Ralentissement de la croissance chinoise : Quel impact pour l’Afrique ?
L’affaire semble maintenant entendue. La hausse du Produit Intérieur Brut (PIB) de la Chine à des taux annuels régulièrement supérieurs, parfois de loin, à 8% devrait bien faire partie du passé, la question principale étant de savoir si le ralentissement déjà observé va rester modéré et progressif, ou s’intensifier rapidement.
Il parait d’abord étonnant de reprocher à la Chine cet adoucissement de sa croissance. Depuis dix ans, le dynamisme du développement économique chinois a été un des moteurs de la croissance mondiale et a notamment réduit les impacts négatifs de la crise financière et économique de 2008. La crainte des effets d’une « surchauffe » de ce pays par suite de fragilités du système financier, de « bulles » sectorielles prêtes à éclater, de dégradations de l’environnement, d’une nécessaire adaptation du modèle de croissance ont alimenté les analyses des experts durant quelques années et amené beaucoup de ceux-ci à prôner un rythme moins soutenu de cette progression. L’apparente prise en compte par les Autorités chinoises de ces difficultés réelles les conduit à retenir de nouvelles priorités, telles l’augmentation de la consommation intérieure et l’accroissement du pouvoir d’achat qu’elle impose. Celles-ci entrainent logiquement le ralentissement de la hausse du PIB, préconisé par les économistes. Les politiques ont un autre raisonnement : les craintes de fortes répercussions du ralentissement chinois les conduisent à regretter celui-ci pour des considérations essentiellement égoïstes.
Pour l’Afrique, cette peur est encore amplifiée au vu du rôle tenu par la Chine dans la croissance du continent observée depuis une quinzaine d’années. Les bonnes performances d’évolution du PIB de beaucoup de pays africains doivent en effet beaucoup à l’appétit pour les matières premières et les ressources énergétiques nécessaires pour alimenter l « usine du monde » qu’est devenue la Chine. La demande de celle-ci en métaux de toutes sortes, mais aussi en pétrole a entrainé à la fois la forte croissance des exportations correspondantes et la hausse des prix unitaires de ces produits. Pour sécuriser et accroître ses approvisionnements, l’Empire du Milieu est aussi devenu un important investisseur direct pour ces secteurs dans plusieurs pays et a augmenté considérablement les concours financiers aux Etats africains. Il en est résulté pour ces derniers une meilleure diversification possible de leurs sources de financements et une diminution de leur dépendance à l’égard de partenaires traditionnels multipliant les exigences préalables à leurs décaissements. En retour, les marchandises et prestations chinoises à bas prix sont maintenant, pour une large part des populations africaines, un moyen d’accès à des produits et services auparavant inabordables, et ont contribué à améliorer le mode de vie du plus grand nombre. De même, de grandes entreprises chinoises, spécialement dans le bâtiment et les travaux publics, ont permis la réalisation de grands chantiers à des prix plus compétitifs. En 15 ans, la Chine est donc devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique, avec plus de 250 milliards de USD d’échanges en 2014 et une multiplication de ceux-ci de plus de vingt fois par rapport à 2000. Même si les investissements chinois sur le continent n’ont pas suivi le même rythme, leur stock dépassait 25 milliards de USD dès 2013 et tenait une place déterminante dans certains secteurs comme l’extraction de matières premières et de pétrole. Cette place désormais incontournable de la Chine sur le continent n’est d’ailleurs pas exempte de frictions diverses au niveau local: la manière selon laquelle des contrats de travaux ont été « troqués » contre des fournitures de matières premières, le faible appel aux travailleurs africains sur certains chantiers confiés à des entreprises chinoises ou l’arrivée surprise en Afrique de l’Ouest de petits commerçants chinois venant concurrencer le secteur informel national sont des exemples de ces difficultés.
Face à l’étroitesse de ces liens économiques, toute décélération du développement de la Chine génère donc a contrario des inquiétudes en Afrique. Ces appréhensions devraient pourtant être limitées pour deux principales raisons.
Depuis quelques années, les moteurs de la croissance africaine se sont diversifiés et intériorisés. Les secteurs des télécommunications, des banques et de tous les types d’infrastructures sont désormais des piliers de cette hausse du PIB aussi importants que celui des mines. Ils ont en outre l’avantage, à la différence de ce dernier, de toucher la quasi-totalité des pays subsahariens. Ils portent en eux, pour des raisons technologiques ou de marché, des gisements de progression tels que celle-ci devrait encore avoir un fort impact au moins à moyen terme. La poussée démographique extraordinaire dans laquelle est entrée toute la zone pour les trente ans à venir sera un autre facteur d’entrainement pour les services, les commerces et l’agriculture, surtout si les réformes nécessaires accroissent la productivité de cette dernière. L’évolution des activités industrielles est plus incertaine et a conduit jusqu’ici à beaucoup d’échecs : les révolutions techniques présentement observées et une révision des stratégies suivies en matière de priorités sous-sectorielles pourraient cependant améliorer les perspectives de ce secteur. En matière financière, même si l’aide publique continue son repli, l’Afrique peut d’abord compter sur un intérêt croissant des investisseurs privés de la plupart des pays du Nord ou des grands émergents, à la recherche de nouveaux projets à fort potentiel de croissance. Les Etats comme les entreprises peuvent aussi recourir de façon croissante aux marchés boursiers et aux systèmes financiers locaux ou régionaux qui se développent et, accessoirement, aux marchés internationaux de capitaux où les liquidités sont pléthoriques. Enfin, au moins dans certains pays, allant par exemple du Rwanda à la Côte d’Ivoire, des stratégies globales et cohérentes de développement, incluant les réformes de structures indispensables, sont établies et effectivement conduites par les Autorités politiques : elles devraient jouer un rôle essentiel d’accélération du progrès.
Dans le même temps, l’apport de la Chine restera sans doute important même s’il perd de sa puissance. Une fois la période d’ajustement passée, le poids du continent dans la fourniture des indispensables matières premières et ressources énergétiques justifiera d’autant plus le maintien de flux commerciaux intenses que les coûts qui y sont liés pèsent modestement dans les investissements chinois étrangers. Le ralentissement des importations chinoises de biens de consommation frappera beaucoup plus les voisins asiatiques que les économies africaines actuelles. Dans la vaste rationalisation qui marque les nouvelles orientations de la politique économique de la Chine, les pays d’Afrique de l’Est et Australe devraient au contraire garder une place déterminante, voire être relativement plus avantagées. Ces régions sont incluses dans le périmètre des « Nouvelles Routes de la Soie » et devraient donc bénéficier des investissements massifs qui y sont prévus, notamment dans les infrastructures ferroviaires, maritimes, ou énergétiques, qui vont soutenir l’activité des très grandes entreprises chinoises. L’Afrique peut aussi aider la Chine à résoudre certaines de ses difficultés actuelles : les exportations vers le continent de produits finis présentant un bon rapport qualité /prix soutiennent d’importants secteurs de l’économie chinoise ; parallèlement, l’essor dans certains pays d’entreprises industrielles grosses consommatrices de main d’œuvre et appartenant aux investisseurs chinois est un moyen pour ceux-ci de contourner la hausse des salaires dans leur pays et de faire face aux autres économies asiatiques émergentes. L’Ethiopie est l’exemple le plus cité de cette nouvelle synergie sino-africaine « à rebours » mais des velléités identiques apparaissent dans quelques pays d’Afrique de l’Ouest. L’Afrique demeurera donc normalement un enjeu de première importance dans la stratégie économique internationale de la Chine. Le continent continuera d’abord d’être un important champ d’action pour ses entreprises et, comme pour le monde entier, une zone attractive tant par sa démographie que par ses perspectives d’expansion économique. Le Président Xi Jinping l’a rappelé en décembre 2015 à Johannesburg lors du dernier Forum de Coopération Afrique-Chine, avec la promesse que les échanges commerciaux avec le continent seraient portés à 400 milliards de USD d’ici 2020 et des annonces d’investissement visant à rassurer ses interlocuteurs. Par ailleurs, l’Afrique restera un des canaux privilégiés par lesquels peuvent s’exercer les ambitions politico-économiques de la Chine, notamment en matière monétaire : renforcement du rôle du yuan comme monnaie d’échange et de réserve ; adoption du yuan comme devise de référence dans certains pays comme le Zimbabwe.
Malgré la donne économique qui la caractérise aujourd’hui, la Chine devrait donc continuer à être une des grandes courroies d’entrainement de l’économie africaine, en raison du nombre et de l’intensité des liens tissés depuis au moins deux décennies. Cet impact positif pourrait cependant prendre des formes différentes, issues à la fois des nouveaux objectifs chinois et de l’évolution des économies africaines. L’Afrique dispose aussi fin 2015 de leviers de croissance endogènes qui donnent plus d’autonomie à son développement. Sur cette question des relations économiques avec le puissant partenaire chinois comme en bien d’autres domaines, les Etats africains qui auront les meilleurs résultats seront ceux qui ne se seront pas contentés de la « rente chinoise », mais auront réalisé les meilleures réformes pour profiter de leurs nouveaux atouts et limiter les effets négatifs de leur environnement.
Paul Derreumaux
article publié le 05/01/2016