Banques françaises en Afrique : N’est-il jamais trop tard ?
On finissait par ne plus y croire. La diminution du poids des banques françaises en Afrique, engagée dans les années 1990, s’était tellement accentuée, tandis que les systèmes bancaires africains connaissaient une révolution bénéfique pour tous, que le mouvement inverse paraissait de plus en plus incertain. Il y eut bien certaines annonces d’investissements ambitieux, telle celle de la BPCE qui lorgne sur l’Afrique depuis trente ans, mais rien de concret ne fut observé les années passées.
La Société Générale rompt bruyamment cet immobilisme avec ses projets d’entrée au Mozambique et au Togo, d’une part, et l’évocation de nouvelles méthodes d’action, d’autre part. La relance vers l’Afrique de la quatrième banque française ne surprend pas : elle est le seul groupe de l’hexagone à avoir gardé une claire « affectio Africanis » et avoir défendu le rôle de ses puissantes implantations dans quelques pays face à la montée en puissance des banques africaines. Ses nouvelles cibles sont pertinentes. Le Mozambique, notamment grâce aux importantes ressources de charbon et de gaz qui y ont été découvertes, est un des champions africains en termes de croissance et son système bancaire est à renforcer. Le Togo vient de passer sans incident une échéance électorale essentielle et investit discrètement mais massivement dans les infrastructures.
La « Générale » met aussi en avant des méthodes nouvelles qui sont parfaitement en ligne avec l’évolution : africanisation des cadres supérieurs, techniques de pointe pour les moyens de paiement, efforts d’attraction de la clientèle chinoise, politique intensive de création d’agences….
Avec cette première extension depuis le Ghana en 2004, la banque française deviendra la seule institution présente dans les quatre zones linguistiques au Sud du Sahara. Grâce à cette large empreinte géographique, à sa puissance financière et à ses vastes connexions internationales, la Société Générale est bien placée pour se hisser aux premiers rangs d’un système bancaire encore en pleine mutation. Avec sa nouvelle approche, la banque peut avoir un rôle de premier plan aussi bien pour les activités de « retail », qui se développeront fortement dans la décennie, que pour la participation aux dossiers de financement de grands projets, qui devraient aussi se multiplier.
Reste une différence importante. La banque n’aborde pas cette nouvelle étape dans la position qu’elle avait dans les années 1980. La filiale ivoirienne, largement première de toute l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), n’occuperait que la huitième place au Kenya, en étant deux fois plus petite et trois fois moins rentable que la Kenya Commercial Bank. Dans l’UEMOA elle-même, le Groupe français est maintenant talonné pour la place de leader qu’il occupe depuis les indépendances. Enfin, la Société Générale est encore totalement absente de l’East African Community (AEC), une des zones les plus dynamiques et prometteuses. Les trente années écoulées ont vu le système bancaire africain acquérir une vitalité inespérée. A partir d’initiatives privées locales et avec l’intervention ultérieure de banques originaires de pays africains plus avancés, des groupes puissants se sont constitués, dont le professionnalisme n’a souvent rien à envier aux banques européennes. Leur prospérité financière engendre un appétit grandissant de banques étrangères qui aspirent aussi à servir au plus près les grands groupes industriels et commerciaux internationaux de plus en plus présents en Afrique. Celle-ci n’est donc plus la « chasse gardée » des banques françaises et anglaises qu’elle fut il y a trente ans.
La « Générale » devra en conséquence garder présente à l’esprit la force nouvelle de cette concurrence et aura l’obligation de composer ses offres de produits et son approche de la clientèle pour faire au moins aussi bien que ces confrères. Elle en a bien sûr la possibilité technique. Encore faut-il que les états-majors parisiens comprennent la nécessité des ajustements à opérer et des innovations requises par ce contexte africain. Si elle réussit ce challenge, la Société Générale pourrait redevenir un des moteurs du secteur et un bon exemple de ce que pourrait être la nouvelle relation France-Afrique que les gouvernements ont appelée de leurs vœux en décembre 2014.
Paul Derreumaux
Bonjour,
Analyse pertinente comme toujours et valant également, à quelques ajustements près, pour les autres groupes bancaires français.
Mon point de vue, en apport.
1. Dans une certaine mesure, les banques d’origine étrangère en général et française en particulier, ont l’importance que leur accorde le pouvoir politique en place dans la zone monétaire d’accueil. Pouvoir qui, dans bien des cas, a également une mainmise non négligeable sur (i) l’attribution des marchés publics (évidemment) voire privés et (ii) le volet réglementaire. La boucle de la France-Afrique est ainsi bouclée… Parfois au détriment d’acteurs nationaux ou régionaux (mais tel n’est pas le sujet ici).
2. Deux nouveaux éléments de concurrence n’ont pas fini d’abattre toutes leurs cartes :
a. L’ambition croissante et croisée des banques d’Afrique du Nord (notamment marocaines) qui cherchent à s’étendre au sud du Sahara, et les prétentions un peu moins prononcées des banques d’Afrique du Sud dont l’expansion vise le sens contraire ;
b. La révolution mobile qui, bien qu’actuellement limitée par les besoins en infrastructures et en énergie, pourrait donner un coup de pied dans la fourmilière, surtout en termes de modèle d’affaires des banques classiques. Au delà des initiatives qui germent ici et là avec plus ou moins de succès, la gestion de leur irruption/disruption par les décideurs (politiques, économiques, monétaires, réglementaires) sera bien plus révélatrice qu’il n’y paraîtra. Hors du secteur bancaire, le cas Uber au premier semestre 2015 en France est assez éloquent dans ce sens.
J. TOHO