Les systèmes financiers de l’UEMOA : 2 . Microfinance : belle relance. Monnaie électronique : expansion sous contraintes.

Si les acteurs bancaires gardent une très large prédominance dans l’écosystème financier de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), ils coexistent avec deux autres groupes, qui ont performé de manière acceptable en 2021.

 Le premier est celui des institutions de microfinance ou Systèmes Financiers Décentralisés (SFD). Ceux-ci sont nombreux, disparates et surtout de faible envergure. Parmi eux, la Commission Bancaire contrôle les « SFD de grande taille », dont les dépôts et les crédits dépassent 2 milliards de FCFA. Cette catégorie a subi des vagues de restructuration qui ont réduit son effectif en raison de la mauvaise santé financière de nombreuses composantes, mais elle regroupe encore quelque 200 entreprises, dont près de la moitié sont organisées en réseaux. Malgré ces efforts, beaucoup de ratios financiers de ces SFD restent en moyenne faibles par rapport aux normes recherchées, tels ceux de la capitalisation, de la marge bénéficiaire et de la rentabilité des fonds propres, ce qui freine le renforcement des entreprises du secteur. Les contraintes réglementaires montrent quant à elles des progrès variés : la limitation des risques globaux à 200% des ressources est respectée par la quasi-totalité des SFD tandis que les normes de capitalisation et de liquidité ne sont atteintes que par environ la moitié.

En dépit de ces avancées, les SFD gardent à fin 2021 un poids globalement négligeable par rapport   aux établissements bancaires : 5% pour les bilans, près de 6% pour les crédits, moins de 4% pour les dépôts. Ils sont aussi ces deux dernières années la catégorie des structures financières qui progresse le moins vite tant pour les bilans que pour les dépôts. Malgré cette faiblesse structurelle, ils totalisent en 2021 11,7 millions de comptes de clientèle, soit 67% du nombre des comptes bancaires, et sont l’interlocuteur privilégié des micro-, petites et moyennes entreprises, comme des ménages les moins favorisés. Ils ont d’ailleurs largement contribué à l’essor de la bancarisation dans toute la région et leur place déterminante s’est globalement maintenue sur la décennie écoulée. Entre 2011 et 2018, le taux de bancarisation « strict » -banques seules – avait même cru moins vite que celui apporté par les SFD et, si la tendance s’est inversée les trois dernières années, le « match » reste encore ouvert à ce jour.  Cette situation est spécialement marquée sur toute la période dans trois pays de l’Union -Bénin, Sénégal et Togo-, où les réseaux de SFD ont une densité de bureaux qui dépasse toujours celle des agences bancaires.  

Leur proximité avec la partie la plus fragile des systèmes économiques avait coûté cher aux SFD en 2020 du fait des répercussions de la pandémie Covid-A9 sur les maillons les plus faibles des économies. Le poids des créances en souffrance, le coefficient d’exploitation, la rentabilité s’étaient fortement dégradés et constituaient un signal d’alerte. La tendance s’est inversée en 2021 : le résultat d’exploitation a bondi de 52% avec la hausse des crédits, et le résultat net a presque quadruplé grâce au repli des provisions requises. Dans le même temps, les SFD ont bien tenu leur rôle dans le financement de la relance de leur clientèle spécifique : leurs crédits progressent en effet de +16,4% en 2021, contre +12,5 % seulement pour les banques davantage tournées vers les placements. Le parcours des institutions de microfinance a donc été autant profitable en 2021 pour elles-mêmes que pour les économies de l’Union.

Enfin, une analyse de ces SFD par leur taille montrerait qu’une petite frange d’entre eux possède maintenant des moyens financiers proches de ceux des banques locales et est en mesure de concurrencer ces dernières sur certains dossiers. Ces institutions sont d’ailleurs parfois présentes dans plusieurs pays (Baobab, Cofina par exemple), agissant alors en groupes régionaux bien structurés, et brûlent aussi de franchir un pas supplémentaire en obtenant un agrément de banque de plein exercice grâce à des fonds propres conséquents. D’autres restent cantonnées à un pays mais y sont des structures financières de référence, tel le Crédit Mutuel au Sénégal ou les Banques Populaires au Burkina Faso. La vivacité et l’ambition de ces SFD les plus puissantes constituent aussi une émulation bénéfique à toutes les catégories de clients, et notamment les petites entreprises, mais aussi à l’ensemble du système financier. 

De leur côté, les Emetteurs de Monnaie Electronique (EME) ont continué en 2021 une vive expansion mais ont moins brillé que les années précédentes.

Trois points positifs restent inchangés. D’abord, la densité d’implantation remarquable de ces institutions là où elles existent. Les comptes recensés s’élèvent à 85,7 millions fin 2021, en augmentation de 15% sur l’année contre +47% l’année précédente. Ils représentent maintenant environ 5 fois l’effectif des comptes bancaires. Surtout, le nombre de leurs points de vente est sans commune mesure avec celui des guichets bancaires -788 000 contre 3930- ce qui traduit bien le rôle crucial des EME dans l’inclusion financière des populations, notamment hors des grandes villes. Ensuite, l’envergure croissante des opérations traitées, en nombre comme en montants. En 2021 les premiers ont crû de 18% avec près de 4 milliards de transactions, tandis que les seconds progressaient de 22% avec 35240 milliards de FCFA, soit plus du tiers du Produit Intérieur Brut de la zone. Même si le rythme a fléchi, il reste supérieur à celui de l’évolution des activités dans l’Union et témoigne de la présence renforcée des EME dans le domaine des moyens de paiement. Enfin, la diversification continue du spectre des utilisations. La part des paiements, longtemps ultra-prédominante, baisse régulièrement et partout, au profit des règlements de factures et de services ou de transferts internationaux, voire de paiements de salaires, qui représentent ensemble près de 20% de l’ensemble des usages fin 2021, contre moins de 10% il y a 5 ans. Cette extension illustre la place désormais irremplaçable de la monnaie électronique dont une partie est aussi désormais conservée par les clients, en attente de transactions à venir, comme une épargne scripturale classique.

D’autres données sont plus nuancées. Les EME ne sont encore en activité que dans cinq pays. De plus, 3 des 13 sociétés agrées ne sont toujours pas opérationnelles. Les liens de ces institutions avec les sociétés de télécommunications expliquent que leur dynamisme dépende beaucoup de celui des leurs sociétés mères et des priorités de celles-ci. En outre, les EME n’ont pas le monopole de la monnaie électronique. Celle-ci est aussi proposée par 26 banques, qui agissent en partenariat avec des opérateurs de téléphonie ou des « Fintechs », et leurs opérations ne sont pas recensées dans les données ci-avant bien que certains de ces acteurs aient parfois une grande importance locale. Ce marché très prometteur est donc encore en construction et la domination actuelle des EME fait face à plusieurs défis. L’un est de nature concurrentielle. Il vient du système bancaire dont la gestion des opérations est de plus en plus digitale, quelle que soit la taille de celles-ci alors que les EME ne peuvent gérer que des transactions de faible montant . Il résulte aussi de la montée en puissance de certaines Fintech qui ont réussi à lever des capitaux importants auprès d’institutions internationales : c’est le cas de la société Wave après ses succès au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Appréciées par les réductions des coûts de transaction qu’elles favorisent, ces Fintech sont cependant soumises à des contraintes réglementaires plus modestes, ce qui peut fausser la compétition. Un autre est d’ordre réglementaire : si la Banque Centrale se réjouit de l’existence des EME en raison de leurs effets favorables sur l’inclusion financière, elle poursuit aussi l’objectif central de faire progresser encore celle-ci par tous moyens grâce à la réduction continue des coûts sur les petites transactions jusqu’à des limites difficiles à supporter pour les filiales des grandes entreprises de communication. Cette approche explique que les Autorités aient laissé « pousser » avec bienveillance les Fintech, même si leur contrôle se resserre sur elles aujourd’hui. Dans le même temps, le chantier bien avancé de l’interopérabilité entre toutes catégories d’institutions financières devrait certes apporter de grands progrès aux entreprises comme aux individus dans leur fonctionnement quotidien, mais prévoit de nouvelles réductions drastiques des commissions prélevées, qui imposeront sans doute de profondes réformes pour les EME. Un dernier risque est opérationnel. Dans la diversification des opérations qu’ils offrent maintenant au public, les EME n’ont pas encore réussi à percer dans la distribution des petits crédits en partenariat avec des banques ou des SFD. Les tentatives qui se multiplient en la matière n’ont pas prouvé jusqu’ici, pour des raisons autant techniques que de profitabilité, leur viabilité et évoluent lentement. Le pan des activités de crédit reste donc toujours l’apanage des institutions bancaires et de microfinance, et un atout pour leur préséance.    

En résumé, l’année 2021 apparait plus équilibrée que la précédente dans l’évolution des trois composantes des systèmes financiers de l’Union. Celles-ci ont toutes connu une croissance significative de leurs indicateurs d’activité et dégagé des résultats financiers positifs, consolidant chacune leurs positions. Les contraintes réglementaires qui s’imposent à chaque type d’institution sont dans l’ensemble respectées par une très large majorité de celles-ci, C’est notamment la cas pour les banques : près de 90% d’entre elles réussissent toujours en particulier à se plier aux exigences de fonds propres minimaux, durcies chaque année depuis 2019, et le fléchissement observé en 2021 sur certains ratios -liquidité, immobilisations, ressources stables- est modéré, Le ratio de division des risques continue à être partout le plus difficile à atteindre et pourrait conduire à des normes de fonds propres encore plus évères pour répondre aux besoins des économies locales. Comme déjà souligné, les SFD ont connu aussi un « satisfecit » limité en ce domaine et les principaux EME sont actuellement conformes au niveau minimal de fonds propres qu’ils doivent atteindre. Cette consolidation respective pourrait permettre à chacune des catégories de redoubler d’efforts pour mieux accomplir les missions dans lesquelles elles montrent encore des faiblesses. Les banques pour l’augmentation de leurs fonds propres, une plus grande implication dans les concours à l’économie et l’intensification du marché interbancaire. Les SFD pour un renforcement de leurs capacités financières, une modernisation de leurs structures et un plus grand dynamisme. Les EME pour une meilleure accessibilité aux populations et entreprises les plus fragiles, l’accroissement du taux d’activité de leurs comptes et l’extension de leur opérations présentant la meilleure valeur ajoutée.

La multiplication de passerelles entre les activités de ces trois groupes et d’occasions de partenariats entre ceux-ci en des domaines à définir serait aussi susceptible d’ouvrir la voie à un rôle plus actif dans le financement des économies de la sous-région, tel qu’attendu par tous. Même s’ils ne peuvent générer eux-mêmes le développement économique, les systèmes financiers doivent être prêts à l’épauler au mieux à tout moment.      

Paul Derreumaux

Article publié le 12/01/2023

FCFA et ECO : restons calmes et avançons !

FCFA et ECO: restons calmes et avançons !

 

Curieusement, la décision du Gouvernement français annoncée le 20 mai dernier de la « fin du FCFA » a provoqué une nouvelle (petite) poussée de fièvre de quelques intellectuels et responsables politiques africains. Certains s’étonnent de cette nouvelle manifestation de « l’impérialisme français » qui interviendrait sur des sujets qui ne le regardent pas. D’autres accusent la France qui lâcherait honteusement l’Afrique francophone en pleine pandémie du Covid-19, aux effets sanitaires et économiques encore mal appréciés, pour mieux s’intéresser à d’autres régions du continent africain ou du monde. D’autres enfin reprochent aux 8 membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) de s’être emparés pour l’appellation de leur monnaie commune d’un nom déjà officiellement adopté pour une future monnaie qui appartiendrait aux 16 pays de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dont font aussi partie les nations de l’UEMOA.

Il est vrai qu’il est bon de rester vigilant face aux intentions non affichées qui peuvent exister derrière des décisions apparemment logiques, voire anodines, surtout lorsque le passé a apporté beaucoup de déceptions à ceux qui prônaient un changement. Il apparait cependant nécessaire de vérifier en même temps si un évènement n’est pas la simple conséquence d’un processus de changement déjà engagé et, surtout, de se concentrer plutôt sur les étapes à venir de celui-ci pour qu’il soit rapidement profitable à tous.

En la matière, la décision française de mai dernier est la conséquence directe de celle du 21 décembre 2019 à Abidjan, présentée par le Président de Côte d’Ivoire au nom de l’UEMOA en application d’une décision préalable des instances dirigeantes de celle-ci. Le Président Ouattara avait alors indiqué que la monnaie commune de l’Union changerait d’appellation en 2020, le FCFA devenant l’ECO, en même temps qu’était supprimé le compte d’opérations de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) auprès du Trésor français. Il avait confirmé en même temps que l’ECO garderait toutes les autres caractéristiques du FCFA et notamment une parité fixe et inchangée avec l’Euro, d’une part, et la garantie « illimitée » de l’Etat français, d’autre part.

Cette annonce de fin 2019, traduite le même jour par une modification du Traité de coopération monétaire avec la France, appelait en effet logiquement sa validation par les instances françaises compétentes, ce qui a donc été fait en mai dernier. Aucune nouvelle transformation n’ayant été introduite à cette occasion par rapport aux décisions précédentes, la nouvelle montée de tension manifestée par certains à la suite de cet évènement n’apparait guère justifiée. Les questions importantes à débattre sont ailleurs et concernent à la fois l’UEMOA, la CEDEAO et la France.

Les pays de l’UEMOA se sont engagés publiquement fin 2019 face à leurs concitoyens et à l’opinion internationale sur des changements techniquement limités mais symboliquement essentiels et très attendus. Il s’agissait là sans doute de la meilleure transition possible vers les horizons ultérieurs plus stimulants mais plus risqués d’une monnaie à valeur flexible et gérée en toute indépendance.  Les « garde-fous » maintenus pour l’instant par la France au profit de l’ECO, en évitant les risques d’attaques spéculatives sur la « nouvelle » monnaie, permettent en effet de conduire de façon plus sereine les nombreux chantiers liés à la conduite future de la politique monétaire dans l’UEMOA. Il faut toutefois, pour ne pas « perdre la face », que cette première étape devienne effective dans les délais prévus. Or ceux-ci étaient très brefs. Dans le passage du FCFA à l’ECO tel que défini, ceci imposait de réaliser pendant le premier semestre 2020 tous les travaux techniques résultant de la nouvelle situation : passation si nécessaire d’accords supplémentaires avec des banques étrangères pour la gestion et la rémunération des devises, fixation éventuelle de nouvelles règles pour les acteurs économiques et bancaires régionaux dans leurs relations financières avec l’extérieur de l’Union, actions de renforcement de la convergence économique des pays concernés, préparation au remplacement de la monnaie fiduciaire en circulation par les billets et pièces à l’effigie de la nouvelle monnaie ayant cours légal,.. Certes, l’épidémie actuelle du Covid-19 apparue à l’aube de 2020 a dû perturber tous les programmes établis. Toutefois, aucune communication n’a été faite à ce jour sur les avancées réalisées ni sur le report du délai initialement fixé à juillet 2020, désormais dépassé, et aucune nouvelle échéance n’a encore été fournie sur la mise en place de l‘ECO. L’importance de l’enjeu méritait sans doute une plus grande transparence sur les retards subis et sur leur portée, pour maintenir la confiance du public dans l’évolution enclenchée et dans la volonté des Autorités de la mener à bien, et pour faire taire les détracteurs.

A côté de ces aspects techniques, un sujet politique est inévitablement venu au premier plan sur la période écoulée. La naissance de l’ECO telle qu’annoncée en décembre dernier par l’UEMOA semble avoir été faite en dehors d’un aval formel préalable de la CEDEAO. Même si la démarche des pays francophones de décembre 2019 n’est pas contradictoire avec celle initiée par les 16 pays d’Afrique de l’Ouest six mois plus tôt, elle justifiait une concertation étroite et préalable entre les dirigeants des deux institutions régionales sur la procédure lancée par l’UEMOA et l’utilisation par celle-ci du nom ECO. Les réactions aux annonces de décembre 2019 tendent à montrer que ce ne fut pas le cas. Le Ghana, d’abord plutôt positif vis-à-vis de la démarche, a ensuite raidi sa position. Le Nigéria, qui domine la CEDAO par la taille de sa population et de son économie, a été nettement négatif même si les propos de son Président ont été souvent durcis par les médias. Il semble à la fois possible et indispensable d’aplanir d’urgence ces différends. Si le plan actuel de l’UEMOA s’inscrit toujours bien dans l’optique arrêtée par la CEDEAO il y a un an, il revient aux pays de l’Union, pour faire taire d’urgence   les critiques, de démontrer à leurs partenaires de la CEDEAO et à tous les observateurs que cet « ECO francophone » marque le lancement de la première étape explicitement prévue de la nouvelle monnaie de la CEDEAO, d’abord limitée aux pays où la convergence économique est la mieux assurée. Il importe également que la mise en œuvre technique du projet de l’UEMOA s’effectue en concertation avec les Autorités monétaires des autres pays, pour éviter toute méfiance, favoriser les synergies entre les diverses équipes et faciliter la construction de l’avenir commun. Si le projet en cours de l’UEMOA signifiait au contraire une orientation nouvelle des dirigeants de celle-ci, la clarification serait encore plus urgente.

Dans tous les cas, il est essentiel que le mouvement, engagé en juin 2019 après une trop longue période d’immobilisme des Autorités et d’attente des populations, ne soit pas interrompu mais au contraire s’accélère. Dans l’UEMOA, au-delà de la première étape qui devrait être en cours, beaucoup espèrent que la seconde phase, consacrant une plus grande indépendance monétaire, suive dès que possible. Le maintien d’une monnaie unique pour toute l’Union n’ayant jamais été mis en cause par les opposants au FCFA, il apparait donc crucial, quel que soit l’environnement extérieur, que cette nouvelle étape soit poursuivie avec toute la diligence requise. Les travaux qu’elle exige sont considérables, mais possibles et bien connus : modification de la nature et du rôle de la Banque Centrale commune, nouvelles modalités de la définition de la valeur de l’ECO et fin de la fixité par rapport à l’EUR, mise en place des instruments et méthodes de défense de la monnaie face aux attaques spéculatives, nouvelles règles du jeu pour les acteurs économiques, nouvelle intensification des politiques de convergence économique et des flux commerciaux intrarégionaux pour faciliter la gestion de l’ECO, … Pour les dirigeants et les experts des autres pays de la CEDEAO, il faudra alors choisir. Ou s’associer étroitement à ceux de l’UEMOA tout au long de cette deuxième étape pour qu’elle soit bien construite en tenant compte au mieux de l’élargissement à venir du périmètre de l’ECO à toute la CEDEAO. Ou convenir aussi vite que possible, conjointement avec les Autorités de l’UEMOA, de l’impossibilité d’une extension à court ou moyen terme de cet élargissement, et imaginer alors les autres solutions possibles pour le reste de la zone sans renoncer aux synergies que l’espace CEDEAO peut globalement continuer à produire pour les aspects autres que celui de la monnaie. Même si ce choix stratégique est difficile, et peut-être douloureux, il est dans l’intérêt de tous qu’il soit réalisé dans des délais limités.

Pour la France enfin, les travaux à mener seront d’abord une excellente opportunité pour démontrer la pertinence et l’utilité de sa nouvelle approche. En acceptant la disparition du FCFA et de ses caractéristiques les plus visibles, la France a fait taire beaucoup des oppositions visant son ancienne politique vis à vis de l’Afrique francophone. Si elle décidait d’apporter son concours technique, chaque fois que nécessaire et sans exigence politique, aux équipes de la BCEAO pour la pleine réussite de la mutation, elle donnerait une nouvelle preuve de sa sincérité et de l’intérêt de son rôle. Pour la BCEAO, et même si celle-ci dispose de hautes compétences et d’une longue expérience de la monnaie commune, l’appui sera précieux. Pour les autres membres de la CEDEAO, un tel soutien technique aurait le même effet positif. Tous ceux qui ont une idée exacte des challenges à gagner dans une telle réforme monétaire savent combien la tâche sera délicate pour qu’une monnaie indépendante et flexible ne perde pas une part sensible de sa valeur à la première difficulté rencontrée. En second lieu, la fin du FCFA en Afrique de l’Ouest constitue aussi une occasion exceptionnelle pour progresser dans les réformes monétaires en Afrique Centrale francophone. Elles pourraient concerner dans un premier temps les mêmes changements – modification du nom, arrêt du compte d’opérations – et les mêmes invariants -fixité, convertibilité, garantie de parité -. Dans une région où les décisions communautaires sont difficiles à prendre, la France est sans doute en mesure de faire accélérer le mouvement. Mais elle pourrait aussi aller plus loin en analysant, avec les Etats concernés, quelles mesures structurelles, économiques et monétaires, permettraient à cette région, dominée par l’extraction pétrolière, de répondre à la baisse notable des cours de l’or noir.

Même si le COVID a perturbé un temps les calendriers et les priorités, les Autorités de l’UEMOA comme celles de la CEDEAO et de la France ont beaucoup à gagner à concrétiser rapidement les transformations si longtemps escomptées et enfin initiées, même si le chemin à suivre n’est pas aisé. Il est toujours délicat de rester longtemps au milieu du gué, surtout si le cours d’eau à traverser est réputé dangereux.

 

Paul Derreumaux

Article publié le 24/07/2020

CFA : une pièce de théâtre en 5 actes ?

CFA : une pièce de théâtre en 5 actes ?

 

La question du CFA et de son évolution est restée longtemps un sujet tabou. Elle est devenue aujourd’hui une vedette de l’actualité. On pourrait sans doute la comparer à une pièce de théâtre, du genre tragédie grecque, dont les derniers actes sont d’ailleurs encore inconnus

L’acte I serait celui qui nous emmène de 1960 au milieu des années 1980. Il nous projetterait à reculons dans une période plutôt optimiste durant laquelle cette monnaie unique est un élément déterminant pour maintenir la cohésion dans toute la zone Franc et accompagne une croissance économique entrainée par des cours satisfaisants des matières premières. Elle laisse les pays concernés à l’abri des soubresauts de beaucoup de nations qui ont choisi une plus grande indépendance monétaire et dont les actions menées pour construire un appareil économique, parfois plus performant qu’en zone franc, sont au moins partiellement compromises par la difficulté de préserver la valeur internationale de leur monnaie et l’inflation qui en résulte.

L’acte II est plus sombre et va s’étendre jusqu’en 1994. L’Afrique entière, comme le monde, subit les conséquences du cycle baissier des matières premières et ses indicateurs de balance des paiements et d’équilibre budgétaire se dégradent inexorablement. A ce facteur exogène viennent s’ajouter partout des handicaps nés de la mauvaise gestion des finances publiques, des faiblesses structurelles des banques étatiques, de diverses erreurs de politique macroéconomique. En zone franc, où l’ajustement ne peut se faire par la glissade quotidienne du FCFA, il en résulte peu à peu une crise majeure de liquidité et de solvabilité des systèmes bancaires et des Etats. Ces derniers doivent donc accepter des plans d’ajustement structurel de réduction des charges, douloureux pour la population, ainsi qu’une dévaluation brutale de 50% de leur monnaie en janvier 1994, qui est le point d’orgue de cet acte II. Pour trouver un nouvel équilibre acceptable, il faudra encore compléter cette mesure décisive par des annulations de dette extérieure. Ainsi prend fin le dogme de l’immuabilité du FCFA.

L’acte III va couvrir la période 1994/2018. Après une période difficile d’ajustement et de reconstruction qui va s’étaler jusqu’à la fin des années 1990, les mesures de remise en ordre ont   produit leurs effets. L’endettement extérieur croit de manière globalement maîtrisée grâce aux annulations obtenues, l’accélération des investissements dans les infrastructures modifie positivement les environnements, le secteur privé gagne du terrain, l’inflation reste limitée. L’afro-optimisme va s’installer et bénéficiera à la plupart des pays, y compris ceux du FCFA. Durant cette longue période de 24 ans, durant laquelle les fluctuations respectives du dollar et de l’Euro ont été moins violentes que les précédentes, les données collectées annoncent que la compétitivité de la zone ne s’est que modestement dégradée. Certes, l’Afrique Centrale souffre beaucoup à partir de 2015, mais c’est surtout en raison de la forte baisse des prix du pétrole, de la lenteur de réalisation des mutations structurelles nécessaires et de la faible intégration régionale. Dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) en revanche, qui ne connait pas ces handicaps, la croissance économique s’accélère et fait de l’Union une des régions les plus performantes en ce domaine en Afrique. Même si le FCFA montre ainsi qu’il n’est pas antinomique avec le développement, il perd la bataille de la communication. Durant les dernières années, les opposants à la monnaie commune sont de plus en plus bruyants, s’appuyant souvent sur des arguments politiques sans grande portée opérationnelle, mais importants pour la jeunesse africaine, et sur l’immobilisme du système monétaire.

L’acte IV s’est ouvert en juin 2019 et est en train d’être joué. En annonçant le 29 juin dernier la prochaine création d’une monnaie commune, la déclaration des Chefs d’Etat de la CEDEAO  prend tout le monde de court et laisse d’abord les détracteurs du FCFA sans réaction Quelques principes du futur ECO sont alors précisés : change flexible ; Banque Centrale  à caractère fédéral ; politique monétaire privilégiant  la stabilité monétaire plutôt que le rythme de croissance ; périmètre de mise en place pouvant évoluer en fonction de la situation des Etats membres. Mais la concrétisation de cet ambitieux projet impose encore des travaux considérables et la résolution de nombreuses questions. L’accélération obligatoire de la réalisation des critères de convergence des économies et des politiques publiques pour ceux qui seront les premiers à utiliser l’ECO, la mise en œuvre diligente des réformes structurelles demandées de longue date, le degré d’indépendance de la future Banque Centrale, la composition du panier de monnaies de référence, la mise au point des politiques et des instruments qui protègeront la stabilité d’une monnaie dépourvue de toute garantie extérieure sont quelques-uns de ces sujets en suspens. Rapidement, face à l’incertitude des délais, les pourfendeurs du FCFA reprennent l’offensive et leur activisme encombre le débat médiatique. En décembre dernier, l’UEMOA confirme les évolutions en cours et, en accord avec la France, le compte d’opérations tant décrié est supprimé. La fixité du lien du FCFA à l’Euro et sa totale convertibilité pour les opérations courantes sont cependant maintenues avec la garantie inchangée de la France. Mais les modalités de communication utilisées introduisent de nouvelles complications. L’évocation du changement immédiat de nom du FCFA, rebaptisé ECO, est sans doute trop hâtive et, malgré la mise au point rapide de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), gêne les relations avec les nations anglophones de la CEDEAO. L’enjeu est donc maintenant que le calme revienne et que les travaux préparatoires au projet de la CEDEO soient menés avec diligence pour aboutir au changement annoncé ou pour amender celui-ci au vu des contraintes pratiques que révèleront les analyses de terrain. L’exemple de l’Union Européenne pourrait apporter ici de nombreux enseignements.

Le reste de l’acte IV sera en conséquence animé. Il mettra aux prises ceux qui veulent avant tout un changement radical, de nature politique, qui sont soutenus par les légitimes contestations des nombreux laissés pour compte de la croissance actuelle, et les Autorités et les techniciens qui doivent encore démontrer leur volonté réelle de changement et de pertinence dans les propositions, et agir dans des délais supportables par les populations. L’efficacité et l’engagement des seconds seront déterminants pour éviter toute aventure que pourraient tolérer les premiers.

Il est malheureusement difficile d’imaginer quand et sur quel tableau s’achèvera cet acte IV. Sa conclusion est en effet dépendante de trois données complexes. La première est technique : elle a trait à tous les sujets toujours en discussion sur la manière dont sera définie et gérée la future monnaie et qui sont hélas les plus délicats, telles les modalités possibles de sa flexibilité. La deuxième est politique : elle est liée à la réalisation, par les nations qui constitueront le premier groupe d’adhérents à l’ECO, des transformations internes capables d’améliorer au maximum la convergence de leurs structures économiques. Les difficultés actuelles de faire passer dans chaque pays des décisions prises au niveau régional montrent que cette question de « bonne gouvernance » est la plus délicate. La troisième est stratégique et politique : trouver les meilleurs mécanismes de politique monétaire qui pourront protéger autant que possible la valeur de l’ECO de la méfiance internationale et des possibles faiblesses passagères de l’économie régionale, d’une part, et faire accepter par les Etats concernés un degré adéquat d’abandon de souveraineté monétaire, d’autre part.

L’acte V pourrait s’attacher au panorama monétaire de l’espace de la CEDEAO pendant les dix ou vingt années qui suivront cet acte IV. La seule hypothèse actuellement plausible sur son contenu est bien sûr qu’il dépendra étroitement de la fin de l’acte antérieur. Si celui-ci se prolonge trop sans changement effectif ou débouche sur des solutions insuffisamment solides, ce contexte futur risque d’être peu agréable. Dans le premier cas, les attaques contre un FCFA inchangé dans les faits reprendraient avec plus de force, perturbant la gestion technique de cette monnaie commune. Dans le second cas, toute la CEDEAO devrait affronter un environnement négatif qui ne soutiendrait sans doute pas son développement contrairement aux espoirs initiaux. Pour éviter ces deux perspectives, il faudra que les Autorités prennent les décisions courageuses qui prépareront au mieux l’avenir sans remettre en cause les meilleurs acquis de la période précédente. Il sera aussi indispensable que l’amélioration de la « bonne gouvernance » économique soit érigée en doctrine permanente par tous les Etats concernés par cette mutation monétaire : toute monnaie, quelles que soient ses qualités, est en effet insuffisante à elle-seule pour garantir le développement économique et social comme pour l’empêcher.

 

Paul Derreumaux

Diasporas : L’audacieux pari sénégalais

Diasporas : L’audacieux pari sénégalais

 

L’opération boursière que mène actuellement la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS) s’inscrit dans la lignée des rares expériences de ce type tentées en Afrique à l’adresse de son importante diaspora.

L’établissement sénégalais a en effet émis le 16 mai un emprunt obligataire de 20 milliards de FCFA, soit la contrevaleur de 30,5 millions d’Euros (EUR), dénommé Diaspora Bond, dont la souscription est réservée au moins à 60% aux personnes physiques et morales non-résidentes au Sénégal. D’une durée de 5 ans, incluant deux ans de différé de remboursement en capital, ces obligations portent un intérêt annuel de 6,25%. Leur valeur nominale de 10000 FCFA, soit environ 15 EUR, est volontairement faible. Leur produit est notamment destiné au financement de programmes de logements dans les nouvelles zones de Diamniadio et du Lac Rose.

La mobilisation institutionnelle des ressources financières considérables que les diasporas envoient dans leurs pays d’origine est un objectif croissant de la part des principaux pays destinataires de tels flux, face à l’ampleur permanente de leurs besoins d’investissements, publics comme privés, et à la baisse de certaines sources de financement traditionnelles comme l’Aide Publique au Développement (APD). Des nations comme la Chine, l’Inde et Israël ont pu drainer ainsi des montants considérables à travers des émissions obligataires régulièrement répétées. L’Egypte a également effectué quelques opérations de ce type. En Afrique subsaharienne, qui compte pourtant sans doute plus de 50 millions d’émigrés, les réalisations restent rares et modestes : l’Ethiopie, le Ghana, le Nigéria sont à ce jour les seuls principaux exemples de réussite observés, pour des montants fort limités par rapport à ceux rapatriés annuellement par leur diaspora.

La tentative de la BHS, qui est une première en terre africaine francophone, est donc d’abord à saluer pour sa haute valeur symbolique. Elle présente aussi de nombreuses caractéristiques qui mériteraient une belle réussite. Du point de vue des souscripteurs, le montage de ce coup d’essai apparait performant. Le montant total recherché reste modéré, tant face aux flux financiers qu’envoie chaque année la diaspora sénégalaise – récemment estimés à quelque 950 milliards de FCFA, soit près de 1,45 milliard d’EUR -que par rapport au bilan de la BHS lui-même. Il a été prévu un mixage des souscripteurs possibles qui limite encore la part attendue des non-résidents sénégalais. La durée de 5 ans donne un horizon court, et donc plus sécurisant, aux investisseurs de la diaspora peu initiés aux aspects financiers, qui oseront participer à l’opération. La valeur nominale des obligations les rend facilement accessibles. Le taux d’intérêt est très séduisant pour les prospects visés qui résident en Europe, et largement compétitif pour ceux qui vivent en zone CFA de l’Ouest ou du Centre. Enfin, la BHS, septième plus importante banque sénégalaise fin 2017, spécialisée dans le financement de l’habitat, est bien appréciée des sénégalais demeurant à l’étranger qui utilisent ses services pour investir au pays dans la construction ou l’achat d’un logement. Disposant de longue date de plusieurs agences à l’extérieur du Sénégal, la BHS a réalisé de nombreuses opérations immobilières et est déjà un des circuits privilégiés des sénégalais pour le rapatriement de leur épargne.

Du point de vue de l’émetteur, l’opération cumule également plusieurs avantages. Le « Diaspora Bond » est émis en FCFA et ne comporte donc pas de risque de change pour la BHS. L’opération montre d’ailleurs de manière incidente l’atout que représente ici la fixité du lien EUR/ FCFA, puisqu’une très large majorité des souscripteurs ciblés sont situés dans l’une de ces deux zones monétaires et que l’émission en FCFA apparait ainsi comporter un risque d’autant plus réduit pour les souscripteurs qu’ils ont déjà une partie de leur patrimoine en FCFA. Grâce au produit de cet emprunt, la BHS disposera de ressources à moyen terme renforcées qui vont lui permettre d’intensifier ses actions dans le financement du logement, en particulier dans les deux zones prioritaires annoncées. Elle devrait ainsi accroitre encore son expérience et sa notoriété mais également concourir à d’autres objectifs d’intérêt général : accroitre l’activité des secteurs de la construction et de la viabilisation de terrains ; augmenter en conséquence significativement l’emploi, ces secteurs étant de grands utilisateurs de main d’œuvre ; contribuer à la décentralisation et à une meilleure répartition spatiale des activités économiques avec l’édification de ces villes nouvelles.

D’un point de vue général, la cotation de ce « Diaspora Bond » sur le marché financier régional est aussi une bonne nouvelle. Elle donnera en effet normalement aux obligations une bonne liquidité, élément positif pour les souscripteurs. Soucieuse de montrer au maximum ses capacités d’innovation et de soutien actif de l’économie de la zone, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) saisit ainsi au bond une belle opportunité d’ouvrir un nouveau créneau, qui pourrait être porteur dans plusieurs Etats de l’Union, pour les opérations éligibles au marché. Au Sénégal, la totale nouveauté de l’émission apportera un indice supplémentaire des actions menées par le Président récemment réélu pour favoriser la mise en place d’un environnement ouvert au changement et propice à la croissance, et pour soutenir un secteur déterminant sur le plan économique et social qu’est celui de l’habitat.

Malgré tous ces éléments favorables, le pari n’est pas si facile. La diaspora sénégalaise, comme toutes les autres, est méfiante, tant vis-à-vis des banques que des Autorités de son pays d’origine, quant à la gestion de son épargne, constituée dans des conditions souvent difficiles, et ne s’en dessaisit habituellement que pour ses besoins personnels. L’insistante remise en cause du bien-fondé du FCFA dans la période récente ne devrait d’ailleurs pas faciliter l’instauration de la confiance nécessaire pour la réussite de la souscription. De plus, les expatriés résidant en Europe, qui constituent une composante importante pour le Sénégal, ont des revenus limités et leur contribution individuelle ne pourrait être que modeste : il faudra donc que l’emprunt soit souscrit en masse pour atteindre l’objectif visé. Sur un autre plan, on observe actuellement sur la BRVM un marché secondaire quasiment inexistant sur toutes les obligations cotées, y compris les titres d’Etat : les dirigeants de la Bourse comme ceux de la BHS devront en conséquence mettre en place tous les moyens nécessaires pour que la nouvelle opération bénéficie au contraire d’une liquidité suffisante. Enfin, l’affectation de l’emprunt étant clairement mentionnée, la BHS aura à démontrer que les ressources acquises sont utilisées efficacement et selon les cibles prévues. Elle devra disposer pour cela d’un soutien actif des Autorités sénégalaises et s’appuyer sur tous les leviers disponibles pour accroitre ses moyens financiers. En la matière, les refinancements à long terme auprès de la Caisse Régionale de Refinancement Hypothécaire (CRRH) pourraient par exemple l’aider à transformer plus sereinement les ressources à 5 ans obtenues par l’emprunt.

L’enjeu est donc crucial, tant pour la BHS que pour le Sénégal. Il l’est aussi pour les autres pays d’Afrique francophone ayant une grande diaspora qui pourrait être sollicitée de la même manière au service du développement du pays d’origine. L’échéance de l’emprunt, fixée au 21 juin prochain, nous dira si ce challenge est réussi. Il ouvrirait alors utilement la voie à d’autres Diaspora Bonds, et peut-être à d’autres innovations financières. …

Paul Derreumaux

Article publié le 03/06/2019

Le FCFA, bouc émissaire pour d’autres maux ?

Le FCFA, bouc émissaire pour d’autres maux ?

 

Les voix contestant la pertinence du maintien du FCFA se sont multipliées depuis quelques années. Les arguments de ce bataillon d’opposants à la zone franc sont de qualité diverse. Beaucoup sont erronés, ou trop uniquement à visée politique, et ne sont souvent que critiques sans proposer de solution alternative : ils peuvent dans l’ensemble être oubliés. Certains ont cependant une analyse objective et une approche plus constructive qui mérite d’être écoutée, surtout s’ils sont menés par des personnalités dont la compétence ne peut être contestée.

L’attention portée à cette monnaie ayant cours dans les trois composantes de la zone franc -Union Economique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA); Communauté des Etats de l’Afrique Centrale (CEAC) ; République des Comores – fait que les caractéristiques du FCFA sont bien connues et peuvent n’être que rappelées : une monnaie commune, dénommée chaque fois sous le même sigle de Franc CFA, dans les pays de chacune des trois zones ; une parité unique et fixe de cette monnaie par rapport à l’Euro (EUR); une seule Banque Centrale par zone définissant la politique monétaire de celle-ci; une garantie totale de convertibilité en EUR apportée par la France ; un compte d’opérations ouvert auprès du Trésor Français par les Banques Centrales de chaque région, accueillant au moins 50% de leurs réserves en devises.

Plusieurs des reproches adressés au Franc CFA n’ont aucun effet sur le rôle que peut jouer la monnaie dans l’économie des pays qui l’utilisent. Il en est ainsi notamment du nom de la monnaie, du fait que les billets de banque en circulation sont fabriqués en France, de la présence d’observateurs français dans les Conseils d’Administration des Banques Centrales des trois zones, et même du compte de contrepartie et des réserves qui s’y trouvent. Certes, ces points peuvent avoir une haute valeur symbolique pour ceux qui ont besoin d’arguments simples mais de portée politique. Ils n’ont en revanche aucun impact sur le rôle positif ou négatif que le FCFA peut jouer dans les pays visés. Ainsi, le Shilling kényan est bien indépendant malgré son nom, qui rappelle l’Angleterre, et le fait que les billets de banque du Kenya sont fabriqués…à l’étranger. La Banque Centrale du Kenya, comme ses consoeurs de tous les pays, possède aussi des comptes en devises dans de multiples banques hors du pays, souvent moins rémunérés que les avoirs de la zone Franc laissés au Trésor français.

On peut déjà noter qu’aucun des contempteurs crédibles du FCFA ne conteste jusqu’ici l’intérêt d’une monnaie commune pour un espace régional. Les avantages du maintien d’un ensemble économique et monétaire unifié sont en effet déterminants : puissance internationale plus importante, en termes de Produit Intérieur Brut (PIB) comme de population ; accroissement des possibilités de commerce interne à la zone ; atouts apportés par une intégration régionale solide pour les investissements structurants et productifs ; meilleure stabilité juridique et fiscale ; amélioration probable de la gouvernance. Les efforts de construction de solidarités régionales dans toutes les parties du continent montrent d’ailleurs la généralité de cette recherche d’union, que possède déjà l’ensemble francophone et qu’il parait indispensable de préserver. Encore faut-il que les structures économiques des pays concernés soient suffisamment homogènes pour que cette synergie produise son plein effet. La CEMAC d’Afrique Centrale, surtout axée sur la production et l’exportation de pétrole et de métaux, diffère ainsi notablement de l’UEMOA d’Afrique de l’Ouest, plus orientée sur les produits agricoles et plus industrialisée. La trajectoire économique différente que suivent depuis longtemps ces deux régions – telle en ce moment une croissance vive à l’Ouest et une crise qui se prolonge au Centre – montre les difficultés de l’exercice. Elle tend aussi à prouver les limites des variables et des politiques monétaires pour rapprocher des systèmes économiques trop éloignés l’un de l’autre, surtout si la volonté politique fait défaut comme en Afrique Centrale.

Ce constat conduit directement aux principales critiques faites au FCFA. En Afrique francophone, la rigidité du FCFA et son adossement à une monnaie trop forte pour l’état des économies introduirait un blocage décisif à l’évolution des structures économiques de celles-ci et à la résolution des principaux problèmes rencontrés dans les pays concernés. Comme ailleurs en effet en zone subsaharienne, les objectifs fondamentaux doivent être ceux d’une croissance économique au rythme maximal et de bonne qualité, c’est-à-dire largement créatrice d’emplois capables d’absorber une progression démographique inégalée et assurant une réduction de la pauvreté aussi rapide que possible. Par la « rente monétaire » qu’il apporterait, le FCFA constituerait un handicap par rapport aux pays maîtrisant eux-mêmes la valeur de leur monnaie, qui peuvent donc ajuster celle-ci pour faciliter la valorisation de leurs exportations, la création d’industries et le commerce régional.

Face à cette thèse, deux points doivent être soulignés.

La gestion de la monnaie a pour principaux objectifs la stabilité optimale de la valeur de celle-ci par rapport à celle des monnaies retenues comme référence, et, à cette fin, une bonne maîtrise de l’inflation. Dévaluations fréquentes et inflation sont en effet des facteurs d’incertitude et de gêne pour toutes les entreprises, et notamment les investisseurs. Les éviter impose une discipline souvent difficile à respecter. Les fortunes diverses des monnaies de pays aussi prometteurs que le Nigeria, le Kenya ou le Ghana montrent les coups d’arrêt qu’entrainent les ajustements monétaires de grande ampleur et les efforts douloureux d’ajustement qu’ils imposent à travers les inflations qui suivent les pertes de valeur de la monnaie. A l’opposé, les difficultés rencontrées par le Maroc en 2016 pour la stabilisation de la valeur internationale du Dirham lors de l’assouplissement des liens antérieurs entre cette monnaie et l’Euro illustrent les risques liés à une telle indépendance monétaire : il a fallu toute la maturité de l’économie marocaine et la qualité du suivi de la Banque Centrale pour franchir avec succès, mais au terme de deux essais, cette étape risquée. Le FCFA a jusqu’ici bien rempli cette mission de stabilité, comme le prouve régulièrement la faiblesse de l’inflation en zone franc comparée à celle des pays « monétairement indépendants », et les modalités de sa gestion par les Banques Centrales concernées sont rassurantes pour les investisseurs nationaux comme étrangers. Le choix de la monnaie à laquelle est arrimé le FCFA présente aussi de nombreuses justifications. Les flux commerciaux et financiers entre l’Union Européenne restent prédominants, et sont ainsi dénués de toute perturbation monétaire. Le géant chinois, dont le poids croit constamment, cherche à diminuer les variations entre le Yuan et l’Euro, ce qui réduira les effets de celles-ci sur ses échanges avec l’Afrique. Les ratios EUR/ USD se sont également relativement stabilisés depuis quelques années et les effets négatifs de leurs variations sur la rémunération des exportations de la zone franc se sont en conséquence atténuées. De plus, ces effets jouent alternativement dans les deux sens, et peuvent être au moins partiellement compensés par la variation des cours des produits eux-mêmes. Rappelons enfin que la fixité du rapport FCFA/EUR n’est ni une donnée immuable, comme l’a montré la dévaluation de janvier 1994, ni un tabou, la création d’une monnaie commune étant par exemple à l’étude dans la CEDEAO même si la longueur de sa conception peut faire croire que d’autres solutions pourraient être plus appropriées.

Solidement arrimé à une monnaie forte, le FCFA empêcherait de ce fait d’atteindre les cibles prioritaires que sont une croissance économique forte et une transformation des structures génératrice d’un nombre élevé d’emplois. Les adeptes de cette attaque citent souvent en exemples le Ghana, le Nigéria et quelques autres pays, où la flexibilité monétaire donnerait plus de moyens d’actions à la politique économique et expliquerait une bonne partie du dynamisme observé. S’il est certain que le régime de change fixe prive les Etats de l’arme d’un ajustement systématique de la valeur de la monnaie pour soutenir les programmes d’actions mis en oeuvre, il est aussi certain que le régime de change flexible ne garantit pas le succès des pays qui ont fait ce choix. L’analyse statistique des taux de croissance à moyen ou long terme des pays africains ne montre pas, pour ce qui concerne le revenu par tête, que les pays de la seconde catégorie ont en moyenne distancé de manière significative et définitive les nations qui restent fidèles à la première. Les données de la décennie actuelle tendraient même à une opinion contraire. Surtout, l’évolution du Produit Intérieur Brut (PIB), le volume de création d’emplois et la bonne répartition de la création de richesse dépendent davantage d’autres facteurs que ceux de la flexibilité de la monnaie. Trois d’entre eux paraissent déterminants et disposent de grandes marges de manœuvre par rapport à la situation actuelle.

Le premier est celui de la qualité des stratégies économiques suivies par les Etats grâce aux divers leviers dont ils disposent. Ainsi, une politique fiscale mieux conçue et plus juste, surtout basée sur un élargissement de l’assiette, et un recouvrement plus performant des recettes permettraient d’élever enfin le ratio de celles-ci par rapport au PIB bien au-dessus du « plafond de verre » de 20%, et d’accroitre notablement les moyens d’action des Etats.  L’octroi d’une priorité plus marquée à l’enseignement et à la formation professionnelle, et la bonne adaptation de l’offre de ceux-ci aux besoins des entreprises faciliteraient l’accroissement recherché de la productivité, de la qualité des produits et services et d’une progression de la place du secteur industriel et de services modernes. Un soutien massif et intelligent à l’agriculture vivrière et à la transformation locale de ses produits, l’amélioration rapide des infrastructures et de la capacité énergétique, la réduction de dépenses inutiles et la réaffectation de ces fonds sont autant d’autres pistes. Une meilleure gouvernance et une véritable politique anticorruption et antifraude décupleraient l’effet positif de chacune des politiques citées.

Le second est celui d’un encouragement permanent et suffisamment consistant au secteur privé. Seul celui-ci est en effet en mesure d’insuffler le dynamisme et l’énergie créatrice capables de « booster » la croissance. En zone franc, comme dans toute l’Afrique subsaharienne, apparaissent de plus en plus de jeunes possédant les compétences, et parfois l’expérience, nécessaires et des capitaines d’industrie prêts à assumer des risques de grande ampleur et à se saisir de nouveaux secteurs d’activité. Mais tous trouvent sur leur chemin des freins administratifs de toute sorte et des financements insuffisants plutôt qu’un soutien déterminé des Etats, et la différence entre sone franc et Afrique anglophone est sans doute la plus frappante sur ce point.

Le troisième, particulièrement vrai en Afrique de l’Ouest, est la meilleure exploitation de l’atout d’une coopération régionale déjà bien avancée. Parfaitement intégrée au plan monétaire et financier, l’UEMOA progresse trop lentement en termes d’harmonisation administrative, économique, fiscale, juridique. Certes la convergence des grands indicateurs économiques, qui est une contrainte majeure, progresse, mais trop lentement. Comme pour l’Union Européenne, la région semble manquer actuellement d’un grand dessein et d’une volonté suffisamment ferme, capables de faire progresser rapidement la situation actuelle. Avec un commerce intrarégional qui ne dépasse pas 20% des échanges de la zone et ne progresse que modestement, l’UEMOA gaspille ses acquis issus d’une union douanière établie de longue date. En ce domaine, la réalisation intensive d’infrastructures grâce à la mutualisation des ressources financières, une meilleure concertation des Etats sur les projets de grandes entreprises permettant une répartition plus équitable des emplois et des richesses créées, un coup d’arrêt donné à la fraude et aux obstacles de toutes sortes sont susceptibles d’enclencher une hausse significative de ces échanges intérieurs à la zone.

Quoi qu’en pensent les détracteurs du FCFA, les « recettes » énoncées ci-avant sont aussi porteuses de réponses aux problèmes majeurs actuels sous le régime monétaire de la zone Franc que sous tout autre régime. Il a été vérifié de longue date en effet qu’aucun système monétaire n’est parfait. Il parait donc sage de donner la priorité à des chantiers « réels », que doivent affronter tous les pays sans exception, et de les faire progresser au maximum. Cela ne pourra que mettre les Etats francophones en meilleure position pour faire évoluer avec plus de sécurité leur système monétaire en tenant compte des étapes qu’ils auront franchies.   En la matière, l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) semble avoir une longueur d’avance. En accélérant ses réformes structurelles, en respectant les délais annoncés pour la création d’une monnaie régionale suffisamment crédible et prenant mieux en compte les évolutions des liens commerciaux de l’Afrique avec le reste du monde, elle pourrait faire taire de la plus belle manière les critiques au FCFA.

Paul Derreumaux

Article publié le 24/04/2019

 

 

Faut-il encore investir à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières d’Abidjan ?

Faut-il encore investir à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières d’Abidjan ?

 

Pour les actions cotées à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) des huit Etats de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), l’année 2017 s’était  terminée comme elle avait commencé. Le rebond observé les tout derniers jours de décembre, pour cause habituelle de « window dressing », n’a pas remis en cause la baisse qui s’est régulièrement accentuée toute l’année. Les deux principaux indices se sont largement repliés pour terminer, par rapport à fin 2016, à -16,1% pour le BRVM 10 portant sur 10 principales valeurs et -16,8% pour le BRVM Composite. Cette chute a touché, avec une force inégale, la quasi-totalité des secteurs et des valeurs de la place. Elle a surpris à un moment où la croissance économique régionale reste une des plus fortes du continent et où les introductions de nouveaux titres n’ont jamais été aussi nombreuses (5 en 2017).

Quatre facteurs peuvent expliquer cette évolution décevante. Le premier est le réajustement logique après trois années de hausse intensive : les valorisations à la BRVM avaient souvent atteint pour beaucoup de sociétés des niveaux anormalement élevés par rapport à celles observées alors dans les autres pays africains. Un autre vient des nombreuses opérations qui ont eu lieu en 2017 sur les actions –augmentations de capital par émission d’actions gratuites, divisions des valeurs nominales. – par suite d’exigences réglementaires du Conseil Régional de l’Epargne : souvent mal présentées par les sociétés de bourse et mal suivies par les entreprises concernées, elles ont déconcerté les actionnaires, et surtout les petits porteurs, et provoqué un large mouvement de ventes de titres. Une autre raison est la gourmandise excessive des sociétés nouvellement admises à la cote : contrairement au schéma observé pour les précédentes introductions, les prix d’admission au marché ont été trop élevés par rapport aux potentialités des valeurs et à l’environnement moins favorable du marché. Pour l’émission de NSIA Bank par exemple, la hausse initiale après la première cotation n’a pas duré deux semaines et le prix s’est vite stabilisé à moins de 90% du cours initial, générant une perte significative pour ceux qui avaient fait confiance à la société. Un dernier facteur réside sans doute dans les craintes émises durant l’année sur le changement de parité du FCFA, qui ont pu entrainer le départ d’investisseurs étrangers.

Après cette période sombre, on pouvait espérer que les ajustements effectués et, surtout, le maintien dans l’Union d’une forte croissance économique favoriseraient une remontée en 2018. Il n’en a rien été. La capitalisation a poursuivi son repli régulier jusqu’en début mars. Les bons résultats de 2017 de la plupart des sociétés listées et l’annonce de dividendes globalement conformes aux attentes ont permis une brève reprise en mars dernier, qui a quasiment effacé la baisse de 5% du début du trimestre. Pourtant, dès avant fin avril, le recul a repris et les deux indices sont à fin mai respectivement inférieurs de 6,8%  et 10,2% à ceux de fin 2017. La baisse a touché tous les secteurs de façon variée, pesant principalement sur l’industrie, la distribution, le transport et quelques valeurs bancaires.

Deux données supplémentaires ont encore nourri en 2018 cette orientation baissière sur le compartiment actions: l’absence d’introduction à la cote susceptible de « booster » la demande ; la hausse attractive des taux sur un marché obligataire marqué par la demande pressante des Etats et des possibilités de souscription plus réduites des banques. Face à ces tendances négatives, les dirigeants de la BRVM n’ont pas ménagé leurs efforts : promotion de la place en Afrique et sur d’autres continents – Europe, Moyen Orient, Etats-Unis -, lancement d’un compartiment réservé aux Petites et Moyennes Entreprises, stimulation de coopérations avec d’autres marchés comme le Ghana ou la Maroc. Ces actions seront cependant essentiellement profitables à moyen et long terme et n’ont pu encore inverser la tendance.

Deux éléments contribuent sans doute aussi à la dé-corrélation étonnante entre les bons indicateurs macroéconomiques de la région et la léthargie de son système financier. L’un pourrait être la désertion d’un nombre important de petits porteurs. Composante notable du succès de la BRVM, ces investisseurs ont été désorientés par la gestion peu efficace des opérations imposées par la Bourse sur un grand nombre de titres en 2017 : contrairement à l’objectif recherché, ceci a généré leur méfiance et leur fuite par rapport au marché, ce qui a accéléré sa chute. Un autre point est l’absence de réaction de la plupart des sociétés cotées face à la chute de leur capitalisation : celles-ci auraient pu limiter le recul  en soutenant au moins provisoirement leurs cours. C’était l’intérêt à court terme de leurs actionnaires, et leur propre intérêt à moyen terme. Cette action est d’ailleurs prévue par la Bourse qui demande aux entreprises cotées la création d’un fonds de liquidité contrant les fluctuations excessives du marché. Celles qui ont abandonné ce système l’ont payé cher sur les 12 derniers mois. Celles-qui l’ont respecté ont mieux résisté et seront gagnantes dès la reprise des cours.

Ce sombre panorama actuel ne doit pas conduire à un découragement des émetteurs et des investisseurs par rapport au marché financier régional. Les « fondamentaux » de l’économie de la zone restent bons malgré la fragilité accrue qui touche tout le continent. Le sérieux et le volontarisme de la gestion des dirigeants seront payants à terme s’ils tiennent le cap de la recherche des possibles enrichissements du marché. Le niveau actuellement bas des principales valeurs les rend plus attractives, cet atout devant se renforcer avec la baisse inévitable des taux d’intérêt bancaire, qui entrainera de facto de meilleures valorisations.. La sortie de crise parait donc essentiellement conditionnée à une meilleure prise en considération par les émetteurs des avantages qu’ils peuvent tirer du marché financier et d’une adoption de conduites stratégiques cohérentes avec cette vision. Une approche plus réaliste des prix d’introduction des nouvelles valeurs, un recours plus intensif à la bourse pour les augmentations de capital et les émissions d’obligations, une meilleure gestion de la liquidité et de la volatilité des titres émis, un effort de communication et de transparence sont essentiels en la matière. De la part des Autorités, les acteurs économiques attendent une meilleure écoute, une plus grande flexibilité, et une forte capacité d’innovation Ces changements rétabliront la confiance de tous, qui est le maître mot pour le succès d’une place financière.

Il faudra de la patience pour redresser la situation. En France, le CAC 40 n’a retrouvé qu’en mai dernier son niveau de 2008 et ce n’est que récemment que les petits épargnants reviennent sur le marché. C’est une raison de plus pour engager tout de suite les actions nécessaires.

Paul Derreumaux

Article publié le 11/06/2018

Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) : La reprise est-elle possible ?

Bourse Régionale des Valeurs Mobilières : La reprise est-elle possible ?

 

Après plus de deux ans d’une forte hausse engagée en 2013, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) d’Abidjan a connu en 2016 une année mitigée. Certes l’Indice Composite regroupant tous les titres cotés a bien résisté, en limitant son repli annuel à 3,9% mais le « BRVM 10 », indice des 10 principales valeurs, a baissé de 9,8% sur l’année. Ce recul s’est intensifié et généralisé sans interruption en 2017. Au 30 septembre dernier, ces deux indices globaux avaient respectivement perdu 19,0% et 18,2% de leur valeur sur les trois premiers trimestres de l’année en cours. Tous les secteurs ont été touchés. Les entreprises de la distribution, de l’industrie et de l’agriculture figurent parmi les plus affectées, avec des baisses approximatives de 50%, 30% et 20% sur les 9 mois de 2017, mais les valeurs financières, jusque-là très recherchées, ont aussi reculé de plus de 10% en 2017. La bonne tenue du titre Sonatel, qui représentait plus du tiers de la capitalisation du compartiment actions fin 2016, a permis d’éviter une chute encore plus importante.

Cette évolution fortement négative étonne puisque l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) est en 2016/17 une des rares régions subsahariennes où la croissance économique est restée solide alors qu’elle se contractait fortement ailleurs sur le continent. Trois raisons au moins expliquent ce repli. D’abord, la hausse marquée de la plupart des valeurs sur la période 2013/2015 justifie que beaucoup d’actionnaires, notamment institutionnels, aient souhaité prendre leurs bénéfices à partir de 2016. En second lieu, des prises de position, économiques comme politiques, hostiles au maintien du statu-quo du FCFA et de sa liaison fixe à l’Euro se sont faites de plus en plus nombreuses à partir de fin 2016 et ont sans doute incité les investisseurs extérieurs à alléger leurs actifs sur la bourse régionale francophone. Les tensions sociales répétées en Côte d’Ivoire, première puissance économique de l’Union, ont pu également renforcer cette frilosité des partenaires étrangers. Enfin, les progressions remarquables réalisées à partir de 2013 ( +87,5% en particulier pour l’indice composite) avaient conduit pour la plupart des titres à des valorisations exceptionnellement élevées par rapport à la valeur comptable et à la rentabilité des entreprises. Les multiples observés, souvent nettement supérieurs à ceux des autres places boursières africaines ou internationales, appelaient donc une correction inévitable. L’apparition des incertitudes évoquées ci-avant a lancé ce mouvement de réajustement et créé un facteur de baisse supplémentaire.

Avec ce net repli, la BRVM fait en 2017 figure d’exception par rapport aux principaux marchés boursiers du continent, qui en compte maintenant plus de 25. En 2016, la chute des marchés financiers avait en effet été généralisée même si elle était provoquée par des raisons variées. Chute brutale des prix du pétrole, forte baisse de la naira et crise économique au Nigéria. Difficultés conjoncturelles prolongées et incertitudes politiques croissantes en Afrique du Sud. Dévaluation brutale de la monnaie et permanence de fortes tensions politiques en Egypte. Problèmes monétaires, perturbations boursières et crise bancaire au Kenya. Dévaluation monétaire et nouvelle donne politique au Ghana. L’une des rares évolutions positives avait été celle de Casablanca, avec une progression de +30% sur l’année. Bien que négative, la BRVM avait donc atteint en 2016 une performance acceptable par rapport à la moyenne des bourses africaines soumises aux fortes turbulences de leur cadre macroéconomique. Cette année au contraire, les résultats des marchés financiers se sont bien redressés sur de nombreuses places, en liaison avec l’amélioration des conjonctures. En Egypte et au Kenya par exemple, les dévaluations réalisées et leurs mesures d’accompagnement ont assaini la situation et aidé au redémarrage de l’économie. L’ajustement monétaire, les limitations d’importation, les efforts de restructuration de quelques secteurs  ont stoppé la récession au Nigéria. L’ile Maurice a su consolider les points forts de son économie et rester un territoire attractif pour les investisseurs. Les indices boursiers traduisent cet environnement plus positif ( +32% à Lagos et +59% au Caire pour les progressions les plus impressionnantes en 2017 ) et, dans bien des cas, effacent l’essentiel des pertes observées les années précédentes, et surtout en 2016. A contrario et au vu de cette revue comparative, la contraction actuelle du marché financier ouest africain apparait jusqu’ici un phénomène essentiellement boursier : elle traduit surtout une forte correction après une hausse exceptionnelle des cours, plutôt qu’une dégradation des données économiques de la zone.

Il reste que le repli est notable. A fin septembre 2017, les deux indices majeurs du marché ont perdu une bonne part des progrès accomplis depuis 2012 ; la hausse entre ces deux dates n’est plus que de 42% pour le BRVM Composite et surtout de 17% pour le BRVM 10. Suite aux baisses intervenues, les multiples de valorisation sont cependant redevenus attractifs par rapport à d’autres marchés comparables, et la bourse régionale d’Abidjan pourrait reprendre sa marche en avant si quelques conditions, très interdépendantes, sont remplies.

La première est l’amélioration continue de la liquidité par l’augmentation des transactions quotidiennes. La fixation début 2017 par le Conseil Régional de l’Epargne et de la Protection des Marchés Financiers (CREPMF) de planchers de nombre d’actions pour chaque titre en fonction du niveau de capitalisation de celui-ci va notamment dans ce sens. Sur l’année en cours, environ la moitié des sociétés cotées auront en conséquence augmenté massivement leur capital et/ou fractionné significativement la valeur unitaire de chaque titre. Le pari, non encore gagné, est à la fois de multiplier la base possible des opérations et d’amener au marché boursier une clientèle plus populaire. La BRVM examine aussi la possibilité de l’ouverture de nouveaux compartiments, réservés à des entreprises plus modestes. Elle étudie en outre avec la structure Africa-France et d’autres bourses africaines un projet de Fonds susceptible d’investir de façon importante sur quelques marchés financiers du continent. A court terme, la meilleure stimulation possible résiderait pourtant dans la dynamisation du rôle des investisseurs institutionnels et des sociétés de gestion d’actifs : leur masse financière parait seule capable d’effectuer rapidement les investissements nécessaires pour réduire la volatilité des cours et accroitre la liquidité des valeurs. Une seconde piste réside dans l’accroissement de la consistance du marché. En 2016/2017, la BRVM se sera enrichie de cinq nouvelles sociétés cotées, soit presque autant que dans les 18 ans qui ont précédé, et les émissions d’obligations d’Etat continuent avec la même régularité et la même ampleur. Des nouveautés sont apparues comme la cotation en continu et les émissions obligataires en « sukuks » de forme islamique. Pourtant, de nombreux progrès restent réalisables: le Togo et la Guinée-Bissau ne recensent encore aucune société cotée ; dans chaque pays, les principaux fleurons des entreprises locales restent toujours en dehors de la bourse ; les privatisations se font souvent à l’extérieur du marché financier ; les émissions obligataires des entreprises sont quasiment inexistantes, même de la part des sociétés déjà cotées. Les améliorations escomptées exigeront à la fois la transformation des mentalités de tous les acteurs, publics et privés, et de nouveaux efforts d’attractivité de la BRVM. Enfin, un autre pilier de la relance est celui d’une meilleure visibilité et crédibilité de la BRVM. Les nombreuses actions menées par ses Autorités pour l’établissement de partenariats régionaux et internationaux concourent depuis plusieurs années avec succès à cet objectif. La meilleure illustration en est sans doute l’intégration récente de la BRVM dans le Groupe des « Marchés frontières », qui est la reconnaissance des avancées accomplies.  Restent à poursuivre sans relâche les efforts d’innovation, un fonctionnement sans faille au quotidien, et surtout le renforcement de la liquidité et la multiplication des valeurs cotées évoquées ci-avant.

Ces mesures internes sont donc prioritaires. Pour qu’elles aient leur plein effet, il importe toutefois que les indicateurs économiques de l’espace régional restent au vert, et dans certains cas s’améliorent encore. Les grandes entreprises que vise la BRVM, auront alors des résultats en hausse et investiront davantage. Les données du premier semestre apportent un certain optimisme sur le premier point : pour les sociétés cotées les plus importantes, qui ont déjà publié leurs comptes, les bénéfices sont souvent significativement supérieurs à ceux du premier semestre 2016, ce qui pourrait soutenir les valorisations. Pour le second aspect, il faut donner à ces sociétés un environnement plus prometteur et sécurisé à moyen terme pour qu’elles intensifient leurs investissements et répondent aux défis posés dans la région. Il resterait alors à la BRVM, forte de ses nouvelles armes, de s’imposer comme un partenaire de premier plan pour le financement de cette croissance future.

Paul Derreumaux

Article publié le 18/10/2017

Vive le FCFA?

Vive le FCFA ?

Comme chaque année, à l’approche des réunions de la zone Franc, les procès contre le FCFA fleurissent. Pourtant, cette monnaie commune plus que soixantenaire ne porte pas toutes les responsabilités négatives dont on l’accable. 

Il y a en réalité deux zones CFA –en mettant à part le cas particulier des Comores- et, dans chaque zone, de l’Ouest comme du Centre, la question globale en englobe trois sous-jacentes : celle de la fixité du lien entre le FCFA et l’Euro, celle de la liberté des changes à l’intérieur de la zone concernée, celle de la gestion du compte d’opérations de la zone. Les anti-CFA s’en prennent indifféremment à une ou plusieurs des caractéristiques de la zone en essayant de démontrer les inconvénients qui en résultent. Leur combat semble erroné à deux points de vue : d’abord, le FCFA n’a pas que les handicaps qu’on lui prête si exclusivement ; surtout, les variables monétaires ne sont pas le déterminant premier de la croissance économique.

Si certains inconvénients du FCFA sont réels, il ne faut pas en revanche imputer au système monétaire de la zone franc des pêchés qu’il ne mérite pas. Sur ce point, quatre exemples au moins méritent l’attention.

D’abord, la fixité de la parité avec l’Euro ne signifie pas son immuabilité comme l’a montré la dévaluation de janvier 1994, intervenue pour corriger une parité devenue intenable. Certes, le changement fut brutal, et hélas douloureux pour les populations les plus vulnérables et certaines entreprises importatrices, en raison d’une attente trop longue pour cet ajustement. Mais il a montré que le changement était possible, et utile, sans que soient remises en cause ni la fixité du lien monétaire avec l’Euro, ni l’intégration entre pays d’une même zone. Ce dernier aspect est en effet capital pour le développement futur de l’Afrique. L’approfondissement d’espaces régionaux solides est unanimement admis comme une condition sine qua non de l’émergence économique attendue. Il impose en revanche que les politiques adéquates soient menées pour protéger les secteurs d’activité naissants, pour empêcher les importations frauduleuses, pour éviter les obstacles intra-régionaux non tarifaires, pour faciliter les financements des entreprises innovantes. Ces conditions n’ont rien de monétaire et leur absence condamne la réussite de toute politique industrielle, parité fixe ou non.

La fixité n’est pas non plus nécessairement exclusive de modifications quant à la base de référence. Le rattachement du FCFA à un panier de devises pourrait ainsi avoir un effet stabilisateur en élargissant cette base de référence, même si la structure actuelle de nos échanges commerciaux donnerait une prépondérance de l’Euro dans cette nouvelle devise, qui ne l’éloignerait pour l’instant que modérément du FCFA actuel. Aucune disposition, heureusement, n’interdit aux chefs d’Etats africains de la zone Franc de préparer une telle alternative. Une monnaie commune « autonome » est d’ailleurs à l’étude depuis plus de vingt ans dans la Communauté Economique Des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sans progrès notables et avec une échéance de mise au point qui recule chaque année : la domination du Nigéria, et les craintes que cela implique, sont la cause majeure de ce qu’il faut bien appeler jusqu’ici un échec. La fixation des caractéristiques d’une monnaie pose en effet de nombreux et délicats problèmes qui rendent difficile sa création comme le montre aussi l’exemple de l’East African Community ( EAC): malgré le succès commercial de celle-ci et le bon niveau d’intégration des économies qui la composent, les progrès de la création d’une monnaie commune sont fort lents.

La liberté des changes à l’intérieur de la zone FCFA est également souvent présentée comme un avantage exorbitant des entreprises françaises pour leurs investissements et leurs opérations courantes dans les pays africains de la zone, d’un côté, et un encouragement à la fuite des capitaux africains et une incitation à ne pas investir localement dans les activités productives, de l’autre. Cette « liberté » est d’ailleurs loin d’être totale dans les faits. Les transferts directs entre les deux parties de la zone FCFA sont ainsi particulièrement difficiles et la plupart des transactions de ce type passent par la France qui fait la conversion entre les « Francs » de l’Ouest et ceux du Centre. En même temps, les transferts d’un pays africain vers la France font l’objet de nombreuses demandes de justificatifs par les Autorités monétaires, qui ralentissent les transactions, sont pénalisantes pour les entreprises et interpellent quant à la signification de la liberté de change.  Hors ces « restrictions », les risques soulignés sont certains mais non automatiques pour ce qui concerne le côté africain: leur concrétisation dépend avant tout de la volonté politique des dirigeants et des politiques suivies par les Etats concernés. La zone Franc n’empêche pas la Cote d’Ivoire de conduire actuellement des avancées importantes dans la transformation de ses matières premières agricoles et il n’est pas certain que l’absence du FCFA permettrait que le Mali en fasse autant pour retrouver son rôle de « grenier de l’Afrique ».

Dernière cible des critiques, le compte d’opérations où sont bloquées une partie des réserves en devises de la zone. Pour les détracteurs, le pourcentage immobilisé est considéré comme trop élevé et, contraintes de financement oblige, il est jugé que ces fonds devraient plutôt être mis à la disposition des Etats africains qui en feraient meilleur usage. Ici encore, les arguments sont au moins discutables. Outre qu’il est logique que la garantie de convertibilité s’appuie sur une contrepartie, il est à souligner que le pourcentage contesté n’est pas immuable et a d’ailleurs déjà été modifié. Encore faut-il, pour de nouveaux changements, que les demandeurs disposent d’un dossier solide et en débattent dans les instances compétentes. De plus, les chiffres concernés sont sans commune mesure avec les besoins effectifs des Etats : ainsi, pour la partie Ouest, 50% des réserves actuelles de la BCEAO ne représentent environ que l’endettement supplémentaire des Etats pour une seule année.

Quels que soient ses avantages et ses inconvénients, le FCFA ne peut de toute façon être considéré comme responsable d’une incapacité irrémédiable de la zone franc à atteindre un rythme de développement économique analogue à celui des pays subsahariens qui suivent un autre régime de changes.

Sur le long terme, aucun pays subsaharien n’a suivi une trajectoire de croissance montrant que son système monétaire est sans conteste meilleur que tous les autres. Les performances respectives sont en effet surtout variables selon les conjonctures internationales rencontrées et les politiques intérieures. Même dans la période qui a précédé la dévaluation du FCFA, les pays à taux de change variable ont été durement frappés par la détérioration des termes de l’échange et une baisse du Produit Intérieur Brut (PIB). Selon les périodes de comparaison retenues, les résultats sont d’ailleurs différents et mettent en évidence cette influence prédominante d’autres facteurs. Ainsi, sur les quinze dernières années, le Kenya n’a pris le pas sur la Cote d’Ivoire que pendant une courte période pour le PIB par tête, et l’Union Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) connait depuis trois ans une progression de son PIB supérieure à celle de la plupart des autres régions d’Afrique subsaharienne, particulièrement en 2016. Dans le même temps, et malgré ce même FCFA, l’Afrique Centrale francophone subit pleinement les effets négatifs combinés de la crise pétrolière, de structures économiques peu diversifiées et d’errances politiques, rejoignant ainsi le Nigéria qui est pourtant hors de la zone franc.

Les déterminants du développement économique peuvent être regroupés autour de  trois principales composantes connectées. La première réside dans les données naturelles du pays, allant de la position géographique aux dotations en richesses naturelles en passant par la vitalité démographique. La deuxième est la qualité des politiques économiques mettant au mieux en valeur ces données naturelles : ces politiques concernent aussi bien l’environnement juridique que, entre autres, les ressources humaines, la promotion du secteur privé ou la fiscalité, et elles sont toutes fonction de la qualité du leadership qui les définit et, surtout, les transforme en programmes d’actions adaptés à sa vision à long terme de l’espace national. La troisième est basée sur l’articulation optimale du pays avec le reste du monde, et donc sur sa capacité à faire de son environnement international un atout plutôt qu’un handicap. Le « jeu » consiste  à exploiter au mieux la première composante grâce à deux autres.

La monnaie peut être rangée dans la dernière catégorie au même titre que le degré d’isolement ou d’intégration du pays dans un ensemble régional. Elle est donc un facilitateur de croissance ou un élément de freinage parmi d’autres mais ne peut en aucun cas être à elle seule la cause d’un immobilisme de long terme. Ainsi les retards considérables en République Démocratique du Congo (RDC) ou au Zimbabwe ont bien d’autres causes que leurs dérives monétaires respectives et la correction de celles-ci par la « dollarisation » de leur économie n’a pas supprimé tous les autres maux. A contrario, la stabilité apportée par le FCFA était une base favorable mais pas une condition suffisante pour accélérer automatiquement dans chaque partie de la zone Franc la convergence des politiques économiques et fiscales et la création d’industries de substitution aux importations. La politique de réduction à tout-va des barrières douanières imposée par la banque Mondiale et les inerties des dirigeants ont sans doute davantage que le FCFA détruit les industries naissantes d’Afrique francophone.

Le FCFA n’est ainsi ni une panacée ni un repoussoir. En revanche, l’importance des chocs pouvant résulter de décisions prises sur les monnaies impose de traiter ces questions avec toute la prudence requise. En la matière, les exemples fourmillent des risques que peut générer l’arme monétaire, de l’Europe à l’Argentine en passant par la Chine, et doivent nous inciter à l’humilité. Les progrès dans le développement réalisés dans certaines parties de la zone franc sur les 15 dernières années peuvent conduire à des réflexions sur une amélioration du système en place. La réussite de tout changement d’ordre monétaire sera cependant subordonnée à la mise en œuvre de politiques « réelles » permettant d’exploiter au mieux le nouveau cadre qui serait adopté. Propositions de changement et mesures d’accompagnement sont avant tout de la responsabilité des Dirigeants africains. Hors la volonté de ceux-ci, l’immobilisme a de beaux jours devant lui.

Paul Derreumaux

Article publié le 10/10/2016