrêt sont pour les deux prières qu’il effectue, sous le gros manguier planté au centre de son territoire, et pour un rapide repas. Son âge doit être supérieur à l’espérance de vie nationale, mais le corps reste musculeux et les gestes agiles. Avec ses joues rebondies, ses bras toujours vigoureux et sa démarche rapide, il a des allures d’un Popeye indestructible. Le noir de sa peau a presque pris sur son torse nu la teinte du cuivre sous les brûlures du soleil.

Les échanges avec mon voisin sont peu nombreux: les mots français qu’il connait sont aussi limités que ceux  que je sais dire en bambara. Nous nous cantonnons donc aux salutations d’usage répétées plusieurs fois, à la manière malienne, pour être certain de n’oublier rien ni personne, mais ces quelques mots s’échangent presque chaque jour. Nous alternons souvent le français et le bambara, pour que chacun se sente à l’aise. Parfois, il me montre fièrement ses productions : salades, oignons, gombos, choux, mangues, quelques oranges. Je le félicite du geste et des yeux. Comme nous en avons convenu dès l’origine, sans plus en reparler depuis lors, il s’approvisionne chez nous en eau potable selon ses besoins. J’aimerais lui poser les  questions qui m’interpellent. Quel revenu approximatif lui amènent ses activités (plus ou moins que les fameux 1,25 dollar/jour des sèches statistiques de « pauvreté »)? Comment écoule-t-il ses produits ? Ressent-il un progrès dans sa situation quotidienne ? Reçoit-il des aides ? Sa fille (ou petite fille) va-t-elle à l’école ? La difficulté de communication m’empêche de faire correctement ce questionnement et c’est peut-être mieux ainsi puisqu’il n’oserait sans doute pas me renvoyer des questions qu’il se pose de son côté sur moi-même. Nous maintenons donc une distance que nous acceptons tous deux et qui facilite nos relations.

Durant toutes ces années, le travail d’Ousmane ne s’est guère modifié. Il travaille toujours à la main ou avec sa houe qui ne le quitte guère. Son seul instrument mécanique est sa petite pompe à gaz oil, avec laquelle il puise l’eau du fleuve pour l’arrosage de ses cultures durant la longue  saison sèche et qui est devenue de plus en plus poussive au fil des ans. A la saison des pluies, nous luttons tous deux contre la crue qui envahit les berges, lui pour aménager en conséquence son espace cultivé, moi pour protéger notre maison. Lorsque les eaux  redescendent, nous partageons parfois, à grand renfort de gestes, notre tristesse de voir l’ensablement gagner le Niger à grande vitesse et les arbres pousser avec vigueur dans le lit du fleuve. Pendant les deux années si difficiles – 2012 et 2013 – que le Mali a vécues, notre tranquillité dans ce petit coin de Bamako n’a jamais été menacée et la vie a continué sans grand changement. Ousmane n’a vraisemblablement pas attendu grand-chose du « retour à l’ordre » et, depuis un an, son impatience doit donc être bien moins grande que la mienne. Il continue son travail au  quotidien, avec la même ardeur, sans se préoccuper des discussions de paix pour le Nord du pays qui s’éternisent, ni du blocage des financements extérieurs qui a freiné le redémarrage des investissements publics, ni des multiples colloques et réunions qui, sur tous sujets, se réjouissent des progrès intervenus mais annoncent peu d’étapes concrètes pour les changements restant à accomplir. La seule préoccupation que j’ai décelée est sa récrimination contre les oranges marocaines qui déferlent maintenant du Nord et envahissent le Mali. Leur goût plus sucré chasse souvent du marché les oranges maliennes malgré leur prix plus élevé et il n’est donc pas sûr que mon voisin apprécie les charmes du « co-développement Mali/Maroc »

Ousmane a fait relâche deux jours la semaine dernière. J’ai craint qu’il soit malade. Mais il est revenu ce matin, tard dans la matinée, avançant de ses petites enjambées saccadées. Il a certainement voulu éviter le «  froid » qui s’est emparé brutalement de Bamako, comme un envahisseur pressé qui sait bien qu’il devra battre en retraite dans deux mois au plus tard. Nous nous sommes salués un peu plus chaleureusement que d’habitude, avant qu’il commence sa journée de travail.

Que puis-je lui souhaiter pour cette année nouvelle, même si je ne suis guère capable de le lui exprimer ? J’essaie d’imaginer ses plus grandes craintes, même s’il ne se plaint jamais.

La maladie, j’en suis convaincu. Si elle frappe, tout s’écroulera pour Ousmane faute d’argent de réserve pour  la combattre: plus de culture, plus de revenus, peut-être plus de maison. Et si l’Etat et ses partenaires donnaient à ce problème la priorité qu’il mérite ? Un doux rêve ? Peut-être mais dont le contenu existe au moins partiellement si la volonté de changer les choses est bien présente: multiplication de centres de soins basiques, gratuité des secours de base, encouragement de la micro-assurance, coopération accrue avec les grandes entreprises bousculées par de nombreux intervenants pour faire plus de « RSE » (Responsabilité Environnementale et Sociale). Et les effets positifs seraient vraisemblablement considérables en de nombreux domaines allant de la productivité du travail à la diminution possible de l’indice de fécondité en passant par une meilleure crédibilité du « vivre ensemble ».

La panne de sa pompe, très probablement, en raison de la trésorerie nécessaire pour la réparation ou le remplacement. Car celle-ci est plus que rare, avalée par la pression du quotidien, où s’agglomèrent pêle-mêle les besoins du champ et ceux de la vie de tous les jours. Ousmane a sans doute renoncé à rêver à une plus grande audace des banques ou des sociétés de micro-crédit, ou de n’importe quelle institution qui pourrait voir le jour et lui apporter, enfin, une solution à coût raisonnable à ce terrible manque. Sait-il que le financement des Petites et Moyennes Entreprises (PME) est un éternel sujet de colloques ? Sûrement pas. Devine-t-il, lui qui n’a même pas de compte bancaire, que la solution viendra peut-être de son téléphone portable, son seul « luxe », grâce à la grande offensive que mènent les sociétés de télécommunications avec le « mobile banking » ? Pas encore mais il apprendra vite si un espoir réel se met en place.

Peut-être ces souhaits de changement ne sont-ils pas clairement matérialisés dans son esprit. Mais il doit au moins désirer que quelqu’un, quel qu’il soit, ayant le pouvoir de changer les choses, prête enfin attention à lui, l’écoute et, sait-on jamais, lui réponde et apporte des solutions à ses préoccupations. Qu’il soit en quelque sorte pris en compte. N’est-ce pas cela l’inclusion dont on parle tant ?

Bonne année Ousmane!

 

Paul Derreumaux

 

Le marché financier remplit-il son rôle en Afrique francophone ?

Le marché financier remplit-il son rôle en Afrique francophone ?

Trois bourses de valeurs mobilières couvrent les 14 pays de l’Afrique francophone. Celles de Douala et de Libreville, en Afrique Centrale, sont cependant quasiment virtuelles, empêtrées dans leur concurrence, leur très modeste consistance et la rareté de leurs transactions.

A l’Ouest, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) est au contraire une réalité tangible. Elle revient cependant de loin. Née en 1998 en se substituant à la Bourse des Valeurs d’Abidjan (BVA). elle visait à développer l’épargne de  long terme  pour faciliter le financement des  investissements productifs et la croissance économique de la zone. Grâce à son approche régionale, unique au monde, la BRVM éliminait aussi l’obstacle de l’étroitesse des économies nationales et des marchés financiers correspondants, et laissait espérer un niveau d’activité significatif. Les déceptions se sont d’abord accumulées Les privatisations, censées soutenir le marché dès sa mise en place, n’ont pas eu lieu ou se sont passées pour l’essentiel en dehors de la Bourse. Les coûts élevés et les lourdes exigences administratives ont peu encouragé les entreprises privées à faire appel au marché : en 15 ans, seules 8 sociétés se sont ajoutées aux 30 entreprises héritées de la BVA, et la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) est restée longtemps le principal animateur du marché obligataire. Des charges de fonctionnement excessives ont pesé dès l’origine sur le compte d’exploitation de la Bourse et généré des pertes significatives.

Ces difficultés initiales ont été effacées. Les meilleurs résultats des entreprises ont généré des dividendes en hausse et rendu les actions plus attractives pour les investisseurs. L’accroissement correspondant des activités et les économies issues de la refonte de l’organisation  ont rendu la Bourse bénéficiaire. La BRVM est devenue, derrière le système bancaire, un élément important du paysage financier de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et le sixième plus important marché financier du continent.

De nouveaux risques sont toutefois apparus. Depuis l’arrêt de leurs possibilités de refinancement auprès de la Banque Centrale, les Etats de l’Union se sont notamment tournés vers la BRVM et sont aujourd’hui, et de très loin, les principaux émetteurs en représentant près de 70% du volume des obligations côtées. Ces opérations, toutes placées facilement, assurent une réelle profondeur du marché. Elles pourraient cependant assécher celui-ci, vu leur volume en fort accroissement, et introduisent des disparités préjudiciables aux émetteurs privés, en raison des avantages fiscaux dont elles bénéficient. Elles peuvent aussi, faute de règles suffisamment contraignantes, recevoir des affectations non optimales  ou conduire à un endettement excessif des Etats : un défaut de remboursement compromettrait alors pour longtemps la crédibilité du marché. Une plus grande vigilance est donc souhaitable et la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a engagé le suivi global de ces endettements publics pour réduire les risques systémiques qu’ils pourraient provoquer.

Pour les émetteurs privés, les adoucissements intervenus en matière de coûts supportés et de garanties exigées n’ont eu pour l’instant que des effets modérés. Les titres additionnels et les augmentations de capital restent rares et l’offre demeure inférieure à une demande « boostée » par la hausse depuis deux ans de nombreuses valeurs, surtout bancaires et de télécommunications.  Cette évolution attractive, comme la rareté des choix alternatifs pour les  investisseurs institutionnels, expliquent que les émissions d’actions et d’obligations nouvelles soient toutes aisément souscrites jusqu’ici, malgré la concurrence croissante des titres d’Etat. Les instruments financiers disponibles doivent donc à l’évidence être multipliés.

Pour franchir une nouvelle étape et atteindre les ambitieux objectifs des Autorités francophones, trois évolutions semblent indispensables.

A la BRVM, il faut d’abord développer et diversifier l’offre en accroissant l’intérêt de la cotation. A cette fin, l’effort devra continuer à porter simultanément sur de nouvelles réductions des coûts d’accès, une plus grande souplesse des réglementations et une intense promotion commerciale. Des signaux positifs se manifestent :.annonce de la prochaine introduction des actions de quelques grandes sociétés, accroissement du nombre des Organismes de Placements Collectifs à Valeurs Multiples (OPCVM), amorce de titrisation de certains créances  hypothécaires. Ils restent pourtant encore modestes, alors que le recours aux emprunts obligataires ne  parait pas progresser du côté des sociétés privées. De plus, la prochaine création d’un compartiment réservé aux Petites et Moyennes Entreprises (PME) répond sans doute peu aux besoins des sociétés concernées et pourrait s’avérer décevante.

Il faut aussi renforcer au maximum la liquidité des titres du marché, par exemple en diminuant les valeurs nominales unitaires des actions, en multipliant les fonds de liquidité des titres cotés et en mettant l’accent sur l’information et la formation des acteurs et du public. C’est seulement ainsi que le comportement patrimonial actuel des épargnants pourra s’estomper, ce qui rassurerait les grands investisseurs et amènerait un fonctionnement plus proche de celui des bourses anglophones.

Enfin, il importe de combler au plus vite le vide existant en Afrique Centrale, pour doter celle-ci d’un véritable marché financier répondant aux mêmes objectifs que dans l’UEMOA. Les pistes possibles sont diverses : unification des deux bourses existantes, arrêt de l’une d’elles ; rapprochement avec la BRVM. L’impulsion aura en tous cas à être donnée par une forte volonté politique régionale, qui parait encore faire défaut.

Impulsée avec vigueur par la BCEAO il y a 15 ans, la BRVM a fait la preuve de sa viabilité et de son rôle, tant pour le financement de la croissance que pour l’intégration régionale. Elle doit maintenant, d’urgence, accélérer ses réformes structurelles pour maitriser ses faiblesses et  exploiter pleinement son potentiel. Tout ne sera pas possible à court terme : l’essentiel est d’avancer, régulièrement et toujours dans la bonne direction. 

Paul Derreumaux