Élection présidentielle aux États-Unis : état des lieux et effets possibles

Élection présidentielle aux États-Unis : état des lieux et effets possibles

Dans moins de 20 jours auront lieu les nouvelles élections présidentielles aux États-Unis. Celles-ci sont d’abord assorties de deux grandes interrogations.

La première est exceptionnelle. En raison de l’importance attendue des votes par correspondance et de la position du candidat Trump, Président en place, par rapport à ceux-ci, les résultats de l’élection pourront-ils être connus dans les délais très courts habituels ? Donald Trump a laissé planer des menaces de forte prolongation de ces délais, voire de refus de prise en compte de ces votes spécifiques, et il a déjà montré sa capacité à prendre des décisions aussi outrancières. Il faudra toute la force de la machine démocratique américaine pour empêcher une dérive en la matière.

La seconde est habituelle. L’originalité du système de vote américain permettra-t-il de faire coïncider le choix de la majorité des voix exprimées avec celui des grands électeurs, à la différence de ce qui s’est produit en 2016 ? Même si la détermination de la plupart des partisans de M. Trump reste intacte, les sondages donnent en effet maintenant Joe Biden probable vainqueur. L’évolution naturelle de la composition de la population américaine, dans laquelle les latino-américains et les afro-américains prennent régulièrement une place croissante, joue déjà en faveur du camp démocrate. Les erreurs de gestion sanitaire de la pandémie du Covid-19 et certaines décisions erratiques sur les mesures prévues pour en réduire les impacts économiques négatifs sur l’emploi ou le revenu des ménages sont aussi plutôt favorables à M. Biden. Mais celui-ci doit faire face aux handicaps liés à la position encore indécise des grandes entreprises et de la bourse, attachées aux politiques fiscale et protectionniste défendues durant la mandature actuelle, et aux méfiances liées à son âge. M. Trump pourrait enfin avoir encore  dans son « sac à malices » quelques surprises de dernière minute qui pourraient modifier l’état des forces en présence.

Dans tous les cas, les quatre années de cette Présidence Trump n’auront pas rehaussé l’image des États-Unis. A aucun moment, le Président n’a eu la volonté de rassembler tout le pays derrière quelques idées-forces qui auraient été à la hauteur des enjeux assaillant le monde en ce début du 21ème siècle et qui auraient répondu à la place qu’y occupe la première puissance mondiale.  Il est resté fidèle à ses électeurs, laissant béante la fracture observée en 2016 entre deux visages des États-Unis, sans d’ailleurs pouvoir répondre totalement aux attentes de ses mandants, ni même de l’ensemble du camp des Républicains. Il en est résulté par exemple, au plan intérieur, de longues batailles avec la justice ou le Congrès sur des décisions prises conformément à son programme sur l’immigration, une brusque relance de la tension raciale en mai 2020 suite au décès de Georges Floyd et aux autres « incidents » qui ont suivi. Au plan international, des avancées durement acquises comme l’accord international de Paris sur le climat fin 2015 ou celui conclu avec l’Iran en matière nucléaire ont été remises en cause unilatéralement. En revanche, on a enregistré pendant ce quadriennat des initiatives « trumpiennes » spectaculaires mais peu efficaces vis-à-vis de la Corée du Nord ou de la zone Irak/Syrie, ou des positions clivantes rendant de plus en plus difficile l’unité du camp occidental en matière de sécurité. Deux des questions majeures que sont les rivalités avec la Chine d’une part et la Russie d’autre part se sont enfin accentuées sans esquisse de solutions qui auraient permis une atténuation durable des tensions observées ou un équilibre plus stable entre ces divers acteurs.

Si le candidat Trump venait à l’emporter, malgré les pronostics dominants actuels, il est probable que les actions conduites et les décisions prises continueraient leur tracé essentiellement chaotique, tant sur le plan domestique qu’en politique étrangère, avec tous les risques que cela peut induire pour le monde entier face à des contextes mondiaux très préoccupants et à des interlocuteurs à la stratégie plus cohérente. Seule la percée réalisée dans une stabilisation au Moyen-Orient grâce à la pacification des relations entre Israël et quelques pays arabes constituerait sans doute une idée directrice à préserver en en surveillant les effets. Pour le reste, le contrôle étroit et permanent du Congrès et de toute l’Administration américaine sera nécessaire pour éviter les excès de certaines orientations-ou réorientations- du Président. Encore cette surveillance pourrait-elle être rendue plus difficile avec le nouvel équilibre attendu au sein de la Cour Suprême suite au décès de la doyenne des juges qui la composent et la désignation d’une nouvelle juge aux préférences très conservatrices.

Si le favori Joe Biden emporte le match de novembre prochain, comme beaucoup le pensent maintenant, la politique américaine gagnerait normalement une meilleure lisibilité, mais ses orientations stratégiques ne seraient vraisemblablement pas totalement remises en question. S’ils gardent en effet encore leur statut de première puissance économique mondiale, les États-Unis sont plutôt sur la défensive face à la Chine qui montre ouvertement sa détermination à conquérir cette place, tant au plan économique que politique. Ce duel dominera les relations internationales comme les décisions de politique interne des deux rivaux, mais aussi de leurs alliés respectifs. A l’intérieur des États-Unis, le Président démocrate devrait reprendre une gestion plus « classique » en soutenant bien sûr les entreprises leaders de l’économie américaine, pour préserver sa place internationale. Il devrait cependant appuyer aussi le renforcement des investissements de nombreuses infrastructures, où les retards s’accumulent, et les petites entreprises touchées par le ralentissement brutal de l’économie en 2020, pour réduire le chômage. Il est également probable que ces actions tiendront compte davantage, dans les domaines de l’énergie ou de l’agriculture par exemple, des contraintes liées aux dérèglements climatiques, dont souffrent par exemple beaucoup la Californie ou la Louisiane et qui ne devraient plus être considérés comme une « invention ». Au vu de la campagne électorale en cours, il est enfin vraisemblable qu’un accent accru sera porté sur une meilleure cohérence dans la lutte contre le Covid-19, sur la mise en place de soutiens budgétaires diversifiés pour lutter contre les effets économiques de la pandémie, sur une politique fiscale moins généreuse pour les plus riches, sur la relance de l’ « Obamacare » (Affordable Care Act), si les moyens financiers sont disponibles, et sur des tentatives d’apaisement des tensions raciales. A l’international, la politique de rivalité économique et politique avec la Chine pourrait s’exprimer de manière moins belliqueuse et fluctuante, d’une part, et inclure la recherche d’alliances stables, telle celle de l’Union Européenne si celle-ci arrive à définir une position commune en la matière. En matière diplomatique, il est à craindre que les États-Unis de s’impliqueront pas davantage dans la zone Irak/Syrie face à la Russie pour une diminution des tensions locales ; en revanche, l’appui aux actions de normalisation entre Israël et certains pays arabes pourrait être poursuivi et avoir un impact positif sur une désescalade au Moyen-Orient. Enfin, on peut attendre que le nouveau Président renoue avec l’accord international sur le climat et fasse contribuer davantage son pays au succès de celui-ci, même s’il doit lutter contre de puissants lobbys, d’un côté, et qu’il poursuive avec la même détermination la lutte contre le terrorisme islamiste et contre l’immigration illégale, d’autre part. Il est difficile en revanche de prévoir les évolutions possibles d’une politique globale vis-à-vis, par exemple, d’une Russie toujours conquérante mais économiquement affaiblie, ou d’un Iran à l’intérieur duquel les incertitudes politiques grandissent.

Même si ce scénario d’une victoire démocrate se concrétise, l’Afrique ne doit pas s’attendre pour elle  à de grands changements de la part des États-Unis et continuera à rester globalement un centre d’intérêt mineur loin derrière l’Asie, toujours prioritaire, la riche Europe, le turbulent Moyen-Orient et l’Amérique du Sud voisine.

Au plan économique, le continent a perdu de son intérêt immédiat en tant que terre d’investissement et marché potentiel depuis le net recul de sa croissance à compter de 2016 et d’une hausse des incertitudes sur son devenir. Les principales exceptions économiques concernent l’énergie, où les États-Unis surveillent attentivement toutes les évolutions qui pourraient compromettre leur sécurité, et les nouvelles technologies, par suite des retards actuels à combler de l’Afrique en ce domaine et des potentialités de « business » que cela implique. Pour la plupart des autres aspects économiques, la Chine a pris une nette prédominance en matière commerciale comme financière, et maintient une démarche très offensive. Pourtant, des initiatives pertinentes pourraient être relancées ou renforcées comme l’African Growth and Opportunity Act » (AGOA), qui favorise les exportations africaines en direction des États-Unis, ou les accords de « Millenium Challenge », qui peuvent financer de grands investissements en infrastructures.

Au plan politique, la présence américaine s’exerce à ce jour surtout dans la lutte antiterroriste, principalement dans les actions de renseignement mais aussi dans les actions sur le terrain. Cette coopération avec les pays africains devrait se maintenir, voire s’approfondir, en raison de la montée du péril islamo-fasciste. Elle est essentielle dans la résistance que s’efforcent de conduire les pays africains et leurs alliés face à ce danger et il est souhaitable qu’elle puisse être menée avec une plus grande concertation entre toutes les forces combattant les terroristes. C’est à ce prix que pourraient être obtenues les plus belles victoires sur ce terrain. Une présidence démocrate ramènerait aussi sans doute les États-Unis dans le « tour de table » de grandes institutions internationales comme l’OMS ou l’UNESCO, et consoliderait les moyens de celles-ci. Pour le reste, les amitiés africaines sont davantage courtisées par les nouveaux partenaires du continent -Chine, bien sûr, mais aussi Russie et Turquie -, pour des considérations autant économiques que politiques, sans que les États-Unis paraissent réagir pour l’instant. Enfin, la question de l’émigration économique africaine, qui préoccupe de plus en plus l’Europe pour des raisons de proximité, n’est guère sensible aux États-Unis.

Il est certain que ce manque d’attention au continent traduit de la part des États-Unis une vision à court terme qui ignore les transformations attendues en Afrique, notamment subsaharienne, dans moins d’une décennie. Celles-ci sont quasi-certaines en démographie, où le continent « pèsera » en 2030 plus de 20% de la population mondiale. D’autres sont possibles en économie où, dans dix ans, soit un nombre croissant de pays africains pourront entrer solidement dans de nouvelles étapes du développement et entrainer leurs voisins, soit, dans le cas contraire, la quasi-totalité des nations subsahariennes resteront enfoncées dans un chômage de masse et une misère touchant près de 40% de leur population avec les conséquences internationales qui peuvent en résulter. Dans les deux cas, le sort de l’Afrique influera sur le monde beaucoup plus qu’aujourd’hui et les Africains se souviendront sans aucun doute de ceux qui les ont négligés comme de ceux qui les ont vraiment aidés.

Paul Derreumaux

Article publié le 23/10/2020

 

 

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