Depuis février 2020, les grandes bourses mondiales ont connu successivement une dépression brutale de mi-février à fin mars 2020, une période d’euphorie jusqu’à fin 2021 et une rechute non encore totalement stoppée.
Trois exemples montrent les similitudes mais aussi les particularités des évolutions notées. Dans les deux grandes bourses américaines -Dow Jones (DJ) et Nasdaq – comme pour le CAC 40 français, la plongée a démarré entre le 10 et le 15 février 2020, alors que ces marchés se trouvaient à leurs plus hauts niveaux historiques, et les cours des actions ont régressé en moyenne entre 30 à 35% en un mois, à la suite du constat que le virus du Covid-19 pouvait générer une pandémie mondiale. Dès fin mars 2020, les trois marchés engageaient pourtant leurs reprises à un rythme soutenu, alors que les économies des pays concernés entraient dans une déprime provoquée notamment par la dangerosité confirmée de la maladie, les confinements, les arrêts de production, les mises au chômage… En grand décalage avec ces difficultés du monde réel, les cours des actions retrouvaient leurs niveaux de début février 2020 dès novembre de la même année pour le DJ, et même à fin mai 2020 pour le Nasdaq au vu des croissances record de certaines valeurs technologiques stimulées par des nouvelles perspectives ouvertes par l’épidémie. En France, il faudra attendre la mi-mars 2021 pour atteindre ce résultat, en raison de la composition et du moindre dynamisme du CAC 40, mais aussi de l’intensité de la crise sanitaire en Europe. Cette hausse s’est poursuivie continûment jusqu’en fin 2021, alimentée en particulier par deux facteurs financiers : des taux très bas -moins de 1% en 2020 et moins de 2% jusqu’en mars 2022 pour les Bons du Trésor (BT) américains à 10 ans par exemple ; la disponibilité de ressources considérables résultant des emprunts d’Etat contractés pour le soutien aux économies durant la crise Covid et du refinancement des prêteurs par les Banques Centrales. En décembre dernier, les indices du DJ, du Nasdaq et du CAC 40 avaient bondi respectivement de 89%, 133% et 75% par rapport aux plus bas de mars 2020. En neuf mois depuis janvier 2022, cette euphorie a laissé place à un net recul, de l’ordre de 20% à 30% selon les marchés, dans un climat de forte volatilité. Après le rebond d’octobre, le DJ dépasse de 3% seulement sa valeur « pré-Covid » et le CAC 40 et le DJ demeurent supérieurs de 12% à ce niveau.
Les étonnantes plus-values boursières engrangées en 2020 et 2021 se sont donc pour l’essentiel volatilisées en 2022 et la situation appelle deux principales conclusions.
Avec le récent recul, les marchés financiers ont recollé aux réalités économiques puisque, dans les grands pays du Nord, les données du PIB restent proches, voire inférieures, de celles de début 2020. Les reculs boursiers de 2022 sont d’ailleurs largement le fruit des perturbations économiques de la période : désordres dans les approvisionnements, fortes hausses de prix dans certains secteurs, effets de la guerre en Ukraine, accélération et généralisation de l’inflation. Cette dernière a précipité le relèvement des taux d’intérêt prudemment engagé dès 2021 aux Etats-Unis, qui a gagné presque toutes les Banques Centrales -Japon excepté- en 2022. Ce bouleversement des conditions de financement a aussi contribué à la chute récente du marché des obligations comme de celui des actions.
Cette « parenthèse » boursière de deux ans n’a pas été dénuée d’effets. Elle a autorisé des entreprises à se lancer à moindre frais dans des projets plus ou moins justifiés. Les « GAFAM », certains secteurs – technologie surtout-, des fonds d’investissement, des « start-up » ont su user à plein des perspectives qu’ils annonçaient et d’effets de mode. Mais la facilité de lever des fonds a conduit aussi certains des plus fortunés à se prendre pour des démiurges, satisfaisant surtout leur ego. L’issue de ces investissements connait des sorts variés et la correction des marchés en 2022 a commencé à remettre de l’ordre sur ce plan. La bulle financière a aussi mis en avant « l’enrichissement indu des plus riches » en cette période de crises : cette anomalie, même actuellement amoindrie, laissera des traces, sans doute encore mal cernées. Enfin, cette mobilisation de ressources a permis à de nombreux groupes industriels et de services de réaliser, en cette période difficile, des ajustements stratégiques tenant compte des nouvelles contraintes énergétiques, environnementales, concurrentielles, et à se positionner efficacement pour la relance de leurs activités : c’est cet aspect qui est surtout à retenir et dont la pertinence devrait rapidement se vérifier.
Le cycle boursier observé depuis 2020 pourrait finalement être rassurant. Il rappelle que les marchés sont avant tout destinés à financer, par l’emprunt ou les fonds propres, les sociétés porteuses de projets utiles pour l’avenir, et que les investisseurs peuvent sanctionner celles qui décevraient finalement le public visé. Il confirme également que les Autorités financières ont un rôle important pour apprécier la qualité des équilibres. Sur cette base, il est probable que le redressement engagé depuis octobre restera incertain jusqu’à ce que les principaux risques économiques et politiques actuels soient suffisamment apaisés.
Paul Derreumaux
Article publié le 04/11/2022