FCFA en Afrique de l’Ouest : éléments de réflexion

II : Les voies possibles et leurs contraintes.

Les récentes revendications de « souveraineté monétaire » dans les pays sahéliens n’ont rien d’illégitime ou d’impossible. Les changements enclenchés en 2019 dans l’UEMOA allaient d’ailleurs en ce sens, modestement et de manière collégiale, mais n’ont pas encore été menés à terme. De nombreuses nations en Afrique, ou ailleurs, ont choisi une monnaie nationale flexible par rapport aux autres devises et en assument quotidiennement les conséquences, positives ou négatives. Pour apprécier la pertinence d’une option par rapport aux autres, il est cependant indispensable de retenir que quelques contraintes s’imposeront dans tous les cas.

La première est que les spécificités de la monnaie choisie ne sont jamais le seul déterminant de la réussite ou de l’échec économique d‘un pays. Ses données « réelles » – richesses naturelles, typologie du système économique local et puissance des entreprises, pertinence de la politique économique et de la gouvernance publique, qualité de la formation des populations, force d’innovation, ..- sont des déterminants au moins aussi importants que la variable monétaire pour expliquer un bon ou mauvais taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB), comme une diminution ou une stagnation de la pauvreté. En revanche, les données « monétaires » peuvent faciliter ou pénaliser les financements, publics comme privés, dans le pays, et donc « booster » ou freiner sa croissance. Le Ghana, le Kenya et le Zimbabwe ont par exemple tous une monnaie nationale mais ne progressent pas au même rythme. Il en est de même des deux parties de la zone franc qui ont pourtant une monnaie analogue et soumise aux mêmes règles. De plus, l’adéquation d’une monnaie et de ses caractéristiques à son environnement peut varier avec le temps en fonction notamment du degré de compétitivité de l’économie nationale, ou du contenu et des directions des flux commerciaux : ses caractéristiques n’ont pas vocation à être permanentes et aucune monnaie n’est « parfaite ».

Une seconde contrainte est que le fonctionnement optimal d’une monnaie, quelle qu’elle soit, exige de la part de l’Etat et des responsables de la politique monétaire et économique des actions soutenues et durables pour tenir le cap fixé. Clarté des objectifs, discipline vis-à-vis des engagements pris, contrôle régulier des évolutions et correction des déviances, maîtrise technique par les responsables et qualité de leur organisation, respect des partenariats financiers extérieurs, limitation dans le temps et dans l’ampleur des déséquilibres et des déficits, doivent être appliqués simultanément. En résumé, il convient d’accorder aux questions économiques une attention et une priorité suffisantes pour faire accepter par tous la discipline requise pour le succès des chantiers ouverts. En la matière, une monnaie commune à plusieurs Etats peut permettre une mise en commun des efforts individuels pour un même objectif de défense de la monnaie et une réduction des risques pour chacun si cette solidarité est permanente et suffisamment équilibrée. A contrario, ce scénario est plus pertinent lorsque les nations sont assez homogènes par leurs puissances démographique et économique, mais aussi suffisamment diversifiées par la structure de leurs activités.

De ces exigences découle une troisième donnée : le besoin permanent de la confiance de tous les partenaires étrangers, politiques comme économiques. C’est la condition sine qua non pour éviter au maximum les effets spéculatifs qui viendraient se greffer sur les facteurs de variation des cours de change découlant directement des échanges de biens et services, et qui aggraveraient les risques de détérioration de la valeur de la devise du pays. Ainsi le FCFA est parfois utilisé dans la période présente comme monnaie d’échange et d’épargne dans les pays voisins de l’UEMOA, en raison de sa plus grande solidité actuelle par rapport à celle de leurs monnaies respectives. Cette confiance se nourrit patiemment de la transparence des actions menées, de la véracité des données communiquées et de la pertinence des comportements des dirigeants. Elle assure le soutien des financiers extérieurs et des alliés en cas de difficultés temporaires et d’attaques monétaires délibérées. Elle se détruit en revanche rapidement par suite des erreurs commises, de la fragilité des politiques conduites ou d’anomalies vites décelées par les analystes. 

Dès lors que ces conditions sont respectées, toutes les options sont envisageables en matière monétaire, en Afrique de l’Ouest comme ailleurs, même si certaines sont plus difficiles que d’autres. Elles se font logiquement en deux étapes. La première est celle du choix par le pays de l’isolement ou de l’association, et, dans le second cas, de l’identité des partenaires prévus. Il relève nécessairement de la responsabilité des plus hautes Autorités nationales et, soixante ans après les indépendances en Afrique subsaharienne, il est souhaitable qu’il soit fait en dehors des influences extérieures. Le choix doit en effet être guidé avant tout par les intérêts, les forces et les faiblesses à moyen et long terme de l’économie locale et la recherche de la meilleure manière dont les caractéristiques du système monétaire adopté peuvent servir ces intérêts. Une fois la décision prise, l’engagement de l’Etat au profit du projet retenu aura à être total, permanent et publiquement affirmé, même si, en cas d’association entre pays, des désaccords momentanés apparaissent sur d’autres plans. L’Union Européenne a montré à diverses reprises sa capacité à résister à des tensions entre membres pour la préservation de sa monnaie commune. L’East African Community (AEC) s’efforce de faire de même pour poursuivre le développement de sa zone. La seconde étape est au contraire avant tout technique et doit être menée dans un cadre de sérénité et de discrétion maximale compte tenu du caractère sensible des questions en jeu. Cette phase prend obligatoirement du temps par suite des nombreux aspects complexes à régler -indépendance ; missions et modalités de travail de la Banque Centrale ; parité flexible ou non de l’unité monétaire ; base de référence de la valeur de la monnaie ; mécanismes de solidarité entre nations en cas d’association ; ….. Il est seulement essentiel que les délais annoncés soient tenus et suffisamment courts pour ne pas alimenter inquiétudes et spéculations et pour donner au projet la crédibilité optimale.  

Si on admet la réalité des contraintes ci-avant, les questionnements entendus depuis un an sur le FCFA semblent placer la zone à l’orée de la première étape. Il reviendrait maintenant à chaque pays de se prononcer après avoir pris en considération les avantages et les inconvénients de l’expérience passée, et la part des questions monétaires dans les succès et échecs constatés, d’une part, et avoir analysé comment l’option pour l’avenir peut favoriser le développement futur du pays et la prospérité de toute sa population, notamment en assurant le financement de toutes les actions à mener, d’autre part. Le choix à opérer par rapport au système actuel – substitution, révision, statuquo, choix individuel ou collectif,.. – est stratégique, et engage le pays et ses citoyens pour une longue période. Mais c’est le lourd privilège des Autorités politiques que d’assumer cette responsabilité et de veiller ensuite à se conformer aux contraintes qu’elle impose.

Paul Derreumaux

Publié le 29/07/2024

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