FCFA Afrique de l’Ouest : éléments de réflexion

I- La nouvelle donne

L’année 2019 avait été marquée par d’étonnantes nouvelles pour les questions monétaires en Afrique de l’Ouest. En juin, la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) prenait par surprise analystes et médias pour annoncer pour l’année 2020 la création effective d’une monnaie commune, l’ECO, dans cet espace de près de 400 millions d’habitants. En décembre de la même année, les Présidents de Côte d’Ivoire et de France surprenaient encore davantage en déclarant ensemble pour l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) la fin du FCFA « ancienne formule » et une évolution rapide de l’Union vers une monnaie commune plus indépendante.

Ces transformations soudaines, presque révolutionnaires après tant d‘échéances de changement reportées et de critiques subies, n’ont hélas pas été entièrement concrétisées depuis lors. La paralysie née du Covid-19 justifiait certes des retards importants, mais peut difficilement expliquer que, à mi-2024, on reste sans nouvelle de ces mutations décisives. Le silence de l’UEMOA et l’information récente de la CEDAO d’un nouveau décalage dans les travaux conduits sur ces questions monétaires font craindre légitimement que des changements promis ne sont pas prêts à être mis en oeuvre. Difficultés inattendues, renoncement à la mutation, blocages divers ? Un lourd silence a pesé depuis 2020 sur le report des engagements pris et les éventuels nouveaux délais envisageables.  

Dans l’intervalle, l’Afrique de l’Ouest a été secouée par des changements politiques essentiels. Des coups d’Etat ont eu lieu dans quatre pays de la CEDEAO – Guinée, Mali, Burkina Faso et Niger, les trois derniers étant aussi membres de l’UEMOA-. Il en est résulté au moins deux conséquences essentielles dans les deux Unions régionales touchées par ces évènements. D’abord, la condamnation de ces évènements inconstitutionnels, assortie souvent de sanctions économiques et politiques à l’encontre des pays concernés, a profondément détérioré les relations internes à ces regroupements de pays, pourtant constitués de longue date : 30 ans pour l’UEMOA (et 61 ans pour sa devancière l’UMOA), 50 ans en 2025 pour la CEDEAO. Pour cette dernière, la décision unilatérale de sortie prise en janvier 2024 par trois pays -Burkina Faso, Mali, Niger- et les reports des échéances convenues pour le retour à des régimes constitutionnels confirment l’ampleur inédite de la crise régionale. En second lieu, face à ces tensions avec leurs voisins et une partie de la « communauté internationale », les pays ayant connu des coups d’Etat ont mis au premier plan le critère de la souveraineté nationale comme centre de gravité de leurs stratégies sécuritaire, politique et économique : la monnaie est apparue dès 2023 comme un aspect essentiel, voire prioritaire, de la reconquête de cette souveraineté. La récente constitution de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) traduit cette détermination.

Ainsi, après quelque quatre années d’accalmie, le Franc CFA est à nouveau l’objet de remises en question, sans d’ailleurs qu’une référence soit faite aux décisions communautaires de 2019, aux mutations déjà réalisées- – en particulier fin de l’obligation de constitution de dépôts auprès du Trésor français à hauteur de 50% des réserves en devises de l’Union, et suppression du « compte d’opérations » lié à cette contrainte- ou à celles en attente  Les problèmes posés diffèrent cette fois de ceux évoqués dans la période 2005/2019 sur quatre principaux plans.

En premier lieu, la volonté de changement est désormais plus politique qu’économique. Il est difficile de reprocher aujourd’hui au FCFA d’être un frein au développement alors que l’UEMOA est une des régions subsahariennes où le Produit Intérieur Brut (PIB) progresse le plus depuis plus d’une décennie, que cette avancée touche, avec une force voisine, tous les pays de l’Union, et que la monnaie commune n’a pas empêché de grandes transformations structurelles dans certains Etats de la zone. De plus, dans plusieurs circonstances, des innovations de la Banque Centrale de l’Union ont montré sa capacité à appuyer l’action des Etats face à des difficultés exceptionnelles, comme l’émission de Bons Covid en 2020 ou des rachats de dette publique plus récemment Les « attaques » techniques sont d’ailleurs rarement remises en avant aujourd’hui. En revanche, la dépendance du FCFA par rapport à l’EUR et à la France constitue désormais la critique fondamentale. Il est vrai qu’aucune information n’est disponible sur l’avancée des autres mutations requises en direction de cette autonomie– et notamment le remplacement de la référence à l’EUR par celle à un « panier de monnaies » et la mise en œuvre d’une politique monétaire plus déliée de celle de l’EUR.

En outre, dans le passé, la contestation concernait le FCFA et ses handicaps économiques, et non l’UEMOA, dont la mise en synergie des forces et ambitions de huit nations était au contraire généralement considérée comme un atout essentiel pour le développement économique. En 2024, au contraire, la critique de la monnaie commune s’accompagne souvent de celle de l’Union telle qu’elle se présente actuellement. Il en résulte la formulation d’hypothèses multiples pour la sortie de crise : création par les éventuels Etats « partants » d’une monnaie commune ou d’une monnaie nationale pour chacun d’eux ; maintien du FCFA, réformé ou non, pour les Etats « restants » ; statu quo ; retour généralisé à des monnaies nationales.

Par ailleurs, aucun pays de l’Afrique centrale francophone ne semble emboiter jusqu’ici le pas à cette nouvelle fronde, alors que le FCFA avait aussi souvent été contesté dans le passé sur ce périmètre. Une réforme en Afrique de l’Ouest, telle qu’engagée en 2019 ou sous une autre forme, pourrait donc mettre fin définitivement à la gémellité des deux zones monétaires francophones.

Surtout, la critique est exprimée par les Autorités de certains pays, et non plus par des opposants politiques ou économiques aux pouvoirs en place. Or, celles-ci ont à tout moment le pouvoir d’engager la modification des conditions d’émission et de gestion de leur monnaie nationale. La probabilité de transformations effectives s’en trouve ainsi renforcée.

Face à cette situation inédite, les solutions possibles sont variées mais, pour réussir, seront soumises à plusieurs contraintes (A suivre… le 29 juillet)

Paul Derreumaux

Article publié le 22/07/2024

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