Systèmes bancaires dans l’UEMOA : Mention bien face à la crise

Systèmes bancaires dans l’UEMOA : Mention bien face à la crise

 

Le constat est encourageant. Au vu des Assemblées Générales qui s’égrènent des banques cotées à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM), le système financier de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a bien résisté, dans l’ensemble, aux conséquences économiques et sanitaires de la crise du Covid-19. Une analyse plus fine met toutefois en évidence trois constats plus précis : une gestion plutôt efficace des banques, un contexte favorable dans l’Union, des incertitudes à attendre en 2021.

Les principaux indicateurs de l’année 2020 montrent d’abord les bonnes capacités d’adaptation des systèmes bancaires à cette situation inédite. Au plan des charges de fonctionnement, le secteur a été de ceux qui ont le mieux appliqué les consignes sanitaires liés à la pandémie -distanciation, généralisation du télétravail- et les équipes ont été assez peu touchées par le Covid-19. Les coûts supplémentaires qui en ont découlé ont été souvent compensés par les mesures d’économie prises en 2020 : restrictions de voyages, mises en chômage partiel, ajournement de recrutements. Les charges d’exploitation ont ainsi connu une hausse limitée, et parfois un repli pouvant approcher 10% du total pour les banques les plus économes.

Au plan des activités, la plupart des banques ont enregistré une progression plus soutenue de leurs ressources de clientèle que de leurs concours à l’économie. La première traduit les efforts des entreprises et des ménages de constitution d’encaisses de précaution dans un contexte de baisse des activités et d’attentisme des investissements. En Côte d’Ivoire, la croissance moyenne des dépôts de la place a été ainsi de 24% sur l’année. Dans les autres pays, des performances comparables ont été atteintes :  + 17% pour l’ensemble du Groupe Orabank,    + 26% pour la Banque Malienne de Solidarité, + 22% pour la BANK OF AFRICA au Burkina Faso par exemple, Les crédits directs en fin de période ont au contraire réduit leur progression du fait du freinage général des échanges internationaux, du ralentissement des économies, mais aussi de la prudence redoublée des banques dans la distribution de nouveaux concours. En Côte d’Ivoire, le total des crédits a progressé de 14%, provoquant un recul de 7% du taux de réemploi des ressources. Dans le Groupe BANK OF AFRICA, les crédits de trésorerie n’ont augmenté que de 5% au Burkina Faso et au Sénégal, et se sont mêmes repliés en valeur absolue au Mali.

Au plan des résultats, les Produits Nets Bancaires (PNB) sont souvent restés proches des niveaux records de 2019 : malgré la tendance au recul des commissions pénalisées par le manque d’affaires nouvelles, les marges d’intérêt ont été préservées, grâce notamment à une fréquente réorientation des concours à la clientèle vers des placements en trésorerie peu risqués, et ont sauvé l’essentiel. Cette résistance a été notée dans tous les pays de l’Union, avec dans chacun d’eux des situations variables des établissements en fonction de leur portefeuille de clients, de leur appétence aux risques et de leur capacité de trouver des emplois alternatifs. La situation est plus disparate pour les Résultats Bruts d’Exploitation, en raison de l’impact des politiques variables suivies dans la gestion des charges courantes, et pour les Résultats Nets. Ceux-ci portent notamment la trace du coût du risque : ce dernier a bien sûr généralement grandi à compter du second semestre 2020. Mais, derrière cette constante, l’impact final a souvent été atténué par l’habileté des équipes à proposer des restructurations acceptables. Les bénéfices dégagés sont donc fréquemment supérieurs à ceux de 2019, comme c’est le cas pour Ecobank Cote d’Ivoire ou Corisbank, ou en repli limité, telle la SGCI, première banque de l’Union. Quelques établissements ont réussi des parcours remarquables, comme Bridge Bank à Abidjan dont les dépôts et les crédits ont crû respectivement de 26% et 17%, qui a atteint ses objectifs budgétaires et dont le bénéfice annuel a fait un bond de 30%. Dans tous les cas, les banques dont les résultats sont déjà publiés distribueront des dividendes voisins, et parfois supérieurs, à ceux de 2019.L’année 2020 n’aura donc pas été ici une année de crise pour le secteur.

Deux principales causes extérieures ont favorisé cette résistance des banques de la région. La première est l’évolution du Produit Intérieur Brut (PIB) de l’Union en 2020 (+0,9%), meilleure que celle de l’ensemble l’Afrique subsaharienne, en recul de plus de 4%. L’absence de confinement généralisé dans l’espace régional, la force des circuits informels, la forte chute des prix du pétrole dont la zone est globalement importatrice expliquent largement cette bonne tenue macroéconomique. Dans plusieurs pays, les entreprises ont aussi bénéficié des actions de l’Etat pour soutenir leur appareil économique ou instaurer des protections sociales exceptionnelles : création de fonds de soutien aux entreprises, notamment de petite taille, report d’échéances fiscales, paiements de « packages » de secours aux populations les plus vulnérables. Dans ces circonstances, elles ont été mieux armées face à la pandémie et les banques en meilleure position pour éviter les déclassements de dossiers.

Surtout, l’Union a été favorisée par une réaction rapide et efficace de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à travers deux types de mesures. La première est réglementaire, pour alléger en cette période les contraintes pesant sur les banques en la matière : report possible à court terme d’échéances des crédits, sans déclassement de ceux-ci ; baisse des taux pour les adjudications de ressources aux banques ; décalage d’un an dans le durcissement des ratios relatifs aux fonds propres. La deuxième est financière avec les « Bons Covid » dont la diligence de mise en place est à saluer. Ces Bons, émis par les Etats de l’Union, ont apporté à ceux-ci des financements d’une maturité de trois mois au taux maximum de 3,5%, affectés aux mesures d’urgence, et ont été souvent un relais de concours à plus long terme des Partenaires Techniques et Financiers (PTF). L’accord donné aux banques par la BCEAO pour un refinancement intégral possible de ces Bons a permis leur participation massive à la souscription et le succès de ces titres. En un an, quelque 1500 milliards de FCFA ont été ainsi levés par les Etats selon une programmation ciselée. Très opportune pour les Etats, cette initiative a aussi servi les banques dans la recherche d’emplois de substitution à faible risque et dans la préservation de leur compte d’exploitation. Elle a en revanche sans doute peu encouragé le système financier à des efforts exceptionnels vis-à-vis des entreprises en difficultés.

En dehors de l’UEMOA, ces contextes favorables ont souvent manqué, et les résultats des banques s’en ressentent en de nombreux endroits. En Afrique Centrale francophone, le plongeon des cours de l’or noir a provoqué un net recul des PIB des pays concernés : celui-ci a pesé sur les ressources de clientèle, réduit drastiquement les possibilités de crédit et multiplié les exigences de provisions pour créances en souffrance.  Au Kenya, dont le système bancaire est un des plus performants d’Afrique, la crise a été multiforme ; recul de secteurs essentiels comme le tourisme ou l’agriculture, hausse du déficit budgétaire et de la dette extérieure, baisse des flux financiers de la diaspora. Il devrait en résulter pour les banques une hausse sensible des provisions et une nette baisse des bénéfices : – 22% pour la Kenya Commercial Bank, – 42% pour le nouveau groupe National Commercial Bank of Africa (NCBA).

Pour 2021, les perspectives demeurent mitigées. Depuis le deuxième trimestre 2020, les Etats africains ont certes, avec des fortunes diverses, mis en place des parades à la crise économique issue de la pandémie et les appareils économiques ont appris à fonctionner face à celle-ci. Cependant, les appréciations les plus fréquentes tablaient sur un retour à la normale début 2021 et un plein « effet de rattrapage » pendant l’année en cours. Les estimations sont désormais moins optimistes. En Afrique comme ailleurs, beaucoup de nations ont été frappées par une deuxième ou une troisième « vague » de l’épidémie, parfois plus contagieuse ou mortelle, imposant de nouvelles restrictions et freinant la reprise de l’économie. Le rythme de celle-ci est donc encore incertain et le retour à la situation de fin 2019 plutôt reporté désormais à 2022. Si certains secteurs cruciaux pour le continent se portent mieux, comme le pétrole où le niveau d’équilibre actuel est meilleur pour les vendeurs et acceptable pour les acheteurs, des pans entiers comme le tourisme et l’hôtellerie sont encore en souffrance. Des dangers issus de la crise de 2020 restent menaçants. Ils sont macroéconomiques tels les déficits budgétaires fortement gonflés sans espoir de retour à la normale à court terme, un endettement public en hausse généralisée, une croissance du PIB intérieure aux précédentes anticipations, une forte inflation importée pour certains produits. Ils sont aussi microéconomiques avec le risque de faillites d’entreprises plus nombreuses après l’arrêt des aides de l’Etat là où elles existaient et la tentation de certains gouvernements à renforcer la pression fiscale pour résorber les lourds déficits budgétaires.

Dans ce paysage incertain, la zone UEMOA devrait être encore plutôt favorisée. Les dernières prévisions des Autorités régionales retiennent une hausse du PIB de 5,8% en 2021, légèrement supérieure à celle de 2019 et en progrès par rapport aux premières estimations faites en début d’année Emmenée notamment par les bonnes perspectives de la Cote d’Ivoire, « poids lourd » de l’Union, cette progression devrait être assez bien répartie dans les 8 pays de l’UEMOA. Elle serait surtout une nouvelle fois sensiblement supérieure aux résultats moyens de l’Afrique subsaharienne -où une avancée de 3,4% du PIB est escomptée- et permettre la reprise d’une progression du revenu par habitant. Le niveau encore tolérable de l’endettement public, malgré les emprunts contractés en réponse à la crise, en comparaison avec celui de nombreux autres pays africains va constituer un autre atout de la zone. Il devrait être complété par une réduction du déficit budgétaire grâce à la réduction des aides exceptionnelles et la reprise économique.

Ce contexte favorable devrait bénéficier à nouveau globalement au système financier de l’UEMOA. En termes d’activité, une tendance positive, pour les dépôts de clientèle et pour les crédits à l’économie, en lien avec les améliorations macro-économiques, pourrait être ressentie par tous les établissements. En termes de résultats et de profitabilité, l’éventail des situations pourrait être plus large en fonction notamment des politiques suivies par les établissements en 2020 : importance suffisante des efforts de provisionnement et de restructuration des crédits fragiles, intensité des réformes de fonctionnement consenties, niveau des fonds propres après la crise. Sans surprise, ceux qui auront suivi les trajectoires les plus rigoureuses en 2020 seront les mieux armés pour la suite. Les transformations du système financier régional se poursuivent d’ailleurs, annonçant de vraisemblables repositionnements : le groupe BNP continue son repli stratégique et a cédé ses filiales burkinabé et malienne ; cette dernière a été reprise par Atlantic Financial Group, présent désormais dans 4 pays ; Bridge Bank Cote d’Ivoire ouvrira sa succursale sénégalaise en septembre prochain, la BMS malienne rêve d’un troisième site dans l’Union et de suivre les traces de la BDM. Le clan des « outsiders » se renforce donc, promettant de nouvelles confrontations intéressantes pour les années à venir.

Paul Derreumaux

Article publié le 10/05/2021

La réforme CIMA : une première étape aux résultats mitigés

La réforme CIMA :

une première étape aux résultats mitigés

 

Les Autorités de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA) avaient fixé au 31 mai 2019 la date limite pour l’atteinte du nouveau seuil de capital social de 3 milliards de FCFA -et de 2,4 milliards de FCFA de fonds propres- par toutes les compagnies d’assurance des 14 pays d’Afrique francophone relevant de leur périmètre. Neuf mois ont passé depuis cette échéance et les résultats de la première étape de ces « grandes manœuvres » capitalistiques sont encore incertaines. Un effort important a été accompli par les sociétés concernées. Pourtant plusieurs conséquences escomptées ne semblent pas être encore au rendez-vous. Surtout, l’avenir de la profession est encore obscurci par divers facteurs.

Le secteur a longtemps espéré que l’échéance donnée par la CIMA serait reportée par celle-ci, mais l’institution de tutelle a été inflexible et la limité du 31 mai s’est imposée à toutes les sociétés. A ce jour, les données définitives des augmentations de capital réalisées n’ont pas encore été officialisées, mais il semble qu’une très grande partie des quelque 180 compagnies de la zone aît réussi à respecter l’objectif fixé. Les moyens utilisés ont été variés : remplacement fréquent de la distribution de dividendes par des constitutions de réserves, apport en numéraire d’actionnaires existants, nouveaux investisseurs. Certains schémas juridiques retenus pour des recapitalisations, dont les formalités sont encore en cours, peuvent expliquer les retards dans la concrétisation de quelques augmentations et, par conséquence, dans la communication du résultat final de cette première étape. Les quelques sociétés qui n’ont pas réussi à atteindre l’objectif capitalistique imposé auront leur agrément supprimé, ou seront placées sous administration provisoire lorsque cette solution est encore envisageable à court terme.

Si cette première phase est un succès quantitatif, elle est décevante quant aux effets escomptés sur la concentration du secteur. D’abord, les augmentations de capital n’ont en effet conduit à aucun des regroupements majeurs de sociétés de dimension nationale ou régionale qui auraient nettement réduit le nombre d’acteurs totaux et par pays, et facilité l’obtention future de la rentabilité de chacun d’eux. La quasi-totalité des compagnies ont au contraire fait le choix d’une solution individuelle pour passer l’obstacle, malgré les incertitudes pouvant en résulter pour leur futur. Cette préférence n’étonne guère puisqu’elle fut observée à l’identique dans le secteur bancaire francophone lors des accroissements massifs du capital minimum décidés en 2007 et 2015, qui n’ont conduit à aucune diminution du nombre de banques. Il confirme bien la divergence d’approche avec les régions d’Afrique anglophone plus ouvertes aux rapprochements. De même, ce grand mouvement de recapitalisation n’a amené dans la zone CIMA aucun grand groupe extérieur à la zone. Une opération de croissance externe pouvait ainsi être attendue du sud-africain Sanlam, désormais aux commandes de la compagnie marocaine Saham, mais ne s’est pas produite. Au contraire, la mutation a amené le groupe germano-français Allianz à céder trois filiales de l’espace francophone au Groupe Sunu. Ce dernier consolide donc sa place aux côtés de deux autres leaders NSIA et Saham, dont l’emprise couvre le plus de pays de la CIMA. Derrière eux, le panorama reste très diversifié. Les compagnies marocaines des réseaux Atijari et BCP montent lentement en puissance grâce à une croissance intrinsèque ou quelques rachats ; Axa et Allianz demeurent les seuls groupes européens dans la région avec de solides  implantations en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Cameroun et au Gabon; quelques  réseaux subsahariens résistent ou s’efforcent de grandir, comme celui de Atlantique Assurance en Afrique de l’Ouest ou Activa en Afrique Centrale; la majorité des  compagnies agréées demeurent toutefois des sociétés œuvrant seulement dans un seul cadre national, dans lequel elles exercent parfois aussi bien dans l’activité Vie que dans celle de l’IARD.

Trois ans après le lancement de cette recapitalisation, le secteur se retrouve donc dans une configuration imprévue : des compagnies aux fonds propres accrus mais toujours aussi nombreuses. Il en résulte que les objectifs pour lesquels cette réforme avait été décidée et qui restent d’une impérieuse actualité seront plus difficiles à relever que prévu. Ils peuvent être regroupés en deux principales catégories.

La première est celle d’une augmentation du chiffre d’affaires de chaque acteur de façon à accroître ses possibilités de rentabilité du nouveau capital investi. Celle-ci est conditionnée d’abord par la volonté et la capacité des Etats de rendre plus nombreuses les assurances obligatoires dans chaque pays, de veiller à ce que les dispositions légales en la matière soient bien suivies, mais aussi de promouvoir des sociétés qui pourraient avoir un rôle décuplé dans la mobilisation de l’épargne. Cette stratégie d’appui au secteur aurait aussi pour avantage de mieux protéger entreprises et populations contre des risques peu considérés jusqu’ici mais pouvant gravement pénaliser les individus et leurs actifs. Surtout, une seconde piste d’amélioration est entre les mains des sociétés elles-mêmes. Elles ont par exemple à se montrer plus inventives dans les domaines couverts, plus innovantes dans les polices proposées, plus souples dans les modalités de contrats offertes, plus crédibles vis-à-vis de leur clientèle grâce à des paiements plus rapides des dommages. La seule comparaison avec les progrès effectués en la matière en Afrique du Sud ou au Maroc montre le champ des possibilités existantes, souvent simples, et les impacts positifs qui en résulteraient sur les produits encaissés. Pour l’assurance vie par exemple, la multiplication de variantes pour la couverture des risques maladie, retraite et éducation constituent des gisements essentiels. Mais il faut aussi rendre plus performants et moins coûteux les circuits commerciaux. En zone CIMA, la coopération des assureurs avec d’autres réseaux plus largement implantés sur le territoire -banques, émetteurs de monnaie électronique -est toujours insuffisante. Les synergies apportées par la « bancassurance » ne sont que modestement exploitées en raison de la multiplicité des acteurs des deux secteurs et des difficultés d’imposer une discipline de travail d’une compagnie avec un seul banquier et vice-versa. Seule une alliance capitalistique des deux partenaires semble capable de forcer le mouvement : c’est la stratégie retenue par des réseaux comme NSIA, pionnier de ce choix, et Sunu, qui a emprunté le même chemin en 2018, à l’image par exemple des groupes marocains. Hors ces transformations, la croissance endogène des marchés- actuellement dans la CIMA seulement de l’ordre de 10% par an en moyenne malgré des taux de pénétration largement inférieurs à 1% – sera trop faible pour donner les augmentations de primes indispensables.

La seconde exigence est celle d’une amélioration des marges bénéficiaires des assureurs. Celle-ci doit d’abord être mise en œuvre par les compagnies elles-mêmes. Elle appelle par exemple une automatisation plus poussée des taches, apportant économies et diminution d’anomalies et de suspens. Elle requiert des tarifications mieux adaptées en évitant à la fois des sous-évaluations aux visées commerciales, qui pénalisent ensuite la viabilité des entreprises, et des surfacturations, qui découragent la clientèle. Elle impose une revue détaillée des charges de fonctionnement, des commissions, des provisions techniques nécessaires, des frais de publicité grâce à des audits sans complaisance et l’utilisation des techniques les plus modernes, pour éliminer les coûts excessifs et mieux maîtriser les exigences administratives de la profession. Vis-à-vis des partenaires, les compagnies auront aussi à éviter les retards de paiement de primes de la part de leurs agents généraux et courtiers et à faire jouer davantage la concurrence. Enfin les Etats de la zone ont un grand intérêt à adopter des politiques fiscales incitatives pour encourager à la fois assurance-vie et assurance-IARD, vecteurs efficients pour servir l’inclusion, le drainage de l’épargne et la protection des patrimoines, plutôt qu’une position de prélèvement maximal à court terme sur les revenus générés par ces activités, comme on le constate hélas dans certains pays et sur divers créneaux.

Presque tout reste donc à faire et le nouveau point de départ de ces actions est moins favorable que prévu. Outre ces défis, la pandémie du Covid-19 devrait aussi grandement perturber l’année 2020. Même si les risques issus de ce drame sanitaire, en général non couverts, n’accroitront guère directement les sinistres, les perturbations économiques qui en résulteront auront des impacts sur l’activité des compagnies. A court terme, ces effets seront négatifs : baisse de l’activité des entreprises formelles, ralentissement ou arrêt des investissements, réduction des capacités d’épargne des ménages, baisse des cours de la BRVM -environ -16% des principaux indices depuis janvier 2020-,.. A moyen terme au contraire, la crise pourrait être bénéfique avec le souci des ménages de disposer à l’avenir de produits d’assurance les couvrant mieux sur des sujets essentiels comme la santé, la perte d’emploi ou un revenu minimal de crise, et la recherche par les entreprises d’une meilleure sécurité. Le secteur aura donc à gérer des difficultés temporaires supplémentaires et ne pourra profiter des opportunités de rebond que s’il accomplit les transformations structurelles qui s’imposent de toute façon à lui.

Ces mutations devraient être menées à marche forcée puisque la seconde étape du renforcement capitalistique – nouvelle augmentation du capital minimum de 2/3- interviendra dès 2021. Si les indicateurs de fonctionnement ne se sont pas améliorés d’ici là, la mobilisation de fonds propres supplémentaires rendra encore plus difficile l’atteinte d’une rentabilité suffisante, toutes choses égales par ailleurs. Un grand mouvement de concentration serait alors, comme souhaité en 2019, le moyen privilégié de replacer le secteur sur une spirale vertueuse. Encore faut-il que tous, actionnaires et dirigeants des compagnies, Autorités de contrôle, Etats, comprennent l’urgence de la situation et prennent les mesures en conséquence. Le temps presse pour que ce changement d’état d’esprit imprègne largement la profession.

 

Paul Derreumaux

Article publié le 23/04/2020

Faut-il encore investir à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières d’Abidjan ?

Faut-il encore investir à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières d’Abidjan ?

 

Pour les actions cotées à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) des huit Etats de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), l’année 2017 s’était  terminée comme elle avait commencé. Le rebond observé les tout derniers jours de décembre, pour cause habituelle de « window dressing », n’a pas remis en cause la baisse qui s’est régulièrement accentuée toute l’année. Les deux principaux indices se sont largement repliés pour terminer, par rapport à fin 2016, à -16,1% pour le BRVM 10 portant sur 10 principales valeurs et -16,8% pour le BRVM Composite. Cette chute a touché, avec une force inégale, la quasi-totalité des secteurs et des valeurs de la place. Elle a surpris à un moment où la croissance économique régionale reste une des plus fortes du continent et où les introductions de nouveaux titres n’ont jamais été aussi nombreuses (5 en 2017).

Quatre facteurs peuvent expliquer cette évolution décevante. Le premier est le réajustement logique après trois années de hausse intensive : les valorisations à la BRVM avaient souvent atteint pour beaucoup de sociétés des niveaux anormalement élevés par rapport à celles observées alors dans les autres pays africains. Un autre vient des nombreuses opérations qui ont eu lieu en 2017 sur les actions –augmentations de capital par émission d’actions gratuites, divisions des valeurs nominales. – par suite d’exigences réglementaires du Conseil Régional de l’Epargne : souvent mal présentées par les sociétés de bourse et mal suivies par les entreprises concernées, elles ont déconcerté les actionnaires, et surtout les petits porteurs, et provoqué un large mouvement de ventes de titres. Une autre raison est la gourmandise excessive des sociétés nouvellement admises à la cote : contrairement au schéma observé pour les précédentes introductions, les prix d’admission au marché ont été trop élevés par rapport aux potentialités des valeurs et à l’environnement moins favorable du marché. Pour l’émission de NSIA Bank par exemple, la hausse initiale après la première cotation n’a pas duré deux semaines et le prix s’est vite stabilisé à moins de 90% du cours initial, générant une perte significative pour ceux qui avaient fait confiance à la société. Un dernier facteur réside sans doute dans les craintes émises durant l’année sur le changement de parité du FCFA, qui ont pu entrainer le départ d’investisseurs étrangers.

Après cette période sombre, on pouvait espérer que les ajustements effectués et, surtout, le maintien dans l’Union d’une forte croissance économique favoriseraient une remontée en 2018. Il n’en a rien été. La capitalisation a poursuivi son repli régulier jusqu’en début mars. Les bons résultats de 2017 de la plupart des sociétés listées et l’annonce de dividendes globalement conformes aux attentes ont permis une brève reprise en mars dernier, qui a quasiment effacé la baisse de 5% du début du trimestre. Pourtant, dès avant fin avril, le recul a repris et les deux indices sont à fin mai respectivement inférieurs de 6,8%  et 10,2% à ceux de fin 2017. La baisse a touché tous les secteurs de façon variée, pesant principalement sur l’industrie, la distribution, le transport et quelques valeurs bancaires.

Deux données supplémentaires ont encore nourri en 2018 cette orientation baissière sur le compartiment actions: l’absence d’introduction à la cote susceptible de « booster » la demande ; la hausse attractive des taux sur un marché obligataire marqué par la demande pressante des Etats et des possibilités de souscription plus réduites des banques. Face à ces tendances négatives, les dirigeants de la BRVM n’ont pas ménagé leurs efforts : promotion de la place en Afrique et sur d’autres continents – Europe, Moyen Orient, Etats-Unis -, lancement d’un compartiment réservé aux Petites et Moyennes Entreprises, stimulation de coopérations avec d’autres marchés comme le Ghana ou la Maroc. Ces actions seront cependant essentiellement profitables à moyen et long terme et n’ont pu encore inverser la tendance.

Deux éléments contribuent sans doute aussi à la dé-corrélation étonnante entre les bons indicateurs macroéconomiques de la région et la léthargie de son système financier. L’un pourrait être la désertion d’un nombre important de petits porteurs. Composante notable du succès de la BRVM, ces investisseurs ont été désorientés par la gestion peu efficace des opérations imposées par la Bourse sur un grand nombre de titres en 2017 : contrairement à l’objectif recherché, ceci a généré leur méfiance et leur fuite par rapport au marché, ce qui a accéléré sa chute. Un autre point est l’absence de réaction de la plupart des sociétés cotées face à la chute de leur capitalisation : celles-ci auraient pu limiter le recul  en soutenant au moins provisoirement leurs cours. C’était l’intérêt à court terme de leurs actionnaires, et leur propre intérêt à moyen terme. Cette action est d’ailleurs prévue par la Bourse qui demande aux entreprises cotées la création d’un fonds de liquidité contrant les fluctuations excessives du marché. Celles qui ont abandonné ce système l’ont payé cher sur les 12 derniers mois. Celles-qui l’ont respecté ont mieux résisté et seront gagnantes dès la reprise des cours.

Ce sombre panorama actuel ne doit pas conduire à un découragement des émetteurs et des investisseurs par rapport au marché financier régional. Les « fondamentaux » de l’économie de la zone restent bons malgré la fragilité accrue qui touche tout le continent. Le sérieux et le volontarisme de la gestion des dirigeants seront payants à terme s’ils tiennent le cap de la recherche des possibles enrichissements du marché. Le niveau actuellement bas des principales valeurs les rend plus attractives, cet atout devant se renforcer avec la baisse inévitable des taux d’intérêt bancaire, qui entrainera de facto de meilleures valorisations.. La sortie de crise parait donc essentiellement conditionnée à une meilleure prise en considération par les émetteurs des avantages qu’ils peuvent tirer du marché financier et d’une adoption de conduites stratégiques cohérentes avec cette vision. Une approche plus réaliste des prix d’introduction des nouvelles valeurs, un recours plus intensif à la bourse pour les augmentations de capital et les émissions d’obligations, une meilleure gestion de la liquidité et de la volatilité des titres émis, un effort de communication et de transparence sont essentiels en la matière. De la part des Autorités, les acteurs économiques attendent une meilleure écoute, une plus grande flexibilité, et une forte capacité d’innovation Ces changements rétabliront la confiance de tous, qui est le maître mot pour le succès d’une place financière.

Il faudra de la patience pour redresser la situation. En France, le CAC 40 n’a retrouvé qu’en mai dernier son niveau de 2008 et ce n’est que récemment que les petits épargnants reviennent sur le marché. C’est une raison de plus pour engager tout de suite les actions nécessaires.

Paul Derreumaux

Article publié le 11/06/2018

Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) : La reprise est-elle possible ?

Bourse Régionale des Valeurs Mobilières : La reprise est-elle possible ?

 

Après plus de deux ans d’une forte hausse engagée en 2013, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) d’Abidjan a connu en 2016 une année mitigée. Certes l’Indice Composite regroupant tous les titres cotés a bien résisté, en limitant son repli annuel à 3,9% mais le « BRVM 10 », indice des 10 principales valeurs, a baissé de 9,8% sur l’année. Ce recul s’est intensifié et généralisé sans interruption en 2017. Au 30 septembre dernier, ces deux indices globaux avaient respectivement perdu 19,0% et 18,2% de leur valeur sur les trois premiers trimestres de l’année en cours. Tous les secteurs ont été touchés. Les entreprises de la distribution, de l’industrie et de l’agriculture figurent parmi les plus affectées, avec des baisses approximatives de 50%, 30% et 20% sur les 9 mois de 2017, mais les valeurs financières, jusque-là très recherchées, ont aussi reculé de plus de 10% en 2017. La bonne tenue du titre Sonatel, qui représentait plus du tiers de la capitalisation du compartiment actions fin 2016, a permis d’éviter une chute encore plus importante.

Cette évolution fortement négative étonne puisque l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) est en 2016/17 une des rares régions subsahariennes où la croissance économique est restée solide alors qu’elle se contractait fortement ailleurs sur le continent. Trois raisons au moins expliquent ce repli. D’abord, la hausse marquée de la plupart des valeurs sur la période 2013/2015 justifie que beaucoup d’actionnaires, notamment institutionnels, aient souhaité prendre leurs bénéfices à partir de 2016. En second lieu, des prises de position, économiques comme politiques, hostiles au maintien du statu-quo du FCFA et de sa liaison fixe à l’Euro se sont faites de plus en plus nombreuses à partir de fin 2016 et ont sans doute incité les investisseurs extérieurs à alléger leurs actifs sur la bourse régionale francophone. Les tensions sociales répétées en Côte d’Ivoire, première puissance économique de l’Union, ont pu également renforcer cette frilosité des partenaires étrangers. Enfin, les progressions remarquables réalisées à partir de 2013 ( +87,5% en particulier pour l’indice composite) avaient conduit pour la plupart des titres à des valorisations exceptionnellement élevées par rapport à la valeur comptable et à la rentabilité des entreprises. Les multiples observés, souvent nettement supérieurs à ceux des autres places boursières africaines ou internationales, appelaient donc une correction inévitable. L’apparition des incertitudes évoquées ci-avant a lancé ce mouvement de réajustement et créé un facteur de baisse supplémentaire.

Avec ce net repli, la BRVM fait en 2017 figure d’exception par rapport aux principaux marchés boursiers du continent, qui en compte maintenant plus de 25. En 2016, la chute des marchés financiers avait en effet été généralisée même si elle était provoquée par des raisons variées. Chute brutale des prix du pétrole, forte baisse de la naira et crise économique au Nigéria. Difficultés conjoncturelles prolongées et incertitudes politiques croissantes en Afrique du Sud. Dévaluation brutale de la monnaie et permanence de fortes tensions politiques en Egypte. Problèmes monétaires, perturbations boursières et crise bancaire au Kenya. Dévaluation monétaire et nouvelle donne politique au Ghana. L’une des rares évolutions positives avait été celle de Casablanca, avec une progression de +30% sur l’année. Bien que négative, la BRVM avait donc atteint en 2016 une performance acceptable par rapport à la moyenne des bourses africaines soumises aux fortes turbulences de leur cadre macroéconomique. Cette année au contraire, les résultats des marchés financiers se sont bien redressés sur de nombreuses places, en liaison avec l’amélioration des conjonctures. En Egypte et au Kenya par exemple, les dévaluations réalisées et leurs mesures d’accompagnement ont assaini la situation et aidé au redémarrage de l’économie. L’ajustement monétaire, les limitations d’importation, les efforts de restructuration de quelques secteurs  ont stoppé la récession au Nigéria. L’ile Maurice a su consolider les points forts de son économie et rester un territoire attractif pour les investisseurs. Les indices boursiers traduisent cet environnement plus positif ( +32% à Lagos et +59% au Caire pour les progressions les plus impressionnantes en 2017 ) et, dans bien des cas, effacent l’essentiel des pertes observées les années précédentes, et surtout en 2016. A contrario et au vu de cette revue comparative, la contraction actuelle du marché financier ouest africain apparait jusqu’ici un phénomène essentiellement boursier : elle traduit surtout une forte correction après une hausse exceptionnelle des cours, plutôt qu’une dégradation des données économiques de la zone.

Il reste que le repli est notable. A fin septembre 2017, les deux indices majeurs du marché ont perdu une bonne part des progrès accomplis depuis 2012 ; la hausse entre ces deux dates n’est plus que de 42% pour le BRVM Composite et surtout de 17% pour le BRVM 10. Suite aux baisses intervenues, les multiples de valorisation sont cependant redevenus attractifs par rapport à d’autres marchés comparables, et la bourse régionale d’Abidjan pourrait reprendre sa marche en avant si quelques conditions, très interdépendantes, sont remplies.

La première est l’amélioration continue de la liquidité par l’augmentation des transactions quotidiennes. La fixation début 2017 par le Conseil Régional de l’Epargne et de la Protection des Marchés Financiers (CREPMF) de planchers de nombre d’actions pour chaque titre en fonction du niveau de capitalisation de celui-ci va notamment dans ce sens. Sur l’année en cours, environ la moitié des sociétés cotées auront en conséquence augmenté massivement leur capital et/ou fractionné significativement la valeur unitaire de chaque titre. Le pari, non encore gagné, est à la fois de multiplier la base possible des opérations et d’amener au marché boursier une clientèle plus populaire. La BRVM examine aussi la possibilité de l’ouverture de nouveaux compartiments, réservés à des entreprises plus modestes. Elle étudie en outre avec la structure Africa-France et d’autres bourses africaines un projet de Fonds susceptible d’investir de façon importante sur quelques marchés financiers du continent. A court terme, la meilleure stimulation possible résiderait pourtant dans la dynamisation du rôle des investisseurs institutionnels et des sociétés de gestion d’actifs : leur masse financière parait seule capable d’effectuer rapidement les investissements nécessaires pour réduire la volatilité des cours et accroitre la liquidité des valeurs. Une seconde piste réside dans l’accroissement de la consistance du marché. En 2016/2017, la BRVM se sera enrichie de cinq nouvelles sociétés cotées, soit presque autant que dans les 18 ans qui ont précédé, et les émissions d’obligations d’Etat continuent avec la même régularité et la même ampleur. Des nouveautés sont apparues comme la cotation en continu et les émissions obligataires en « sukuks » de forme islamique. Pourtant, de nombreux progrès restent réalisables: le Togo et la Guinée-Bissau ne recensent encore aucune société cotée ; dans chaque pays, les principaux fleurons des entreprises locales restent toujours en dehors de la bourse ; les privatisations se font souvent à l’extérieur du marché financier ; les émissions obligataires des entreprises sont quasiment inexistantes, même de la part des sociétés déjà cotées. Les améliorations escomptées exigeront à la fois la transformation des mentalités de tous les acteurs, publics et privés, et de nouveaux efforts d’attractivité de la BRVM. Enfin, un autre pilier de la relance est celui d’une meilleure visibilité et crédibilité de la BRVM. Les nombreuses actions menées par ses Autorités pour l’établissement de partenariats régionaux et internationaux concourent depuis plusieurs années avec succès à cet objectif. La meilleure illustration en est sans doute l’intégration récente de la BRVM dans le Groupe des « Marchés frontières », qui est la reconnaissance des avancées accomplies.  Restent à poursuivre sans relâche les efforts d’innovation, un fonctionnement sans faille au quotidien, et surtout le renforcement de la liquidité et la multiplication des valeurs cotées évoquées ci-avant.

Ces mesures internes sont donc prioritaires. Pour qu’elles aient leur plein effet, il importe toutefois que les indicateurs économiques de l’espace régional restent au vert, et dans certains cas s’améliorent encore. Les grandes entreprises que vise la BRVM, auront alors des résultats en hausse et investiront davantage. Les données du premier semestre apportent un certain optimisme sur le premier point : pour les sociétés cotées les plus importantes, qui ont déjà publié leurs comptes, les bénéfices sont souvent significativement supérieurs à ceux du premier semestre 2016, ce qui pourrait soutenir les valorisations. Pour le second aspect, il faut donner à ces sociétés un environnement plus prometteur et sécurisé à moyen terme pour qu’elles intensifient leurs investissements et répondent aux défis posés dans la région. Il resterait alors à la BRVM, forte de ses nouvelles armes, de s’imposer comme un partenaire de premier plan pour le financement de cette croissance future.

Paul Derreumaux

Article publié le 18/10/2017

La résilience de la BRVM illustre celle de l’UEMOA

La résilience de la BRVM illustre celle de l’UEMOA

 

La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) d’Abidjan s’est distinguée en 2015 avec une progression globale de sa capitalisation de l’ordre de 14%. Elle a non seulement eu les meilleures performances par rapport aux marchés financiers africains mais a aussi fait mieux que la plupart des bourses mondiales qui, après un début d’année euphorique, ont connu une fin d’année difficile. Cette évolution est d’autant plus remarquable qu’elle fait suite à des progressions soutenues et ininterrompues observées depuis 2012 : en 4 ans, l’indice « BRVM composite » aura plus que doublé. Alors que l’année 2016 démarre avec une forte chute des principales bourses, que peut-on attendre pour l’Afrique de l’Ouest ?

L’une des premières chances de la BRVM est qu’elle ne compte dans ses 39 sociétés cotées aucune société pétrolière ou minière, contrairement à ses principales concurrentes du Nigéria ou du Ghana. Elle a donc évité les forts impacts négatifs de la chute des prix du pétrole sur les valeurs de ces secteurs. Au contraire, ses compagnies « phares » sont des sociétés de télécommunications et des banques, de plusieurs pays de l’Union, qui pèsent ensemble près des 2/3 de la capitalisation du marché régional. Ces activités demeurent des moteurs essentiels de la croissance en Afrique : la progression continue et la bonne santé financière des entreprises concernées soutiennent donc leurs cours et permettent de bonnes distributions de dividendes, ce qui contribue à la poussée générale des indices. La détérioration sensible en 2015 des valorisations des entreprises agricoles –hévéa et palme-, seules influencées par les cours internationaux, justifie a contrario cette analyse

Une analyse plus fine montre cependant que, à la différence des exercices précédents, la hausse de l’année 2015 a davantage été portée par d’autres secteurs et par des sociétés parfois de moindre envergure. L’indice le plus large de la BRVM a cru en effet deux fois plus vite que celui de ses « Top 10 » : 18% contre 9%. Avec une hausse sectorielle de plus de 90%, les activités commerciales ont enregistré de loin les plus belles évolutions : certaines entreprises de vente de petits et gros équipements, implantées de longue date, tout comme des sociétés de distribution pétrolière ont notamment largement attiré les investisseurs. L’industrie a également été  attrayante et une entreprise textile a été de façon surprenante la favorite de la cote avec une progression annuelle d’environ 250%. La quasi-totalité de ces sociétés est ivoirienne : leurs performances bénéficient donc à la fois d’un effet de rattrapage après les années de crise qui ont particulièrement frappé ces secteurs et de la forte croissance de ce pays en 2015.

Depuis début 2016, la BRVM n’a pas totalement résisté au mouvement général de baisse qui a saisi tous les marchés. Le recul y reste cependant pour l’instant plutôt plus contenu qu’ailleurs. Les indices se sont en effet repliés à Abidjan de 5% depuis le 1er janvier dernier contre plus de 10% en France, 16% à Lagos, 8% à Nairobi. Accra, Casablanca et Maurice  ont toutefois par exemple fait mieux. Beaucoup de titres ont été à la base de cette baisse mais quelques grandes valeurs ont été spécialement touchées. La chute boursière des pays émergents a pu en effet amener certains investisseurs étrangers à se désengager de ces investissements jugés présentement trop exotiques. Les valeurs préférées de 2015, orientées vers les secteurs de l’équipement et de la consommation, continuent en revanche à être relativement préservées.

Ces quelques données sont porteuses de leçons plus générales. En Afrique, comme ailleurs, les marchés financiers reflètent au moins partiellement la structure des économies locales. En étant peu exposée aux risques actuels des secteurs pétroliers et miniers, en s’appuyant sur la Cote d’Ivoire dont le taux de croissance élevé et les bonnes perspectives à moyen terme peuvent entrainer les pays voisins, l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) dispose pour l’instant d’atouts solides et apparait comme une des régions prometteuses du continent. Il reste à la BRVM à en profiter au mieux en accroissant au plus vite le nombre de ses valeurs, en stimulant la densité des transactions et en élargissant au maximum son public d’investisseurs.

Paul Derreumaux

Bourse Régionale de L’UEMOA : après la consolidation, le décollage ?

Bourse Régionale de l’UEMOA : après la consolidation, le décollage ?

Figurant dans la deuxième vague des créations de bourses mobilières africaines, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) est maintenant montée en puissance et se situe, par sa capitalisation, au 6ème rang des 24 bourses existantes. Elle aspire désormais à une puissance nouvelle que l’évolution actuelle de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) pourrait lui apporter.

La position encourageante de la BRVM doit beaucoup à trois principaux facteurs : l’existence d’une base de valeurs reprise de la Bourse d’Abidjan qui l’avait précédée ; le soutien très actif dont elle a bénéficié constamment des Autorités de l’Union et, surtout, de la Banque Centrale ; le caractère régional qui a élargi le cercle de ses émetteurs potentiel et de son public d’investisseurs.

Les dernières années ont été particulièrement prometteuses pour la BRVM. Certes le nombre d’actions cotées  a peu évolué par rapport à la création en 1998 et une forte rigidité continue à peser sur le fonctionnement de la bourse, ce qui en limite l’attractivité. Toutefois, la balance pèse nettement du côté des bonnes nouvelles depuis le début des années 2010, pour les investisseurs comme pour les émetteurs. Pour ces derniers, privés ou publics, le marché financier offre des possibilités accrues de trouver des ressources à moyen et long terme pour leur développement, soit sous forme d’emprunts, sur le marché obligataire, soit par des capitaux propres, sur le compartiment des actions. Même si les opérations enregistrées jusqu’ici ont été moins nombreuses qu’escompté, ceux qui sont venus sur le marché n’ont connu aucune déception puisque tous les appels au marché ont été sursouscrits, et souvent largement. Du côté privé, le Groupe Bank of Africa par exemple, en quinze ans et avec grand succès, a introduit à la cote 5 des 7 banques commerciales qu’il détient dans l’Union et celles-ci ont émis à plusieurs reprises des emprunts obligataires. De leur côté, les Etats ont fait un appel croissant au marché par des financements à moyen terme depuis les années 1996 et sont progressivement devenus l’acteur très dominant du marché obligataire. Pour les investisseurs, institutionnels ou individuels, la bourse constitue désormais une excellente opportunité de diversification des placements, notamment à moyen et long terme, et offre une rentabilité honorable, voire excellente pour certaines valeurs, en comparaison à celle des dépôts bancaires.

Les inconvénients souvent cités – cherté relative, faible liquidité des titres, poids excessif des obligations souveraines, nombre insuffisant de valeurs, modestie des organismes de placement collectif – sont réels et expliquent que le recours du secteur privé à la BRVM soit encore modéré. Toutefois, les réformes s’accomplissent progressivement : utilisation de la notation pour éviter l’apport d’une garantie pour les émissions obligataires ; cotation électronique en continu pour faciliter et multiplier les transactions ; organisation d’un calendrier régional pour les emprunts publics en vue d’éviter les télescopages de plusieurs opérations. L’évolution de 2014, qui a vu à la fois l’entrée en bourse de deux nouvelles sociétés au Sénégal, la réussite de nombreuses émissions d’Etat et une croissance d’environ 12% des indices globaux après la poussée de 38% notée en 2013, montrent que la confiance grandit et que les fondamentaux se confortent.

Comme partout, la solidité d’une bourse mobilière s’enracine en effet dans les potentialités de l’économie réelle de la zone dans laquelle elle fonctionne et dans la force des relations qui la lient à cette économie. En la matière, l’UEMOA est présentement une des régions d’Afrique les mieux placées. Les Autorités ont confirmé à plusieurs reprises l’atteinte d’un taux de croissance supérieur à 7% pour 2015, qui marque une nouvelle hausse par rapport aux rythmes croissants déjà obtenus depuis 2012. Les niveaux satisfaisants des dernières campagnes agricoles ; l’accroissement des investissements publics dans les infrastructures, en particulier routières et urbaines ; l’activité toujours soutenue des services, banques et entreprises de télécommunications en tête ; le maintien d’équilibres économiques acceptables sont les principaux éléments qui expliquent ces bons résultats globaux. Plus récemment, la chute des cours du pétrole et la hausse du dollar, monnaie de facturation des exportations agricoles et minières, ont amplifié cette embellie Même si ces deux dernières données sont provisoires, les autres composantes de l’évolution favorable devraient se poursuivre jusqu’à la fin de la décennie et permettre la pérennité de ce rythme sur cette période. Trois données joueront particulièrement en ce sens, en complément des points évoqués ci-avant: la bonne probabilité d’une stabilité politique ; le soutien des institutions internationales ; la continuité de la politique d’intégration régionale.

Pourtant, cette amélioration reste encore insuffisante par rapport aux ambitions d’émergence qui se font partout  plus présentes. Pour être réalistes, celles-ci doivent en effet retenir un taux d’accroissement  du PIB national plus élevé et sur une période plus longue, d’une part, et des transformations structurelles plus rapides et plus profondes, d’autre part. Ici encore, l’UEMOA dispose de quelques atouts importants, tels les trois exemples suivants. Le premier devrait être le moteur d’entrainement exercé par la Côte d’Ivoire sur toute la zone : l’économie ivoirienne parait en effet solidement engagée dans une spirale positive générant d’importants effets induits grâce à son poids dans l’économie régionale et à l’intensité de l’intégration économique et financière de l’Union. Le deuxième est la transformation rapide du système financier : les changements notables et positifs réalisés en quinze ans par les banques se trouveront probablement confrontés à la nouvelle donne des sociétés de télécommunications qui vont intervenir directement dans le domaine des moyens de paiement. Suite aux initiatives de quelques groupes comme Orange, l’Afrique de l’Ouest pourrait ici rejoindre des pionniers comme le Kenya et cette vraie révolution entrainera peut-être des turbulences. Elle peut toutefois être créatrice de nouveaux progrès en raison de l’accélération de la bancarisation qui va en résulter et de la possibilité pour les banques de mieux se consacrer à des activités de financement. La troisième s’observe dans les quelques projets  qui se concrétisent dans l’énergie, l’industrie ou la grande distribution, surtout en Cote d’Ivoire et au Sénégal, et pourraient en annoncer d’autres dans des secteurs qui sont restés les parents pauvres de la mutation de nos économies. Ces avancées pourraient faciliter d’autres transformations, indispensables pour l’émergence, et pour lesquelles notre Union est moins bien placée : le renforcement du secteur privé par rapport à un secteur public encore trop présent ; une meilleure prise en compte à tous les niveaux du mérite, grâce à une culture plus affirmée du résultat des actions menées ; une plus grande place à l’innovation et à la flexibilité dans les politiques suivies.

Dans cette stratégie, la BRVM peut jouer un rôle croissant en devenant un acteur de premier plan dans la mobilisation de ressources financières. Il faut pour cela que la profondeur du marché financier se développe et que l’animation de celui-ci change d’échelle. L’inventaire des sociétés cotées montre que près de la moitié des pays qui composent l’UEMOA – Mali, Niger, Togo et Guinée-Bissau- n’ont encore aucune société cotée et que, sur les 39 titres en bourse, une large majorité représente des sociétés ivoiriennes. En visant la cotation de 3 sociétés par pays –hors Guinée Bissau – sur les trois prochaines années, la BRVM densifierait fortement son actif et, avec 60 titres sur ce compartiment actions, approcherait les 66 sociétés présentes sur la bourse de Nairobi qui la précède en capitalisation. Peut-être ambitieux, cet objectif parait pourtant plausible si les Autorités nationales et régionales y apportent tout leur appui. L’élargissement des possibilités de mobilisation sur le marché des capitaux sera en outre d’autant mieux atteint que les instruments offerts au placement seront plus diversifiés. En la matière, une amélioration essentielle devrait être la multiplication des sociétés de gestion d’actifs qui réduisent le risque pour toutes les catégories de souscripteurs. Cette évolution, qui peut être encouragée à court terme, serait de nature à répondre à la forte approche patrimoniale qui marque le public francophone. Une autre piste serait la plus grande sophistication des types d’investissement offerts.  Sur ce dernier plan, la bourse de Nairobi est par exemple en cours d’implantation des opérations sur options et compte ainsi alimenter davantage le dynamisme qui caractérise son marché. L’adoption de telles initiatives dans l’Union pourrait ici densifier les transactions et accroitre l’intérêt pour les gains sur valorisation.

Dans tous les cas, une comparaison avec l’expérience chinoise fait apparaitre, toutes proportions gardées, les chances d’une amplification prochaine de la progression des cours si le développement économique se conforte. Dans l’Empire du Milieu, les nombreux investissements de « private equity » réalisés dans la décennie 1980 ont abouti, depuis le début des années 1990, à l’introduction en bourse de multiples sociétés pour faciliter la sortie des investisseurs initiaux et ont amené une croissance souvent exponentielle des cours. L’UEMOA, comme d’autres parties de l’Afrique subsaharienne, pourrait bientôt connaitre un tel point de basculement : l’afflux actuel des capitaux des fonds d’investissement appelle logiquement une forte augmentation des entrées en bourse des sociétés lors des phases ultérieures de reconfiguration des « tours de table ». Tous les acteurs auront à accomplir des efforts gigantesques d’innovation et de ténacité pour saisir au mieux cette opportunité exceptionnelle et attirer d’importants capitaux étrangers afin de compléter l’épargne locale, mais l’enjeu mérite ces efforts..

Ce résultat comporterait de nouveaux risques, notamment de plus grande volatilité des cours suivant les fluctuations de la conjoncture internationale. Mais c’est là une caractéristique des pays émergents et ce serait bien le signe qu’une nouvelle étape est franchie.

Paul Derreumaux

Le marché financier remplit-il son rôle en Afrique francophone ?

Le marché financier remplit-il son rôle en Afrique francophone ?

Trois bourses de valeurs mobilières couvrent les 14 pays de l’Afrique francophone. Celles de Douala et de Libreville, en Afrique Centrale, sont cependant quasiment virtuelles, empêtrées dans leur concurrence, leur très modeste consistance et la rareté de leurs transactions.

A l’Ouest, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) est au contraire une réalité tangible. Elle revient cependant de loin. Née en 1998 en se substituant à la Bourse des Valeurs d’Abidjan (BVA). elle visait à développer l’épargne de  long terme  pour faciliter le financement des  investissements productifs et la croissance économique de la zone. Grâce à son approche régionale, unique au monde, la BRVM éliminait aussi l’obstacle de l’étroitesse des économies nationales et des marchés financiers correspondants, et laissait espérer un niveau d’activité significatif. Les déceptions se sont d’abord accumulées Les privatisations, censées soutenir le marché dès sa mise en place, n’ont pas eu lieu ou se sont passées pour l’essentiel en dehors de la Bourse. Les coûts élevés et les lourdes exigences administratives ont peu encouragé les entreprises privées à faire appel au marché : en 15 ans, seules 8 sociétés se sont ajoutées aux 30 entreprises héritées de la BVA, et la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) est restée longtemps le principal animateur du marché obligataire. Des charges de fonctionnement excessives ont pesé dès l’origine sur le compte d’exploitation de la Bourse et généré des pertes significatives.

Ces difficultés initiales ont été effacées. Les meilleurs résultats des entreprises ont généré des dividendes en hausse et rendu les actions plus attractives pour les investisseurs. L’accroissement correspondant des activités et les économies issues de la refonte de l’organisation  ont rendu la Bourse bénéficiaire. La BRVM est devenue, derrière le système bancaire, un élément important du paysage financier de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et le sixième plus important marché financier du continent.

De nouveaux risques sont toutefois apparus. Depuis l’arrêt de leurs possibilités de refinancement auprès de la Banque Centrale, les Etats de l’Union se sont notamment tournés vers la BRVM et sont aujourd’hui, et de très loin, les principaux émetteurs en représentant près de 70% du volume des obligations côtées. Ces opérations, toutes placées facilement, assurent une réelle profondeur du marché. Elles pourraient cependant assécher celui-ci, vu leur volume en fort accroissement, et introduisent des disparités préjudiciables aux émetteurs privés, en raison des avantages fiscaux dont elles bénéficient. Elles peuvent aussi, faute de règles suffisamment contraignantes, recevoir des affectations non optimales  ou conduire à un endettement excessif des Etats : un défaut de remboursement compromettrait alors pour longtemps la crédibilité du marché. Une plus grande vigilance est donc souhaitable et la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a engagé le suivi global de ces endettements publics pour réduire les risques systémiques qu’ils pourraient provoquer.

Pour les émetteurs privés, les adoucissements intervenus en matière de coûts supportés et de garanties exigées n’ont eu pour l’instant que des effets modérés. Les titres additionnels et les augmentations de capital restent rares et l’offre demeure inférieure à une demande « boostée » par la hausse depuis deux ans de nombreuses valeurs, surtout bancaires et de télécommunications.  Cette évolution attractive, comme la rareté des choix alternatifs pour les  investisseurs institutionnels, expliquent que les émissions d’actions et d’obligations nouvelles soient toutes aisément souscrites jusqu’ici, malgré la concurrence croissante des titres d’Etat. Les instruments financiers disponibles doivent donc à l’évidence être multipliés.

Pour franchir une nouvelle étape et atteindre les ambitieux objectifs des Autorités francophones, trois évolutions semblent indispensables.

A la BRVM, il faut d’abord développer et diversifier l’offre en accroissant l’intérêt de la cotation. A cette fin, l’effort devra continuer à porter simultanément sur de nouvelles réductions des coûts d’accès, une plus grande souplesse des réglementations et une intense promotion commerciale. Des signaux positifs se manifestent :.annonce de la prochaine introduction des actions de quelques grandes sociétés, accroissement du nombre des Organismes de Placements Collectifs à Valeurs Multiples (OPCVM), amorce de titrisation de certains créances  hypothécaires. Ils restent pourtant encore modestes, alors que le recours aux emprunts obligataires ne  parait pas progresser du côté des sociétés privées. De plus, la prochaine création d’un compartiment réservé aux Petites et Moyennes Entreprises (PME) répond sans doute peu aux besoins des sociétés concernées et pourrait s’avérer décevante.

Il faut aussi renforcer au maximum la liquidité des titres du marché, par exemple en diminuant les valeurs nominales unitaires des actions, en multipliant les fonds de liquidité des titres cotés et en mettant l’accent sur l’information et la formation des acteurs et du public. C’est seulement ainsi que le comportement patrimonial actuel des épargnants pourra s’estomper, ce qui rassurerait les grands investisseurs et amènerait un fonctionnement plus proche de celui des bourses anglophones.

Enfin, il importe de combler au plus vite le vide existant en Afrique Centrale, pour doter celle-ci d’un véritable marché financier répondant aux mêmes objectifs que dans l’UEMOA. Les pistes possibles sont diverses : unification des deux bourses existantes, arrêt de l’une d’elles ; rapprochement avec la BRVM. L’impulsion aura en tous cas à être donnée par une forte volonté politique régionale, qui parait encore faire défaut.

Impulsée avec vigueur par la BCEAO il y a 15 ans, la BRVM a fait la preuve de sa viabilité et de son rôle, tant pour le financement de la croissance que pour l’intégration régionale. Elle doit maintenant, d’urgence, accélérer ses réformes structurelles pour maitriser ses faiblesses et  exploiter pleinement son potentiel. Tout ne sera pas possible à court terme : l’essentiel est d’avancer, régulièrement et toujours dans la bonne direction. 

Paul Derreumaux

Dette publique en Afrique Subsaharienne

Dette publique en Afrique Subsaharienne : attention danger ?

Dans les années 1980/2000, beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne ont subi douloureusement les effets des Plans d’Ajustement Structurel (PAS) imposés par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale. Ceux-ci visaient à combattre un triple déséquilibre structurel : celui des finances publiques, celui de la balance commerciale et celui d’un endettement extérieur insupportable. La cure d’austérité multiforme issue des PAS n’a pas été suffisante pour ramener le ratio de la dette à un niveau acceptable. Les divers créanciers des pays en développement ont donc, accepté, bon gré mal gré, des remises de dettes et supporter ainsi une partie du coût des réformes imposées aux économies africaines. Les institutions publiques bilatérales d’appui au développement, puis les prêteurs privés ont été les premiers à accepter ces restructurations négociées pays par pays à travers des structures portant respectivement les noms respectables de Club de Paris et de Club de Londres. Les grandes institutions multilatérales, regroupées autour de la Banque Mondiale, ont été beaucoup plus réticentes à consentir ce processus d’effacement partiel de leurs créances, qui mettait en cause le dogme de l’intangibilité de celles-ci. La gravité de la situation les a contraintes à cet effort, concrétisé par l’Initiative dite des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) dont ont bénéficié une bonne trentaine de pays d’Afrique Subsaharienne. Rétrospectivement, ces coûteux ajustements paraissaient justifiés de part et d’autre : pour payer le prix, selon les cas, de leurs erreurs d’analyse ou de leur avidité, du côté des prêteurs ; en raison de la gabegie ou de politiques économiques inefficaces, du côté des emprunteurs. C’est finalement chez ceux-ci que ces efforts ont laissé les traces les plus visibles : au passif, des effets sociaux au goût amer encore vivace au sein des populations, en particulier les plus défavorisées; à l’actif, une nette amélioration des équilibres macroéconomiques et une réduction drastique de la dette extérieure.

Il est aujourd’hui généralement admis que cette meilleure santé globale des finances publiques et la plus grande orthodoxie des  politiques économiques suivies ont joué un rôle clé dans la trajectoire de croissance retrouvée de l’Afrique subsaharienne depuis les années 2000. La diminution des charges des Etats à la suite de la meilleure maîtrise des dépenses de fonctionnement et de l’effacement partiel de la dette a facilité, dans la plupart des pays, le paiement à bonne date des salaires de la fonction publique, l’appréciation positive des grandes entreprises étrangères sur l’environnement des affaires de leurs implantations africaines et la reprise des investissements des Etats. La conjugaison de ces divers éléments a été appuyée par les données favorables et les transformations structurelles qui ont soutenu la croissance de quelques secteurs : mines, télécommunications, banques,..

Deux principaux facteurs ont favorisé un nouvel accroissement significatif de l’endettement.

Pour le financement national ou régional, le recours des Etats aux financements privés locaux s’est intensifié sous l’effet conjoint d’une montée en puissance de l’épargne nationale, d’un renforcement des marchés financiers et d’une modification des règles de financement des déficits publics. Dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) par exemple, le financement monétaire des Trésors Publics par la Banque Centrale, en application de l’article 16 du Traité de l’Union, qui l’autorisait tout en le contrôlant strictement, est écarté depuis 2001. Il est remplacé aujourd’hui par l’émission publique de titres financiers à court ou moyen terme. Il en découle une plus grande flexibilité des possibilités d’endettement, dans laquelle les Etats se sont engouffrés, et le poids des titres publics sur les marchés monétaire et financier a considérablement augmenté, suivant la voie tracée dans les pays d’Afrique anglophone. La création en 1998 dans l’UEMOA de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) a fourni un cadre approprié à cette expansion. Après des débuts difficiles, la BRVM a démontré la profondeur des gisements d’épargne dans la zone. Les Etats sont vite devenus les principaux émetteurs et leur part dans le compartiment obligataire est aujourd’hui très largement majoritaire, générant ainsi des risques d’assèchement du marché à des fins autres que celles pour lesquelles il avait été créé.

L’endettement extérieur, quant à lui, reprend progressivement un poids relatif croissant. L’effort considérable requis en matière d’infrastructures et d’équipements divers amène les Etats à rechercher toujours davantage de financements étrangers, qui sont d’autant plus facilement obtenus que l’Afrique fait moins peur et apparait même comme l’une des grandes terres d’avenir. L’appétit économique, la volonté d’influence et les moyens accrus des grands pays émergents apportent aux emprunteurs de nouvelles possibilités. Celles-ci sont jugées d’autant plus séduisantes que les aides à taux concessionnels des principales institutions d’appui au développement sont quantitativement limitées et accordées sous des conditions suspensives parfois excessivement exigeantes. Dans la période récente, le niveau exceptionnellement bas des taux d’intérêt de référence a également conduit les pays africains à se tourner vers le marché financier international et les prêteurs privés à rechercher sur le continent des emplois rémunérateurs. Plus de 10 pays africains sont ainsi venus sur le marché des Eurobonds jusqu’en 2013 et le mouvement continue puisque la Côte d’Ivoire place actuellement une émission de 500 millions de dollars US. Modestes à l’échelle mondiale, ces opérations ne sont pas négligeables pour la taille des économies concernées et peuvent comporter des risques de taux et de change notables pour des économies encore fragiles : la hausse des taux engagée aux Etats-Unis, et qui pourrait se poursuivre, témoigne de leur réalité. La gourmandise des prêteurs risque aussi de biaiser l’objectivité de leur analyse et d’encourager le financement par emprunt d’investissements d’utilité contestable.

Enfin, la pratique tant évoquée du Partenariat Public Privé (PPP) peut avoir des effets pernicieux. Censés reporter sur le secteur privé – étranger voire national – le financement de chantiers rentables, les projets conduits en PPP incluent souvent des clauses de garantie, financière ou non financière, qui introduisent des coûts futurs potentiels à la charge des Etats si les investissements ne se déroulent pas selon les prévisions arrêtées. Les assurances de trafic minimum données pour des infrastructures de transport ou de production exportée pour des opérations minières menées en joint-venture illustrent ces risques. Le danger est alors d’autant plus grand que les montants correspondants ne sont pas inclus dans la dette publique recensée et que celle-ci peut alors être systématiquement sous-estimée.

Ces problèmes potentiels ne signifient pas que le nouvel accroissement de l’endettement public doit être banni. L’accélération de la croissance économique est une priorité vitale et la marge de manoeuvre disponible pour la mobilisation de ressources grâce à la hausse du niveau d’endettement est donc particulièrement opportune. La marge de variation reste en outre confortable puisque le ratio Dette extérieure/Produit Intérieur Brut est généralement inférieur à 50%. En revanche, le souvenir d’un passé récent, tout autant que les difficultés actuellement rencontrées par plusieurs pays européens, doivent inciter les Etats africains comme leurs partenaires privilégiés à gérer avec attention cet effet de levier. Du côté des partenaires, les efforts doivent être intensifiés pour accroitre le volume des concours concessionnels et éviter l’accumulation abusive de conditions préalables décourageant les emprunteurs. L’enjeu considérable que représente le développement rapide de l’Afrique mérite cet adoucissement.

Du côté des Etats africains, il faut d’abord s’assurer du bien fondé de tous les investissements programmés et de la pertinence des procédures suivies et des intervenants choisis. Même les projets les plus incontestablement urgents, comme ceux qui visent le renforcement des capacités énergétiques, peuvent souvent être exécutés de diverses manières, à des coûts différents  et avec des intervenants de qualité variable. La réalisation d’un appel d’offres ne constitue d’ailleurs pas la panacée, comme le montrent les avatars rencontrés dans la réalisation du barrage de Kandadji au Niger ou dans certains travaux d’infrastructures ailleurs. Pour éviter au maximum les risques évoqués, les Autorités nationales ont donc avantage à  rester fidèles à quelques principes. Le premier est de construire une vision cohérente à long terme de l’avenir de leur pays, accompagnée d’un programme d’investissement ambitieux mais réaliste pour atteindre les objectifs fixés, et de tenir rigoureusement le cap ainsi défini sans succomber aux sirènes de certains investisseurs surtout soucieux de leurs intérêts particuliers. La capacité d’une mobilisation plus rapide et plus efficiente par les Départements ministériels des ressources obtenues serait aussi une contribution notable à l’utilisation optimale de celles-ci. La qualité de l’adéquation entre la nature des ressources drainées, d’une part, et l’objet et la rentabilité des investissements prévus, d’autre part, est une autre contrainte indispensable. Enfin, un élargissement de l’assiette des impôts et taxes et de meilleures performances dans leur recouvrement est une dernière piste pour desserrer les contraintes d’un endettement excessif.

A peine 25 ans après la fin des PAS, l’Afrique subsaharienne ne peut se permettre de retomber dans le piège d’une dette publique qui l’étranglerait à nouveau. Les challenges d’une croissance rapide, d’un développement inclusif et d’une création massive d’emplois sont en effet des incitations fortes à investir, y compris par l’endettement, mais aussi des contraintes si pressantes qu’elles interdisent à tous les Responsables le droit  à l’erreur.  

Paul Derreumaux