Le suspense a pris fin à 10 heures 30 GMT ce 6 novembre. Avec déjà 277 « grands électeurs » favorables, contre 270 requis, Donald Trump emportait l’élection de novembre, devenant le 47ème Président des États-Unis d’Amérique. L’incertitude aura été plus brève que pour Joe Biden en 2020 où il avait fallu attendre plusieurs jours pour connaître le sort des urnes. Peut-être cette avance confortable explique-t-elle que les félicitations à M. Trump de ses pairs ont afflué avant même que la majorité lui soit acquise. Si cela est compréhensible de la part de certains peu soucieux de formalisme, l’empressement des dirigeants de grands espaces démocratiques -Inde, Union Européenne, Allemagne, France- est plus étonnant. Serait-ce la peur de s’exprimer en dernier vis-à-vis d’une personnalité facilement irascible et revancharde ?
Le débat entre les deux candidats s’est appuyé sur quelques idées-forces. Mme Harris défendait des valeurs sociales progressistes, en particulier au profit des femmes, et a été très vague, voire silencieuse, sur son projet économique. M. Trump a repris des thèmes de 2016 : conservatisme maximal aux plan social et religieux ; défense des intérêts des populations défavorisées et baisses d’impôts pour l’économie. Tous deux étaient protectionnistes, anti-immigration et isolationnistes au plan international, la première avec diplomatie, le second avec brutalité. Après coup, il apparait que les choix suivants l’ont emporté. D’abord, une nette priorité accordée aux questions économiques nationales, à deux niveaux ; lutte contre le déclassement, le chômage, la main d’œuvre étrangère pour les classes populaires ; baisses d’impôts et ultralibéralisme pour les « possédants ». Le bond du Dow Jones et du Nasdaq – respectivement +3,0% et +3,6% dès le 6 novembre- montre combien les bourses apprécient le résultat. Ensuite, une victoire des valeurs traditionnelles – surtout hors des grandes villes mais pas seulement, et y compris chez les immigrés- sur les orientations morales défendues d’abord par les urbains et les jeunes. Enfin, le peu d’importance accordé aux outrances, incohérences et promesses fantaisistes du vainqueur pour la désignation de celui qui incarnerait leur pays pendant 4 ans. Resteront deux questions importantes mais sans réponse : les Démocrates ont-ils bien choisi leur candidat ? Les Etats-Unis étaient-ils prêts à élire une femme ?
Disposant d’une marge de manœuvre plus grande qu’en 2016 – large majorité des voix, victoire au Sénat -, le Président élu s’efforcera d’appliquer au plus vite ses idées, aux États-Unis comme vis-à-vis du monde. Même avec la versatilité du personnage et les obstacles avec lesquels il devra composer, des changements sont à attendre sur au moins trois sujets. A l’intérieur, la concrétisation du slogan « MAGA » (Make America Great Again) est l’objectif central. Trump bénéficie ici d’un «alignement de planètes» : croissance soutenue, inflation maîtrisée, performances excellentes dans l’innovation et la productivité. Il va lui faciliter la mise en œuvre de baisses d’impôts et de taux d’intérêt, de hausse des droits de douane, de réduction des prix de l’énergie. Mais cette politique peut relancer l’inflation, notamment si des mesures drastiques anti-immigratoires augmentent les tensions sur l’emploi ou ralentissent la production, et faire baisser à l’excès le dollar. Ceci exigerait des mesures correctrices très pointillistes pour stopper ces dérapages sans casser la croissance, comme M. Powell a su le faire en 2023, Il n’est pas sûr que M. Trump accepterait facilement cette remise en cause. D’autres incertitudes pourraient apparaitre : l’annulation ou l’amendement de « l’Inflation Reduction Act » provoquerait l’arrêt de programmes créateurs de nombreuses industries dans des secteurs clés pour l’avenir et pénaliserait la croissance et l’emploi ; en matière financière, un ultralibéralisme favorable à l’essor du « shadow banking » ou des cryptomonnaies dans un système déjà peu contrôlable accroitrait les risques de crise financière, que les États-Unis ont déjà connue.
Vis-à-vis des grandes puissances étrangères, les évolutions sont plus incertaines puisqu’elles dépendront aussi des réactions des interlocuteurs. On peut cependant s’attendre à ce que les positions de Trump soient immédiatement antinomiques à celles de la Chine, qui cherche à la fois à soutenir son économie, et donc ses exportations, et à devenir une seconde superpuissance. Les champs de confrontation seront à la fois économiques – guerre de monnaies et de taxes- et politiques, pour le cas de Taipeh. L’Union Européenne va être aussi dans une situation difficile. Elle est affaiblie économiquement (croissance insignifiante en 2024 et 2025 ; manque structurel de productivité et de compétitivité souligné par le Rapport Draghi) et politiquement (pouvoirs de l’exécutif très restreints en France, coalition gouvernementale défaite ce 6 novembre en Allemagne). Les relations de ses membres envers les États-Unis sont variées, pilotées selon les cas par des facteurs économiques ou politiques. Elle va devoir affronter le Président Trump sur le niveau du soutien apporté à l’Ukraine, voire sur une paix avec la Russie acquise au prix fort, mais aussi sur les règles de compétition économique avec les États-Unis. Ces tensions vraisemblables, attendues par beaucoup, pourraient être bénéfiques pour que la « Vieille Europe » mobilise ses énergies humaines, financières, techniques au service d’un grand dessein politique et économique pour son futur, comme réalisé en d’autres occasions. Mais il lui faudrait une détermination et une solidarité plus fortes que celles qu’elle possède présentement.
En Afrique, États et populations ont probablement suivi les élections américaines avec plus de détachement qu’ailleurs. Le continent n’a été la préoccupation des États-Unis, y compris sous la Présidence de Barack Obama, que pour quelques pays et secteurs clés, et non dans son ensemble au vu de ses 1,4 milliards d’habitants et de ses besoins de développement. Donald Trump n’y est jamais venu durant son premier mandat. L’impact des futures orientations américaines sera cependant notable à travers divers canaux : situation de l’Ukraine, relance de la production pétrolière aux États-Unis, exemple donné pour les freins à l’immigration, désintérêt pour la lutte mondiale contre le dérèglement climatique, … Deux évolutions pourraient en résulter pour les pays africains : la tentation de se tourner davantage vers les perspectives offertes par le « Sud Global » ; la prise de conscience que, plus que jamais, la résolution des problèmes existants viendra d’eux-mêmes et de leur capacité à construire un avenir économique cohérent de leurs nations. La première est probable ; la seconde pourra difficilement être suivie par tous.
Comme prévu, l’impact mondial de l’élection américaine est inévitable. A l’intérieur des États-Unis comme à l’étranger, les effets dépendront de la façon dont le nouveau Président cherche à appliquer ses idées en tenant compte ou non de ceux qui ne l’ont pas élu ou qui ne dépendent pas de son autorité. Plus puissant et mieux préparé qu’en 2016, M. Trump saura-t-il inclure une dose de pragmatisme, de diplomatie et de vision à long terme dans ses actions, qui s’impose aux Hommes d’État, et impulser alors des changements profitables. S’il veut au contraire être le « dictateur » qu’il annonce, il ne peut s’attendre à ce que ses opposants acceptent ses diktats sans broncher. La paix, qu’il appelle par ailleurs de ses vœux, risque alors de ne pas être au rendez-vous et la démocratie américaine d’être en sérieuse difficulté.
Paul Derreumaux
Article publié le 08/11/2024