La réforme CIMA :
une première étape aux résultats mitigés
Les Autorités de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA) avaient fixé au 31 mai 2019 la date limite pour l’atteinte du nouveau seuil de capital social de 3 milliards de FCFA -et de 2,4 milliards de FCFA de fonds propres- par toutes les compagnies d’assurance des 14 pays d’Afrique francophone relevant de leur périmètre. Neuf mois ont passé depuis cette échéance et les résultats de la première étape de ces « grandes manœuvres » capitalistiques sont encore incertaines. Un effort important a été accompli par les sociétés concernées. Pourtant plusieurs conséquences escomptées ne semblent pas être encore au rendez-vous. Surtout, l’avenir de la profession est encore obscurci par divers facteurs.
Le secteur a longtemps espéré que l’échéance donnée par la CIMA serait reportée par celle-ci, mais l’institution de tutelle a été inflexible et la limité du 31 mai s’est imposée à toutes les sociétés. A ce jour, les données définitives des augmentations de capital réalisées n’ont pas encore été officialisées, mais il semble qu’une très grande partie des quelque 180 compagnies de la zone aît réussi à respecter l’objectif fixé. Les moyens utilisés ont été variés : remplacement fréquent de la distribution de dividendes par des constitutions de réserves, apport en numéraire d’actionnaires existants, nouveaux investisseurs. Certains schémas juridiques retenus pour des recapitalisations, dont les formalités sont encore en cours, peuvent expliquer les retards dans la concrétisation de quelques augmentations et, par conséquence, dans la communication du résultat final de cette première étape. Les quelques sociétés qui n’ont pas réussi à atteindre l’objectif capitalistique imposé auront leur agrément supprimé, ou seront placées sous administration provisoire lorsque cette solution est encore envisageable à court terme.
Si cette première phase est un succès quantitatif, elle est décevante quant aux effets escomptés sur la concentration du secteur. D’abord, les augmentations de capital n’ont en effet conduit à aucun des regroupements majeurs de sociétés de dimension nationale ou régionale qui auraient nettement réduit le nombre d’acteurs totaux et par pays, et facilité l’obtention future de la rentabilité de chacun d’eux. La quasi-totalité des compagnies ont au contraire fait le choix d’une solution individuelle pour passer l’obstacle, malgré les incertitudes pouvant en résulter pour leur futur. Cette préférence n’étonne guère puisqu’elle fut observée à l’identique dans le secteur bancaire francophone lors des accroissements massifs du capital minimum décidés en 2007 et 2015, qui n’ont conduit à aucune diminution du nombre de banques. Il confirme bien la divergence d’approche avec les régions d’Afrique anglophone plus ouvertes aux rapprochements. De même, ce grand mouvement de recapitalisation n’a amené dans la zone CIMA aucun grand groupe extérieur à la zone. Une opération de croissance externe pouvait ainsi être attendue du sud-africain Sanlam, désormais aux commandes de la compagnie marocaine Saham, mais ne s’est pas produite. Au contraire, la mutation a amené le groupe germano-français Allianz à céder trois filiales de l’espace francophone au Groupe Sunu. Ce dernier consolide donc sa place aux côtés de deux autres leaders NSIA et Saham, dont l’emprise couvre le plus de pays de la CIMA. Derrière eux, le panorama reste très diversifié. Les compagnies marocaines des réseaux Atijari et BCP montent lentement en puissance grâce à une croissance intrinsèque ou quelques rachats ; Axa et Allianz demeurent les seuls groupes européens dans la région avec de solides implantations en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Cameroun et au Gabon; quelques réseaux subsahariens résistent ou s’efforcent de grandir, comme celui de Atlantique Assurance en Afrique de l’Ouest ou Activa en Afrique Centrale; la majorité des compagnies agréées demeurent toutefois des sociétés œuvrant seulement dans un seul cadre national, dans lequel elles exercent parfois aussi bien dans l’activité Vie que dans celle de l’IARD.
Trois ans après le lancement de cette recapitalisation, le secteur se retrouve donc dans une configuration imprévue : des compagnies aux fonds propres accrus mais toujours aussi nombreuses. Il en résulte que les objectifs pour lesquels cette réforme avait été décidée et qui restent d’une impérieuse actualité seront plus difficiles à relever que prévu. Ils peuvent être regroupés en deux principales catégories.
La première est celle d’une augmentation du chiffre d’affaires de chaque acteur de façon à accroître ses possibilités de rentabilité du nouveau capital investi. Celle-ci est conditionnée d’abord par la volonté et la capacité des Etats de rendre plus nombreuses les assurances obligatoires dans chaque pays, de veiller à ce que les dispositions légales en la matière soient bien suivies, mais aussi de promouvoir des sociétés qui pourraient avoir un rôle décuplé dans la mobilisation de l’épargne. Cette stratégie d’appui au secteur aurait aussi pour avantage de mieux protéger entreprises et populations contre des risques peu considérés jusqu’ici mais pouvant gravement pénaliser les individus et leurs actifs. Surtout, une seconde piste d’amélioration est entre les mains des sociétés elles-mêmes. Elles ont par exemple à se montrer plus inventives dans les domaines couverts, plus innovantes dans les polices proposées, plus souples dans les modalités de contrats offertes, plus crédibles vis-à-vis de leur clientèle grâce à des paiements plus rapides des dommages. La seule comparaison avec les progrès effectués en la matière en Afrique du Sud ou au Maroc montre le champ des possibilités existantes, souvent simples, et les impacts positifs qui en résulteraient sur les produits encaissés. Pour l’assurance vie par exemple, la multiplication de variantes pour la couverture des risques maladie, retraite et éducation constituent des gisements essentiels. Mais il faut aussi rendre plus performants et moins coûteux les circuits commerciaux. En zone CIMA, la coopération des assureurs avec d’autres réseaux plus largement implantés sur le territoire -banques, émetteurs de monnaie électronique -est toujours insuffisante. Les synergies apportées par la « bancassurance » ne sont que modestement exploitées en raison de la multiplicité des acteurs des deux secteurs et des difficultés d’imposer une discipline de travail d’une compagnie avec un seul banquier et vice-versa. Seule une alliance capitalistique des deux partenaires semble capable de forcer le mouvement : c’est la stratégie retenue par des réseaux comme NSIA, pionnier de ce choix, et Sunu, qui a emprunté le même chemin en 2018, à l’image par exemple des groupes marocains. Hors ces transformations, la croissance endogène des marchés- actuellement dans la CIMA seulement de l’ordre de 10% par an en moyenne malgré des taux de pénétration largement inférieurs à 1% – sera trop faible pour donner les augmentations de primes indispensables.
La seconde exigence est celle d’une amélioration des marges bénéficiaires des assureurs. Celle-ci doit d’abord être mise en œuvre par les compagnies elles-mêmes. Elle appelle par exemple une automatisation plus poussée des taches, apportant économies et diminution d’anomalies et de suspens. Elle requiert des tarifications mieux adaptées en évitant à la fois des sous-évaluations aux visées commerciales, qui pénalisent ensuite la viabilité des entreprises, et des surfacturations, qui découragent la clientèle. Elle impose une revue détaillée des charges de fonctionnement, des commissions, des provisions techniques nécessaires, des frais de publicité grâce à des audits sans complaisance et l’utilisation des techniques les plus modernes, pour éliminer les coûts excessifs et mieux maîtriser les exigences administratives de la profession. Vis-à-vis des partenaires, les compagnies auront aussi à éviter les retards de paiement de primes de la part de leurs agents généraux et courtiers et à faire jouer davantage la concurrence. Enfin les Etats de la zone ont un grand intérêt à adopter des politiques fiscales incitatives pour encourager à la fois assurance-vie et assurance-IARD, vecteurs efficients pour servir l’inclusion, le drainage de l’épargne et la protection des patrimoines, plutôt qu’une position de prélèvement maximal à court terme sur les revenus générés par ces activités, comme on le constate hélas dans certains pays et sur divers créneaux.
Presque tout reste donc à faire et le nouveau point de départ de ces actions est moins favorable que prévu. Outre ces défis, la pandémie du Covid-19 devrait aussi grandement perturber l’année 2020. Même si les risques issus de ce drame sanitaire, en général non couverts, n’accroitront guère directement les sinistres, les perturbations économiques qui en résulteront auront des impacts sur l’activité des compagnies. A court terme, ces effets seront négatifs : baisse de l’activité des entreprises formelles, ralentissement ou arrêt des investissements, réduction des capacités d’épargne des ménages, baisse des cours de la BRVM -environ -16% des principaux indices depuis janvier 2020-,.. A moyen terme au contraire, la crise pourrait être bénéfique avec le souci des ménages de disposer à l’avenir de produits d’assurance les couvrant mieux sur des sujets essentiels comme la santé, la perte d’emploi ou un revenu minimal de crise, et la recherche par les entreprises d’une meilleure sécurité. Le secteur aura donc à gérer des difficultés temporaires supplémentaires et ne pourra profiter des opportunités de rebond que s’il accomplit les transformations structurelles qui s’imposent de toute façon à lui.
Ces mutations devraient être menées à marche forcée puisque la seconde étape du renforcement capitalistique – nouvelle augmentation du capital minimum de 2/3- interviendra dès 2021. Si les indicateurs de fonctionnement ne se sont pas améliorés d’ici là, la mobilisation de fonds propres supplémentaires rendra encore plus difficile l’atteinte d’une rentabilité suffisante, toutes choses égales par ailleurs. Un grand mouvement de concentration serait alors, comme souhaité en 2019, le moyen privilégié de replacer le secteur sur une spirale vertueuse. Encore faut-il que tous, actionnaires et dirigeants des compagnies, Autorités de contrôle, Etats, comprennent l’urgence de la situation et prennent les mesures en conséquence. Le temps presse pour que ce changement d’état d’esprit imprègne largement la profession.
Paul Derreumaux
Article publié le 23/04/2020