Banques subsahariennes à l’aube de 2025 : ambitions, incertitudes et menaces. (3)

Partie 3 -Menaces : Des ripostes réussies ; de nouveaux dangers

Si l’affrontement des risques est le quotidien de chaque banque, certains d’entre eux peuvent acquérir, progressivement ou brutalement, une généralité et une ampleur qui les transforme en une véritable menace pour la profession. En Afrique subsaharienne, les systèmes bancaires connaissent en ce moment plusieurs évolutions de cette nature : quelques-unes paraissent en cours de résolution, d’autres pourraient au contraire s’amplifier.

Face à la rapidité des mutations des systèmes d’information, la lourdeur des progiciels bancaires et la difficulté de les adapter à de nouvelles approches commerciales ont été un handicap important depuis près d’une décennie. Cela a aussi freiné les banques dans l’inclusion financière, objectif assumé des pouvoirs publics et attente forte des populations les moins favorisées. Ce vide a été rapidement comblé par de nouvelles institutions construites sur une automatisation maximale. Les filiales des sociétés de télécommunication, spécialistes de ces traitements de masse, ont initié ce mouvement de la monnaie électronique (mobile banking), suivies par des sociétés « informatico-financières » (les fintech). Démarrées en 2007 en Afrique de l’Est, elles ont pris une part importante dans l’éventail des moyens de paiement sur tout le continent. A ce jour cependant, les établissements bancaires ont vigoureusement réagi. Au prix d’investissements considérables et d’un changement des méthodes de travail, un grand nombre ont réussi une nette amélioration de la digitalisation des services offerts et repris l’offensive. Un certain équilibre semble s‘être installé entre ces deux types d’acteurs : le périmètre du mobile banking s’est élargi aux transferts et aux paiement de factures, mais les banques désormais plus automatisées gardent aussi le monopole du crédit.  La menace s’est donc estompée, mais peut reprendre vie : ainsi, dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) le projet d’interopérabilité de tous les acteurs financiers pourrait apporter de nouveaux progrès pour les usagers, mais aussi générer de nouveaux déséquilibres.

Au plan international, l’accélération du départ d’Afrique des grandes banques françaises et anglaises a souvent amené ces dernières à réduire leurs engagements de correspondant banking au profit des institutions africaines. Les difficultés rencontrées dans le respect d’exigences de conformité toujours renforcées et la réorientation géographique des activités des banques européennes ont été les deux principales raisons avancées pour cette évolution. Celle-ci a pesé lourdement sur le développement des opérations avec l’étranger des groupes africains et les a conduits à chercher des circuits alternatifs. Outre la diversification des partenaires extérieurs, appliquée par tous, les établissements les plus solides ont visé l’implantation en Europe d’une entité propre capable de traiter les opérations internationales de leurs filiales, mais aussi celles d’autres banques africaines ne pouvant assurer seules une telle présence. Quelques pionniers ont franchi cette étape de longue date, comme BANK OF AFRICA et Ecobank à Paris, ou First Bank of Nigéria à Londres. Mais le mouvement s’est accentué et on annonce par exemple pour 2025 l’arrivée à Paris des succursales de UBA, Zenith Bank et Vista Bank. Certes, ces installations, et leurs maisons-mères, sont placées sous le contrôle étroit et minutieux de l’Autorité de Contrôle Prudentiel (ACPR) française. L’indépendance ainsi conquise, qui parait efficace, desserre toutefois une menace qui pénalisait de plus en plus les banques africaines.

A côté de ces ripostes réussies, d’importants défis restent présents ou apparaissent. Certains sont internes et anciens, comme la difficulté pour les banques d’apporter des financements suffisants et bien adaptés aux Petites et Moyennes entreprises (PME) et au secteur immobilier, malgré l’importance économique et sociale des besoins existants. En la matière, l’inadéquation résulte certes de handicaps liés à l’environnement -juridique, technique, administratif,..-, mais vient aussi des taux d’intérêt élevés, des durées de prêts trop courtes, de l’absence de soutien en fonds propres. Les progrès obtenus grâce à la pratique, qui se généralise, de partage du risque entre banques et bailleurs de fonds internationaux, montrent que de premiers changements sont possibles et que les banques s’y engagent activement. La multiplication de tels efforts conjoints serait donc particulièrement opportune. Même si le rendement net de ces crédits est moins élevé que celui d’autres concours actuels, leur impact à moyen terme compenserait ce sacrifice momentané.

D’autres risques sont externes et récents, tel par exemple celui encouru par les banques du fait de l’endettement croissant des Etats. Pour cette dette publique, la mobilisation de l’épargne intérieure est de plus en plus encouragée, en raison de son absence d’impact sur les besoins en devises étrangères, et constitue, dans la plupart des pays subsahariens, une part croissante des portefeuilles d’emplois bancaires. Elle offre en effet souvent un double avantage de rémunération satisfaisante et de risque modéré. L’UEMOA est entrée tardivement dans ce marché des créances étatiques, mais celui-ci a connu un développement considérable en une décennie tant par les obligations émises sur la Bourse Régionale (BRVM) que par les émissions de Bons et d’Obligations par les Etats. Les établissements bancaires sont devenus des participants très majoritaires sur ces deux marchés et leurs produits de trésorerie constituent une fraction croissante de leur portefeuille global d’emplois : elle dépasse en moyenne 25% de celui-ci en fin 2023, mais ce pourcentage est parfois nettement plus élevé. Cette orientation a été favorisée par les évolutions réglementaires et des taux de rémunération attractifs de ces placements, et la stratégie apparait satisfaisante tant que le fonctionnement du marché de ces titres publics se déroule sans accrocs, comme cela est le cas depuis son démarrage. Des zones d’ombre sont cependant apparues récemment. Les taux ont augmenté, poussés pêle-mêle par les incertitudes politiques sur certains pays, l’augmentation des besoins, les tensions de liquidité bancaire et les contraintes de la conjoncture. Ils se sont aussi davantage différenciés selon les Etats, exprimant une prime de risque pesant sur quelques emprunteurs. Les nouvelles alarmantes récemment apparues sur le niveau et le contenu réels de la dette publique sénégalaise et la restructuration inattendue de quelques emprunts obligataires en Côte d’Ivoire pourraient transformer les préoccupations en une véritable menace, si apparaissaient des défauts majeurs sur ce marché jusqu’ici très courtisé. Les impacts négatifs pourraient en être multiples : sur la liquidité voire la solvabilité des banques, sur le financement des Etats, sur l’activité économique. Les mêmes craintes pourraient concerner aussi les appareils bancaires d’autres pays subsahariens, contributeurs essentiels au financement d’un endettement public qui continue de croître.

Les systèmes bancaires subsahariens ont montré depuis plus de 40 ans leur capacité à se reconstruire et à prospérer après une crise gravissime. Ils sont aujourd’hui un des rares secteurs d’activité de la zone qui soit à la fois, dans son ensemble, rentable, performant et aligné sur des standards internationaux. Ils devraient donc être en mesure de faire face aux nouveaux risques qui les défient. A cette fin, une condition sine qua non sera bien pour toutes les unités qui les composent le renforcement des fonds propres d’une manière ajustée à tous les risques qu’ils courent et aux investissements qui s’imposent. Ainsi mieux armées, les banques seraient en mesure de concrétiser des projets de croissance. Ces derniers pourraient se traduire par une expansion géographique, qui est le plus souvent déjà exprimée. Mais ils pourraient aussi prendre la forme, encore plus ambitieuse, d’un approfondissement de leur rôle dans chaque pays : poids accru de leurs concours dans l’économie, financement intensifié de secteurs orphelins telles les PME, coopération plus marquée avec les autres activités financières -assurances, bourse, ..- dont l’essor est fort insuffisant, .. L’intérêt de tels objectifs est souligné depuis longtemps et serait déterminant pour le transformation en profondeur des structures économiques et l’obtention d’un véritable développement. Mais il suppose la création par les Etats et leurs partenaires d’un environnement propice à cette mutation. Cet objectif bénéficie rarement d’une priorité continue en raison d’autres urgences. Sans doute est-il grand temps d’accélérer ce mouvement pour donner aux banques l’occasion et la responsabilité de jouer dans de bonnes conditions un rôle à la mesure de leurs ambitions.

Paul Derreumaux

Article publié le 17/03/2025

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