Afrique subsaharienne : qu’y a-t-il derrière le Produit Intérieur Brut (PIB) ?

Plusieurs fois par an, de grandes institutions internationales et régionales annoncent les évolutions du Produit Intérieur Brut (PIB) par pays, région ou continent. En Afrique, les données de la Banque Mondiale, de la Banque Africaine de développement et des Banques Centrales sont les plus attendues et les plus écoutées. Celles-ci conduisent à deux constats : le contenu de ces informations reste imparfait, en dépit des améliorations apportées ; malgré les actions mises en oeuvre, les meilleurs taux de croissance peinent à dépasser durablement les 7%/an, ce qui demeure insuffisant pour accélérer le développement espéré.

Pour la valeur des PIB, les Autorités publiques, en particulier, sont, à juste titre, friandes de ces publications et des classements qui y sont attachés : ils permettent en particulier de mettre en valeur les progrès obtenus par rapport aux voisins et aux concurrents. Certaines évolutions sont incontestables et aisément vérifiables. Ainsi, durant la période 1995/2014, celle de l’«Afro-optimisme »,  la réalisation d’importants investissements -d’infrastructures  et productifs-, le grand essor des entreprises privées, la libéralisation de nombre d’économies nationales traduisaient bien sur le terrain le retour à la croissance soutenue des PIB telle qu’annoncé. En revanche, des incertitudes persistent souvent sur cet agrégat, comme sur d’autres données macroéconomiques ou sectorielles, en raison de divers facteurs. Quatre d’entre eux apparaissent essentiels.

L’un est lié à l’importance du secteur informel sur tout le continent. Celui-ci est par définition difficilement quantifiable et mouvant en fonction de la conjoncture et des opportunités. Il peut croître en cas de situation économique difficile, de crises politiques ou de forte inflation, et touche surtout des « poids lourds » des systèmes économiques subsahariens -agriculture vivrière, commerces, services. Sa place tend aussi à enfler dans les pays les moins avancés, ce qui peut provoquer une sous-estimation des PIB correspondants et une détérioration sans fondement de leur position relative. Le second facteur majeur réside dans les insuffisances persistantes des appareils statistiques nationaux : fréquence faible et irrégulière des enquêtes, retards dans la disponibilité et l’exploitation des résultats, manque de ressources humaines et financières, coordination imparfaite des différents Services intéressés. Encouragées au niveau continental, les améliorations existent – la Côte d’Ivoire vient de faire le point de ses avancées – et sont donc à amplifier. Le troisième élément réside dans les changements structurels qui, au fil du temps, affectent entre autres les secteurs d’activités, les modes de production, les habitudes de consommation, les prix relatifs, et en conséquence les modalités de calcul des PIB. Pour éviter de trop grands ajustements liés à cette nécessaire mise à jour, les années de référence utilisées devraient être changées au moins tous les 10 ans. En Afrique, ces « rebasages » ont lieu beaucoup moins fréquemment et provoquent des reclassements brutaux. Enfin, les PIB peuvent être exprimés de nombreuses manières – en USD, à prix courant, constant ou en parité de pouvoir d’achat-, en monnaie nationale, …ce qui entraine des évaluations fort diverses lorsque les taux de change se modifient rapidement. Ces deux derniers points expliquent des changements récents. Ainsi, en USD courants, le « rebasage » du Nigéria en 2014 a fortement contribué à le placer devant l’Afrique du Sud et à devenir la 1ère puissance économique en Afrique. Le même phénomène vient de propulser l’Algérie en 3ème position en 2024 tandis que le Nigéria rétrogradait au 4ème rang en raison de la chute du Naira.

Pour tenir compte de ces limites, les taux de variation annuels des PIB tendent à être plus souvent utilisés que leurs valeurs absolues, notamment sur des périodes de comparaison de courte durée. Ainsi, ils montrent bien le ralentissement de la croissance moyenne de la zone depuis 2015, les écarts notables et parfois durables entre pays, et le fort impact négatif des crises mondiales récemment subies -Covid, forte inflation. Pour 2025, les dernières prévisions du Fonds Monétaire International (FMI) laissent espérer une faible remontée, avec une estimation de +4%, certes une première depuis 10 ans mais une hausse du PIB/tête malgré tout inférieure à 2%. Surtout, les pays qui atteignent sur une période assez longue une hausse du PIB d’au moins 7%/an sont encore très peu nombreux. Dans la période récente, une bonne dizaine de pays ont réalisé cette performance certaines années – Botswana, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Kenya, Rwanda, par exemple -, mais quittent ce groupe à d’autres moments pour différentes raisons.

Une décomposition sommaire des éléments composant le PIB apporte quelques explications de ces difficultés. Chaque pays possède en effet plusieurs secteurs économiques qui favorisent de manière « stable » une croissance soutenue, principalement poussée par des facteurs internes : l’agriculture vivrière, stimulée entre autres par la hausse des populations et des revenus ; les télécommunications, les banques et les activités commerciales qui répondent aux besoins de consommation anciens et nouveaux des agents économiques nationaux. D’autres secteurs présentent au contraire des évolutions fort variables, qui, selon les moments, « boostent »   une croissance nationale ou la ralentissent. C’est le cas des cultures de rente et des productions minières, tournées toutes deux vers l’exportation et dépendant de demandes et de prix fixés à   l’international. Il en est de même pour les investissements, publics et privés, dont le volume est fonction de déterminants nombreux et mouvants : programmes de développement des Etats, attractivité de l’environnement administratif, fiscal et juridique, disponibilité de financements adaptés locaux et/ou étrangers par exemple. Certains secteurs enfin ont souvent un poids relatif faible alors que leur influence, directe ou indirecte, sur la variation du PIB pourrait être importante : les activités industrielles, d’un côté, et l’éducation, le logement et la santé, de l’autre, en sont de bonnes illustrations.

Les voies possibles issues pour une amélioration des taux de croissance moyens, issues de ces brefs constats, recoupent des recommandations connues : consolider les secteurs « stables » en améliorant aussi leur efficacité, surtout pour l’agriculture ; réduire les dépendances extérieures par la transformation de produits exportés ; intensifier les investissements les plus en retard et ayant l’impact le plus large, comme l’énergie ; encourager les industries locales ; faire de l’éducation et de la santé pour tous des priorités nationales. Elles mettent aussi en évidence les données financières et comportementales indispensables pour entretenir ces circuits vertueux. Celles-ci vont de la hausse des ressources fiscales ou du renforcement du rôle des systèmes financiers à une meilleure crédibilité des Etats ou un soutien plus affirmé aux initiatives privées en passant par des stratégies plus pertinentes de l’appui international au développement.

La bonne connaissance du contenu des PIB tout autant que l’obtention pour un bon nombre de pays d’une croissance moyenne plus élevée sont donc des objectifs qui demanderont encore beaucoup d’efforts. Leur atteinte est cependant cruciale pour concrétiser une autre ambition majeure : assurer dans chaque pays la répartition la plus équitable des améliorations du PIB.    

Paul Derreumaux

Article publié le 26/09/2024

FCFA en Afrique de l’Ouest : éléments de réflexion

II : Les voies possibles et leurs contraintes.

Les récentes revendications de « souveraineté monétaire » dans les pays sahéliens n’ont rien d’illégitime ou d’impossible. Les changements enclenchés en 2019 dans l’UEMOA allaient d’ailleurs en ce sens, modestement et de manière collégiale, mais n’ont pas encore été menés à terme. De nombreuses nations en Afrique, ou ailleurs, ont choisi une monnaie nationale flexible par rapport aux autres devises et en assument quotidiennement les conséquences, positives ou négatives. Pour apprécier la pertinence d’une option par rapport aux autres, il est cependant indispensable de retenir que quelques contraintes s’imposeront dans tous les cas.

La première est que les spécificités de la monnaie choisie ne sont jamais le seul déterminant de la réussite ou de l’échec économique d‘un pays. Ses données « réelles » – richesses naturelles, typologie du système économique local et puissance des entreprises, pertinence de la politique économique et de la gouvernance publique, qualité de la formation des populations, force d’innovation, ..- sont des déterminants au moins aussi importants que la variable monétaire pour expliquer un bon ou mauvais taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB), comme une diminution ou une stagnation de la pauvreté. En revanche, les données « monétaires » peuvent faciliter ou pénaliser les financements, publics comme privés, dans le pays, et donc « booster » ou freiner sa croissance. Le Ghana, le Kenya et le Zimbabwe ont par exemple tous une monnaie nationale mais ne progressent pas au même rythme. Il en est de même des deux parties de la zone franc qui ont pourtant une monnaie analogue et soumise aux mêmes règles. De plus, l’adéquation d’une monnaie et de ses caractéristiques à son environnement peut varier avec le temps en fonction notamment du degré de compétitivité de l’économie nationale, ou du contenu et des directions des flux commerciaux : ses caractéristiques n’ont pas vocation à être permanentes et aucune monnaie n’est « parfaite ».

Une seconde contrainte est que le fonctionnement optimal d’une monnaie, quelle qu’elle soit, exige de la part de l’Etat et des responsables de la politique monétaire et économique des actions soutenues et durables pour tenir le cap fixé. Clarté des objectifs, discipline vis-à-vis des engagements pris, contrôle régulier des évolutions et correction des déviances, maîtrise technique par les responsables et qualité de leur organisation, respect des partenariats financiers extérieurs, limitation dans le temps et dans l’ampleur des déséquilibres et des déficits, doivent être appliqués simultanément. En résumé, il convient d’accorder aux questions économiques une attention et une priorité suffisantes pour faire accepter par tous la discipline requise pour le succès des chantiers ouverts. En la matière, une monnaie commune à plusieurs Etats peut permettre une mise en commun des efforts individuels pour un même objectif de défense de la monnaie et une réduction des risques pour chacun si cette solidarité est permanente et suffisamment équilibrée. A contrario, ce scénario est plus pertinent lorsque les nations sont assez homogènes par leurs puissances démographique et économique, mais aussi suffisamment diversifiées par la structure de leurs activités.

De ces exigences découle une troisième donnée : le besoin permanent de la confiance de tous les partenaires étrangers, politiques comme économiques. C’est la condition sine qua non pour éviter au maximum les effets spéculatifs qui viendraient se greffer sur les facteurs de variation des cours de change découlant directement des échanges de biens et services, et qui aggraveraient les risques de détérioration de la valeur de la devise du pays. Ainsi le FCFA est parfois utilisé dans la période présente comme monnaie d’échange et d’épargne dans les pays voisins de l’UEMOA, en raison de sa plus grande solidité actuelle par rapport à celle de leurs monnaies respectives. Cette confiance se nourrit patiemment de la transparence des actions menées, de la véracité des données communiquées et de la pertinence des comportements des dirigeants. Elle assure le soutien des financiers extérieurs et des alliés en cas de difficultés temporaires et d’attaques monétaires délibérées. Elle se détruit en revanche rapidement par suite des erreurs commises, de la fragilité des politiques conduites ou d’anomalies vites décelées par les analystes. 

Dès lors que ces conditions sont respectées, toutes les options sont envisageables en matière monétaire, en Afrique de l’Ouest comme ailleurs, même si certaines sont plus difficiles que d’autres. Elles se font logiquement en deux étapes. La première est celle du choix par le pays de l’isolement ou de l’association, et, dans le second cas, de l’identité des partenaires prévus. Il relève nécessairement de la responsabilité des plus hautes Autorités nationales et, soixante ans après les indépendances en Afrique subsaharienne, il est souhaitable qu’il soit fait en dehors des influences extérieures. Le choix doit en effet être guidé avant tout par les intérêts, les forces et les faiblesses à moyen et long terme de l’économie locale et la recherche de la meilleure manière dont les caractéristiques du système monétaire adopté peuvent servir ces intérêts. Une fois la décision prise, l’engagement de l’Etat au profit du projet retenu aura à être total, permanent et publiquement affirmé, même si, en cas d’association entre pays, des désaccords momentanés apparaissent sur d’autres plans. L’Union Européenne a montré à diverses reprises sa capacité à résister à des tensions entre membres pour la préservation de sa monnaie commune. L’East African Community (AEC) s’efforce de faire de même pour poursuivre le développement de sa zone. La seconde étape est au contraire avant tout technique et doit être menée dans un cadre de sérénité et de discrétion maximale compte tenu du caractère sensible des questions en jeu. Cette phase prend obligatoirement du temps par suite des nombreux aspects complexes à régler -indépendance ; missions et modalités de travail de la Banque Centrale ; parité flexible ou non de l’unité monétaire ; base de référence de la valeur de la monnaie ; mécanismes de solidarité entre nations en cas d’association ; ….. Il est seulement essentiel que les délais annoncés soient tenus et suffisamment courts pour ne pas alimenter inquiétudes et spéculations et pour donner au projet la crédibilité optimale.  

Si on admet la réalité des contraintes ci-avant, les questionnements entendus depuis un an sur le FCFA semblent placer la zone à l’orée de la première étape. Il reviendrait maintenant à chaque pays de se prononcer après avoir pris en considération les avantages et les inconvénients de l’expérience passée, et la part des questions monétaires dans les succès et échecs constatés, d’une part, et avoir analysé comment l’option pour l’avenir peut favoriser le développement futur du pays et la prospérité de toute sa population, notamment en assurant le financement de toutes les actions à mener, d’autre part. Le choix à opérer par rapport au système actuel – substitution, révision, statuquo, choix individuel ou collectif,.. – est stratégique, et engage le pays et ses citoyens pour une longue période. Mais c’est le lourd privilège des Autorités politiques que d’assumer cette responsabilité et de veiller ensuite à se conformer aux contraintes qu’elle impose.

Paul Derreumaux

Publié le 29/07/2024

FCFA Afrique de l’Ouest : éléments de réflexion

I- La nouvelle donne

L’année 2019 avait été marquée par d’étonnantes nouvelles pour les questions monétaires en Afrique de l’Ouest. En juin, la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) prenait par surprise analystes et médias pour annoncer pour l’année 2020 la création effective d’une monnaie commune, l’ECO, dans cet espace de près de 400 millions d’habitants. En décembre de la même année, les Présidents de Côte d’Ivoire et de France surprenaient encore davantage en déclarant ensemble pour l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) la fin du FCFA « ancienne formule » et une évolution rapide de l’Union vers une monnaie commune plus indépendante.

Ces transformations soudaines, presque révolutionnaires après tant d‘échéances de changement reportées et de critiques subies, n’ont hélas pas été entièrement concrétisées depuis lors. La paralysie née du Covid-19 justifiait certes des retards importants, mais peut difficilement expliquer que, à mi-2024, on reste sans nouvelle de ces mutations décisives. Le silence de l’UEMOA et l’information récente de la CEDAO d’un nouveau décalage dans les travaux conduits sur ces questions monétaires font craindre légitimement que des changements promis ne sont pas prêts à être mis en oeuvre. Difficultés inattendues, renoncement à la mutation, blocages divers ? Un lourd silence a pesé depuis 2020 sur le report des engagements pris et les éventuels nouveaux délais envisageables.  

Dans l’intervalle, l’Afrique de l’Ouest a été secouée par des changements politiques essentiels. Des coups d’Etat ont eu lieu dans quatre pays de la CEDEAO – Guinée, Mali, Burkina Faso et Niger, les trois derniers étant aussi membres de l’UEMOA-. Il en est résulté au moins deux conséquences essentielles dans les deux Unions régionales touchées par ces évènements. D’abord, la condamnation de ces évènements inconstitutionnels, assortie souvent de sanctions économiques et politiques à l’encontre des pays concernés, a profondément détérioré les relations internes à ces regroupements de pays, pourtant constitués de longue date : 30 ans pour l’UEMOA (et 61 ans pour sa devancière l’UMOA), 50 ans en 2025 pour la CEDEAO. Pour cette dernière, la décision unilatérale de sortie prise en janvier 2024 par trois pays -Burkina Faso, Mali, Niger- et les reports des échéances convenues pour le retour à des régimes constitutionnels confirment l’ampleur inédite de la crise régionale. En second lieu, face à ces tensions avec leurs voisins et une partie de la « communauté internationale », les pays ayant connu des coups d’Etat ont mis au premier plan le critère de la souveraineté nationale comme centre de gravité de leurs stratégies sécuritaire, politique et économique : la monnaie est apparue dès 2023 comme un aspect essentiel, voire prioritaire, de la reconquête de cette souveraineté. La récente constitution de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) traduit cette détermination.

Ainsi, après quelque quatre années d’accalmie, le Franc CFA est à nouveau l’objet de remises en question, sans d’ailleurs qu’une référence soit faite aux décisions communautaires de 2019, aux mutations déjà réalisées- – en particulier fin de l’obligation de constitution de dépôts auprès du Trésor français à hauteur de 50% des réserves en devises de l’Union, et suppression du « compte d’opérations » lié à cette contrainte- ou à celles en attente  Les problèmes posés diffèrent cette fois de ceux évoqués dans la période 2005/2019 sur quatre principaux plans.

En premier lieu, la volonté de changement est désormais plus politique qu’économique. Il est difficile de reprocher aujourd’hui au FCFA d’être un frein au développement alors que l’UEMOA est une des régions subsahariennes où le Produit Intérieur Brut (PIB) progresse le plus depuis plus d’une décennie, que cette avancée touche, avec une force voisine, tous les pays de l’Union, et que la monnaie commune n’a pas empêché de grandes transformations structurelles dans certains Etats de la zone. De plus, dans plusieurs circonstances, des innovations de la Banque Centrale de l’Union ont montré sa capacité à appuyer l’action des Etats face à des difficultés exceptionnelles, comme l’émission de Bons Covid en 2020 ou des rachats de dette publique plus récemment Les « attaques » techniques sont d’ailleurs rarement remises en avant aujourd’hui. En revanche, la dépendance du FCFA par rapport à l’EUR et à la France constitue désormais la critique fondamentale. Il est vrai qu’aucune information n’est disponible sur l’avancée des autres mutations requises en direction de cette autonomie– et notamment le remplacement de la référence à l’EUR par celle à un « panier de monnaies » et la mise en œuvre d’une politique monétaire plus déliée de celle de l’EUR.

En outre, dans le passé, la contestation concernait le FCFA et ses handicaps économiques, et non l’UEMOA, dont la mise en synergie des forces et ambitions de huit nations était au contraire généralement considérée comme un atout essentiel pour le développement économique. En 2024, au contraire, la critique de la monnaie commune s’accompagne souvent de celle de l’Union telle qu’elle se présente actuellement. Il en résulte la formulation d’hypothèses multiples pour la sortie de crise : création par les éventuels Etats « partants » d’une monnaie commune ou d’une monnaie nationale pour chacun d’eux ; maintien du FCFA, réformé ou non, pour les Etats « restants » ; statu quo ; retour généralisé à des monnaies nationales.

Par ailleurs, aucun pays de l’Afrique centrale francophone ne semble emboiter jusqu’ici le pas à cette nouvelle fronde, alors que le FCFA avait aussi souvent été contesté dans le passé sur ce périmètre. Une réforme en Afrique de l’Ouest, telle qu’engagée en 2019 ou sous une autre forme, pourrait donc mettre fin définitivement à la gémellité des deux zones monétaires francophones.

Surtout, la critique est exprimée par les Autorités de certains pays, et non plus par des opposants politiques ou économiques aux pouvoirs en place. Or, celles-ci ont à tout moment le pouvoir d’engager la modification des conditions d’émission et de gestion de leur monnaie nationale. La probabilité de transformations effectives s’en trouve ainsi renforcée.

Face à cette situation inédite, les solutions possibles sont variées mais, pour réussir, seront soumises à plusieurs contraintes (A suivre… le 29 juillet)

Paul Derreumaux

Article publié le 22/07/2024

Sénégal : retour sur les marchés internationaux de capitaux

L’émission réussie par le Sénégal d’un Eurobond de 750 millions de USD est une bonne nouvelle à trois titres.

Pour le pays, elle constitue un apport peu attendu de ressources financières additionnelles qui aideront les nouvelles Autorités politiques à concrétiser un ambitieux programme, aussi bien économique que social. Elle montre aussi la confiance des prêteurs internationaux dans la vision comme dans le pragmatisme des dirigeants récemment élus, dans la solidité de leur base politique, et dans les évolutions à court et moyen terme de l’économie sénégalaise Pour l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine, elle illustre la vision optimiste que les investisseurs étrangers continuent à avoir de la solidité de la zone. En 2024, trois des quatre Eurobonds émis en Afrique subsaharienne ont en effet concerné la région : Côte d’Ivoire, Bénin, Sénégal (le 4ème étant réussi par le Kenya). Les tensions politiques et risques sécuritaires sur le territoire de certains membres demeurent donc pour l’instant moins prééminentes que les performances économiques récentes et attendues de l’ensemble de l’Union et que sa capacité à trouver des solutions aux problèmes de l’heure.

Pour l’Afrique subsaharienne entière, elle représente l’espoir reconnu à l’étranger que les transformations positives à l’œuvre dans certains pays et regroupements régionaux peuvent se renforcer et s’étendre, et l’emporter sur tous les risques possibles de dégradation. Vue de l’intérieur du continent, elle constitue un encouragement à consentir les efforts requis pour conduire ces mutations et mobiliser à cette fin une jeunesse impatiente.

Toutefois, cette réussite n’est pas sans risques.

D’abord, l’emprunt est à un taux élevé et sa durée courte. Son remboursement pèsera sur les finances publiques d’un Etat parfois considéré comme trop endetté, qui devra peut-être réaliser des économies de charges compensatoires ou une restructuration en bon ordre de certaines parties de sa dette   

Surtout, les Autorités auront la lourde responsabilité d’assurer une affectation optimale de ces ressources complémentaires. L’atteinte d’un bon équilibre entre deux impératifs est déterminante. D’abord, répondre en actes aux aspirations populaires en matière de cherté de certains coûts ou d’amélioration des protections sociales, trop attendues pour être reportées, mais d’une application souvent délicate. Par ailleurs, procéder aux dépenses productives requises pour un lancement optimal des activités pétrolière et gazière et la poursuite d’investissements urgents, comme dans l’énergie. Enfin, des questions clés, comme celle de la monnaie commune, auront à être traitées sans perturber les autres priorités.

Ces défis sont complexes. Ils exigeront innovation et audace, mais aussi rigueur. La superbe élection démocratique de juin dernier, qui interdit l’immobilisme, a toutefois montré qu’un combat juste peut triompher de beaucoup d’obstacles.

Paul Derreumaux

L’exemple de l’East African Community (AEC) : une autre approche d’Union Economique Régionale

L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) est une des régions de l’espace subsaharien les plus remarquées pour sa robuste croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) depuis plus d’une dizaine d’années, et une bonne maitrise de l’inflation grâce à l’arrimage de sa monnaie à l’EUR, mais elle préoccupe par les tensions politiques et sécuritaires qui la touchent aujourd’hui. A plusieurs milliers de kilomètres de là, une autre Union se distingue aussi par son dynamisme, ses ambitions et ses réussites récentes : l’East African Community (AEC). S’il est vraisemblable que les deux zones pourraient peser sur le destin du continent en raison de leur poids croissant, elles offrent en tout cas des « modèles » de construction assez différents.

Le périmètre de l’AEC a connu ces deux dernières années une augmentation considérable. Reconstituée en 2000, après une mise en parenthèse de plus de 20 ans, par ses trois fondateurs -Kenya, Ouganda et Tanzanie-, la Communauté Est Africaine s’est étendue en 2007 au Burundi et au Rwanda, puis au Sud-Soudan en 2016. Elle a surtout inclus en 2022 la République Démocratique du Congo (RDC) et ses quelque 100 millions d’habitants, et vient d‘accueillir la Somalie comme 8ème membre.

L’ensemble pèse lourd. L’AEC couvre aujourd’hui 16% de la surface du continent – plus de 20% de sa partie subsaharienne-, traverse l’Afrique d’Ouest en Est et s’ouvre désormais à la fois sur l’Océan Atlantique et, largement, sur l’Océan Indien. Sa population globale dépasse maintenant 300 millions d’habitants, soit 25% de toute l’Afrique subsaharienne et plus de 2 fois celle de l’UEMOA. Elle augmente de plus de 2% par an et compte quatre poids lourds de la démographie africaine : Tanzanie, Ouganda et Kenya, et surtout la RDC dont la croissance est la plus rapide du continent et qui pourrait être le 2ème Etat subsaharien le plus peuplé en 2050. Le PIB cumulé des 8 pays atteint en 2022 307 milliards de dollars US, ce qui en fait globalement la 3ème puissance subsaharienne et représente environ 1,65 fois le PIB de l’UEMOA. La répartition est cependant fort inégale : le Kenya assure à lui-seul le tiers de l’ensemble, et la Tanzanie et l’Ouganda réunis un second tiers ; pour le reste, la RDC fournit l’essentiel malgré le faible niveau du revenu par habitant.

L’évolution et la situation actuelle de l’AEC sont pour une bonne part le résultat de l’approche pragmatique et libérale des trois pays fondateurs de l’Union, caractéristique de leur culture anglophone : s’appuyer sur le dynamisme et les atouts respectifs de chacun pour construire un grand marché où l’essor des entreprises locales peut s’exprimer le plus aisément avec des contraintes politiques communes minimales et la préservation optimale par les Etats des intérêts nationaux. Le Kenya a joué le rôle de pionnier et de premier bénéficiaire dans cette approche de terrain, grâce notamment à l’avance d’un appareil industriel puissant et diversifié, et à la sophistication de son système financier. Mais Tanzanie et Ouganda ont pu en tirer profit en restant vigilants sur les particularités – historiques, politiques, sociologiques, ..- qui leur semblaient essentielles à sauvegarder tout en utilisant au maximum cette ouverture des économies. Beaucoup des entreprises et des banques ont donc adopté une stratégie régionale qui a permis à la fois de stimuler leur propre croissance et de diffuser dans les trois pays des progrès structurels. Les structures communautaires ont veillé par ailleurs à encourager ces tendances de renforcement des liens économique régionaux – création d’une zone de libre-échange en 2008 ; mise en place d’un marché commun régional en 2010 pour favoriser la circulation des biens, personnes et capitaux, avec une protection de l’extérieur assurée par un tarif unique. Mais cette libéralisation a laissé à chaque Etat beaucoup de prérogatives régaliennes : on compte ainsi dans l’AEC autant de monnaies et de banques centrales que de pays et plusieurs Etats ont créé leur propre bourse mobilière.  Les ambitions fortes comme une monnaie commune et une construction plus fédérale restent affichées, mais le terme de leur réalisation a été mis au second plan.

En adoptant cette optique, les dirigeants de l’EAC ont donc visé avant tout des objectifs limités en termes d’intégration structurelle, mais surtout volontaristes en matière de croissance économique, en s’appuyant sur des politiques suffisamment concrètes et solides pour être utiles à des acteurs dynamiques dans un marché en expansion rapide. L’évolution historique de l’AEC observée depuis 2007, rappelée ci-avant, témoigne de l’attraction de cette politique et quelques exemples montrent ses impacts positifs. Les données géographiques et démographiques, déjà citées, parlent d’elles-mêmes. Au plan des ressources naturelles, on trouve maintenant dans l’immense espace de l’AEC aussi bien de riches cultures d’exportation -café, thé, fleurs du Kenya, d’Ouganda, de Tanzanie – que des zones forestières et, surtout, une large gamme de produits miniers allant du pétrole en Ouganda aux métaux rares -cobalt, coltan,..- dont est si bien dotée la RDC. Les puissantes banques kenyanes -le bilan d’Equity Bank, première banque kenyane, est 2 fois supérieur à celui de la Société Générale de Côte d’ivoire -, grâce à des rachats ou de nouvelles implantations, sont en train de devenir dominantes en RDC comme elles l’avaient fait au Sud-Soudan où elles ont ouvert des filiales vite florissantes dès l’indépendance de ce pays. Elles accélèrent ainsi l’inclusion financière dans toute la région. L’AEC a aussi la chance de posséder des membres précurseurs dans certaines infrastructures. Le Kenya est numéro 1 en Afrique pour l’éolien, grâce à son parc géant de Turkana, et pour la géothermie, par ses installations dans la vallée du Rift. Il pourrait être une locomotive pour rattraper le retard considérable de la RDC ou de la Somalie. L’AEC est aussi une exception en matière ferroviaire avec plus de 7000 kms de voies ferrées opérationnelles et de nouveaux projets d’extension. Le Kenya abrite un appareil industriel de grande envergure et de large composition qui a déjà commencé à inspirer ses deux voisins immédiats. Le tourisme est un secteur prospère, sous des formes variées, aussi bien en Tanzanie et au Kenya qu’au Rwanda.

D’autres impacts espérés devraient être cependant plus lointains ou incertains à l’avenir. En particulier, le nouvel ensemble, s’il a gagné en taille, a aussi perdu en homogénéité -linguistique, culturelle, de niveau de vie-, ce qui peut rendre plus difficiles les mutations structurelles profitables à plusieurs pays. De plus, les investissements industriels et en infrastructures, stratégiques pour les derniers membres arrivants, risquent de prendre du temps pour se concrétiser et porter leurs fruits. Surtout, deux questions majeures interpellent. La première, ancienne, est d’ordre monétaire. Le shilling kenyan, le moins fragile dans l’EAC, a ainsi perdu plus de 50% de sa valeur par rapport au Dollar US de 2000 à 2024 contre 15% seulement pour le FCFA sur la même période, le repli ayant été plus élevé pour l’Ouganda et la Tanzanie. Cette situation a des effets variés. Ainsi, selon les données de la Banque Mondiale, le revenu par habitant du Kenya en dollars courants a crû deux fois plus vite que celui de la Côte d’Ivoire sur ces deux décennies, mais la même variable exprimée en parité de pouvoir d’achat a été dans le même temps plus performante de 10% en Côte d’Ivoire. De même, les soubresauts du Shilling absorbent souvent une partie notable des bénéfices des sociétés pour les actionnaires extérieurs et peuvent freiner des investissements encouragés par d’autres motifs.  Ces constats tendent à confirmer qu’une monnaie, quelle qu’elle soit, ne constitue ni un handicap dirimant pour le développement économique, ni un avantage décisif face à cet objectif. Le secret de la performance se trouve davantage dans d’autres facteurs, liés à la sphère réelle et à la qualité de la vision et des politiques économiques. La seconde interrogation, plus récente, est que les élargissements récents de l’EAC ont eu lieu alors même que des tensions politiques semblaient s’exacerber entre membres et postulants, le cas le plus marquant concernant la RDC et le Rwanda. Certaines adhésions ont aussi été agréées alors qu’elles pouvaient gêner les relations avec de puissant voisins, tels le Soudan pour le Sud-Soudan et l’Ethiopie pour la Somalie.  Il apparait donc que les motivations et critères d’adhésion sont essentiellement économiques, tablant sur une espérance d’amélioration par effet d’entrainement dans un espace performant, mais aussi que les différences politiques entre membres, même majeures, n’ont pas entrainé jusqu’ici d’arrêt des synergies ni de volonté de scission. Il reste à voir si cette conception saura être maintenue alors que des tensions s’avivent entre certains membres de l’EAC.

L’évolution des vingt dernières années ne semble pas encore indiquer si, dans la comparaison possible entre l’AEC et l’UEMOA, l’une des deux Unions aurait durablement pris le pas sur l’autre en termes de perspectives. En économie, les indicateurs témoignent des importantes avancées des deux espaces régionaux, les atouts et handicaps de l’un et de l’autre l’emportant tour à tour selon la conjoncture, notamment internationale. En politique, le niveau variable d’intégration des deux communautés rend difficile l’appréciation de leurs succès et échecs respectifs. Cette « compétition » peut être bénéfique. En cette période où surgissent beaucoup de remises en question, fortifier de toutes manières les constructions régionales les plus crédibles, parfois en imaginant qu’elles peuvent susciter des inspirations réciproques, est sans doute un bon moyen de faire progresser à la fois la paix et le mieux-être pour tous.

Paul Derreumaux

Afrique subsaharienne : Début de retour en grâce de l’endettement extérieur ?

En quelques mois, le discours dominant d’un endettement public excessif des pays subsahariens s’est fait plus discret, tandis que se précisent des marques d’intérêt de prêteurs, publics comme privés, pour ces financements. Ces deux situations ne sont cependant pas forcément contradictoires : de nouveaux concours de ce type peuvent faciliter ou accélérer le développement économique, mais les limites de leur usage restent nombreuses.

Une bonne illustration de la nouvelle donne est l’émission en janvier 2024 par la Côte d’Ivoire d’un Eurobond en Dollars US (USD), le premier depuis 2021. Ce lancement a surpris, mais son succès sur le marché international a étonné encore davantage. D’un montant total de 2,6 milliards de USD, l’opération a attiré plusieurs centaines de grands investisseurs et a été sursouscrite plus de 3 fois, à un taux moyen de 6,6% et sur une durée de 9 ou 13 ans selon ses deux composantes. Cet endettement supplémentaire apparait pertinent a un double titre : il devrait servir en bonne partie à racheter et/ou restructurer des emprunts internationaux antérieurs dont les coûts étaient plus onéreux ou les échéances plus proches, améliorant ainsi le profil de la dette extérieure ; il financera aussi une fraction de l’important programme d’investissements inscrit dans le Plan de Développement du pays. Il s’inscrit ainsi dans le prolongement du programme financier de 3,5 milliards de USD conclu en 2023 entre les Autorités d’Abidjan et le Fonds Monétaire International (FMI) pour la poursuite des réformes structurelles du pays.

Cette attractivité renouée de la Côte d’Ivoire auprès des grands bailleurs internationaux inspire d’autres nations. Le Kenya vient de réussir en février la levée d’un Eurobond de 1,5 milliard de USD, lui aussi notamment destiné à rembourser des échéances extérieures proches et, grâce aux nouveaux taux obtenus, réduire le taux moyen de ses emprunts étrangers.  Le Nigéria estime être en mesure de renégocier prochainement sa dette actuelle et de revenir en 2025 sur les marchés privés étrangers grâce aux réformes menées depuis la nouvelle présidence de Bola Tinubu. Comme souvent, les plus grandes institutions d’appui au développement ont été à la base de ce changement d’approche. Au Ghana par exemple, où la crise financière et l’hyperinflation de 2022 avaient gelé tous concours extérieurs tandis que le pays devait effectuer de douloureuses réformés, le FMI accélère le déblocage de son aide financière et la Banque Mondiale pourrait reprendre ses financements, ouvrant la voie à d’autres intervenants. De même, la Guinée escompte pouvoir obtenir un financement de cette même institution pour la réalisation de plusieurs projets d’infrastructures.

Le retour de prêteurs internationaux ne remet cependant nulle part en cause le recours à la dette intérieure. Dans la plupart des pays, les émissions locales de bons et d’obligations sont devenues des ressources budgétaires de plus en plus courantes. Dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), où cet instrument a moins de 30 ans, l’encours global des titres émis -par adjudication et par appel public à l’épargne – a crû rapidement et approche 25000 milliards de FCFA pour l’ensemble des 8 pays fin 2023. Pour les seules adjudications, et malgré la hausse récente des taux qui renchérit ces ressources, les émissions attendues pour 2024 pour la zone pourraient atteindre 9500 milliards de FCFA, soit plus de 15 milliards de USD.

Trois raisons principales expliquent ces changements. D’abord, les taux de croissance et les perspectives de développement de la zone subsaharienne se redressent : +3,8% en 2024 et +4,1% en 2025 du Produit Intérieur Brut (PIB) de la zone selon les nouvelles prévisions du FMI, plus optimistes.  L’amélioration escomptée s’appuie sur une relance possible des économies après plusieurs crises majeures -Covid 19, Ukraine, forte inflation, hausse brusque des taux d’intérêt-, et surtout l’annonce de nombreux investissements- infrastructures, énergie, certaines matières premières, investissements « verts ». Accélération de la croissance et transformations structurelles se combinent pour amoindrir les craintes sur le niveau élevé de la dette publique. Les grands Partenaires Techniques et Financiers (PTF), aux ressources parfois récemment confortées, sont donc plus ouverts à s’engager à nouveau sur les créneaux porteurs et, par leur taille et leur rôle, entrainent avec eux des institutions privées toujours à l’affut de bonnes opérations. La Commission Européenne (UE) et la Banque Africaine de Développement (BAD) viennent ainsi de conclure un accord-cadre  pour « stimuler » des investissements dans de grands projets d’infrastructure. En second lieu, les montants considérables de capitaux internationaux en recherche permanente d’emplois rémunérateurs voient se réduire les alternatives dont ils disposent : l’Europe attend pour 2024 une croissance économique atone et une possible baisse des taux d’intérêt ; en Chine, le plongeon des cours boursiers, les difficultés de certains secteurs, le ralentissement de la croissance incitent beaucoup d’investisseurs à chercher des relais au moins provisoires ; beaucoup de pays émergents voient leurs monnaies s’affaiblir. Avec ses prévisions relevées de croissance économique, l’immensité des besoins en investissements de toutes sortes et un soutien retrouvé des PTF, certains pays subsahariens redeviennent attractifs.  Le troisième aspect est en effet une différentiation de plus en plus nette entre nations, dans la prééminence donnée aux questions économiques et au rythme des réformes qu’elles requièrent. Certaines apparaissent désormais installées plus solidement et durablement sur des trends de croissance parmi les plus élevés au monde -au moins 6% : des Etats membres de l’UEMOA et de l’East African Community (EAC) et quelques autres, tel le Botswana, reviennent le plus souvent dans ces statistiques. Ces pays se caractérisent moins par le montant de leur PIB que par leurs économies plus diversifiées, donc moins vulnérables, et par leur vision à moyen terme, donc souvent plus pertinente.

Pourtant, ces atouts sont à évaluer avec prudence. En premier lieu, l’accès aux financements internationaux privés reste réservé à une petite minorité d’Etats subsahariens. Pour la majorité au contraire, seuls interviennent les PTF ou des Etats amis ou intéressés surtout par des investissements qui servent aussi leurs propres objectifs. Les Investissements Directs Extérieurs (IDE) se sont globalement réduits et sont toujours limités à quelques secteurs : matières premières essentiellement, infrastructures parfois. Les avertissements sur un surendettement public de la zone restent nombreux, confirmés par les défauts de paiement déjà enregistrés vis-à-vis de prêteurs extérieurs : à la Zambie et au Ghana vient de s’ajouter en décembre dernier l’Ethiopie, un des piliers de la croissance économique africaine fragilisé par les difficultés politiques internes. Ces pays moins favorisés pèsent aussi globalement le plus, en termes de PIB comme de population.  L’endettement intérieur et les recettes fiscales, celles-ci peinant à gagner en intensité, demeurent en conséquence dans ces régions les ressources budgétaires stratégiques. Elles ne peuvent cependant couvrir à elles seules les dépenses courantes et des programmes d’action de grande envergure. De plus, les perspectives économiques plus optimistes pour le continent vont se heurter à une inflation encore forte en beaucoup de pays -plus de 15% actuellement-, à des menaces sur les monnaies -comme au Nigéria-, à des crises politiques qui se sont multipliées et peuvent prendre la priorité sur les aspirations de développement économique. Un accès plus intense et généralisé des pays africains à ces capitaux internationaux devrait par suite être lent et difficile. Il doit aussi être évalué en tenant compte d’un service de la dette qui va encore nettement progresser dans les années à venir en liaison avec les endettements supplémentaires et les hausses de taux de la période récente. La seconde limite réside dans un possible renouveau de la concurrence d’autres régions du monde, et notamment de l’Europe ou des « Emergents » comme emprunteurs de qualité. La volatilité de ces masses financières risquerait alors de les ramener à ces périmètres, d’ailleurs mieux connus, et de réduire l’attractivité des horizons africains.

En s’engageant sur les marchés de capitaux internationaux, les nations subsahariennes pressenties comme des championnes possibles d’une croissance économique solide, durable et porteuse de véritables progrès endossent donc une double responsabilité. Il leur faudra d’abord atteindre effectivement les objectifs annoncés pour maintenir leur crédibilité, mais aussi veiller à ce que la charge de cet endettement accru soit supportable à court comme à moyen terme. Leur succès démontrerait que ces pays sont en mesure de s’extraire des turbulences diverses qui freinent depuis longtemps l’évolution en zone subsaharienne et d’être un stimulant pour leurs voisins et leurs partenaires. L’effet de contagion, trop souvent négatif, pourrait alors agir au profit d’une émulation collective et enclencher un cercle vertueux tant attendu.

Paul Derreumaux

Banques Centrales : Ultimes remparts ? Mais à quelles conditions ?

Depuis 2007, les principales Banques Centrales ont mené des politiques inhabituelles pour atteindre leurs buts, qui se sont parfois étendus au-delà de leurs objectifs classiques de stabilité de la monnaie et, de façon liée, de lutte contre ses dérives : inflation, déflation. dévaluation. Surprenantes, voire douloureuses pour certains, ces mesures semblent avoir été déterminantes.

Lors de la crise de 2007/2008, les difficultés des systèmes financiers des pays les plus riches, consécutives à la pratique toxique des « subprimes », et la défiance qui en a résulté entre les banques risquaient de provoquer l’effondrement du crédit, et une récession de grande ampleur, selon les mêmes mécanismes qu’en 1929, avec toutes les conséquences économiques et sociales qui en résultaient. Pour pallier ces dangers et en accord avec les Etats concernés, les Autorités monétaires ont utilisé deux principaux instruments : réduire les taux directeurs à leur minimum, jusqu’à les rendre parfois négatifs, de façon à abaisser les taux d’intérêt et encourager la distribution de crédit; racheter des montants considérables (la « Quantitative Easing (QE) policy ) de dettes des Etats et des institutions financières pour leur éviter des difficultés de trésorerie et leur permettre de poursuivre ces activités de soutien et de crédit. Grâce à ce renforcement simultané de la demande et de l’offre, et même si les principales économies ont subi malgré tout une récession, celle-ci fut pour l’essentiel limitée et momentanée. L’audace a payé.

Dans la « crise des dettes souveraines européennes » des années 2010.2012, la Banque Centrale Européenne (BCE), dans sa défense de l’Euro, a suivi cette même voie d’un support massif des banques et des Etats pour restaurer la confiance du marché, en conjuguant ses actions à celles des Autorités de l’Union Européenne. Tandis que ces dernières innovaient elles-mêmes en instaurant des structures communes de soutien financier de grande ampleur aux Etats – Fonds de Solidarité, Mécanisme Européen de Solidarité,..=, la BCE a été un artisan majeur et inventif de la sauvegarde de l’Euro. Baisse maximale des taux, accroissement des refinancements, rachat de dettes des Etats, des banques et même de certaines entreprises ont été utilisés pêle-mêle pour réduire les écarts de taux d’emprunts entre Etats de l’Union et arrêter les spéculateurs misant sur la dévaluation de l’Euro ou l’éclatement de la zone. Le théatral « autant que nécessaire (« whatever it takes ») de Mario Draghi a agi comme une barrière jugée infranchissable.

En 2021/22, des dérèglements multiples ont été entraînés par le Covid-19 puis la guerre en Ukraine : aggravation des déséquilibres budgétaires liés à la lutte contre la pandémie, « explosion » des prix du pétrole et du gaz, hausses de coût de beaucoup de produits stratégiques. Dans le même temps, la politique monétaire était toujours maintenue accommodante – depuis 2008 avec la seule courte parenthèse de 2016/2019 – pour soutenir des économies fragilisées par les crises précédentes. Cette cohabitation a facilité l’émergence d’une vague inflationniste généralisée qui risquait d’être durable. Après certaines hésitations, la Réserve Fédérale Américaine (FED) a relevé à partir de mars 2022 et jusqu’en juillet 2023 son taux directeur de 0,5% à 5,5% -plus haut niveau depuis 21 ans- en 11 augmentations successives. Jointe à l’arrêt progressif des rachats de titres, cette stratégie restrictive (« Quantitative Teasing (QT) policy) a réduit les liquidités du marché, rendu plus difficile le crédit et ralenti en conséquence l’activité économique. La même approche a été appliquée, avec des variantes, dans la plupart des pays du Nord. Dans le second semestre 2023, le rythme de hausse des prix s’est nettement ralenti et la minutie avec laquelle l’impact de ces mesures monétaires a été suivi a conduit à un atterrissage en douceur des économies concernées, sans récession à ce jour. Ici encore, l’inflexibilité des Banques Centrales, en dépit des pressions subies pour adoucir leur médecine, a été un facteur déterminant de cette remise en ordre.

En alliant ainsi rigueur et inventivité, la FED et ses principaux homologues ont donc su faire primer l’assainissement global des systèmes économiques sous leur contrôle sur les menaces et dérives qu’ils subissaient. Certes, la dernière bataille, menée plus précisément contre l’inflation, n’est pas encore gagnée. D’un côté, l’enthousiasme boursier des deux derniers mois de 2023, au vu d’un ralentissement de la hausse des prix apparaissant plus rapide qu’attendu, témoigne que beaucoup investisseurs sont déjà prêts à adopter les positions les plus optimistes, avant même que l’assainissement soit achevé et au risque de redonner consistance à des tendances spéculatives. De l’autre, il reste toujours possible que les remèdes appliqués soient un peu trop sévères ou mal ajustés et projettent les économies dans une dépression qui serait aussi complexe à redresser. Malgré ces incertitudes et imperfections, les politiques des Banques Centrales ont joué un rôle essentiel dans ces trois exemples pour réduire la gravité des risques économiques et financiers encourus.

Trois principales raisons ont aidé à la mise en œuvre efficace de ces politiques à la fois vigoureuses et audacieuses. La première est sans doute le progrès des informations statistiques et des études sur la base desquelles les Autorités monétaires ont pu prendre leurs décisions. Grâce au renforcement de la collecte de données tous azimuts et au développement des capacités d’analyse de celles-ci, les décideurs monétaires ont amélioré leur connaissance des effets des mesures décidées, la rapidité des corrections possibles en cas d’erreur d’appréciation et la qualité des connexions avec d’autres mesures économiques, comme l’action budgétaire. Les politiques décidées ont donc vraisemblablement gagné en précision et en efficacité sur l’évolution des variables ciblées. La deuxième est la place éminente tenue par les variables monétaires dans les économies les plus avancées, où le coût et la disponibilité du crédit sont des composantes essentielles de la consommation et de l’investissement, comme l’ont montré les emballées du Nasdaq dans les périodes d’argent facile. Les décisions des Banques Centrales en matière de taux et de facilité de refinancement ont en conséquence un lourd impact. Enfin, l’indépendance acquise par ces Institutions, grâce à l’inamovibilité de leurs dirigeants et leurs pouvoirs de décision par exemple, leur donne les moyens de résister au maximum aux pressions des Etats, des entreprises et des lobbys. Ils peuvent donc adopter les stratégies qu’ils jugent efficaces pour atteindre leurs buts, même si les mesures qui en découlent pénalisent au moins provisoirement des intérêts catégoriels. La manière dont sont scrutées leurs moindres déclarations confirme leur pouvoir.

Ces trois conditions ne sont pas remplies partout. L’indépendance n’est notamment pas de règle dans les pays où les pouvoirs publics sont tout puissants, comme en Chine, en Russie ou en Turquie : les politiques monétaires sont alors soumises à l’influence d’autres considérations et les banquiers centraux peuvent être changés ad nutum. De plus, dans beaucoup de pays en développement, le poids des crédits bancaires, qui dépendent le plus des orientations des banques centrales nationales ou régionales, reste modéré par rapport au Produit Intérieur Brut (PIB) : les politiques monétaires appliquées sont donc d’un effet plus réduit et incertain sur les données économiques. C’est notamment le cas général en Afrique -avec quelques exceptions comme l’Afrique du Sud ou le Maroc-. Ce continent souffre aussi, comme d’autres contrées en développement, de la faiblesse des données disponibles, qui rend plus difficile le choix des mesures les plus adéquates.

C’est sans doute la réunion de ces trois atouts qu’il conviendrait de faire progresser au profit des banques centrales dans le plus grand nombre possible de nations. La plus grande facilité d’une coordination internationale des Autorités monétaires y gagnerait, et renforcerait encore l’efficacité des stratégies nouvellement employées. C’est bien sûr un travail de longue haleine qui rencontrera beaucoup d’obstacles, techniques comme humains. Le succès sans accroc des actions actuelles menées contre l’inflation dans les pays les plus avancés sera utile pour justifier l’intérêt d’aller dans cette voie.

Paul Derreumaux

Article paru le 19/02/2024

Cop 28 : est-il possible d’être optimiste ?

La Conférence Internationale sur le Climat (COP) de 2022 à Sharm El-Sheikh avait laissé au moins trois conclusions amères, que les douze mois écoulés n’ont pas aidé à faire disparaitre.

La première concernait des retards, nombreux et importants, par rapport à beaucoup d’objectifs fixés par les plus grandes puissances économiques pour leur propre lutte contre le dérèglement climatique. Ces décalages se sont encore plutôt accentués. Ainsi, malgré les actions menées, les émissions mondiales de Gaz à Effet de Serre (GES) ont crû de 18% de 2005 à 2020 et ne diminueraient que de 2% en 2030 contre plus de 40% programmés par la COP-21. Des arguments variés sont avancés pour expliquer ces faibles avancées : contraintes conjoncturelles diverses qui perturbent les soutiens étatiques ; difficultés de modifier les comportements des consommateurs ; réticences politiques en raison d’autres urgences ; …

Alors que les politiques publiques de grande ampleur peinent encore à s’imposer, faits et théories se combinent, comme déjà en 2022, pour montrer la gravité et l’imminence du danger. Le Groupe d’Experts sur le Climat (GIEC) et d’autres équipes diffusent périodiquement des analyses concordantes sur la dégradation de la situation. L’augmentation moyenne de la température serait déjà de 1,17 degré depuis 1750, proche du plafond de 1,5 degré retenu en 2015, Des travaux sectoriels soulignent que la biodiversité animale aurait déjà diminué de 50% et continue de décroître, tandis que la fonte des glaces de l’Arctique risque fort d’être beaucoup plus rapide que prévu en produisant des effets dramatiques. La multiplication des évènements extrêmes corrobore ces projections. Les périodes alternées de sécheresse et d’inondations se multiplient dans un nombre croissant de régions du monde avec les drames humains qui y sont liés : de la Chine à l’Espagne, du Canada à l’Europe, de l’Afrique de l’Est à l’Amérique du Sud. En France, le paisible Pas-de-Calais a essuyé en 10 jours 4 tempêtes d’intensité historique. A fin septembre, 2023 était l’année la plus chaude jamais mesurée

Enfin, la COP-27 a aussi révélé le non-respect par les Etats du Nord de certains engagements, tel celui de financer pour 100 milliards de USD/an les coûts à supporter par les pays en développement dans la lutte contre le dérèglement climatique. Elle a en même temps illustré les difficultés de concrétiser d’autres appuis tel le Fonds « Pertes et dommages » qui, un an plus tard, n’est pas encore mis au point. La solidarité mondiale souvent affichée par les pays riches a ainsi été prise en défaut, et une méfiance clairement exprimée s’est installée chez leurs interlocuteurs des pays en développement. Lors de plusieurs sommets – Paris en juin 2023 et en octobre 2023 par exemple-, des chefs d’Etat, d’Afrique et d’ailleurs, ont rappelé ces attentes déçues et les responsabilités de chacun dans l’origine des dangers climatiques actuels. Ils ont demandé avec fermeté que les stratégies de lutte tiennent compte de leurs besoins et que des réalisations aux impacts visibles s’accélèrent. C’est justement cette volonté de faire et non de dire que revendiquent les leaders d’un Sud Global, dont le poids économique mondial a beaucoup grandi. Cette nouvelle donne offrirait une alternative crédible aux stratégies proposées par les puissances du Nord, mais ses effets sont à démontrer.

Ces difficultés expliquent le peu d’enthousiasme avec lequel beaucoup abordent la COP-28 et leurs craintes quant aux résultats attendus. Ce combat inédit pour la sauvegarde de la planète serait-il déjà perdu ? Deux indicateurs encourageants pourraient nous redonner espoir.

D’abord, la prise de conscience de la réalité du dérèglement climatique et de la dégradation de notre environnement, et des périls qu’ils engendrent, a beaucoup grandi dans l’esprit de toutes les générations. L’utilisation accrue de produits recyclés, la lutte anti-gaspi, une moindre consommation d’énergie témoignent de ces changements d’habitude, même s’ils sont encore loin des normes souhaitées. Les impacts des crises économiques et de l’inflation récente ont ajouté des motifs financiers aux arguments écologiques et renforcé au moins provisoirement ces nouveaux comportements. Cette bascule des opinions publiques exerce aussi sur les Etats une pression à agir plus fort et plus vite.

C’est sans doute du côté des acteurs économiques que les changements sont les plus positifs Pour les grandes entreprises en particulier, les bons résultats dégagés ces dernières années, la disponibilité de financements peu onéreux jusqu’en 2022, le coup de semonce donné par le Covid-19, les multiples progrès technologiques, et la pression de la compétition ont ensemble conduit à des investissements d’envergure, générateurs d’améliorations notables. Au moins dans les pays les plus développés, de nouvelles technologies aux prix plus abordables créent des produits mieux adaptés, les énergies renouvelables gagnent rapidement du terrain-plus de 20% du total en 2023 en Europe et bien plus dans quelques pays-, les processus de production industrielle sont moins énergivores. Des hypothèses futuristes deviennent plausibles comme l’utilisation de l’hydrogène pour la production d’électricité, qui éviterait toute émission de CO2. Tous les secteurs participent à cette ébullition d’améliorations, de l’industrie pour réduire son empreinte carbone, à l’agriculture pour s’ajuster aux changements climatiques, en passant par le bâtiment grâce à de nouveaux matériaux. Sous l’effet des mêmes contraintes, un nombre croissant de petites entreprises, indépendantes ou sous-traitantes, sont engagées dans ces mêmes transformations. Pour toutes, cette course est une condition de survie.

Fortes de cette meilleure adhésion des opinions publiques et des mutations opérées au sein des entreprises, les Autorités étatiques et internationales, qui tiendront le devant de la scène à Dubai, pourraient-elles obtenir des résultats plus probants à cette Conférence ? Il faudrait pour cela que trois sentiments animent profondément tous les participants. Le premier, imposé par les faits, est celui de l’urgence. Celui-ci amènerait d’abord à accepter d’adopter des engagements contraignants et non indicatifs. Il suppose aussi que les efforts annoncés soient plus conséquents, afin de rejoindre dans les délais initiaux des résultats promis de longue date et non respectés jusqu’ici, comme pour les émissions de gaz à effet de serre. Enfin, ces deux exigences ne devront pas conduire à des « effets d’annonce » mais se refléter durablement et au quotidien dans les priorités des politiques globales, en particulier pour les nations les plus développées.

Le second est celui de la nécessaire mise en cohérence de ces stratégiesanti-dérèglement climatique avec d’autres aspects des politiques économiques et sociales, notamment dans les paysavancés. Partout, une plus grande mobilisation doit être obtenue pour que les intérêts particuliers, qu’ils soient personnels, sectoriels, communautaires ou autres, laissent la priorité à l’intérêt général. La récente crise du Covid-19 a montré que ce sursaut était possible, malgré la montée de l’individualisme, lorsque le péril l’exigeait, et que ce choix était le meilleur atout pour emporter la victoire. Cette restructuration comportementale est encore plus indispensable aujourd’hui. La stimuler est une responsabilité politique et s’appliquer par des canaux imbriqués : l’exemplarité de l’action des administrations et des dirigeants eux-mêmes, l’encouragement mais surtout le contrôle des contributions des entreprises aux objectifs fixés, pour une répartition équitable entre tous les acteurs du coût final des transformations opérées.

Le dernier est celui du rôle clé de la coopération et de la solidarité internationales. Face à un danger qui ne peut être fractionné ou localisé, la réponse doit être globale. L’initiative des COP adhérait à cette conception, qui doit se réimposer au moins à trois niveaux. Les pays les plus riches auront beaucoup à gagner sur leurs propres territoires s’ils raisonnent d’abord en synergie plutôt qu’en compétition, surtout lorsqu’ils sont regroupés dans des ensembles plus vastes : l’Union Européenne pourrait à cet égard avancer beaucoup plus vite qu’elle ne l’a fait jusqu’ici. Ces mêmes pays ont le devoir de mieux respecter à l’avenir les promesses de soutien financier et technique aux pays économiquement en retard : il y va de leur crédibilité en tous autres domaines. L’imagination de tous peut être suffisamment fertile pour mettre en place sans tarder les moyens, existants ou à créer, d’un contrôle collectif de l’usage de ces appuis consentis. Enfin, les pays en développement eux-mêmes ont à participer à ces efforts. Ainsi, en Afrique, la récente déclaration de Nairobi appelle des actions concrètes : les secteurs névralgiques de l’essor des énergies renouvelables et d’une amélioration multiforme de l’agriculture de subsistance fournissent un terrain propice pour cette démarche.

Les dirigeants réunis à Dubaï sauront-ils montrer aux yeux du monde qu’ils ont enfin bien apprécié les enjeux et ce qu’ils impliquent. Il leur faudra pour cela faire preuve simultanément d’intelligence et d’audace, mais aussi d’humilité, de sincérité, et de compréhension des autres plus que d’égoïsme. Les crises actuelles de l’Ukraine et de Gaza tendent à montrer que le cumul de ces qualités se fait rare. L’intelligence humaine a prouvé qu’elle était capable du meilleur comme du pire. Face à la toute-puissance de la nature, souhaitons qu’elle réussisse le meilleur.

Paul Derreumaux

Article publié le 30/11/2023

MALI : les belles rencontres du mois de la solidarité

Depuis 1995, le Mali a fait des 31 jours d’octobre le Mois de la Solidarité. Instaurée par le Président Alpha Oumar Konaré, l’initiative est inspirée d’une vieille coutume malienne : le tabalegossi. Elle consistait pour les Autorités à faire battre tambour dans les villages pour informer les populations d’évènements importants, tel le rappel de se préparer aux rigueurs hivernales et d’inviter à cette occasion les plus aisés à aider les plus pauvres. Par transposition, le Mois de la Solidarité invite ceux qui le peuvent à donner leur soutien à ceux qui sont dans le besoin ou aux structures qui font déjà de ces secours aux plus démunis leur mission principale. 

Cette recommandation gouvernementale a été maintenue depuis lors, malgré tous les soubresauts politiques subis par le pays. Cet appel à la générosité a même pris continûment de l’importance au fur et à mesure que la pauvreté résistait aux statistiques de croissance, et devenait même plus visible avec les crises économiques, politiques et sécuritaires qui se sont ajouté au sous-développement persistant. La hausse des ressources de l’Etat bien inférieure à celle de besoins jugés prioritaires toujours plus nombreux et coûteux explique aussi que la prise en charge par la puissance publique de ces détresses sociales – venant de populations « silencieuses » et marginalisées – soit loin de suivre l’explosion de celles-ci.

Dans un pays où la vigueur des liens familiaux et sociaux est une règle de vie, ou au moins une obligation morale, ce Mois de la Solidarité a toujours été appliqué par beaucoup de donateurs. Aux individus, associations et fondations privées, actifs de plus ou moins longue date en la matière, se sont ajoutées au fil du temps des structures publiques et des grandes entreprises du pays. Il est difficile de connaitre l’ampleur de ces œuvres charitables -certaines sont très médiatisées et d’autres non – ainsi que leur efficacité finale – en raison de leur grande dispersion et du faible suivi des résultats. Mais il est certain que c’est grâce à elles que continuent à vivre quelques beaux rêves comme nous l’ont montré les rencontres effectuées en ce mois d’octobre, en suivant dans les donations qu’elle réalisait une fondation familiale active depuis 2015.

Cette dernière appuie, souvent depuis plusieurs années, une dizaine de structures. Celles-ci, qui ne sont qu’un modeste échantillon de toutes celles qui existent, sont plus ou moins bien organisées selon leur expérience et les moyens dont elles disposent, et ont chacune un objet particulier : accueillir les orphelins ; protéger surtout des jeunes filles seules ou dont les familles sont sans ressources ; réinsérer les jeunes de la rue ; recevoir, éduquer et réintégrer si possible des handicapés mentaux ou physiques ; ,.. Les périmètres d’intervention se recoupent parfois, mais ne couvrent de toute façon qu’une infime partie des demandes. La plupart de ces associations sont à Bamako, et deux en province, et prennent généralement chacune sous leur aile entre 50 et 100 personnes. Ces dernières sont avant tout des enfants ou des adolescents, qui sont les moins aptes à se battre seuls contre l’adversité.  Les dirigeants des institutions sont musulmans ou chrétiens, peu importe, mais plus de 80% des structures sont pilotées par des femmes. Ce n’est ni un hasard, ni la mise en œuvre exemplaire d’une politique du genre, mais l’illustration que celles-ci, jeunes ou plus âgées, réussissent plus aisément le meilleur équilibre entre deux qualités ; l’humanité et la fermeté. Les deux sont en effet indispensables pour constamment donner confiance et espoir aux jeunes pris en charge tout en se battant pour surmonter les barrages et diriger avec autorité un petit monde parfois turbulent. Converser avec ces responsables est une source permanente de respect pour leur dévouement, leur calme déterminé face aux difficultés incessantes, leur résistance à l’échec, leur capacité à toujours trouver des solutions, leur ambition pour le futur de leur entité, en un mot la noblesse de cœur qui anime leur combat. Chaque visite apporte son lot d’initiatives toujours impressionnantes. Mariam S. et Kadia D., qui sont chacune l’âme d’un orphelinat, ont lancé avec succès leurs structures dans le maraichage, qui réduit leur dépendance financière, et elles s’engagent maintenant à petite échelle dans la pisciculture pour l’une et l’élevage de moutons pour l’autre. Yasmina S. qui cherchait depuis si longtemps à construire 4 classes de secondaire pour « ses » élèves handicapés, a obtenu un don et ouvre enfin ce département en octobre. Joseph T. bâtit sans cesse nouvelles classes et nouveaux dortoirs dans la concession du Centre qu’il dirige, pour y recevoir plus d’orphelins et d’élèves du voisinage, tandis qu’il a ouvert en 2023 un centre de santé où il assure les soins et le suivi sanitaire de ses pensionnaires. Mariam C. a délaissé ses activités de sociologue pour fonder un foyer pour enfants trisomiques et essaye maintenant l’intégration des moins affectés avec des enfants du voisinage. Mamadou S. a commencé il y a 5 ans son soutien à des jeunes aveugles en puisant dans sa retraite et élargit chaque année son action grâce aux dons reçus. L’afflux à Bamako des personnes déplacées à la suite des actions terroristes dans une bonne partie du Mali a amené aujourd’hui plusieurs de ces structures à accueillir des jeunes, parfois orphelins, toujours vulnérables, qui appartiennent à ces populations. Beaucoup de ces histoires ressemblent à des contes mais retracent effectivement des réalités visibles. D’où peut venir cette force qui aide à franchir des montagnes d’obstacles et des gouffres de moyens ?

La réponse à cette question doit tenir en bonne partie dans les visages des enfants qui se pressent autour de leurs anges gardiens quotidiens. Ce qui frappe d’abord c‘est l’absence de peur ou de tristesse. L’incertitude du sort du lendemain, ou du jour même, les a quittés plus ou moins vite et replongés dans l’insouciance de l’enfance ou de l’adolescence. Certes, leur nouveau cocon n’est pas luxueux mais il est loin d’être misérable et, surtout, il est stable. Avec cette nouvelle vie, ils ont retrouvé une famille, un toit, et la possibilité d’imaginer enfin un futur. Chez certains orphelins ou jeunes albinos que nous avons rapidement côtoyés, ce changement apparait particulièrement visible. Ce qui enchante ensuite est de voir combien le regard de ces jeunes s’est transformé grâce à la priorité que chaque structure a donnée à leur éducation régulière. On retrouve les yeux pétillants et attentifs de ceux qui qui ont la chance d’aller à l’école et font oublier les regards tristes et sans vie des gamins qui mendient au coin des rues. Tous les responsables insistent avec fierté sur les résultats obtenus aux examens scolaires, largement égaux aux moyennes nationales, et sur les quelques élus qu’ils ont réussi à hisser au niveau de l’enseignement supérieur. Et l’obtention d’un emploi formel est leur graal : l’informaticienne Fatoumata, la journaliste Djenebou, le comptable Moustapha ont déjà réussi ; Oumou, Jean, Moctar, et quelques autres sont en chemin. Enfin, il y a ces personnalités qui éclosent, libérées par la sérénité d’une atmosphère familiale retrouvée ou découverte : les timides et les espiègles, les joyeux et les taciturnes, les inquiets et les intrépides. Et au milieu de ces visages multiples, un sourire, encore esquissé ou déjà éclatant, dont la seule présence récompense les responsables des barrages forcés, leur fait oublier les découragements passagers et les revitalise pour la suite.

Bien sûr, ces moments heureux d’un soutien venu de l’extérieur sont rares et ne doivent pas faire illusion : ces combattants de l’impossible sont fragiles et peuvent disparaitre. De plus, l’Etat devra obligatoirement prendre une part croissante de cette charge humanitaire pour que la masse des besoins insatisfaits n’atteigne pas des dimensions globalement insupportables. Pourtant, ces initiatives privées ne peuvent ni ne doivent disparaitre. Elles témoignent de l’audace et de l’attention aux autres dont certaines personnes sont capables -comme nous l’avait montré Coluche sous d’autres cieux- et nous donnent ainsi l’opportunité de nous souvenir que le devoir d’une solidarité sincère s’impose à chacun pour éviter des catastrophes à venir.

Sur la route du retour, je croise Ousmane F., mon vieux voisin jardinier que j’ai déjà présenté (ici). Nous baragouinons chacun quelques phrases dans la langue de l’autre -mais il reste meilleur que moi- comme à l’accoutumée. Il me raconte qu’il a été fort malade et je lui souhaite meilleure santé. Il avance encore plus courbé parles ans et le travail, mais est toujours vaillant. Nous restons assis côte à côte, silencieux, à regarder ses cultures et le fleuve, majestueux en cette fin de saison des pluies mais si sale. Loin de la fureur meurtrière qui assaille le Mali, nous écoutons le silence, seulement troublé par les cris rauques des grands oiseaux bleus qui sont ici chez eux. La température descend doucement en cette fin d’octobre. Il fera beau demain….  

Paul Derreumaux

Article publié le 31/10/2023

Afrique subsaharienne :  Force et limites du rôle des diasporas

Institutions internationales, analystes et, surtout, Etats voient dans les diasporas de possibles acteurs décisifs pour une évolution économique accélérée des pays en développement, Si cette hypothèse peut s’avérer pertinente dans certaines régions du monde, l’expérience passée comme les perspectives à moyen terme dans les pays d’Afrique subsaharienne imposent une vision plus prudente d’un rôle des diasporas souvent évoqué à trois niveaux.

Le premier, désormais de loin essentiel, est celui des transferts financiers vers leur pays d’origine. Ceux-ci ont constamment et considérablement progressé dans le temps sous l’effet conjoint de la croissance continue des migrations régionales et internationales, de la hausse universelle, quoique très inégale, des revenus et des prix dans les pays d’accueil et de la progression des besoins familiaux dans les pays d’origine. Selon la #BanqueMondiale, ces transferts seraient de 660 milliards de USD en 2022, soit plus du triple de l’Aide Publique au Développement (APD) et plus de 1,2 fois les Investissements Etrangers (IDE) pour cette même année. Même si l’Afrique subsaharienne n’est pas la région au bénéfice de laquelle ces envois de fonds sont les plus massifs, elle concentrerait quand même 53 milliards de USD en 2022, en croissance de 6% sur 2021 et largement supérieurs aux montants d’APD et d’IDE recensés au profit de cette zone. Les pays anglophones dominent le classement des bénéficiaires – près de 40% du total pour le Nigéria, 12% pour le Ghana par exemple – mais des pays francophones ont aussi une place importante tels le Sénégal et le Mali : respectivement environ 3 et 1,2 milliards de USD en 2022. Le poids inévitablement croissant des diasporas dans les prochaines années devrait entrainer ipso facto une hausse continue de ces transferts

Ces populations subsahariennes sont implantées dans le monde entier avec une prééminence de résidence dans les pays avec laquelle leurs pays d’origine ont des relations historiques, linguistiques ou de proximité : France et Europe continentale pour les francophones, Etats-Unis et Grande Bretagne pour les anglophones, nations africaines voisines pour tous les pays. Ces expatriés appartiennent à des catégories sociales fort variables et vivent donc selon des modalités différentes : elles varient d’un habitat regroupé en foyers pour les travailleurs peu qualifiés provenant des pays les plus pauvres à un habitat individuel dispersé pour les catégories socioprofessionnelles aisées venant souvent de nations économiquement plus avancées. Les montants individuels transférés sont souvent modestes et les canaux utilisés se sont multipliés au fil des années : du système informel « hawala » de compensation à l’usage de Western Union ou du mobile banking en passant par les banques.

Dans tous les cas cependant, ces transferts présentent des caractéristiques communes. L’effort financier consenti par les membres des diasporas est fort conséquent par rapport à leurs revenus- en général au moins 15% de ceux-ci et parfois bien plus – et aussi régulier que le permet la trésorerie des migrants. Pour chaque nationalité, les flux annuels observent une remarquable tendance à la hausse, même si la conjoncture internationale ou des pays d’accueil se dégrade, en raison du caractère prioritaire que les migrants accordent à ces opérations. Compte tenu de leur masse globale importante, ces transferts constituent un soutien, parfois essentiel, du pays destinataire pour l’équilibre de ses comptes extérieurs et l’apport de devises -ils représentent ainsi plus de 10% du Produit Intérieur Brut au Sénégal. Les coûts de ces rapatriements restent particulièrement lourds : encore estimés récemment en moyenne au-delà de 6% du montant pour un envoi de 200 USD, ils figurent parmi les plus élevés au monde. Mais les choses bougent vite dans le bon sens : pour le Mali, quelques canaux formels offrent déjà des taux ne dépassant pas 4% pour une telle somme transférée. Surtout, les flux financiers sont destinés pour leur très large majorité à deux usages : une aide financière affectée aux dépenses quotidiennes de la famille restée au pays et des petits investissements locaux (écoles, dispensaires) pour le village d’origine.  

Cette dernière caractéristique explique pourquoi une deuxième attente de chaque pays à l’égard de sa diaspora, à savoir une contribution directe à la politique nationale de développement et au financement d’investissements d’envergure nationale, n’a eu jusqu’ici que peu d’écoute. En effet, les migrants, quelles que soient leur origine et leur activité, sont très peu enclins à répondre aux sollicitations de ce type. Les raisons sont multiples : méfiance vis-à-vis des actions étatiques en raison d’expériences passées ou par crainte de détournement des fonds mobilisés, difficultés pour les Etats d’utiliser les bons moyens de communication avec une communauté méfiante et à l’accès parfois complexe, forte pression sociale des familles pour garder la priorité du bénéfice de l’effort financier accompli. Les expériences réussies, telle une émission, déjà ancienne, de bons par le Nigéria pour 100 millions de USD ou l’emprunt obligataire de 20 milliards de FCFA (30 millions d’EUR) de la Banque de L’Habitat du Sénégal en 2019 pour un programme immobilier, sont des exceptions. La dysfonctionnements politiques qui s’accumulent dans beaucoup de pays, notamment en zone francophone, depuis 2019 et le ralentissement de la croissance économique qui se prolonge sur le continent depuis 2016 constituent des freins supplémentaires à cette ambition ancienne. Celle-ci risque de rester un voeu pieux jusqu’à ce que se produisent des changements profonds dans les pays africains.

Enfin, un autre espoir souvent évoqué réside dans le retour au pays d’une part significative de la diaspora, et notamment de celle qui a réussi à l’étranger. Ces Repats, comme on les appelle souvent, peuvent amener dans leurs bagages une formation, une expérience professionnelle, des moyens financiers, un goût de l’innovation et des projets d’entreprises nouvelles. Leur valeur ajoutée, déjà testée dans des activités précédentes à l’étranger, est particulièrement utile pour combler des insuffisances locales. Celles-ci sont en effet fréquentes dans le niveau de compétence des candidats à l’emploi, mais aussi dans la qualité de gestion ou les moyens en fonds propres des petites entreprises qui constituent une bonne part du système économique des pays africains. Pourtant, le nombre des migrants qui franchissent le pas reste encore modeste.  Les baisses fréquentes de revenu qui en résultent, au moins à court terme, par rapport à la situation antérieure, la multiplicité des obstacles administratifs à franchir, la rareté des dispositifs locaux de soutien, les pièges de la corruption découragent beaucoup de bonnes volontés malgré les solidarités familiales.   Les situations sont donc actuellement inégales. Dans les pays les plus économiquement avancés et ouverts sur l’extérieur, et notamment des zones anglophones, le poids relatif et les succès de ces anciens de la diaspora évolue positivement et commence à devenir significatif. Dans les pays les moins bien structurés, en croissance modeste ou soumis actuellement à des soubresauts politiques, le flux des entrants est limité et le petit nombre des réussites empêche des effets d’entrainement. Ceci risque d’ailleurs d’être une cause d’aggravation des écarts qui se creusent dans les évolutions économiques respectives entre nations subsahariennes.

Pour être efficaces dans la mobilisation des potentialités de leurs diasporas, les pays de départ et tous leurs partenaires auraient donc intérêt à ne pas rester passifs face à ces deux atouts naturels mais au contraire à concentrer sur eux, au moins à court terme , des actions concrètes : développer et faciliter les transferts, déjà considérables et permanents, des migrants et optimiser l’usage par ceux-ci des fonds envoyés ; favoriser l’accueil et les activités des personnes revenues pour profiter au mieux du dynamisme économique et social qu’ils peuvent générer et encourager ainsi l’essor de ces rapatriements. Le succès de ces deux chantiers, déjà exigeants, permettrait sans nul doute d’en fixer avec réalisme de plus ambitieux

Paul Derreumaux

Article publié le 24/10/2023