Après 7 ans d’appuis humanitaires à Bamako, l’Association « Dambe » a déjà eu beaucoup d’occasions d’observer la générosité et le don de soi de celles et de ceux qui consacrent l’essentiel de leur temps et une énergie impressionnante pour soutenir la cause des enfants ou des adultes laissés pour compte par la vie ou la société. Encore cet échantillon reste-t-il très limité par rapport à toutes les bonnes œuvres qui officient dans le pays, et autorise donc toujours de belles rencontres supplémentaires accompagnées d’émotions toujours aussi fortes
Le mois de mai 2022 nous a offert cette opportunité avec la visite à Kati Koko, près de Bamako, de l’orphelinat « Centre David Est Roi ». La Mission Chrétienne Suisse, protestante, fut en 2007 le promoteur de cette initiative, mais y a associé des partenaires étrangers -américains, allemands, anglais, tchèques- et nationaux -Mairie Urbaine de Kati, Mouvement des Femmes de Kati, Fonds de Solidarité Nationale, ;..- confessionnels ou pas. Cet œcuménisme peu habituel a été performant : en 15 ans, les contributeurs ont mobilisé ensemble, pas à pas, près de 100 millions de FCFA pour la construction puis l’extension de l’orphelinat et de ses structures annexes, et pour le fonctionnement de toutes ces installations.
C’est Joseph M., Président de l’orphelinat, qui conte avec précision cet historique en accueillant les représentants de Dambe à l’entrée du site. A l’intérieur, près d’une centaine de personnes attendent patiemment. Face à nous, des adultes sont assis en silence, attentifs à ces nouveaux venus : ils regroupent à la fois les personnes en charge de l’administration du Centre et des enseignants de l’orphelinat. Une ribambelle d’enfants sont à notre gauche, agglutinés sur les marches qui accèdent au bâtiment principal : ils sont plus remuants, échangeant à voix basse leurs impressions sur ces arrivants, souvent occupés à bavarder ou à jouer entre eux, parfois perdus dans leurs rêves solitaires, En allant saluer les uns et les autres, l’atmosphère un peu solennelle du départ se déride. Les adultes sont heureux d’échanger quelques mots et de mieux connaitre ces nouveaux soutiens potentiels. Les enfants, vite enhardis, se bousculent pour serrer les mains qui se tendent vers eux, lancent de brefs « Bonjour » en riant et sont impatients de pouvoir s’égayer vers leurs salles de classes. Les discours improvisés échangés entre Joseph M. et Ramatoulaye T., Présidente de DAMBE, finissent de détendre l’atmosphère.
C’est dans la visite des locaux qu’apparait pleinement l’imposant travail effectué par l’équipe de l’orphelinat. Ce dernier abritera à la prochaine rentrée scolaire des cours pour quelque 50 orphelins, filles et garçons de 5 à 18 ans qui sont là à demeure grâce aux dortoirs qui ont été construits, mais aussi près de 80 enfants du voisinage. Ceux-ci sont en effet attirés par la qualité du suivi des enseignements et les meilleures conditions de travail, comme cela a déjà été constaté ailleurs à Bamako. Le public grandit donc très vite et, malgré les créations fréquentes de nouvelles classes, l’’espace n’est pas extensible et les places se font rares. L’enseignement primaire, par lequel le projet « David Est Roi » a débuté, est particulièrement touché par cette contrainte. Dans la première classe que nous visitons au rez-de-chaussée, chacun banc accueille 3 personnes. A l’entrée de la salle, le plus petit d’entre eux, dont la longueur ne doit pas excéder 130 cm, fait penser à l’école des sept nains de Blanche Neige mais, à leur rire joyeux, il est clair que les fillettes qui s’y serrent ne laisseraient sans doute leur place à personne. Partout, ce souci d’ordre et d’efficacité des responsables de l’orphelinant, né sans doute d’une longue pratique issue de fortes contraintes, domine dans la suite de notre visite. Les cours dispensés s’étendent maintenant des premières classes de la « petite école » jusqu’au diplôme du BEPC qui marque la fin du premier cycle, et couvrent aussi la maternelle avec deux pièces « ad hoc », soit en tout 11 salles de cours. Tous ces locaux se partagent entre le bâtiment-école construit dans la cour et le rez-de-chaussée du l’immeuble en R+1. Au premier étage de celui-ci, construit grâce à un appui de premier plan des « Amis d’Erfurt » en Allemagne, sont aussi installés les deux dortoirs pour les pensionnaires du Centre, deux salles de repos pour les nourrices, une pièce de stockage des batteries solaires depuis l’installation de ce système d’énergie à l’orphelinat. D’autres aménagements ont aussi permis l’implantation d’une salle informatique, d’une bibliothèque, d’une salle d’infirmerie pour premiers soins. Dans la cour, d’autres bâtiments annexes abritent l’administration, des salles pour les professeurs.
Tout a donc été fait pour loger dans cet espace somme toute modeste de 2000 m2 un véritable complexe éducatif bien agencé et un centre d’accueil disposant d’équipements satisfaisants pour les orphelins pris en charge. Grâce à cet ensemble, les Fondateurs et leurs partenaires sont en mesure de poursuivre leurs objectifs dans les meilleures conditions pour leurs élèves.
Après cette visite détaillée, qui ne peut qu’impressionner, vient l’instant plus émouvant où Ramatoulaye T. présente à l’auditoire à nouveau rassemblé le don accordé ce jour à l’orphelinat et le souhait de développer avec celui-ci un partenariat analogue à celui noué avec d’autres structures humanitaires maliennes. Visiblement ravi de ce soutien, Joseph remercie chaleureusement les représentants de Dambe tandis que les regards souriants et les conciliabules discrets des équipes de David Est Roi expriment clairement leur joie. C’est qu’ici on a plus l’habitude de donner que de recevoir, et que les besoins sont toujours grands. Car la Mission Chrétienne suisse et ses divers partenaires, malgré leurs belles réalisations, n’ont pas terminé leur boulimie d’investissements et ils voient encore grand pour l’avenir. Ils souhaitent en effet accueillir leurs élèves jusqu’au Baccalauréat, créer un Centre d’apprentissage et de formation professionnelle pour faciliter l’accès de leurs protégés à ce but tant recherché qu’est l’emploi, augmenter le nombre de dortoirs, acquérir un minibus pour le transport des enfants vers des activités extérieures. Ils savent bien que cela nécessitera beaucoup d’étapes, parfois éloignées dans le temps les unes des autres. Mais ceci n’a pas d’importance pour les gens de foi qui ont l’éternité devant eux. Et cette foi est souvent assez forte pour entrainer les autres à les suivre et pour effacer tous les obstacles rencontrés.
La belle photo des activités et des installations de David Est Roi ne retient en effet que le bon côté des choses. Elle gomme les difficultés qu’il a fallu vaincre au quotidien depuis sept ans pour ne mettre en lumière que le résultat que nous découvrons ce jour. Ces complications s’expliquent aisément : les moyens humains, logistiques et techniques qu’implique le bon fonctionnement d’une telle organisation nécessitent des ressources financières souvent insuffisantes et toujours discontinues. En un mot, le calendrier des besoins du Centre n’est pas systématiquement le même que celui de ses donateurs, même si ceux-ci sont généreux. Il faut donc « faire avec », gérer avec prudence, consommer avec sobriété, prévoir l’imprévisible si on le peut… C’est vrai aussi bien pour les stocks de céréales requis pour la nourriture des pensionnaires -voire des élèves du voisinage-, que pour les médicaments pour les premiers soins des malades, pour les quelques jouets tellement attendus pour Noêl, pour les efforts de formation continue des personnels enseignants et pour une rémunération minimale de ceux-ci. Certes le personnel administratif, qui travaille lui-même la plupart du temps de manière bénévole, est accoutumé à cette gestion délicate : mais l’habitude ne rend pas les choses plus faciles, elle permet seulement de ne plus se poser de questions et d’avancer. Les enseignants, partenaires privilégiés du Centre, partagent d’ailleurs cette philosophie du don de soi. Leurs conditions salariales ne sont guère meilleures que celles des postes qu’ils avaient auparavant dans les écoles publiques où ils officiaient. Mais on comprend vite en leur parlant que l’importance accordée à leurs fonctions dans l’orphelinat et la qualité des résultats qu’ils y obtiennent pour leurs élèves comptent aussi beaucoup dans la satisfaction qu’ils ressentent.
Ce combat pour la continuité de leur exploitation et l’atteinte de leurs objectifs est celui de toutes les structures qui, au Mali ou ailleurs, s’efforcent de prendre en charge ceux qui manquent de tout et pourraient désespérer de la vie. Pour ces citoyens les plus vulnérables, isolés, sans ressources et souvent sans famille, l’Etat, submergé par ses urgences et par ses propres priorités, est à peine visible. Et pourtant, les besoins sont considérables. Des statistiques internationales déjà dramatiques donnent déjà pour le pays un taux de pauvreté absolue – « vivre » ( ou plutôt survivre) avec 1,9 dollar par jour – touchant 40% de la population, soit quelque 4 millions de personnes en ne comptant que les adultes. Mais les « cibles » de toutes les associations d’entraide rassemblent parmi ces pauvres ceux qui sont les plus démunis, aux ressources financières beaucoup plus insignifiantes. Au Mali, les effets économiques de la pandémie Covid-19 et les soubresauts politiques supportés par la nation depuis deux ans ont sans aucun doute fait basculer, dans ces groupes du bas de la pyramide humaine qui forme la société malienne, des dizaines de milliers de personnes supplémentaires venues s’ajouter aux quelques centaines de milliers qui s’y trouvaient déjà. Paradoxalement, face à ces demandes en croissance, de nouveaux appels pressants à la solidarité – à la suite de l’attaque russe en Ukraine par exemple-, les difficultés économiques internationales et les inquiétudes causées par les incertitudes maliennes ont ralenti les flux, extérieurs comme intérieurs, de soutien financier.
Même si chacun ressent durement cet « effet ciseau », aucun des organismes que nous connaissons ne réduit ses activités ou n’hésite à investir autant qu’il le peut. L’abandon, le découragement, le ralentissement sont inconnus de leur horizon et de leur vocabulaire, tels des Sisyphes du XXIème siècle poussant sans interruption leur structure vers une terre plus hospitalière. Même s’ils ont parfois conscience que la voie est trop pentue, aucun d’eux ne songerait à relâcher son effort. Sans doute seraient-ils une belle référence pour de hauts responsables nationaux, mais peu de gens doivent les observer, engagés dans des occupations plus « importantes ».
En quittant l’orphelinat, les sourires et les cris de joie ont balayé d’un coup les inquiétudes que nous pouvions nourrir sur l’avenir de David Est Roi et de ses structure sœurs. Impossible pour les dirigeants du Centre de baisser les bras en côtoyant chaque instant la beauté à l’état pur de ces jeunes âmes ou la force de conviction de leurs sourires. Impossible pour Dambe, et bien d’autres donateurs privés, de les laisser seuls au bord de la route.
En revenant à son bureau, Ramatoulaye découvre deux lettres, exposant de nouvelles initiatives à appuyer : une école pour jeunes filles, un centre de soins pour femmes enceintes isolées. Encore quelques amis à connaitre et quelques bonheurs à voir éclore…
Paul Derreumaux
Article publié le 05/09/2022