Le développement des banques en Afrique passe par l’appui des autorités monétaires et des Etats
Les systèmes bancaires ont initialement été considérés par tous les Etats comme des vecteurs privilégiés d’intervention directe dans l’économie et des instruments idéaux de concrétisation dans les faits de leurs priorités. Nées avec les indépendances, les banques publiques ont donc été utilisées pour traduire en actions les grandes lignes des stratégies de développement national et, dans l’esprit des Autorités politiques, pour compenser la faiblesse des moyens financiers et du savoir-faire technique des intérêts privés locaux.
Ces institutions étatiques ont d’abord eu des objectifs affichés de banque de développement et ont concentré leur activité vers le financement des investissements, souvent au bénéfice d’entreprises elles-mêmes publiques. Généralistes la plupart du temps, parfois centrées sur des cibles jugées prioritaires mais peu attractives pour les investisseurs privés comme l’agriculture ou l’habitat, elles furent puissamment dotées en capital et en ressources de prêt, grâce à l’appui des institutions internationales d’appui au développement. Ces atouts initiaux ont soutenu une expansion notable de ces établissements qui devinrent, dans les économies des années 1970, le seul contrepoids aux filiales de banques étrangères –françaises ou anglaises selon les régions-, focalisées sur les financements à court terme des grandes sociétés internationales.
Dans la période 1970/1990, l’Afrique s’enfonce dans une sombre période de difficultés économiques. La chute des cours des matières premières, la détérioration des finances publiques dans de nombreux Etats, les erreurs stratégiques de grandes institutions internationales qui « appuient » l’Afrique vont se combiner pour entrainer une crise systémique, spécialement violente dans les pays de la zone franc. Les Plans d’Ajustement Structurels (PAS) en seront une traduction douloureuse pour bon nombre de nations et de leurs populations. Avec ces PAS, l’effacement d’une part importante de la dette publique extérieure sera un des principaux vecteurs d’ajustement et de remise en ordre, auquel s’ajoutera pour les pays francophones la dévaluation du FCFA en janvier 1994.
Les systèmes bancaires sont une des premières victimes sectorielles de ce cataclysme économique, et connaissent une crise qui fait penser à celles des banques américaines et européennes en 2008 : solvabilité et liquidité sont en danger pour beaucoup d’entre elles. Pour les banques d’Etat, aux problèmes issus de l’environnement économique s’ajoute une gestion souvent catastrophique issue de plusieurs causes : interventionnisme inapproprié des pouvoirs publics, mauvaise qualité des portefeuilles de crédit, coûts de fonctionnement dispendieux, évolution mal conçue vers des activités de banques commerciales. A la différence des banques étrangères, touchées aussi par la crise, les Etats n’ont pas les moyens pour recapitaliser leurs institutions. En une décennie, la plupart des banques nationales publiques vont donc disparaitre, sonnant le glas des interventions directes des Etats. Au début des années 1990, ceux-ci n’auront plus que deux moyens d’actions : laisser aux Banques Centrales le pouvoir de définir une réglementation fiable et un contrôle efficace sur des systèmes bancaires qui se reconstruisent ; mettre en place un environnement favorable au bon fonctionnement des acteurs bancaires qui restent sur le terrain..
L’instauration, dans la quasi-totalité des pays africains, d’Autorités monétaires indépendantes et crédibles a été une des caractéristiques importantes des 25 dernières années et un soutien essentiel au développement de systèmes bancaires sains et performants sur la période. Certes, les évolutions s’effectuent à des rythmes variables selon les pays et l’Afrique anglophone garde pour l’instant une longueur d’avance. Tous les pays progressent cependant dans une même direction corrélée à celle des instances mondiales de supervision monétaire, qui se traduit à deux niveaux.
Le premier est celui d’un durcissement régulier des exigences requises des banques commerciales. Le niveau de capital minimum pour l’obtention d’un agrément bancaire en est l’illustration la mieux connue. Ce montant va partout augmenter considérablement. Le cas du Nigéria, où ces fonds propres sont portés en 2005 à la contrevaleur de 200 millions de USD– contre 6 millions de USD en France- est extrême. Mais la tendance s’observe partout : dans l’UEMOA, ce minimum aura été multiplié par 10, à 15 millions d’EUR, entre 2007 et 2017; au Ghana, il approche maintenant 50 millions d’USD ; en Algérie il est de 125 millions d’USD. Ce capital n’est cependant pas le seul critère fixé. Une batterie de ratios complémentaires le complète dans chaque zone monétaire. Les normes sont variables, mais les principales conditions visent la solvabilité des établissements, leur liquidité et la structure de leurs bilans. Parfois, comme au Kenya, le niveau d’exigence est particulièrement élevé et peut se révéler plus efficace que le capital minimum pour imposer aux banques des fonds propres solides. Le second niveau est celui du renforcement, ou de la création, de corps d’inspection chargés d’un suivi rapproché de la bonne application de ces ratios et de l’octroi de sanctions aux banques qui ne s’y plieraient pas. Dans les deux composantes de la zone franc, l’installation en 1990 de Commissions Bancaires régionales, indépendantes des Etats, va bouleverser le paysage et sera sans doute une des meilleures protections des nouvelles banques africaines contre les dérives qui auraient pu les emporter.
Dans les années à venir, ces évolutions réglementaires se poursuivront dans la même direction et devraient comporter au moins trois priorités. La première est l’arrimage dans les meilleurs délais de tous les pays africains aux dernières règles internationales. L’avance se fait jusqu’ici en ordre dispersé : le Maroc se prépare à Bâle III, l’Afrique de l’Est met en place les normes de Bâle II tandis que l’Afrique francophone en est toujours à Bale I. L’harmonisation « vers le haut » est une condition sine qua non pour que le rattrapage que réalisent les systèmes bancaires par rapport aux pays du Nord s’accompagne d’un rapprochement analogue des dispositifs prudentiels. En même temps, il importe que les Autorités monétaires, malgré la diversité de leurs histoires et de leurs priorités, puissent concevoir une palette efficace et la plus commune possible de ratios réglementaires. Les échanges désormais réguliers entre Institutions de Contrôle devraient faciliter cette harmonisation en s’inspirant des meilleures pratiques en vigueur et de l’impact de chaque norme sur la gestion des banques. Enfin, la place prépondérante tenue désormais par des groupes transfrontaliers impose une surveillance conjointe effectuée par les instances de contrôle du pays de la société mère et de ceux des filiales : entamée récemment, cette procédure devrait s’étendre rapidement.
Il reste aux Etats eux-mêmes la responsabilité d’instaurer ou de stimuler un environnement propice à une croissance saine et utile des systèmes financiers. Leur action est ici attendue à plusieurs niveaux. Dans la bataille pour un accroissement rapide de la bancarisation des ménages, les pouvoirs publics ont à jouer un rôle incitatif en encourageant par tous moyens possibles les circuits bancaires pour les paiements de salaires ou de factures, la multiplication d’agences hors des principales villes et leur sécurité de fonctionnement. Ils peuvent aussi favoriser l’émergence de nouveaux moyens de paiement et des institutions qui les promeuvent, pour l’insertion dans les circuits économiques des populations non bancarisées.
Une participation plus forte des banques au financement des entreprises et de leurs investissements est aussi une requête constante et logique des Autorités politiques. Les canaux utilisables à cette fin sont multiples. L’un d’eux est celui de la fiscalité : en allégeant la fiscalité sur les emprunts, le recours à ceux-ci sera plus abordable pour les sociétés, et notamment les plus modestes d’entre elles. Il serait aussi utile de développer, en partenariat avec les partenaires financiers internationaux, les structures prenant en charge une partie du risque en capital ou des coûts d’intérêt liés aux opérations d’investissement des petites et moyennes entreprises. Les projets de ce type se sont certes multipliés ces dernières années mais leur efficacité est souvent réduite en raison de leur gestion administrative et de leurs moyens financiers limités. Ces modalités de partage du risque sur les dossiers les plus fragiles sont pourtant un élément essentiel pour stimuler les initiatives bancaires et appuyer la transformation en profondeur des systèmes économiques subsahariens par l’intensification du tissu d’entreprises nationales. Les Etats se doivent également de faciliter les évolutions des systèmes bancaires pour une présence dans des domaines longtemps écartés, comme celui notamment du financement de l’habitat, en encourageant à la fois la constitution d’une épargne longue et une réduction des taux d’intérêt. Enfin, les Etats peuvent aussi contribuer à l’essor du crédit en améliorant l’environnement juridique dans lequel travaillent les institutions bancaires. Formulée de longue date en toutes occasions par les banques, cette requête connait peu de progrès dans les faits. L’espoir apporté par exemple par l’OHADA en zone francophone n’a guère accru la qualité et la rapidité du fonctionnement de la justice. L’impact d’une transformation positive serait cependant fondamental sur le coût du risque, qui demeure très élevé dans tous les pays, et décisif pour l’abaissement des taux d’intérêt auquel aspirent à la fois tous les agents économiques et les pouvoirs publics.
Enfin, les Etats peuvent accroitre le recours aux banques pour le financement de leurs besoins budgétaires. Ce mode de fonctionnement est depuis longtemps largement utilisé en zone anglophone avec les Treasury Bills et les Treasury Bonds. Introduite dans les deux zones francophones depuis la fin des années 1990, cette approche y reste encore une procédure d’appoint et pourrait être intensifiée. Un tel changement renforcerait les instruments de politique monétaire et augmenterait les emplois sains des banques, si les Etats gardent une bonne maîtrise de leur endettement.
Partenaires au quotidien, banques, institutions monétaires et Etats ont des contraintes et des objectifs distincts. Chacun de ces acteurs a pourtant un intérêt primordial à ce que les deux autres soient forts dès lors qu’ils jouent pleinement leur mission. C’est leur meilleure protection contre tous les périls qui les menacent et les défis qu’ils ont tous à relever.
Cet article sera inclus dans l’ouvrage collectif « Banque et Finance en Afrique », qui sera publié début 2016, par le Club des Dirigeants de Banques en Afrique Francophone en collaboration avec les éditions Revue Banque
Paul Derreumaux
Bonjour très cher aîné. Grande est ma joie de vous retrouver ici. Jai parcouru minitieusement tous vos articles. Vous demeurez une personne resource, un eclaireur pour la jeunesse consciente que j’appartiens. Longue vie a vous mon papa .
Bien a vous.
BABA Olivier
Employe de banque.
BENIN