Banques subsahariennes à l’aube de 2025 : ambitions, incertitudes et menaces. (3)

Partie 3 -Menaces : Des ripostes réussies ; de nouveaux dangers

Si l’affrontement des risques est le quotidien de chaque banque, certains d’entre eux peuvent acquérir, progressivement ou brutalement, une généralité et une ampleur qui les transforme en une véritable menace pour la profession. En Afrique subsaharienne, les systèmes bancaires connaissent en ce moment plusieurs évolutions de cette nature : quelques-unes paraissent en cours de résolution, d’autres pourraient au contraire s’amplifier.

Face à la rapidité des mutations des systèmes d’information, la lourdeur des progiciels bancaires et la difficulté de les adapter à de nouvelles approches commerciales ont été un handicap important depuis près d’une décennie. Cela a aussi freiné les banques dans l’inclusion financière, objectif assumé des pouvoirs publics et attente forte des populations les moins favorisées. Ce vide a été rapidement comblé par de nouvelles institutions construites sur une automatisation maximale. Les filiales des sociétés de télécommunication, spécialistes de ces traitements de masse, ont initié ce mouvement de la monnaie électronique (mobile banking), suivies par des sociétés « informatico-financières » (les fintech). Démarrées en 2007 en Afrique de l’Est, elles ont pris une part importante dans l’éventail des moyens de paiement sur tout le continent. A ce jour cependant, les établissements bancaires ont vigoureusement réagi. Au prix d’investissements considérables et d’un changement des méthodes de travail, un grand nombre ont réussi une nette amélioration de la digitalisation des services offerts et repris l’offensive. Un certain équilibre semble s‘être installé entre ces deux types d’acteurs : le périmètre du mobile banking s’est élargi aux transferts et aux paiement de factures, mais les banques désormais plus automatisées gardent aussi le monopole du crédit.  La menace s’est donc estompée, mais peut reprendre vie : ainsi, dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) le projet d’interopérabilité de tous les acteurs financiers pourrait apporter de nouveaux progrès pour les usagers, mais aussi générer de nouveaux déséquilibres.

Au plan international, l’accélération du départ d’Afrique des grandes banques françaises et anglaises a souvent amené ces dernières à réduire leurs engagements de correspondant banking au profit des institutions africaines. Les difficultés rencontrées dans le respect d’exigences de conformité toujours renforcées et la réorientation géographique des activités des banques européennes ont été les deux principales raisons avancées pour cette évolution. Celle-ci a pesé lourdement sur le développement des opérations avec l’étranger des groupes africains et les a conduits à chercher des circuits alternatifs. Outre la diversification des partenaires extérieurs, appliquée par tous, les établissements les plus solides ont visé l’implantation en Europe d’une entité propre capable de traiter les opérations internationales de leurs filiales, mais aussi celles d’autres banques africaines ne pouvant assurer seules une telle présence. Quelques pionniers ont franchi cette étape de longue date, comme BANK OF AFRICA et Ecobank à Paris, ou First Bank of Nigéria à Londres. Mais le mouvement s’est accentué et on annonce par exemple pour 2025 l’arrivée à Paris des succursales de UBA, Zenith Bank et Vista Bank. Certes, ces installations, et leurs maisons-mères, sont placées sous le contrôle étroit et minutieux de l’Autorité de Contrôle Prudentiel (ACPR) française. L’indépendance ainsi conquise, qui parait efficace, desserre toutefois une menace qui pénalisait de plus en plus les banques africaines.

A côté de ces ripostes réussies, d’importants défis restent présents ou apparaissent. Certains sont internes et anciens, comme la difficulté pour les banques d’apporter des financements suffisants et bien adaptés aux Petites et Moyennes entreprises (PME) et au secteur immobilier, malgré l’importance économique et sociale des besoins existants. En la matière, l’inadéquation résulte certes de handicaps liés à l’environnement -juridique, technique, administratif,..-, mais vient aussi des taux d’intérêt élevés, des durées de prêts trop courtes, de l’absence de soutien en fonds propres. Les progrès obtenus grâce à la pratique, qui se généralise, de partage du risque entre banques et bailleurs de fonds internationaux, montrent que de premiers changements sont possibles et que les banques s’y engagent activement. La multiplication de tels efforts conjoints serait donc particulièrement opportune. Même si le rendement net de ces crédits est moins élevé que celui d’autres concours actuels, leur impact à moyen terme compenserait ce sacrifice momentané.

D’autres risques sont externes et récents, tel par exemple celui encouru par les banques du fait de l’endettement croissant des Etats. Pour cette dette publique, la mobilisation de l’épargne intérieure est de plus en plus encouragée, en raison de son absence d’impact sur les besoins en devises étrangères, et constitue, dans la plupart des pays subsahariens, une part croissante des portefeuilles d’emplois bancaires. Elle offre en effet souvent un double avantage de rémunération satisfaisante et de risque modéré. L’UEMOA est entrée tardivement dans ce marché des créances étatiques, mais celui-ci a connu un développement considérable en une décennie tant par les obligations émises sur la Bourse Régionale (BRVM) que par les émissions de Bons et d’Obligations par les Etats. Les établissements bancaires sont devenus des participants très majoritaires sur ces deux marchés et leurs produits de trésorerie constituent une fraction croissante de leur portefeuille global d’emplois : elle dépasse en moyenne 25% de celui-ci en fin 2023, mais ce pourcentage est parfois nettement plus élevé. Cette orientation a été favorisée par les évolutions réglementaires et des taux de rémunération attractifs de ces placements, et la stratégie apparait satisfaisante tant que le fonctionnement du marché de ces titres publics se déroule sans accrocs, comme cela est le cas depuis son démarrage. Des zones d’ombre sont cependant apparues récemment. Les taux ont augmenté, poussés pêle-mêle par les incertitudes politiques sur certains pays, l’augmentation des besoins, les tensions de liquidité bancaire et les contraintes de la conjoncture. Ils se sont aussi davantage différenciés selon les Etats, exprimant une prime de risque pesant sur quelques emprunteurs. Les nouvelles alarmantes récemment apparues sur le niveau et le contenu réels de la dette publique sénégalaise et la restructuration inattendue de quelques emprunts obligataires en Côte d’Ivoire pourraient transformer les préoccupations en une véritable menace, si apparaissaient des défauts majeurs sur ce marché jusqu’ici très courtisé. Les impacts négatifs pourraient en être multiples : sur la liquidité voire la solvabilité des banques, sur le financement des Etats, sur l’activité économique. Les mêmes craintes pourraient concerner aussi les appareils bancaires d’autres pays subsahariens, contributeurs essentiels au financement d’un endettement public qui continue de croître.

Les systèmes bancaires subsahariens ont montré depuis plus de 40 ans leur capacité à se reconstruire et à prospérer après une crise gravissime. Ils sont aujourd’hui un des rares secteurs d’activité de la zone qui soit à la fois, dans son ensemble, rentable, performant et aligné sur des standards internationaux. Ils devraient donc être en mesure de faire face aux nouveaux risques qui les défient. A cette fin, une condition sine qua non sera bien pour toutes les unités qui les composent le renforcement des fonds propres d’une manière ajustée à tous les risques qu’ils courent et aux investissements qui s’imposent. Ainsi mieux armées, les banques seraient en mesure de concrétiser des projets de croissance. Ces derniers pourraient se traduire par une expansion géographique, qui est le plus souvent déjà exprimée. Mais ils pourraient aussi prendre la forme, encore plus ambitieuse, d’un approfondissement de leur rôle dans chaque pays : poids accru de leurs concours dans l’économie, financement intensifié de secteurs orphelins telles les PME, coopération plus marquée avec les autres activités financières -assurances, bourse, ..- dont l’essor est fort insuffisant, .. L’intérêt de tels objectifs est souligné depuis longtemps et serait déterminant pour le transformation en profondeur des structures économiques et l’obtention d’un véritable développement. Mais il suppose la création par les Etats et leurs partenaires d’un environnement propice à cette mutation. Cet objectif bénéficie rarement d’une priorité continue en raison d’autres urgences. Sans doute est-il grand temps d’accélérer ce mouvement pour donner aux banques l’occasion et la responsabilité de jouer dans de bonnes conditions un rôle à la mesure de leurs ambitions.

Paul Derreumaux

Article publié le 17/03/2025

Banques subsahariennes à l’aube de 2025 : Ambitions, incertitudes et menaces. (2)

Partie 2 – Incertitudes : Les particularités de la zone Franc

Si la qualité d’ensemble de leurs résultats financiers nourrit logiquement les ambitions des secteurs bancaires subsahariens, le réalisme de celles-ci est encore plus lié à la consistance effective de leurs fonds propres. Le renforcement de ces derniers est souvent impulsé par les exigences croissantes des Banques Centrales vis à vis des banques commerciales. Si la tendance constatée sur ce plan est partout identique, sa mise en œuvre s’accomplit avec une ampleur et un rythme fort variables et réserve des surprises

Engagé depuis longtemps au niveau mondial, et constamment renforcé, l’accroissement du capital minimum des institutions de crédit et le durcissement des ratios qu’elles ont à respecter touche aussi l’Afrique, à des degrés divers selon les pays. L’évolution répond au moins à un triple objectif : renforcer les capacités de crédit des banques à l’économie ; leur imposer de disposer des ressources propres suffisantes pour faire face aux risques qui s’accroissent et se diversifient ; consolider si possible la profession grâce à des acteurs moins nombreux mais plus puissants.

Le Nigéria, coutumier des augmentations impressionnantes, avait bien atteint ces buts en 2005. Le bond du capital minimum alors décidé avait déclenché le vaste mouvement de concentration locale du secteur – division par 3 du nombre d’entités – et une forte expansion, nationale et internationale, des banques survivantes. Celle-ci fut à la base de la dé-compartimentation entre toutes régions subsahariennes pour les activités bancaires. Ce pays s’illustre encore en fixant une nouvelle hausse record du capital minimum pour fin mars 2026 : 200 milliards de nairas pour les banques nationales et même 500 milliards pour celles bénéficiant d’une autorisation internationale, soit respectivement la contrevaleur de 130 et 320 millions(M) de USD. Mais l’accélération s’observe ailleurs, quelle que soit la taille et le développement des économies : exprimés en M de USD, les nouveaux seuils s’élèvent à environ 105 M en Egypte, 70 M au Ghana mais aussi 30 M en République Démocratique du Congo (RDC). Même les pays plutôt réfractaires à cette mesure et préférant des ratios prudentiels plus sévères évoluent : le Kenya vient ainsi de décupler ce capital minimum, stable depuis 2012, pour le porter en plusieurs étapes à 10 milliards de KES (78 M USD) en 2029.

Dans les pays concernés, les banques sont contraintes de trouver les fonds propres supplémentaires et, pour la plupart, sont déjà lancées dans des augmentations de capital, la recherche éventuelle de nouveaux actionnaires et, si nécessaire, des opérations de fusion-acquisition. Comme déjà rappelé ( cf. Partie 1), le Ghana est immergé dans ce processus depuis 2018. Au Nigéria, les groupes Access et Zenith ont émis chacun de nouvelles actions pour plus de 200 millions de USD, et leurs principales consœurs sont aussi sur cette voie. Partout, la montée en puissance des ressources propres est bien perçue par les banques comme une exigence sans faille et étroitement surveillée des Autorités monétaires, la condition sine qua non de la confiance de leurs possibles bailleurs de fonds et le préalable de la concrétisation de leurs ambitions. Une fois cette étape franchie, la mobilisation de financements complémentaires sous forme de prêts, d’obligations convertibles, d’instruments variés est aussi souvent nécessaire pour atteindre les objectifs fixés. Mais celle-ci est de toute façon placée sous le contrôle de plus en plus rapproché des Commissions Bancaires et l’apparition possible de nouvelles règles. Ainsi, l’Afrique du Sud pourrait initier un système de « Financial Loss Absorbing Capacity (FLAC) obligeant certains prêteurs à convertir leurs concours en actions en cas de difficulté de la banque emprunteuse, à l’image des contraintes sur les prêts subordonnés en zone franc. Le sauvetage des banques s’appuierait alors davantage sur elles-mêmes (le bail-in).  

L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) n’est pas en reste sur ce chapitre des fonds propres. Le capital minimum a été doublé fin 2023 et porté à 20 milliards (MM) FCFA (32 M USD), rattrapant ainsi un retard de plus en plus flagrant par rapport à l’ensemble de la zone. Pourtant, alors que l’ajustement demandé pouvait être perçu comme difficile, l’objectif est déjà atteint fin 2024 par l’essentiel de la profession, et souvent par incorporation de réserves sans apport d’argent frais et, a fortiori, sans rapprochement des acteurs en place. Il est vrai que les entités en zone CFA ont l’avantage que leur monnaie s’est moins dévaluée par rapport au dollar US que celles de la plupart des pays subsahariens : l’effort requis exprimé dans cette mesure commune est donc moins conséquent. Il serait logique d’attendre un nouveau durcissement du seuil dès 2026, à l’expiration du délai arrêté pour l’accroissement en cours. Certains groupes ont déjà anticipé cette étape suivante, comme la BANK OF AFRICA dont le capital de certaines filiales est déjà passé en 2024 à 40 MM CFA. Dans la partie centrale de la zone franc, où l’ajustement semble encore en attente, le Groupe gabonais BGFI a pris les devants en annonçant pour 2025 son entrée en bourse, en vue de lever au moins 80 MM FCFA (130 M USD) de capitaux.

Si la consolidation effective des fonds propres reste pour l’heure modeste en zone franc, une modification importante s’est introduite ici depuis quelques années dans les actionnariats : la montée en force des Etats. Cette possibilité est classiquement utilisée, lorsque les Autorités ont à recapitaliser des établissements de crédit défaillants. Le Mali avait procédé ainsi pour résoudre l’insolvabilité de la Banque de l’Habitat du Mali, en la faisant absorber par une autre banque publique, la Banque Malienne de Solidarité (BMS). La Côte d’Ivoire a fait de même sur la durée avec plusieurs banques, privées et publiques, qui ont été selon les cas mises sous administration provisoire ou consolidées à partir de capitaux publics (Versus Bank, Banque Nationale d’Investissement (BNI), Banque de l’Habitat, Banque Populaire). D’autres cas analogues pourraient être cités ailleurs dans l’UEMOA, mais se retrouvent aussi au Cameroun, avec notamment la Commercial Bank of Cameroon (CBC), et dans de grands pays anglophones tels le Kenya, l’Afrique du Sud ou ailleurs. Au Nigéria, l’Etat devrait ainsi reprendre à ce titre la petite Keystone Bank, elle-même née d ‘un changement d’actionnaire en 2017 six ans après sa création.

A côté de ces cas de force majeure, la zone franc, et spécialement l’UEMOA, s’est distinguée récemment par des prises de participation des Etats et des structures publiques dans les banques existantes, répondant à des fins plus stratégiques. Le départ de la zone des banques françaises BNP et Société Générale accroît en effet les opportunités et amplifie le mouvement.  La Côte d’Ivoire a été pionnière en pilotant un consortium d’investisseurs publics emmené par la BNI pour acquérir l’ex-filiale locale de la BNP. Mais la Commission Bancaire a montré dans son Rapport sur l’année 2023 que la tendance est une lame de fond : en 4 ans, l’actionnariat public aurait plus que doublé en volume, avoisinant 27% du tour de table des banques, et 23 de celles-ci, totalisant plus de 20% des actifs régionaux du secteur, sont détenues majoritairement par des investisseurs étatiques. L’évolution s’est accentuée depuis lors, sous des formes variées : l’Etat du Bénin est devenu actionnaire unique de la Banque Internationale pour l’Industrie et le Commerce (BIIC), désormais première banque du pays, dont il cède une part minoritaire sur la Bourse Régionale ; l’Etat du Mali indique être passé majoritaire au capital de la Banque Nationale de Développement Agricole (BNDA), en complément de sa forte présence dans la BMS et la Banque de Développement du Mali (BDM). Pour le dossier majeur de la Société Générale, les Etats du Bénin, mais aussi du Cameroun, du Congo, de Guinée Equatoriale, contre toute attente, préemptent la cession des filiales locales, écartant les investisseurs privés concurrents, et attendent maintenant l’accord final des Autorités Monétaires.

L’appétit de ces Etats pour ces acquisitions bancaires n’apparait donc plus résigné, mais volontariste. Cette nouvelle donne s’oppose à l’évolution observée depuis quatre décennies et semble incarner la volonté politique d’utiliser les banques comme un levier important du développement économique et social. En raison du poids des secteurs publics dans la zone, l’approche  peut être pertinente dès lors que sont respectées au moins trois conditions : absence de distorsion de concurrence entre acteurs bancaires publics et privés ; indépendance et absence de conflit d’intérêts dans la gestion des banques publiques, en particulier face aux recours des Etats sur le marché financier régional ; capacité des actionnaires publics d’assurer les apports de fonds propres qui devraient s’intensifier à l’avenir.

Si ces incertitudes ne sont pas levées, elles pourraient se transformer en menaces.

A suivre le 17 mars…

Retrouver l’article Partie 1 – Les ambitions : Qui ? Où ? Comment ? en suivant ce lien

Paul Derreumaux

Article paru le 04/03/2025

Banques subsahariennes à l’aube de 2025 : Ambitions, incertitudes et menaces. (1)

Partie 1- Les ambitions : Qui ? Où ? Comment ?

Même si l’Afrique fait face actuellement à de nombreuses crises, la plupart des banques subsahariennes en place affichent toujours d’importantes ambitions, parfois même étonnantes. Elles doivent toutefois tenir compte d’évolutions récentes, dont les impacts sont encore mal connus, et de risques qui se confirment.

Trois principaux facteurs donnent aux banques, et surtout aux plus puissantes d’entre elles, cet esprit de conquérant. D’abord, les résultats financiers des systèmes bancaires subsahariens sont dans l’ensemble excellents depuis plusieurs années, notamment dans l’Union économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) mais aussi en beaucoup d’autres pays anglophones ou francophones. Un autre élément réside dans les augmentations de ressources financières, et notamment de capitaux propres, dans lesquelles les établissements se sont lancés sous la pression des régulateurs et devant l’intérêt retrouvé des marchés gorgés de capitaux et en quête de placements rémunérateurs. Le dernier point vient des opportunités créées par les annonces de départ du continent des derniers groupes anglais et français encore présents.

Dans cette ébullition des appétits, la palme revient sans doute aux banques nigérianes Access Bank et Zenith Bank, qui rivalisent de projets d’extension. Access, devenue l’entité la plus puissante par le bilan en 2024, serait la plus boulimique grâce, en particulier, à son rachat de National Bank au Kenya – à fusionner avec son ancienne filiale kenyane -, son rachat prévu des implantations de Standard Chartered Bank en Angola et Sierra Léone, son coup d’éclat de l’entrée majoritaire fin 2024 au capital d’Afrasia Bank à Maurice, son incursion récente en Afrique du Sud et en Tanzanie, et ses projets sur d’autres continents. Zenith Bank suit un chemin analogue : après avoir réduit son retard en termes bilantiels, l’actuelle deuxième banque nigériane a aussi des cibles d’installation multiples en Afrique de l’Est, en Namibie et en Europe.

Les grandes banques sud-africaines, si elles dominent toujours de très loin le secteur sur le continent, ont continué à perdre de leur avance par rapport à leurs principaux compétiteurs en raison des contraintes de l’économie nationale. De plus, la sévérité du contrôle des changes rend difficile de nouvelles implantations à l’étranger. Les « majors » -Standard, FirstRand, Absa, Neldbank,..- se concentrent donc sur leur modernisation et le renforcement recherché par rapport à la concurrence, d’une part, et la gestion optimale de leurs puissants réseaux de filiales en Afrique de l’Est et Australe, d’autre part, mais restent aux aguets des autres opportunités.

En Afrique de l‘Est et Centrale, les évolutions se poursuivent bien qu’à un rythme ralenti. Dans l‘East African Community (EAC), la recherche d’expansion des banques kenyanes, dont les résultats demeurent globalement bons – Equity Bank est par exemple donné comme le 16ème   groupe bancaire africain le plus rentable en 2024 – était surtout tournée vers la République Démocratique du Congo (RDC). Beaucoup d’investissements y sont déjà faits et les évènements dramatiques du Kivu ont ralenti les nouvelles tentatives.

Dans la Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC), les jeux de pouvoir se concentrent autour de la reprise des filiales locales de la Société Générale. Le groupe burkinabé Coris Bank semble s’être définitivement emparé de celle du Tchad, mais voit s’échapper pour lui celle du Cameroun, une des pièces maîtresses du système bancaire camerounais, où l’Etat annonce utiliser son droit de préemption. Plus discrètement, BANK OF AFRICA semble avoir fait passer au Congo sous son blason la Congolaise de Banque, qu’elle gérait depuis 2022. C’est, avec les investissements des groupes AFG et Coris, une des premières entrées réussies de banques de l’UEMOA dans l’espace de la CEMAC : ces connexions mériteraient d’être multipliées si elles conduisent à des résultats positifs.

En zone Ouest, le Ghana poursuit une restructuration financière massive initiée en 2018 et rendue encore plus indispensable après les perturbations économiques et financières traversées depuis 2021. La Banque Centrale du Ghana (CBG) conduit activement cet assainissement en combinant fusions d’établissements, liquidations forcées, déclassements en institutions à périmètre régional, appuis financiers, forte hausse du capital minimum.  La purge est difficile, comme elle l’a déjà été dans le passé, mais, grâce à l’important appui international et à l’expérience de la CBG, la situation s’améliore. Le potentiel économique et la crédibilité politique du pays devraient faire repartir bientôt l’intérêt des groupes bancaires régionaux.

Dans l’UEMOA, au contraire, le moral est au beau fixe. Avec les brillants résultats des acteurs en place sur les dernières années et malgré une concurrence déjà aigüe, les intentions d’investissement se sont affichées dans plusieurs directions. La première est le renforcement et l’extension régionale de réseaux encore modestes – Mansa Bank, Bridge Bank, Orange Bank par exemple… Une autre s’exprime à travers les souhaits d’extension tous azimuts -géographiques et sectoriels -des réseaux les plus puissants, qui sont devenus dominants dans l’espace régional. Les Groupes Atlantic Financial Group (AFG) et Coris sont sans conteste les plus impressionnants au vu des informations disponibles. AFG a notamment installé une filiale bancaire à Madagascar, effaçant son échec de rachat de Afrasia à Maurice, et conclu l’achat des cinq implantations de Access Microfinance Holding dans l’UEMOA et la CEMAC. Coris, pour sa part, annonce l’acquisition de l’entité Standard Chartered Bank en Côte d’Ivoire et continue à élargir son réseau en Afrique du Centre et de l’Ouest. Surtout, les deux groupes font part de projets de diversification d’envergure, le premier dans le cacao et la production de ciment, le second dans les mines, qui les font de plus en plus apparaitre comme des conglomérats. Mais cette tentation expansionniste reste aussi à l’esprit de réseaux, comme ceux de Sunu Bank, NSIA et quelques autres.

L’observation des modalités selon lesquelles ces transformations prennent corps apporte deux enseignements majeurs. D’abord, le niveau accru de ces dernières années des capitaux requis pour l’ouverture d’une banque semble avoir mis fin aux entreprises individuelles : en zone franc en particulier, un petit groupe de personnes physiques, voire une seule, parvenait encore récemment à rassembler les fonds propres nécessaires. Aucun exemple de ce type ne parait recensé en 2024. Même les investisseurs non bancaires sont devenus rares dans les nouveaux entrants : la reprise prévue de la Société Générale de Mauritanie par le consortium de fonds Enko Capital/Oronte apparait une exception, facilitée par la structure particulière du panorama bancaire en Mauritanie où les grands groupes économiques locaux ont toujours joué un rôle clé dans les établissements agréés. La banque devrait donc devenir en Afrique subsaharienne un secteur fermé à des investisseurs majoritaires non-banquiers et rejoindre ainsi une situation désormais valable dans la plupart des régions du monde. En second lieu, les mouvements observés concernent peu en 2024/2025 l’ouverture de nouvelles structures, mais davantage l’acquisition de filiales appartenant à d’autres groupes. Dans l’UEMOA par exemple, la transformation d’une société de leasing va ajouter une banque en Côte d’Ivoire, mais Fidelis faisait partie depuis longtemps du paysage financier régional. Hors de ce cas, l’implantation de succursales dans de nouveaux pays – comme récemment au Sénégal pour Orange Bank Africa ou en prévision au Burkina Faso pour Bridge Bank- devient rare pour les réseaux régionaux car ces expansions sont pour la plupart déjà opérées. Dans d’autres zones, on note le même constat, notamment pour les très dynamiques banques nigérianes. Les opérations observées ont été essentiellement financières, plutôt qu’économiques, pour se saisir des opportunités créées par les défaillances de quelques acteurs et le départ des derniers leaders bancaires anglais et français. C’est une prime à la rapidité -si la cible est bien choisie et évaluée, elle est plus vite rentable-, même si la création initiale de valeur est plus réduite.

Si elle a été animée en termes de transactions réalisées, la période récente a aussi réservé bien des surprises. En la matière, le départ annoncé de la Société Générale a été exemplaire.

A suivre le 4 mars… 

Paul Derreumaux

Article publié le 26/02/2025

Monnaie électronique dans L’UEMOA : pierre angulaire de l’inclusion financière

En moins de 10 ans, la monnaie électronique (ME) est devenue un moyen de paiement de premier plan dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Cette montée en puissance dans la région a suivi la « révolution » introduite au Kenya en 2007 avec le produit M’Pesa mis au point par la société de télécommunications Safaricom. Dans l’Union, elle s’est effectuée sous le contrôle vigilant de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui a notamment créé en 2015 un nouveau type d’agrément pour les Emetteurs de Monnaie Electronique (EME). En 2024, les données montrent la place prise par cette innovation, mais aussi les fragilités du secteur et les défis qui l’attendent.

La monnaie électronique est surtout représentée par les EME, même si ces derniers n’en ont pas le monopole -celle-ci est aussi émise par des banques, et d’autres acteurs plus modestes (les « Fintech ») -, et les informations disponibles restent limitées par rapport à celles relatives aux banques. Cependant, pour ces seuls EME, elles confirment et prolongent clairement les tendances positives déjà soulignées. Ainsi, la valeur et le nombre des transactions ont bondi respectivement à 172 billions de FCFA et 8,8 milliards en 2023, en hausse respective de 146% et de 61,5% sur un an. Avec des opérations dont la valeur unitaire moyenne reste ainsi inférieure à 20 000 FCA, les EME donnent bien à toute une population délaissée par les banques une alternative à la monnaie fiduciaire et sont les champions de son inclusion financière dans les circuits modernes de paiement : ils apportent une sécurité, une mobilité et une rapidité inconnues auparavant. L’arrivée de ce nouvel instrument se traduit dans l’évolution sur la décennie écoulée des taux de bancarisation dans l’UEMOA. Le taux global- banques, microfinances, EME- est passé de 47% en 2016 à près de 75% en 2023, après prise en compte de la multi-bancarité observée. La ME a permis de pousser à 0,6 environ le taux synthétique d’inclusion financière calculé par la Banque Centrale, soit un quasi-doublement depuis 2016, réalisant un rattrapage notable par rapport à d’autres régions du continent plus avancées.

Cette force s’appuie sur deux principaux atouts. L’un est un maillage de plus en plus dense des territoires nationaux, jusque dans les endroits les plus éloignés des capitales : plus de 1,12 millions de points de vente, dont près de 750000 sont actifs, pour les EME fin 2023, qui sont à comparer par exemple aux quelque 2,7 milliers d’agences bancaires et aux 3,7 milliers de guichets électroniques de banque (GAB). Ils apportent une proximité inégalable tout en accomplissant une identification des clients en harmonie avec les exigences de conformité. L’autre est une diversification progressive des produits offerts et des usages possibles de ce nouveau moyen de paiement. A l’achat de recharges téléphoniques (le Top-Up) et au retrait en espèces (le Cash-out), les deux services « phares » initiaux, se sont aujourd’hui greffés notamment le transfert local ou international, le paiement de factures et l’achat de biens marchands : la part des nouveaux services est passée en quelques années de 20% à plus de 40% du chiffre d’affaires des EME et ces composantes continuent à croître le plus vite. Ces avantages expliquent que le total des encours de monnaie électronique -les « Unités de Valeur » (UV) – atteigne fin 2023 959 milliards de FCFA, soit plus de 2% des dépôts bancaires de l’Union, contre quelque 1% en 2020.

Malgré cette montée en force sans doute inarrêtable, le secteur de la monnaie électronique, et en particulier de sa part la plus visible qui est celle des EME, est toujours en construction, ce qui transparait dans le dernier rapport de la Commission Bancaire. En décembre 2023, ces structures réglementées n’étaient opérationnelles que dans 6 des 8 membres de l’Union. Elles restent en outre peu nombreuses : 16 EME au total en activité, dont 6 en Côte d’Ivoire. La plupart de ces EME sont détenus par quelques grandes entreprises de télécommunications présentes dans la zone, et qui ont fait de l’Afrique un pionnier et un champion de la téléphonie mobile, dont la monnaie électronique est un « dérivé » : même si quelques « Fintechs » les ont rejoints, deux groupes de téléphonie rassemblaient à travers leurs filiales plus de 86% du nombre total de transactions dans l’Union en 2022. Enfin, 4 des EME agréés ne respectent pas encore les trois ratios prudentiels qui leur sont fixés : le plus difficile à maintenir -fonds propres/total des UV émises- peut en effet imposer un haut niveau de capital dès que l’EME n’est pas encore profitable.

Outre la correction souhaitable de ces faiblesses liées à la jeunesse du secteur, deux challenges seront à relever dans le futur proche. Le premier est une meilleure stabilisation financière du secteur. La période 2018/2023 a montré une grande variabilité des résultats globaux des EME en place : après une profitabilité croissante jusqu’en 2021, correspondant au démarrage de ces activités, 2022 et 2023 – et sans doute 2024- coïncident à d’importantes pertes, même si celles-ci paraissent s’amoindrir. Deux facteurs ont concouru à ce recul : l’arrivée en force de quelques nouveaux acteurs ; une baisse généralisée des tarifs résultant de cet environnement plus compétitif. Cette volatilité témoigne aussi d’une forte élasticité-prix de la clientèle, qui la conduit à basculer sans hésiter d’un EME à l’autre, chacun étant considéré comme un simple prestataire de service, et non comme un vrai partenaire, à la différence des relations nouées par le public avec les banques. Pour que ce comportement s’atténue, il faudra que l’utilisation des UV puisse être de plus en plus diversifiée, y compris par la facilitation du public à l’accès au crédit ou leur recours par les entreprises et les Etats pour des paiements de masse. Le second défi est celui de l’interopérabilité entre tous les moyens de paiement de l’Union. Evoquée par la Banque Centrale depuis 2022, cette innovation majeure est entrée dans sa phase active en 2024 et devrait être effective avant fin 2025. Elle visera, selon un schéma défini par la Banque Centrale, que toutes les entreprises financières intervenant dans l’Union pour des paiements demandés par les agents économiques soient interconnectées, réalisent leurs opérations de manière immédiate et les exécutent aux meilleures conditions financières possibles pour les clients. Pour ces derniers, ce projet ambitieux apporterait donc modernité, efficacité et réduction de coûts. Le succès espéré dépendra d’abord de la bonne résolution des questions techniques en cours de traitement. Il supposera aussi de trouver les dispositions préservant la viabilité de tous les acteurs. En effet, les revenus totaux des banques sont moins dépendants des commissions prélevées sur les opérations de paiement que ne le sont les EME qui sont limités à ces activités.

Les prochaines années sont donc prometteuses de nouvelles mutations intenses pour la monnaie électronique. Certaines généreront à coup sûr pour elle de nouveaux développements : élargissement des usages, augmentation du taux d’activité des comptes, nouveaux publics… D’autres pourraient comporter des opportunités mais aussi des risques : modalités de l’interopérabilité, nouvelles baisses de tarifications des services, construction de passerelles avec d’autres acteurs financiers… La détermination, la puissance financière et la force d’innovation des leaders du secteur permettent de croire qu’ils sont prêts à réaliser les efforts nécessaires pour tenir leur rang dans le combat pour l’inclusion financière.

Paul Derreumaux

Article paru le 09/01/2025

Systèmes bancaires dans l’UEMOA en 2024 : une nouvelle année remarquable ?

Depuis quelques années, les banques des huit pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) opèrent dans un contexte économique et politique difficile : pandémie du Covid en 2020, impacts de la guerre en Ukraine à partir de 2022 ; forte inflation en 2023 ; crises politiques depuis 2020 assorties de sanctions économiques sur plusieurs périodes. Malgré tout, le secteur bancaire a connu dans l’ensemble une de ses périodes les plus favorables tant en termes de croissance que de rentabilité, tout en effectuant une mue accélérée pour sa composition et sa modernisation et en satisfaisant globalement aux durcissements de la réglementation prudentielle. En ce milieu d’année, trois constats synthétiques montrent que 2024 pourrait être encore un « millésime » chargé en évènements.

En termes de résultats, 2023 a vraisemblablement été une année faste. Dans le rapport annuel de la Commission Bancaire, tout juste publié, les principales données d’exploitation évoluent encore positivement par rapport à 2022 : +7,8% pour les crédits directs, + 10,0% pour les Produits Nets Bancaires, -3,2% pour le coefficient d’exploitation, – 0,4% pour le poids relatif des créances en souffrance ramené à 8,5% des encours, et surtout + 18,9% pour les résultats. Pour 12 des 14 banques cotées sur la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM), les gains sont en moyenne encore plus marqués : pour les bénéfices d’abord ; parfois bien davantage pour les dividendes, qui représentent dans certains cas cette année une part accrue des résultats ; et une hausse significative fréquente des valorisations boursières. Avec un profit net de 97 milliards de FCFA, la Société Générale de Côte d’Ivoire est le symbole de cet exercice exceptionnel : +30% pour le bénéfice, +39% pour le dividende. Pour l’exercice en cours, le premier semestre pourrait être au moins au niveau du précédent si on en juge par les indicateurs déjà fournis par les banques inscrites à la BRVM. L’année devrait être toutefois également marquée par deux tendances apparues en 2023 : une croissance des crédits directs à l’économie supérieure à celle des placements en trésorerie, toujours dominés par les emprunts publics des Etats de l’Union ; une augmentation de plus en plus poussive des dépôts bancaires, qui traduit les difficultés économiques de quelques pays et les incertitudes monétaires croissantes.

En matière de structuration, on pouvait imaginer que 2024 soit surtout dominée par le doublement du capital minimal des banques, décidé par la Banque Centrale de l’UEMOA en décembre 2023, à libérer sur 3 ans. En réalité, cette augmentation est aujourd’hui déjà effectuée ou programmée par la plupart des entités qui n’étaient pas encore à ce niveau, le plus souvent par incorporation de réserves existantes, et donc sans apport de ressources propres nouvelles. Les rares établissements n’ayant pas cette possibilité se tournent vers leurs actionnaires et des investisseurs additionnels pour atteindre cet objectif, comme Mansa Bank vient de le faire en Côte d’Ivoire. Le nouveau seuil d’entrée de 20 milliards de FCFA ne devrait donc créer aucun mouvement de concentration du secteur. Deux autres évènements pourraient avoir une plus grande importance. L’un est le départ de l’UEMOA de la dernière banque française à y être présente : la Société Générale a en effet annoncé sa décision de céder toutes ses filiales, et notamment celles de Côte d’Ivoire et du Sénégal, respectivement première et huitième banques de l’Union.  Cette opportunité a déjà éveillé, comme pour la BNP en 2022/23, plusieurs marques d’intérêt d’investisseurs privés, au vu des résultats actuellement dégagés dans le secteur, mais aussi publics, pour des raisons stratégiques. Mais la vente effective pourrait être plus lente comme le montre le « deal » encore pendant de la vente de la filiale de ce Groupe au Burkina Faso. L’autre fait, plus discret mais notable, est la rapide montée en puissance de l’actionnariat public dans les systèmes bancaires régionaux : +113% en 4 ans, avec un taux de détention moyen atteignant fin 2023 plus de 32% en Côte d’Ivoire et au Mali. Selon la Commission Bancaire, 23 banques, soit 15% du total, sont aujourd’hui contrôlées par des actionnaires étatiques et représentent 21% de l’ensemble des bilans et 22% des risques. L’avenir dira si ce changement récent et profond des actionnariats par rapport aux décennies antérieures génère ou non certaines transformations dans la politique des banques concernées.   

Performant et mouvant, le système bancaire de l’UEMOA doit encore relever des défis. Certains sont anciens, comme celui d’une plus grande contribution au financement des économies. Ainsi, sur l’année écoulée, l’augmentation des crédits a été de nouveau moins rapide que celle du Produit Intérieur Brut -respectivement +7,9% et +9%- et le ratio correspondant reste inférieur à 30% : la réticence au financement des petites entreprises, qui constituent l’essentiel de l’appareil économique, et les exigences accrues en termes de fonds propres rendent difficile cet effort, pourtant indispensable. Les améliorations de l’environnement juridique et administratif pourraient le faciliter, mais la volonté des banques sera déterminante. Une récente analyse de la BCEAO souligne d’ailleurs que 400 grandes entreprises de l’Union sont à elles seules les bénéficiaires de 30 % des crédits bancaires régionaux. On pourrait évoquer aussi le chantier de la digitalisation pour laquelle, avec retard, d’importants progrès sont en cours. D’autres challenges sont plus récents et pourraient se multiplier tels les deux exemples suivants. Le départ progressif des banques françaises s’accompagne parfois d’un durcissement des circuits traditionnels de « correspondant banking » avec les banques africaines, qui implique pour celles-ci la nécessité d’ouvrir d’autres circuits de traitement des opérations internationales. Ceci conduit notamment les groupes les plus puissants-anglophones comme francophones- du continent à ouvrir à Paris ou Londres une filiale dédiée à ces opérations : les pionniers Ecobank, BANK OF AFRICA, Access Bank, et quelques autres, devraient ainsi être rejoints par d’autres banques et avoir un périmètre de clients de plus en plus large. Surtout, il apparait déjà que de nouvelles augmentations de capital minimum pourraient avoir lieu dans un délai rapproché. Des exemples attestent que le seuil fixé est nettement supérieur dans d’autres pays subsahariens fort divers, allant du Ghana à la République Démocratique du Congo (RDC) en passant notamment par le Nigéria, où ce plancher est passé en juin dernier à 320 millions de USD (190 milliards de FCFA) pour les banques traitant des opérations internationales. De plus, le récent doublement de capital imposé par la BCEAO ayant rarement conduit à des apports de fonds propres additionnels, les limites fixées par la réglementation pour la diversification des crédits vont rester pour l’instant fort rigoureuses face à la croissance des besoins. Pour se libérer de cette contrainte dans une dépendance limitée aux prêts subordonnés, des injections de capital, de nouvelles incorporations de réserves et/ou d’autres règles de répartition des dividendes seraient des choix possibles. Des banques ont déjà entamé dès cette année ces ajustements.

La rentabilité en moyenne élevée des banques de l’UEMOA et la capacité qu’elles ont montrée à absorber les chocs récents de mutation structurelle, réglementaire et de recomposition, soulignent les atouts et la maturité croissante du système bancaire régional. Elles font aussi reposer sur lui de fortes attentes dans l’octroi de tous les types de financements, privés comme publics, intérieurs à la région. Cette pression pourrait entrainer encore à bref délai des changements significatifs dans son fonctionnement, ses stratégies et sa structuration. D’autres années remarquables sont encore à venir…

Paul Derreumaux

Article publié le 19/08/2024

Union Économique et Monétaire Ouest Africaine : focus sur les Émetteurs de Monnaie Électronique

Dans le dernier rapport de la Commission Bancaire, le chapitre sur les Emetteurs de Monnaie Electronique (EME), est bref et son contenu plus limité que ceux réservés aux banques et aux sociétés de microfinance. Ces informations sont pourtant très instructives. Les challenges en cours le sont tout autant.

Il est vrai que ces EME, sociétés de paiement agréées par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, sont récents, les premières sociétés ayant démarré leurs activités en 2016 après l’émergence de ce type d’entreprises en Afrique de l’Est. Leur poids relatif reste donc modeste : les 12 entités en activité – dans 5 pays seulement – sur les 15 agréées, ont fin 2022 un total d’Unités de Valeur (UV)- normalement équivalent aux dépôts reçus – de quelque 900 milliards de FCFA, soit proche de 2% des ressources de clientèle des banques. Ce pourcentage n’était cependant que d’environ 1% il y a deux ans et l’encours actuel représente aussi déjà 55% des dépôts dans les entreprises de microfinance.

Mais ces EME sont surtout remarquables à deux points de vue. Ils sont d’abord un vecteur essentiel d’accès des populations à l’économie monétaire grâce à deux atouts : l’étendue de leur réseau de points de vente – juste supérieur à 1 million en décembre dernier, dont 707000 actifs, contre environ 4900 pour les agences bancaires ; et leur polarisation sur les opérations de faible montant, qui sont donc ouvertes à toute la clientèle écartée des institutions bancaires pour cette raison. Le nombre de comptes actifs a été en conséquence propulsé à 46,6 millions, soit plus de  2,3 fois supérieur à ceux recensés dans les banques, ce qui a largement contribué à augmenter l’indice synthétique d’inclusion financière calculé par la BCEAO. Ce dernier est passé de 0,33 en 2016 à près de 0, 6 en 2022.

Par ailleurs, aiguillonnés par une concurrence de plus en plus vive, les EME ont mis à profit la puissance des moyens financiers de leurs actionnaires – les grands réseaux de télécommunications pour la plupart – et des progrès techniques constants pour diversifier rapidement les services offerts, en utilisant au maximum les avantages de la digitalisation dans la satisfaction des besoins divers de la clientèle. Les virements intra-pays, les transferts entre pays de la sous-région, les paiements de facture, les virements de salaire sont devenus ces dernières années des usages de plus en plus courants du mobile banking, aux dépens du retrait de fonds (le cash out) qui représentait initialement l’essentiel des opérations. Ceci explique à la fois l’afflux de nouveaux clients et l’augmentation massive et régulière du nombre et de la valeur des opérations traitées. Les premiers atteignaient 5,4 milliards pour l’année 2022 ; les secondes s’élevaient à environ 70 000 milliards de FCFA, soit plus de 60% du Produit Intérieur Brut de l’Union, sur la même période, marchant sur les traces des prouesses des confrères kenyans. Cette densification possible des utilisations, qui renforce l’attractivité du mobile banking, élargit son public et modifie le comportement de celui-ci vis-à-vis de cette monnaie électronique, Celle-ci n’est plus seulement un moyen de paiement commode mais peu stocké par les clients des EME. Elle devient peu à peu une nouvelle forme de monnaie, à côté des monnaies scripturale et fiduciaire, et les encours globaux maintenus dans les wallets augmentent régulièrement. Cette transformation, facilitée par les nouveaux servicesautomatisés bank to wallet/wallet to bank, illustre aussi la confiance croissante dans cette monnaie et pourrait encore augurer d’autres modifications importantes.

Mais le secteur des EME, encore adolescent dans l’Union, n’est pas dénué de risques, comme en attestent trois exemples. Au plan concurrentiel, les EME, après avoir révolutionné presque par surprise le secteur très porteur des moyens de paiement et pris de l’avance, font face désormais à une compétition féroce avec les fintechs et, surtout, les banques qui s’appuient désormais sur une approche commerciale aussi numérisée et dématérialisée que la leur. Si la progression en valeur des transactions reste toujours rapide en raison de l’étendue du marché, le chiffre d’affaires et la marge ont connu une évolution moins favorable, voire négative, ces dernières années par suite des fortes baisses du prix des services proposés. En conséquence, au plan financier, la situation des EME est devenue moins florissante, et s’est parfois nettement dégradée. Comme dans les autres parties du continent, les informations sur leurs résultats annuels sont très rares, contrairement à celles relatives aux banques qui sont publiques. Toutefois, les données sur le capital social apportent quelques indices : alors que le seuil des fonds propres est limité à seulement 3% de la monnaie électronique émise, le capital social de certains EME est nettement supérieur à ce montant pour que les ratios réglementaires soient respectés. La période actuelle est donc une phase de transition, rendue délicate par cette bataille des tarifs, au terme de laquelle seules les sociétés les plus solides et avec les meilleures qualités de stratégie et d’anticipation pourront résister. Enfin, au plan réglementaire, l’année 2024 va créer une nouvelle zone de risque. Le chantier d’interopérabilité entre institutions financières de l’Union lancé par la BCEAO devrait en effet être mis en œuvre l’année prochaine en vue d’instaurer la possibilité de connexions réglementées entre tous les acteurs financiers : banques institutions de microfinance, EME, Trésors publics en particulier. Cette évolution majeure devrait ouvrir aux EME d’importantes possibilités de développement mais aussi leur fixer des modalités de travail et des exigences tarifaires dont l’expérience montrera si elles sont ou non favorables par rapport à l’instant présent. L’année à venir sera donc une année-test, propice à des ajustements de cette nouvelle réglementation comme à de nouveaux changements possibles de stratégie des EME.

Ces derniers ont fait preuve jusqu’ici d’une créativité et d’un dynamisme, à la base de leurs succès, qui devraient les aider à franchir de façon satisfaisante ces nouvelles étapes. Il reste à souhaiter que les mutations à venir apportent aussi aux acteurs économiques et aux populations de nouveaux progrès dans la réponse à leurs demandes de plus en plus exigeantes et multiples.

Paul Derreumaux

Article publié le 28/11/2023

Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) :  succès, défis et ambitions

Vingt-cinq ans après son ouverture en septembre 1998, la BRVM reste une exception, en Afrique comme ailleurs. Entité unique pour les 8 pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), elle offre un marché étendu à l’ensemble de l’Union – 168 milliards d’EUR de Produit Intérieur Brut ; 137 millions d’habitants -pour toutes les émissions en actions et obligations, agréées par les Autorités de la Bourse, des entreprises résidentes et des Etats de l’Union, et ouvert à tous les souscripteurs locaux ou étrangers selon les dispositions légales en vigueur.

Pour ses 25 ans, la BRVM fait fort en s’installant au 5ème rang des 28 pays africains possédant une bourse mobilière. La capitalisation boursière de 12,9 milliards de USD (12,1 milliards d’EUR) au 30 septembre dernier de son compartiment actions la fait en effet passer devant son homologue est-africaine de Nairobi et juste derrière celles de deux grands poids lourds des économies continentales : Nigéria et Egypte. Certes, ce montant ne représente encore que 12,5% des actifs en actions du leader Johannesburg Stock Exchange, mais la performance est de taille après la grande dépression des cours qui avait frappé la BRVM de 2016 à fin 2020. Le repli des indices avait alors été d’environ 60% et n’a été depuis lors que partiellement effacé malgré plus de deux ans de reprise. Trois principaux facteurs expliquent cette bonne nouvelle au plan continental. Deux tiennent à un environnement favorable : une croissance économique de l’UEMOA proche de 6%/an en moyenne sur la dernière décennie, plus forte et plus régulière que celle de nombreuses autres régions du continent ; surtout, une monnaie plus résistante aux fluctuations du Dollar ces dernières années alors que les perturbations monétaires étaient sévères pour les compétiteurs. Le troisième est directement lié aux actions menées en permanence par les équipes de la BRVM pour renforcer et moderniser son organisation, élargir le périmètre de ses activités, améliorer son attractivité en termes de prix et de qualité de service, mieux segmenter le portefeuille des titres à la cote, ou étoffer la coopération avec d’autres bourses, africaines et extérieures au continent. La cotation en continu et la création de l’indice Prestige illustrent ces transformations en profondeur. L’entrée sur le marché fin 2022 de la valeur Orange-Côte d’Ivoire en a été le dernier témoignage. puisqu’elle a boosté d’un coup la capitalisation globale de12,5%.

La BRVM dispose en outre d’un compartiment obligataire qui a pris une importance remarquable : son encours s’élève en effet aujourd’hui à près de 16 milliards d’EUR. Concentré à près de 95% sut les titres publics, il constitue une importante source d’activité et a largement contribué à l’audience régionale comme aux bons résultats financiers de la BRVM.   

A partir de ces atouts, la BRVM peut s’attaquer à de nouveaux défis pour consolider sa position. A court et moyen terme, trois d’entre eux apparaissent prioritaires par leur impact. Le premier serait de renforcer l’utilisation du marché financier par les entreprises régionales, déjà cotées ou non. Plusieurs instruments existent en effet à cette fin : augmentations de capital, émissions d’obligations, plus récemment titrisations de créances. Ces outils ont prouvé leur efficacité à travers les quelques opérations déjà intervenues et toutes réussies, mais ils restent très sous-employés. Il faut maintenant montrer davantage leurs avantages techniques, juridiques, et stratégiques aux émetteurs privés potentiels, convaincre ceux-ci qu’ils ne souffriront pas de la concurrence des émissions publiques de plus en plus nombreuses, simplifier et accélérer les procédures d’émission de titres de dette, et veiller à la compétitivité de ces types de financements par rapport aux concours de banques devenues plus puissantes et plus agressives vis-à-vis des grandes entreprises. La hausse récente, et sans doute durable, des taux d’intérêt, les difficultés croissantes de mobiliser des ressources hors de l’Union, le gonflement des besoins lié aux bonnes performances d’ensemble des grandes entreprises et à l’impossibilité pour les banques de les satisfaire tous, les nouvelles exigences en fonds propres pesant sur les institutions financières sont autant de facteurs favorables à une telle expansion, dans l’univers monétaire stable de l’Union. Le second challenge est d’élargir encore le nombre d’entreprises inscrites à la cote, grâce à cette même politique de renforcement et de mise en valeur des bénéfices qui peuvent y être liés. Depuis sa création, la BRVM a réussi à augmenter de 50% le nombre des sociétés de son compartiment actions. Il est maintenant de 46, et a gagné notamment certains des plus beaux noms des secteurs de la finance et des communications. Leur bonne santé, leur distribution régulière de dividendes élevés participent à l’appétit pour ces opérations des investisseurs régionaux et étrangers. Cependant, on note à la fois que la Côte d’Ivoire truste encore 31 lignes – 67% du total – et que plusieurs secteurs économiques essentiels -industrie, distribution, agriculture, logistique – sont sous-représentés. Elargir géographiquement et sectoriellement l’empreinte de la BRVM dans la région est donc bien une piste majeure pour augmenter sa puissance et son audience. Cette ambition était déjà présente pour le lancement de la Bourse régionale en 1998, en particulier en espérant donner à la nouvelle structure un rôle clé pour les nombreuses opérations alors envisagées. Cet objectif n’a pu être atteint, mais certaines opérations de ce type restent en attente. Surtout, l’essor économique de l’Union a fait naître de nouvelles opportunités : nouveaux groupes industriels et financiers, filiales d’entreprises internationales récemment installées, vente en bourse de participations de fonds d’investissement dans des entreprises locales –les IPO -.   Enfin, le volume des transactions sur le marché secondaire des actions demeure modeste, malgré la densification de ces échanges intervenue dans la période récente : environ 1 million d’EUR/jour en moyenne, soit à peine 2% de la capitalisation. Le comportement surtout patrimonial des actionnaires locaux, éloigné des modalités de gestion des anglosaxons, explique en bonne part cette faiblesse. Pourtant les mentalités peuvent évoluer à force de formation et d’animation, comme le montrent les mouvements soudains de cours, observés lors des opérations capitalistiques récentes réalisées   sur les banques BICICI et Orabank ou actuellement pressenties sur d’autre titres.

Pour réussir ces défis, l’essentiel des actions requises continuera à reposer sur la BRVM elle-même : poursuivre les innovations techniques, la compétitivité des coûts et la qualité du contrôle et de l’organisation. Une coopération active avec les Etats sera aussi nécessaire pour obtenir d’eux des mesures concrètes d’encouragement au profit des agents économiques faisant appel au maché financier et veiller à un traitement équilibré entre les émetteurs publics et privés pour éviter tout sentiment d’inégalité et toute crainte d’éviction.

La détermination et la cohérence avec lesquelles les Responsables de la BRVM mènent depuis longtemps leur stratégie de croissance et de structuration permettent d’être optimistes pour l’avenir. Certes, une nouvelle avancée dans le classement continental parait très improbable à moyen terme en raison de l’écart qui nous sépare des précédents. L’ambition doit donc surtout être interne en visant un renforcement notable du poids des financements désintermédiés dans l’Union et une concurrence stimulante entre les circuits financiers existants. En réussissant ce challenge, la BRVM assumerait bien son rôle d’un meilleur ancrage de l’Union dans les évolutions dominantes des systèmes financiers.

Paul Derreumaux

Article publié le 09/11/2023

Union Économique et Monétaire Ouest Africaine : pour les banques, une continuité en trompe l’œil ?

Le nouveau rapport de la Commission Bancaire de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) met en évidence quelques constantes dans les grandes évolutions des systèmes bancaires de l’Union. Derrière cette tendance commune, des changements significatifs ou en gestation sont cependant en œuvre à au moins trois niveaux. Les données déjà disponibles sur le premier semestre 2023 confirment d’ailleurs cette juxtaposition de continuité et de nouveauté.

En plusieurs domaines, l’exercice échu est avant tout celui de la prolongation de trends antérieurs, la plupart positifs. Les banques gardent toute leur suprématie dans le système financier soumis au contrôle de la Commission Bancaire -qui englobe aussi les Systèmes Financiers Décentralisés (SFD) et les Emetteurs de Monnaie Electronique (EME)-, avec environ 90% du total des bilans de celui-ci. Les indicateurs globaux de ces établissements bancaires témoignent à nouveau de leur bonne forme, même si les hausses ont été inégales. Pour les valeurs bilantielles, les croissances ont oscillé en 2022 entre 12,7% pour les dépôts du public, 17,9% pour les placements et 19,8% pour les crédits à la clientèle. Sur les quatre dernières années, cette progression a été respectivement de 86%, 100% et 58% pour chacune de ces variables. Pour les données d’exploitation, l’année écoulée a été aussi très bénéfique : +7,6% pour le nombre de comptes de clientèle, +14,2% pour les produits nets bancaires, et surtout +25,5 % pour des résultats nets annuels qui ont été multipliés par 2,4 depuis 2018.  Sur la même période, le coefficient net d’exploitation s’est amélioré de plus de 8 points et le coefficient de rentabilité de 5 points tandis que les créances en souffrance brutes représentaient moins de 10% des emplois de clientèle pour la première fois depuis longtemps.  Ces performances ont été atteintes par les banques en même temps que celles-ci se pliaient à une nouvelle réglementation prudentielle plus contraignante, particulièrement en matière de fonds propres. Fin 2022, alors que les ratios prudentiels se stabilisent à leurs nouvelles valeurs, plus de 80% des banques sont déjà en harmonie avec cette nouvelle batterie d’indicateurs. Seul le ratio de division des risques, très éloigné des contraintes antérieures, peine à évoluer vers les objectifs requis tandis que l’appétit des banques pour les distributions de dividendes pénalise le renforcement des fonds propres dans les bilans. A mi-parcours de 2023, les données chiffrées des banques cotées tendent à confirmer que ces dernières gardent le même solide  momentum  dans l’Union, notamment pour les résultats nets affichés : la progression de +22% pour le groupe Coris Bank, et même de +58% pour la Société Générale en Côte d’Ivoire, en sont quelques exemples parmi d’autres.

Hors ces données globales positives, trois évolutions plus spécifiques sont surtout à souligner. La plus importante est sans doute la transformation à trois niveaux de la consistance du système bancaire régional. Le premier concerne la poursuite en 2022 de la montée en puissance des institutions à capitaux régionaux, comme le montrent plusieurs statistiques convergentes. Près de 53% des actifs, des guichets et des distributeurs de billets dans l’Union appartiennent désormais à des institutions où ces capitaux sont majoritaires. Toutes banques confondues, l’actionnariat régional -privé et public confondus- possède 77% du capital de l’ensemble du système, soit 11% de plus qu’en 2018. Le Top 3 des groupes bancaires en compte maintenant deux ayant un siège dans l’UEMOA, Ecobank et Coris Bank. La deuxième mutation, plus surprenante, est l’accroissement du poids relatif des entités à capitaux publics. Ces derniers s’élèvent fin 2022 à 452 milliards de FCFA, soit 18,5% de la capitalisation bancaire régionale et 200 milliards de FCFA de plus qu’en 2018. Ces participations sont parfois majoritaires, faisant basculer les banques concernées dans une catégorie en net recul depuis des décennies. Réalisées sous la forme de rachat d’établissements existants ou d’introduction de nouveaux acteurs, les opérations ont eu lieu notamment en Côte d’Ivoire. La troisième spécificité est l’absence à ce jour d’un grand mouvement de concentration. Certes les 13 groupes les plus importants, dont le nombre est resté stable en 2022 et qui contrôlent 61% des établissements de la zone, rassemblent près de 75% des bilans et des comptes de clientèle, et surtout 83% des profits. Mais leur poids s’est effrité par rapport à celui des 21 groupes d’envergure plus modeste, qui ont gagné globalement près de 2% de parts de marché en 2022 sur beaucoup d’indicateurs. L’analyse selon la taille montre aussi que la part des plus petites banques, souvent isolées, ne se réduit pas et pèse davantage dans la distribution de crédits et la collecte de dépôts que dans le poids bilantiel. Cet assortiment de données souligne à la fois que le système bancaire régional reste dispersé, sans doute en lien avec un appareil économique dominé par les acteurs de taille modeste, et que la modestie de la concentration n’est pas forcément une mauvaise nouvelle pour le financement de l’économie. Ces mutations tectoniques sont loin d’être figées. On note ainsi en 2023 au Sénégal l’ouverture de l’ABS, filiale commune de trois banques publiques algériennes, au capital de 100 millions de dollars US, et la reprise prévue par l’Etat de la Banque de Réglement des Marchés, institution privée en difficulté. De même, la cession possible de la Banque Populaire de Côte d’Ivoire, étatique, au groupe privé ivoirien African Finance Group ou la venue envisagée au Bénin de l’équato-guinéenne Bange Bank sont autant d’évènements qui devraient faire évoluer dès cette année ces indicateurs structurels dans des directions variées. L’accélération du départ des banques françaises a ouvert un long processus de recomposition aux résultats encore incertains.

Une autre particularité qui a dominé la période récente concerne la structure du portefeuille des banques. La césure peut être datée à l’année 2020, et donc à l’épidémie de Covid19. En trois ans, le poids des titres de placement a alors augmenté nettement plus vite que celui des concours à la clientèle, et a gagné 3 points dans le pourcentage des emplois. La montée des risques induite par l’épidémie et le ralentissement conjoncturel qu’elle a provoqué, la forte augmentation des émissions de titres publics à des taux attractifs et les caractéristiques d’une nouvelle réglementation bancaire plus exigeante, surtout en matière de fonds propres, se sont additionnées pour orienter les banques dans cette voie. En 2022, cette répartition s’est globalement stabilisée. Mais le gonflement continu des besoins financiers des Etats de la région et les difficultés croissantes pour ceux-ci de faire appel à des financements étrangers ont freiné les ambitions de beaucoup d’acteurs bancaires de redonner une meilleure priorité aux crédits à l’économie. De nouveaux facteurs interférent en 2023. La hausse des taux du marché, dans le sillage des variations de ceux-ci à l’international, et la contraction des refinancements par la Banque Centrale ont un moment perturbé les établissements bancaires dans la gestion de leurs trésoreries et l’arbitrage de leurs emplois. Les ripostes des banques à cet environnement différent ont eu deux effets positifs à court terme : un rapide accroissement des crédits interbancaires, dont le développement est recherché depuis longtemps, et des efforts tous azimuts pour accroitre les dépôts de la clientèle, ce qui consolide leurs moyens d’actions. Appuyées sur ces stratégies et sur un suivi attentif de leurs charges et de leurs risques, beaucoup de banques semblent avoir retrouvé de solides fondamentaux, qui expliquent les bons résultats au 30 juin évoqués ci-avant. Il restera à confirmer en fin d’année si les nouveaux équilibres sont ou non favorables aux concours à l’économie.

Enfin, les données chiffrées par pays font apparaitre des différences sensibles dans les systèmes bancaires locaux et une contribution variable de ceux-ci au financement des économies nationales. Les agrégats disponibles ne permettent que des comparaisons limitées, mais leurs conclusions invitent à des analyses plus approfondies, au vu de la seule mise en relations de données des deux principaux pays de l’Union : Côte d’Ivoire et Sénégal. Ainsi en 2022, le rapport entre la première et le second est de 1,6 pour la population, de 2,5 pour le Produit Intérieur Brut (PIB), de 1,6 pour l’encours de crédits directs à la clientèle, de 1,8 pour les dépôts collectés, de 2,2 pour le nombre de comptes bancaires et de 2,4 pour le résultat net des entités bancaires de la place. On observe aussi une quasi-égalité pour l’effectif des banques -respectivement 28 et 27-, et un rapport de 1,21 seulement au profit de la Côte d’Ivoire pour l’effectif des guichets. Ces données disparates interpellent mais rendent délicate leur interprétation. Certes les données de 2022 mettent en évidence en première observation un système bancaire sénégalais plus concurrentiel et proportionnellement plus actif en matière de crédits mais apparaissant moins performant dans l’accessibilité du public et moins rentable. Mais il conviendrait d’étendre cette comparaison sur plusieurs années. Il faudrait surtout recenser les différents facteurs qui peuvent influencer différemment ces variables dans les deux pays : intensité de présence d’autres circuits de financement, notamment pour les petites entreprises informelles ; caractéristiques majeures des banques présentes ; structure des appareils économiques ; influence éventuelle du niveau de pouvoir d’achat,… Le même tour d’horizon pour les autres pays de l’UEMOA ferait apparaitre d’autres différences et de nouvelles questions. Même si elle est complexe, la comparaison de ces données financières nationales serait sans doute essentielle pour apprécier les places de marché répondant le mieux aux besoins et pour savoir quels sont les environnements bancaires les plus efficaces pour le financement du développement.  

Le maintien en 2022 d’une santé florissante du système bancaire de l’UEMOA, en termes de croissance, de qualité des ratios et de résultats, peut légitimement réjouir et traduit les efforts de tous les acteurs de cet éco-systéme. Il ne doit cependant pas nous éblouir car il passe sous silence des transformations et des défis qui pèseront lourd sur la capacité des banques de l’Union à assurer de mieux en mieux les missions qu’on attend d’elles. Les mutations qui s’accélèrent dans leur actionnariat, les incertitudes sur la répartition à venir de leurs emplois, la qualité sans doute inégale de leur rôle dans les pays concernés sont quelques-unes des interrogations actuelles. Il n’est nul doute que les années prochaines en mettront d’autres à jour et obligent la profession à demeurer vigilante et déterminée.

Paul Derreumaux

Article publié le 17/10/2023

La hiérarchie des banques africaines s’infléchit doucement sous la poussée des transformations, économiques ou autres, du contient

Une récente publication de #FinancialAfrik sur la situation la plus récente des 30 principaux groupes bancaires africains apporte comme à l’accoutumée de riches informations. A la seule analyse des bilans de ces institutions, on relève quatre principaux constats.

Le premier, sans doute le plus marquant, est la fin de la domination exclusive de l’Afrique du Sud. Certes, ce pays compte toujours 4 établissements parmi les 5 premiers de la liste et la Standard Bank garde de très loin la première place, sans doute pour longtemps. Toutefois, la Banque Nationale d’Egypte double de justesse la First Rand pour la deuxième place et semble durablement installée dans ce trio de tête. Les bonnes performances économiques de l’Egypte et son poids démographique, comparés à celles de l’Afrique du Sud, sont sans doute deux des principales explications de cette montée en puissance.

L’examen de toutes les banques classées fournit d’autres informations. Au sein des 30 leaders, la concentration reste forte: les deux premiers atteignent à eux seuls 35% des bilans de l’ensemble recensé et les 5 premiers avoisinent 70% du total. En revanche, 9 pays et 3 zones monétaires apparaissent maintenant dans ce classement. Cet élargissement témoigne du développement des secteurs bancaires dans beaucoup de parties du continent. L’importance de chaque zone reste fort inégale: le Maroc maintient ses trois principales banques dans le Top 8, le Nigéria place ses 5 grandes banques dans les 20 premières places, l’Angola et la Lybie perdent du terrain mais sont toujours là, mais de nouveaux champions apparaissent dans l’UEMOA, l’EAC ou la CEMAC.

La troisième observation est que la représentativité des pays au sein de ce classement par bilans traduit aussi l’influence combinée d’autres facteurs: écarts dans le niveau de concentration des systèmes bancaires nationaux, puissance économique du pays, diversification du système financier local, poids des financements bancaires par rapport au Produit Intérieur Brut (PIB), évolution démographique. L’importance relative de ces critères se modifie avec le temps même si certaines composantes restent déterminantes. Cette pluralité de facteurs mouvants explique par exemple à la fois la longue domination sud-africaine, la présence continue des banques marocaines dans les premières places, la progression récente des banques ouest-africaines ou kenyanes. Mais elle jouera aussi un rôle dans les changements à venir du classement.

Enfin, on note que ces banques sont pour certaines encore principalement « mono-pays » -Egypte, Ethiopie,..- ,mais pour un bon nombre à la tête d’un réseau au moins régional qui joue un rôle essentiel dans leur progression -Ecobank et Atijari Bank depuis longtemps, Coris, BGFI, Equity Bank plus récemment par exemple. Il est probable que cette expansion géographique des plus puissants tendra à se généraliser.

On peut donc encore attendre des aménagements significatifs de ce classement dans les années à venir…

Paul Derreumaux

Banques Subsahariennes : les « grandes manœuvres » continuent

La saison des dividendes versés sur l’exercice 2022 par les banques cotées sur la Bourse Régionale de Valeurs Mobilières (BRVM) de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) s’est terminée en « feu d’artifice » en juillet dernier avec l’annonce par la Société Ivoirienne de Banque (SIB) d’un coupon net de 495 FCFA par action (2,5 fois la valeur nominale et près de 10% de sa valeur de marché), représentant globalement près de 60% d’un bénéfice annuel de 40 milliards de FCFA. Ce résultat est en ligne avec les importants profits dégagés par tout le système bancaire de l’Union en 2022.

Mais, dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, le secteur continue aussi à attirer l’attention par les mouvements capitalistiques qui l’ont animé dernièrement et continue à consolider la place des banques à capitaux régionaux.

La palme revient sans doute en la matière à la nigériane Access Bank, 1er établissement de ce pays et 10ème du continent en 2021 par le bilan. Celle-ci devrait s’installer en effet dans cinq nouveaux pays, allant de la Gambie à la Tanzanie en passant par l’Angola, en acquérant les filiales de l’anglaise Standard Chartered qui quitte ainsi le continent comme l’a fait récemment la française Banque Nationale de Paris (BNP). Dans le même temps, elle ouvre à Paris une succursale de sa filiale londonienne pour récupérer un « passeport européen » pour ses activités de banque correspondante. La zone francophone n’est pas en reste grâce aux opérations menées par deux réseaux pilotés par des Burkinabés. D’un côté, Coris Bank, devenue en 2021 le troisième groupe de l’UEMOA en termes de bilan, annonce le rachat des filiales de la française Société Générale en Mauritanie et au Tchad : elle confirme ainsi sa volonté de dépasser largement le périmètre de l’Afrique de l’Ouest francophone, après sa précédente installation en Guinée. Dans le même temps, Vista Bank a conclu un accord avec la même Société Générale pour reprendre les établissements de cette dernière au Congo-Brazzaville et en Guinée Equatoriale : ces deux pays s’ajouteraient au Burkina Faso, à la Gambie, à la Guinée et à la Sierra Leone et donneraient à la holding une empreinte sur 6 pays fort divers dans leurs structures et leurs régimes monétaires. Après le coup d’éclat réalisé par l’ivoirien Atlantic Financial Group fin décembre 2022 à travers le rachat d’une banque mauricienne parallèlement à une implantation à Madagascar, il s’agirait là d’une nouvelle percée continentale de banques marquant leur spécificité d’un actionnariat en bonne partie ouest-africain.

Les banques d’Afrique orientale anglophone sont dans la même mouvance conquérante comme l’ont confirmé les dernières expansions des kenyanes Equity Bank et Kenya Commercial Bank en République Démocratique du Congo : l’entrée de ce pays dans l’East African Community semble en faire une cible fort attractive. Les conséquences de ces opérations ne se révèleront que progressivement, mais les reconfigurations en cours de l’actionnariat font déjà apparaitre trois constats.

L’un touche toute la zone subsaharienne. Avec ces rachats, le poids relatif des groupes à capitaux régionaux accélère sa croissance, au moins pour les bilans. C’est le cas d’Access qui consolide son statut de banque panafricaine. Mais Coris Bank y contribue aussi en Mauritanie et dans la Communauté des Etats d’Afrique Centrale comme les grandes banques kenyanes dans l’East African Community. De plus l’évolution renforce mécaniquement la place des institutions les plus puissantes dans chaque système bancaire national. Ce ratio avoisine parfois 70% du total des bilans bancaires du pays pour quelques groupes dominants : 4 en Afrique du Sud, 3 au Maroc, 8 au Nigéria, 10 dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Cette concentration est d’ailleurs en général nettement plus importante pour les bénéfices, montrant qu’une taille élevée est aussi génératrice de rentabilité accrue.

Deux autres affectent surtout, pour l’instant, l’espace francophone. D’abord, ces transferts de propriété sont le fait d’actionnaires privés qui poursuivent leurs stratégies. Mais l’histoire récente montre que des Etats s’insèrent dans ces changements du paysage bancaire. La Côte d’Ivoire l’avait prouvé en 2022 avec une reprise de la filiale de la française BNP par des actionnaires étatiques. Le Congo et la Guinée Equatoriale le confirment en 2023 en refusant la cession des entités de la Société Générale sur leur territoire à Vista Bank et en les rachetant eux-mêmes. D’autres pays, tel le Sénégal, semblent prêts à adopter des positions identiques. Avec cette stratégie, opposée à celle des années 1990, les gouvernements disposeront d’outils bancaires pouvant faciliter leurs propres priorités. Reste à voir comment s’exercera la concurrence entre tous les acteurs bancaires du pays.

Une seconde spécificité francophone est le fait que ces « bascules » d’actionnariat et le poids accru des grands groupes dans chaque pays ne conduisent pas à une réduction du nombre de banques agréées. Sous d’autres cieux -tels le Nigéria ou le Ghana- cet effectif a nettement diminué, à la suite notamment de fortes augmentations du capital minimum requis, et est parfois inférieur à celui de nations de l’UEMOA. Au contraire, dans celle-ci, des investisseurs ou des institutions (microfinance, ..) sont encore en embuscade avec de nouveaux projets bancaires. Plusieurs causes peuvent expliquer cette différence : présence en zone anglophone de structures performantes alternatives aux banques (invesment banks, banques rurales…); culture financière différente,.. Un autre constat est à venir. Un actionnariat plus local facilitera-t-il le développement économique ? La condition sera double : les banques devront mieux assurer toutes les missions qu’on attend d’elles et le contexte dans lequel elles agissent devenir plus favorable. Ne l’oublions pas.

Paul Derreumaux