Brexit, Trump, France 2017 : quelques dures leçons pour l’Afrique ?
En moins de 12 mois, trois votes majeurs auront sans doute remis en question pour beaucoup d’africains le modèle de démocratie qu’ils pouvaient imaginer dans les principaux pays du Nord.. En juin dernier, la Grande-Bretagne décidait, après une campagne mensongère et meurtrière, de sortir de l’Union Européenne où elle était entrée en 1973. Dix mois plus tard, personne n’est encore vraiment capable de savoir jusqu’où mènera ce « Brexit », et les risques économiques sous-jacents du vote sont toujours d’actualité. Aux Etats-Unis en novembre dernier, l’outsider Donald Trump s’est imposé, après une bataille électorale pour le moins médiocre, grâce à des arguments souvent jugés irréalisables mais qui ont fait mouche. Six mois après, la démocratie américaine a prouvé sa capacité à bloquer les idées tourbillonnantes du nouveau Président. M. Trump n’a cependant pas renoncé à profiter du moindre espace d’action, comme le montrent la crise avec la Corée du Nord et l’annulation de l’ « Obama Care ». En France, l’élection présidentielle intervient après un quinquennat où les questions sociétales et de sécurité ont pris le pas sur des réformes économiques aux résultats médiocres. Des évènements exceptionnels ont marqué la campagne: poids inhabituel des « affaires » ; primaires dans les grands partis où les perdants n’ont pas respecté leurs engagements ; victoire d’un candidat largement mis en avant par les médias ; succès des extrémismes de droite et de gauche. Les résultats du premier tour ont donc pris de court tous les acteurs du jeu politique et amené un deuxième tour aux débats décevants et au résultat largement prévisible.
Logiquement attentive aux évènements politiques de ces trois grands partenaires du continent, l’Afrique pourrait sans doute tirer au moins trois leçons de ces nouveautés.
D’abord, le nombre et la violence des attaques personnelles, le rôle clé de l’action médiatique au profit de certains, le caractère clairement mensonger ou impossible de beaucoup de promesses ne permettront plus que ces élections constituent des modèles pour l’Afrique. L’assassinat perpétré à Londres en juin dernier a constitué un retour vers des comportements passés qu’on pouvait espérer désormais exclus. En France, la délectation avec laquelle les médias ont d’abord privilégié les déboires judiciaires de M. Fillon, le traitement inégal longtemps accordé aux divers candidats dans l’accès à la parole rappellent trop de scénarii africains logiquement critiqués. La campagne américaine avait elle-même eu en 2016 son lot d’injures réciproques et d’anomalies. La qualité des options politiques et programmes de gouvernement présentés s’en est donc trouvée moins déterminante qu’elle ne l’aurait dû en cette période cruciale. Il en résulte une conclusion majeure : dans les deux élections anglaise et américaine, les résultats ont été immédiatement contestés à travers de grandes manifestations. En France, les deux concurrents du deuxième tour représentent de même nettement moins de 50% des électeurs et le choix final pourrait soulever des débats inconnus depuis longtemps. Cette situation, qui fait penser à celle de nombreux pays africains, n’incitera pas ceux-ci à améliorer leurs pratiques.
En second lieu, un thème central de ces trois joutes électorales a été le choix entre le repli sur soi et l’ouverture sur l’extérieur – le monde entier pour les Etats-Unis, l’Europe pour la France et la Grande-Bretagne – . Même si le camp de l’ouverture a gagné en France, en raison de la connotation historique particulière du Front National, celui du repli aura considérablement progressé partout et aura vaincu dans les deux autres pays. Sa manifestation traduit une volonté de rupture avec l’ordre antérieur en raison de la gravité des souffrances et de la colère d’une large partie de la population face aux règles d’une Union Européenne fonctionnarisée ou d’une mondialisation amorale. Elle marque aussi l’incapacité des partis dominants à apporter des réponses valables et le refuge vers les extrêmes de gauche ou de droite, les solutions inattendues ou les personnalités iconoclastes pour faire valoir ces protestations. Il sera dès lors difficile pour ces Etats victimes de rebellions en leur sein de continuer, comme par le passé, à prôner les regroupements régionaux et l’intégration au monde extérieur comme remède au sous-développement et aux inégalités des pays les moins avancés. Les adversaires de ces options ne manqueront pas de s’emparer de cette fronde des pays nantis pour ralentir les progrès possibles de coopérations régionales déjà très bureaucratisées et peu performantes. Même si l’embarras et les reculs parfois déjà amorcés à Londres et Washington remettent en cause cette approche nationaliste, le mal aura été fait.
Enfin, les confrontations ont mis en exergue des espaces géographiques de plus en plus antagonistes : les grandes villes contre les petites cités et les campagnes. Les premières relèvent la tête après la crise mondiale de 2008 et leurs habitants sont, au moins pour une fraction, emportés dans les bénéfices de la compétition mondiale. De celle-ci, les secondes ne supportent surtout que les inconvénients – isolement, dégradation des services publics, chômage… – et perdent l’espoir d’être aspirées vers le haut dans leurs conditions de vie par le dynamisme des principales agglomérations. Cette dichotomie spatiale est une réalité bien plus avancée en Afrique, surtout subsaharienne. Dans celle-ci, quelques grandes zones urbaines, en rapide accroissement, tirent beaucoup plus d’avantages des croissances du Produit Intérieur Brut (PIB) et des progrès de certaines infrastructures que les zones rurales marquées par des établissements d’enseignement et de santé souvent en déshérence, des pertes continues de substance économique et un sentiment d’abandon aggravé par la montée de l’insécurité. A la différence des pays du Nord, ces régions s’expriment en outre rarement dans les élections, même si elles sont encore pour un temps les plus peuplées, et ne sont donc même pas courtisées par les dirigeants. Leur sombre tableau pourrait bien être une vision futuriste des espaces ruraux français si les tendances actuelles ne sont pas d’urgence corrigées.
Ces trois mauvais exemples amèneront-il les responsables des pays les plus avancés et les grandes organisations qu’ils dirigent à plus d’humilité et à un remaniement des discours et des actions pour les politiques de développement. Ce n’est qu’un espoir mais pas une certitude. Pourtant, alors que la croissance économique de l’Afrique a faibli et où les réformes structurelles lui sont demandées avec insistance, la prise en compte des échecs, lacunes et insuffisances vécues au Nord pour une refonte des stratégies recommandées aux pays subsahariens serait particulièrement opportune et synonyme de plus d’efficacité. Souhaitons que les nouveaux leaders de notre monde le comprennent.
Paul Derreumaux