Trois amis économistes m’ont adressé quelques commentaires et questions sur l’article posté ce mardi 20 février sur « Les Banques Centrales », auxquels je réponds avec plaisir en revenant sur trois points de ce sujet.
Le premier a trait à la rapidité d’action des banques centrales des grandes puissances occidentales et à leur objectif en termes d’inflation. Il est vrai qu’on pourrait reprocher à ces institutions d’avoir trop attendu avant d’engager la lutte contre l’inflation à travers une hausse rapide et importants des taux directeurs. Pour leur décharge, cette décision remettait en cause la politique « accommodante » suivie depuis une quinzaine d’années et les risques d’un tel changement radical ont dû générer beaucoup d’analyses et d’hésitations. C’est sans doute la même situation que vivent en ce moment ces décideurs et qui les amène à mener avec une grande prudence le cheminement inverse de la baisse des taux, malgré les pressions à cette réduction exercées par de nombreux acteurs. Pour l’objectif d’une inflation de 2% qu’annoncent toujours les Banques Centrales, l’ampleur de besoins d’investissement mondiaux en perspective pour les innovations techniques actuelles et le climat pourraient en effet justifier l’admission éventuelle d’un glissement des prix plus élevé. Sur ce point, le débat est sans doute assez théorique, au moins jusqu’à ce que le ralentissement des prix soit suffisamment avancé pour que ce but soit plus précisément adopté. De plus, la réticence des banques centrales à se montrer plus « généreuses » apparait explicable face à des acteurs économiques et politiques souvent tentés de réduire leurs efforts d’ajustement et qu’un surcroit d’inflation pourrait arranger.
Le deuxième concerne le cas particulier de la Banque Centrale Européenne (BCE) qui mène une politique essentiellement uniforme sur la zone alors qu’elle est en présence de situations économiques différentes selon les pays. Celles-ci influent directement, et logiquement, sur les conditions auxquelles les gouvernements respectifs peuvent emprunter sur les marchés internationaux, avec des écarts entre ces taux qui peuvent encore être notables -jusqu’à plus de 2% actuellement-. Ces différences réduisent bien sûr la portée de la politique menée par la BCE. Malgré tout, ces écarts entre taux nationaux étaient en moyenne plus importants par le passé et ont tendance à diminuer avec les progrès de la solidarité communautaire, le rapprochement des niveaux de développement économique et une certaine convergence des taux de croissance dans l’Union Européenne. Même avec les diverses crises récentes -Ukraine, forte inflation, resserrement des liquidités -, les menaces monétaires affrontées en 2010/2012 ne se sont pas reproduites récemment. La probabilité de la poursuite de cette tendance apparait notable au vu des avancées de la cohésion européenne et confirme le rôle clé que peut jouer la BCE.
Enfin, pour les banques centrales africaines qui ont suivi la même politique de resserrement de la liquidité, l’efficacité de ces mesures sur la distribution du crédit et le repli de l’inflation a été limitée par les raisons évoquées dans l’article précité. Les données statistiques montrent d’ailleurs que l’inflation sur le continent, qui avait atteint des sommets en 2023, ne reflue en moyenne que lentement jusqu’ici -le taux d’environ 15% est actuellement évoqué pour l’ensemble de la zone subsaharienne. Dans celle-ci, en revanche, la hausse du Produit Intérieur Brut (PIB), poussée par des facteurs « réels » qui tiennent une place essentielle, semble s’accélérer : +3,8% en 2024 et +4,2% en 2025 prévus. Dans le cas particulier de l’Union Economique et Monétaire (UEMOA), les effets de la hausse des taux de refinancement n’ont aussi que modérément joué en 2023. Mais cette politique a été efficacement complétée par une surveillance plus rapprochée des sorties de devises. Les niveaux d’inflation se rapprochent maintenant des normes fixées tandis que la croissance pourrait approcher les 6% en 2024. Malgré les handicaps relevés et un environnement politique complexe, les Autorités monétaires et le système du FCFA (ou de l’ECO), montrent donc de nouveau leur efficacité, comme ce fut le cas par exemple, et en sens inverse, face à la pandémie de 2020 avec l’émission par les Etats de « Bons Covid-19 » à court terme et à taux réduits, refinancés à des conditions très préférentielles par la Banque Centrale de l’Union.
Paul Derreumaux
Publié le 26/02/2024