Enfin le «Big Bang» des assurances en zone CIMA?

Enfin le « Big Bang » des assurances en zone CIMA ?

 

Face aux progrès rapides et aux profondes transformations de la banque subsaharienne des trente dernières années, le secteur des assurances, qu’il s’agisse des activités vie ou des branches non-vie (IARD), continue à jouer les seconds rôles dans le système financier d’Afrique francophone. Certes, quelques groupes régionaux se sont constitués les dix dernières années et sont devenus des acteurs prédominants du marché. Ils n‘ont toutefois pas conduit à la croissance exponentielle que tous attendaient. Les 14 pays regroupés dans la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA) restent caractérisés par un taux de pénétration très faible tant en valeur absolue (0,27% du produit Intérieur Brut (PIB) pour la vie et 0,65% pour la non-vie en 2014) que par comparaison à d’autres zones : respectivement de 1,1% et 2,1% au Maroc, et 4,2% et 2,7% en Europe par exemple.

De nouveaux atouts s’étaient pourtant ajoutés à l’existence d’un vaste espace aux règles uniformes, embrassant 14 pays (fait sans doute unique au monde) et quelque 150 millions d’habitants. De vrais assainissements ont en effet été introduits ces dernières années : doublement du capital social minimum en 2012 ;  comptabilisation en produits des seules primes encaissées et non des primes émises; accélération de l’indemnisation des sinistres ; exigence nouvelle pour chaque compagnie de scinder  les opérations vie et non-vie en deux entités juridiquement distinctes. De plus, le retour à une croissance économique soutenue et l’augmentation des revenus moyens par tête dans toute la zone étaient aussi des éléments favorables à une relance du secteur. Deux principales raisons expliquent sans doute la déception : d’un côté, la persistance d’un nombre trop élevé de petites compagnies insuffisamment capitalisées et peu structurées ; de l’autre, l’inadaptation des produits offerts et de leur distribution par rapport aux besoins du public.

La CIMA  a frappé en 2016 un grand coup sur le premier plan en imposant une multiplication par 5 du capital minimum à une échéance de 5 ans, avec une étape intermédiaire d’un triplement dans les 3 ans. Pour les entreprises d’assurance actuellement présentes dans la zone CIMA, ce diktat est un coup dur : la plupart des compagnies sont en effet loin du compte et leurs capacités de recapitalisation pour atteindre l’objectif souvent incertaines. La société de Conseil en assurances, Finactu, a conduit en octobre 2016, sur un échantillon de 131 sociétés implantées dans les 11 principaux pays, une analyse détaillée sur les effets à terme de cette mesure, mais aussi sur les risques auxquels conduit celle-ci.

La démonstration effectuée est mathématiquement sans appel. Elle part d’une hypothèse simple mais logique: les actionnaires, anciens ou nouveaux, n’accepteront d’investir que si la profitabilité nette des compagnies atteint au moins 15% du capital. Sur cette base, et compte tenu du nouveau capital minimum imposé et de la rentabilité moyenne observée des sociétés  (8% pour la branche non-vie et 4% pour la branche vie sur la période récente), le nombre de sociétés qui n’ont pas le résultat net ou le chiffre d’affaires annuels suffisants pour la rémunération minimale escomptée par les actionnaires a été recensé. Dans le secteur vie, 38 des 45 entreprises existantes ne satisfont pas à l’une ou l’autre des deux contraintes fixées. Ce nombre est de 54 pour les 86 entreprises de la branche non-vie. De plus, le capital social supplémentaire nécessaire aux 125 sociétés de l’échantillon qui disposent présentement d’un capital inférieur aux 5 milliards de FCFA prévus dépasserait 400 milliards de FCFA, soit 45% du chiffre d’affaires total des 131 sociétés étudiées. L’énormité des accroissements capitalistiques à opérer explique la conclusion de l’étude : il sera impossible à toutes les sociétés d’atteindre l’objectif visé, soit en raison des difficultés à réunir les ressources nécessaires, soit par suite de l’incapacité à élever l’activité jusqu’au chiffre d’affaires minimum requis. Il devrait en résulter la disparition  de nombreuses compagnies par arrêt de celles-ci ou par absorption ou fusion avec les compagnies les plus importantes. Le rapport estime ainsi que le nombre des sociétés devrait dans les 5 ans être réduit à environ 80.

L’évolution décrite s’appuie sur les exemples du Maroc, du Nigéria ou, dans un contexte différent, de France. Les fortes augmentations de capital minimum décidées dans ces pays ont entrainé la fermeture de certaines sociétés d’assurance, alimenté la concentration du secteur, accru la rentabilité des sociétés subsistantes grâce à la diminution des coûts fixes et accéléré notamment une informatisation massive, élément essentiel de cette baisse des charges.

Le cas des pays relevant de la CIMA se distingue cependant de ces exemples et l’ajustement capitalistique demandé pourrait conduire à des résultats moins tranchés pour au moins trois raisons. D’abord, la résistance à un mouvement de regroupement est forte dans la zone, comme l’ont montré les deux dernières augmentations de capital minimum imposées aux banques pour 2007 puis 2017 : le nombre d’établissements ne s’est pas réduit et chaque entité a réussi à trouver une solution individuelle. Le long délai de 5 ans toléré pour ce quintuplement du capital social des assurances va favoriser cette tentation de solutions sans rapprochement inter-compagnies, notamment par des ajustements progressifs rendus possibles par l’augmentation naturelle du chiffre d’affaires sur la période. Par ailleurs, une forte restructuration de la profession, sous forme de disparitions de sociétés ou de regroupements  nombreux, suppose pour être supportable d’importantes mesures de facilitation et d’accompagnement de la part des pouvoirs publics : indemnisation ou reclassement des personnels concernés par les fermetures et les regroupements, paiement des sinistres en instance des compagnies dissoutes, gestion des effets sur les réseaux de distributeurs touchés par ces opérations. La mise en place de structures performantes et dotées de moyens suffisants est donc indispensable pour minimiser, bien répartir et régler dans les meilleurs délais ces inévitables coûts de la réforme : faute de telles structures, le risque du statu-quo n’est pas à exclure. Enfin, les nouveaux critères de capital et les augmentations de chiffre d’affaires qu’ils imposeront à chaque compagnie pourraient conduire dans les plus petits pays à la non-viabilité de toute société d’assurances locale ou à la présence d’un monopole préjudiciable pour le public. Pour empêcher de telles situations, la CIMA aura à faire preuve de volonté et d’imagination. Les solutions de l’agrément régional unique ou d’une autorisation de commercialisation dans un pays des produits d’une compagnie agréée dans un autre pays seraient des choix possibles mais se heurtent à des dogmes jusqu’ici bien installés. En l’absence de telles décisions, des exceptions à la nouvelle règle pourraient être préférées et perturber la transformation du cadre général.

Même si elles sont contraignantes, les nouvelles normes capitalistiques devraient introduire des cercles vertueux capables de provoquer les trois révolutions escomptées dans le secteur.

La première est celle des canaux de distribution, en particulier pour l’assurance vie. A côté des agents généraux et des courtiers, deux nouveaux modes devraient prendre une place dominante, comme dans d’autres zones. C’est d’abord la bancassurance : la densité croissante des agences bancaires et le développement des « packages » font des banques un vecteur naturel des assureurs pour atteindre au moindre coût de nouveaux publics, et la présence d’actionnaires communs facilite parfois cette synergie. C’est surtout le nouveau champ ouvert par le téléphone mobile : grâce à la multiplication incessante des applications disponibles sur celui-ci, la souscription de micro-assurances à des prix très réduits est devenue facile et permet de viser de vastes populations aux revenus modestes et de nouveaux créneaux comme l’assurance maladie ou l’assurance agricole. Des coopérations, voire des alliances, devraient d’ailleurs se développer entre les acteurs du secteur et les sociétés de télécommunications.

Une deuxième est celle des produits offerts. Les récentes améliorations apparues restent modestes par rapport à la gamme sans cesse élargie rencontrée dans les pays du Nord mais aussi l’Afrique du Sud ou le Maroc. Les nouvelles technologies, la transformation des modes de vie sur le continent, la recherche d’une meilleure adéquation du produit avec les services visés et les moyens financiers des assurés multiplient les opportunités à saisir. L’assurance indicielle agricole, apportant une protection contre les phénomènes naturels sur la base de données météorologiques désormais plus fiables, en est un bon exemple : elle devrait avoir un effet très positif sur la productivité du secteur en apportant aux paysans une sécurité auparavant inconnue face aux risques climatiques qui pourraient se multiplier. De même, l’imposition par les Autorités du caractère obligatoire de nombreuses polices civiles ou professionnelles, à l’image des exigences de pays plus avancés, favoriserait la croissance des assureurs tout en protégeant le fonctionnement sans heurt de nombreuses activités.

Une dernière transformation majeure est celle de la rationalisation du fonctionnement, conduisant à la fois à l’amélioration de la qualité de service et à la compression maximale des frais généraux. Le poids actuel de ceux-ci dans le chiffre d’affaires, proche de 25% en moyenne, est sensiblement supérieur aux normes internationales et pénalise la rentabilité des acteurs. En la matière, un effort prioritaire doit être consacré à l’informatisation massive des composantes de l’activité : émission des primes, données statistiques des assurés, gestion des sinistres, réassurance, reportings. Les gains en coût d’exploitation et en rapidité d’action qui en résulteront seront accompagnés de la possibilité d’une meilleure sélection des risques et, une nouvelle fois, d’une hausse de rentabilité.

Ces trois transformations, indispensables pour donner aux assureurs de la zone CIMA une bonne chance de rejoindre les pays africains les mieux placés, impliquent que les acteurs du secteur investissent avec ampleur et innovent avec audace. L’augmentation de capital  imposée trouve donc ici toute sa justification, et la concentration qui devrait en ressortir facilitera sans doute cette mise à niveau. Dans cette phase, certains ajustements pourraient être difficiles, voire douloureux. En ce secteur comme en beaucoup d’autres, les actes concrets posés par les pouvoirs publics, leur suivi attentif des réformes et leur propre capacité  à ajuster ou compléter celles-ci si nécessaire seront donc des éléments aussi décisifs du succès ou de l’échec final que la volonté des entreprises d’aller de l’avant.

Paul Derreumaux

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