Afrique subsaharienne :  Force et limites du rôle des diasporas

Institutions internationales, analystes et, surtout, Etats voient dans les diasporas de possibles acteurs décisifs pour une évolution économique accélérée des pays en développement, Si cette hypothèse peut s’avérer pertinente dans certaines régions du monde, l’expérience passée comme les perspectives à moyen terme dans les pays d’Afrique subsaharienne imposent une vision plus prudente d’un rôle des diasporas souvent évoqué à trois niveaux.

Le premier, désormais de loin essentiel, est celui des transferts financiers vers leur pays d’origine. Ceux-ci ont constamment et considérablement progressé dans le temps sous l’effet conjoint de la croissance continue des migrations régionales et internationales, de la hausse universelle, quoique très inégale, des revenus et des prix dans les pays d’accueil et de la progression des besoins familiaux dans les pays d’origine. Selon la #BanqueMondiale, ces transferts seraient de 660 milliards de USD en 2022, soit plus du triple de l’Aide Publique au Développement (APD) et plus de 1,2 fois les Investissements Etrangers (IDE) pour cette même année. Même si l’Afrique subsaharienne n’est pas la région au bénéfice de laquelle ces envois de fonds sont les plus massifs, elle concentrerait quand même 53 milliards de USD en 2022, en croissance de 6% sur 2021 et largement supérieurs aux montants d’APD et d’IDE recensés au profit de cette zone. Les pays anglophones dominent le classement des bénéficiaires – près de 40% du total pour le Nigéria, 12% pour le Ghana par exemple – mais des pays francophones ont aussi une place importante tels le Sénégal et le Mali : respectivement environ 3 et 1,2 milliards de USD en 2022. Le poids inévitablement croissant des diasporas dans les prochaines années devrait entrainer ipso facto une hausse continue de ces transferts

Ces populations subsahariennes sont implantées dans le monde entier avec une prééminence de résidence dans les pays avec laquelle leurs pays d’origine ont des relations historiques, linguistiques ou de proximité : France et Europe continentale pour les francophones, Etats-Unis et Grande Bretagne pour les anglophones, nations africaines voisines pour tous les pays. Ces expatriés appartiennent à des catégories sociales fort variables et vivent donc selon des modalités différentes : elles varient d’un habitat regroupé en foyers pour les travailleurs peu qualifiés provenant des pays les plus pauvres à un habitat individuel dispersé pour les catégories socioprofessionnelles aisées venant souvent de nations économiquement plus avancées. Les montants individuels transférés sont souvent modestes et les canaux utilisés se sont multipliés au fil des années : du système informel « hawala » de compensation à l’usage de Western Union ou du mobile banking en passant par les banques.

Dans tous les cas cependant, ces transferts présentent des caractéristiques communes. L’effort financier consenti par les membres des diasporas est fort conséquent par rapport à leurs revenus- en général au moins 15% de ceux-ci et parfois bien plus – et aussi régulier que le permet la trésorerie des migrants. Pour chaque nationalité, les flux annuels observent une remarquable tendance à la hausse, même si la conjoncture internationale ou des pays d’accueil se dégrade, en raison du caractère prioritaire que les migrants accordent à ces opérations. Compte tenu de leur masse globale importante, ces transferts constituent un soutien, parfois essentiel, du pays destinataire pour l’équilibre de ses comptes extérieurs et l’apport de devises -ils représentent ainsi plus de 10% du Produit Intérieur Brut au Sénégal. Les coûts de ces rapatriements restent particulièrement lourds : encore estimés récemment en moyenne au-delà de 6% du montant pour un envoi de 200 USD, ils figurent parmi les plus élevés au monde. Mais les choses bougent vite dans le bon sens : pour le Mali, quelques canaux formels offrent déjà des taux ne dépassant pas 4% pour une telle somme transférée. Surtout, les flux financiers sont destinés pour leur très large majorité à deux usages : une aide financière affectée aux dépenses quotidiennes de la famille restée au pays et des petits investissements locaux (écoles, dispensaires) pour le village d’origine.  

Cette dernière caractéristique explique pourquoi une deuxième attente de chaque pays à l’égard de sa diaspora, à savoir une contribution directe à la politique nationale de développement et au financement d’investissements d’envergure nationale, n’a eu jusqu’ici que peu d’écoute. En effet, les migrants, quelles que soient leur origine et leur activité, sont très peu enclins à répondre aux sollicitations de ce type. Les raisons sont multiples : méfiance vis-à-vis des actions étatiques en raison d’expériences passées ou par crainte de détournement des fonds mobilisés, difficultés pour les Etats d’utiliser les bons moyens de communication avec une communauté méfiante et à l’accès parfois complexe, forte pression sociale des familles pour garder la priorité du bénéfice de l’effort financier accompli. Les expériences réussies, telle une émission, déjà ancienne, de bons par le Nigéria pour 100 millions de USD ou l’emprunt obligataire de 20 milliards de FCFA (30 millions d’EUR) de la Banque de L’Habitat du Sénégal en 2019 pour un programme immobilier, sont des exceptions. La dysfonctionnements politiques qui s’accumulent dans beaucoup de pays, notamment en zone francophone, depuis 2019 et le ralentissement de la croissance économique qui se prolonge sur le continent depuis 2016 constituent des freins supplémentaires à cette ambition ancienne. Celle-ci risque de rester un voeu pieux jusqu’à ce que se produisent des changements profonds dans les pays africains.

Enfin, un autre espoir souvent évoqué réside dans le retour au pays d’une part significative de la diaspora, et notamment de celle qui a réussi à l’étranger. Ces Repats, comme on les appelle souvent, peuvent amener dans leurs bagages une formation, une expérience professionnelle, des moyens financiers, un goût de l’innovation et des projets d’entreprises nouvelles. Leur valeur ajoutée, déjà testée dans des activités précédentes à l’étranger, est particulièrement utile pour combler des insuffisances locales. Celles-ci sont en effet fréquentes dans le niveau de compétence des candidats à l’emploi, mais aussi dans la qualité de gestion ou les moyens en fonds propres des petites entreprises qui constituent une bonne part du système économique des pays africains. Pourtant, le nombre des migrants qui franchissent le pas reste encore modeste.  Les baisses fréquentes de revenu qui en résultent, au moins à court terme, par rapport à la situation antérieure, la multiplicité des obstacles administratifs à franchir, la rareté des dispositifs locaux de soutien, les pièges de la corruption découragent beaucoup de bonnes volontés malgré les solidarités familiales.   Les situations sont donc actuellement inégales. Dans les pays les plus économiquement avancés et ouverts sur l’extérieur, et notamment des zones anglophones, le poids relatif et les succès de ces anciens de la diaspora évolue positivement et commence à devenir significatif. Dans les pays les moins bien structurés, en croissance modeste ou soumis actuellement à des soubresauts politiques, le flux des entrants est limité et le petit nombre des réussites empêche des effets d’entrainement. Ceci risque d’ailleurs d’être une cause d’aggravation des écarts qui se creusent dans les évolutions économiques respectives entre nations subsahariennes.

Pour être efficaces dans la mobilisation des potentialités de leurs diasporas, les pays de départ et tous leurs partenaires auraient donc intérêt à ne pas rester passifs face à ces deux atouts naturels mais au contraire à concentrer sur eux, au moins à court terme , des actions concrètes : développer et faciliter les transferts, déjà considérables et permanents, des migrants et optimiser l’usage par ceux-ci des fonds envoyés ; favoriser l’accueil et les activités des personnes revenues pour profiter au mieux du dynamisme économique et social qu’ils peuvent générer et encourager ainsi l’essor de ces rapatriements. Le succès de ces deux chantiers, déjà exigeants, permettrait sans nul doute d’en fixer avec réalisme de plus ambitieux

Paul Derreumaux

Article publié le 24/10/2023

Union Économique et Monétaire Ouest Africaine : pour les banques, une continuité en trompe l’œil ?

Le nouveau rapport de la Commission Bancaire de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) met en évidence quelques constantes dans les grandes évolutions des systèmes bancaires de l’Union. Derrière cette tendance commune, des changements significatifs ou en gestation sont cependant en œuvre à au moins trois niveaux. Les données déjà disponibles sur le premier semestre 2023 confirment d’ailleurs cette juxtaposition de continuité et de nouveauté.

En plusieurs domaines, l’exercice échu est avant tout celui de la prolongation de trends antérieurs, la plupart positifs. Les banques gardent toute leur suprématie dans le système financier soumis au contrôle de la Commission Bancaire -qui englobe aussi les Systèmes Financiers Décentralisés (SFD) et les Emetteurs de Monnaie Electronique (EME)-, avec environ 90% du total des bilans de celui-ci. Les indicateurs globaux de ces établissements bancaires témoignent à nouveau de leur bonne forme, même si les hausses ont été inégales. Pour les valeurs bilantielles, les croissances ont oscillé en 2022 entre 12,7% pour les dépôts du public, 17,9% pour les placements et 19,8% pour les crédits à la clientèle. Sur les quatre dernières années, cette progression a été respectivement de 86%, 100% et 58% pour chacune de ces variables. Pour les données d’exploitation, l’année écoulée a été aussi très bénéfique : +7,6% pour le nombre de comptes de clientèle, +14,2% pour les produits nets bancaires, et surtout +25,5 % pour des résultats nets annuels qui ont été multipliés par 2,4 depuis 2018.  Sur la même période, le coefficient net d’exploitation s’est amélioré de plus de 8 points et le coefficient de rentabilité de 5 points tandis que les créances en souffrance brutes représentaient moins de 10% des emplois de clientèle pour la première fois depuis longtemps.  Ces performances ont été atteintes par les banques en même temps que celles-ci se pliaient à une nouvelle réglementation prudentielle plus contraignante, particulièrement en matière de fonds propres. Fin 2022, alors que les ratios prudentiels se stabilisent à leurs nouvelles valeurs, plus de 80% des banques sont déjà en harmonie avec cette nouvelle batterie d’indicateurs. Seul le ratio de division des risques, très éloigné des contraintes antérieures, peine à évoluer vers les objectifs requis tandis que l’appétit des banques pour les distributions de dividendes pénalise le renforcement des fonds propres dans les bilans. A mi-parcours de 2023, les données chiffrées des banques cotées tendent à confirmer que ces dernières gardent le même solide  momentum  dans l’Union, notamment pour les résultats nets affichés : la progression de +22% pour le groupe Coris Bank, et même de +58% pour la Société Générale en Côte d’Ivoire, en sont quelques exemples parmi d’autres.

Hors ces données globales positives, trois évolutions plus spécifiques sont surtout à souligner. La plus importante est sans doute la transformation à trois niveaux de la consistance du système bancaire régional. Le premier concerne la poursuite en 2022 de la montée en puissance des institutions à capitaux régionaux, comme le montrent plusieurs statistiques convergentes. Près de 53% des actifs, des guichets et des distributeurs de billets dans l’Union appartiennent désormais à des institutions où ces capitaux sont majoritaires. Toutes banques confondues, l’actionnariat régional -privé et public confondus- possède 77% du capital de l’ensemble du système, soit 11% de plus qu’en 2018. Le Top 3 des groupes bancaires en compte maintenant deux ayant un siège dans l’UEMOA, Ecobank et Coris Bank. La deuxième mutation, plus surprenante, est l’accroissement du poids relatif des entités à capitaux publics. Ces derniers s’élèvent fin 2022 à 452 milliards de FCFA, soit 18,5% de la capitalisation bancaire régionale et 200 milliards de FCFA de plus qu’en 2018. Ces participations sont parfois majoritaires, faisant basculer les banques concernées dans une catégorie en net recul depuis des décennies. Réalisées sous la forme de rachat d’établissements existants ou d’introduction de nouveaux acteurs, les opérations ont eu lieu notamment en Côte d’Ivoire. La troisième spécificité est l’absence à ce jour d’un grand mouvement de concentration. Certes les 13 groupes les plus importants, dont le nombre est resté stable en 2022 et qui contrôlent 61% des établissements de la zone, rassemblent près de 75% des bilans et des comptes de clientèle, et surtout 83% des profits. Mais leur poids s’est effrité par rapport à celui des 21 groupes d’envergure plus modeste, qui ont gagné globalement près de 2% de parts de marché en 2022 sur beaucoup d’indicateurs. L’analyse selon la taille montre aussi que la part des plus petites banques, souvent isolées, ne se réduit pas et pèse davantage dans la distribution de crédits et la collecte de dépôts que dans le poids bilantiel. Cet assortiment de données souligne à la fois que le système bancaire régional reste dispersé, sans doute en lien avec un appareil économique dominé par les acteurs de taille modeste, et que la modestie de la concentration n’est pas forcément une mauvaise nouvelle pour le financement de l’économie. Ces mutations tectoniques sont loin d’être figées. On note ainsi en 2023 au Sénégal l’ouverture de l’ABS, filiale commune de trois banques publiques algériennes, au capital de 100 millions de dollars US, et la reprise prévue par l’Etat de la Banque de Réglement des Marchés, institution privée en difficulté. De même, la cession possible de la Banque Populaire de Côte d’Ivoire, étatique, au groupe privé ivoirien African Finance Group ou la venue envisagée au Bénin de l’équato-guinéenne Bange Bank sont autant d’évènements qui devraient faire évoluer dès cette année ces indicateurs structurels dans des directions variées. L’accélération du départ des banques françaises a ouvert un long processus de recomposition aux résultats encore incertains.

Une autre particularité qui a dominé la période récente concerne la structure du portefeuille des banques. La césure peut être datée à l’année 2020, et donc à l’épidémie de Covid19. En trois ans, le poids des titres de placement a alors augmenté nettement plus vite que celui des concours à la clientèle, et a gagné 3 points dans le pourcentage des emplois. La montée des risques induite par l’épidémie et le ralentissement conjoncturel qu’elle a provoqué, la forte augmentation des émissions de titres publics à des taux attractifs et les caractéristiques d’une nouvelle réglementation bancaire plus exigeante, surtout en matière de fonds propres, se sont additionnées pour orienter les banques dans cette voie. En 2022, cette répartition s’est globalement stabilisée. Mais le gonflement continu des besoins financiers des Etats de la région et les difficultés croissantes pour ceux-ci de faire appel à des financements étrangers ont freiné les ambitions de beaucoup d’acteurs bancaires de redonner une meilleure priorité aux crédits à l’économie. De nouveaux facteurs interférent en 2023. La hausse des taux du marché, dans le sillage des variations de ceux-ci à l’international, et la contraction des refinancements par la Banque Centrale ont un moment perturbé les établissements bancaires dans la gestion de leurs trésoreries et l’arbitrage de leurs emplois. Les ripostes des banques à cet environnement différent ont eu deux effets positifs à court terme : un rapide accroissement des crédits interbancaires, dont le développement est recherché depuis longtemps, et des efforts tous azimuts pour accroitre les dépôts de la clientèle, ce qui consolide leurs moyens d’actions. Appuyées sur ces stratégies et sur un suivi attentif de leurs charges et de leurs risques, beaucoup de banques semblent avoir retrouvé de solides fondamentaux, qui expliquent les bons résultats au 30 juin évoqués ci-avant. Il restera à confirmer en fin d’année si les nouveaux équilibres sont ou non favorables aux concours à l’économie.

Enfin, les données chiffrées par pays font apparaitre des différences sensibles dans les systèmes bancaires locaux et une contribution variable de ceux-ci au financement des économies nationales. Les agrégats disponibles ne permettent que des comparaisons limitées, mais leurs conclusions invitent à des analyses plus approfondies, au vu de la seule mise en relations de données des deux principaux pays de l’Union : Côte d’Ivoire et Sénégal. Ainsi en 2022, le rapport entre la première et le second est de 1,6 pour la population, de 2,5 pour le Produit Intérieur Brut (PIB), de 1,6 pour l’encours de crédits directs à la clientèle, de 1,8 pour les dépôts collectés, de 2,2 pour le nombre de comptes bancaires et de 2,4 pour le résultat net des entités bancaires de la place. On observe aussi une quasi-égalité pour l’effectif des banques -respectivement 28 et 27-, et un rapport de 1,21 seulement au profit de la Côte d’Ivoire pour l’effectif des guichets. Ces données disparates interpellent mais rendent délicate leur interprétation. Certes les données de 2022 mettent en évidence en première observation un système bancaire sénégalais plus concurrentiel et proportionnellement plus actif en matière de crédits mais apparaissant moins performant dans l’accessibilité du public et moins rentable. Mais il conviendrait d’étendre cette comparaison sur plusieurs années. Il faudrait surtout recenser les différents facteurs qui peuvent influencer différemment ces variables dans les deux pays : intensité de présence d’autres circuits de financement, notamment pour les petites entreprises informelles ; caractéristiques majeures des banques présentes ; structure des appareils économiques ; influence éventuelle du niveau de pouvoir d’achat,… Le même tour d’horizon pour les autres pays de l’UEMOA ferait apparaitre d’autres différences et de nouvelles questions. Même si elle est complexe, la comparaison de ces données financières nationales serait sans doute essentielle pour apprécier les places de marché répondant le mieux aux besoins et pour savoir quels sont les environnements bancaires les plus efficaces pour le financement du développement.  

Le maintien en 2022 d’une santé florissante du système bancaire de l’UEMOA, en termes de croissance, de qualité des ratios et de résultats, peut légitimement réjouir et traduit les efforts de tous les acteurs de cet éco-systéme. Il ne doit cependant pas nous éblouir car il passe sous silence des transformations et des défis qui pèseront lourd sur la capacité des banques de l’Union à assurer de mieux en mieux les missions qu’on attend d’elles. Les mutations qui s’accélèrent dans leur actionnariat, les incertitudes sur la répartition à venir de leurs emplois, la qualité sans doute inégale de leur rôle dans les pays concernés sont quelques-unes des interrogations actuelles. Il n’est nul doute que les années prochaines en mettront d’autres à jour et obligent la profession à demeurer vigilante et déterminée.

Paul Derreumaux

Article publié le 17/10/2023

En économie aussi, une nouvelle hiérarchie s’installe entre les pays africains

La Banque Mondiale a publié comme chaque année son palmarès des 10 pays africains disposant du Produit Intérieur Brut (PIB), exprimé en USD, le plus élevé. Ce classement à fin 2022 apporte à la fois des confirmations et des surprises.


Dans le trio de tête, 3 nations dépassent 400 milliards (mds) d’USD. L’Afrique du Sud, qui a fait longtemps la course en tête, est désormais située au 3ème rang et franchit de peu ce seuil en 2022 (406mds). Le Nigéria garde sa première place d’un fil face à la surprenante Egypte qui consolide sa seconde position acquise en 2021 ( 477,4 mds et 476,7mds respectivement). Les changements entre ces trois compétiteurs proviennent de mouvements divergents de quelques indicateurs majeurs: taux de croissance du PIB, inflation, démographie, valeur en USD des monnaies locales. Nul doute que la lutte restera ouverte à l’avenir.

Loin derrière, 5 pays ont un PIB qui s’échelonne entre 200 et 100 mds d’USD. L’Algérie pointe seule à 192 mds et occupe une position plutôt en repli par rapport au passé en raison d’une situation économique moins assurée. Après elle, 4 nations forment un quatuor plus compact. Le Maroc (134mds) reste solidement accroché à sa 5ème place. Deux pays d’Afrique de l’Est le suivent: l’ Ethiopie (127mds), appuyée sur sa puissance démographique et ses réussites industrielles, devant le Kenya (113 mds), à l’économie dynamique et diversifiée, moteur d’une East African Community (AEC) en expansion. L’Angola (107mds) est revenu au 8ème rang grâce aux bons cours du pétrole en 2022


Les 2 dernières places reviennent à des outsiders moins connus, qui se tiennent en rang serré autour de 75 mds d’USD. La Tanzanie (76mds) est la 2ème « locomotive » de l’EAC et profite aussi du poids de sa population. Le Ghana (73 mds) est le champion anglophone d’Afrique de l’Ouest, hors Nigéria.


L’utilisation de la référence USD pour ce classement pourrait modifier celui-ci en 2023 par le seul fait des perturbations qui frappent cette année de nombreuses monnaies du continent. Ces valorisations monétaires animeront par exemple le débat entre Nigéria et Egypte. La Côte d’Ivoire (70mds), en « embuscade » à la 11ème place, pourrait atteindre la 8ème grâce à la parité fixe du FCFA avec l’EUR. De plus, ce classement des économies les plus puissantes en Afrique pourrait être modifié si la hiérarchie s’enrichissait de la prise en compte additionnelle d’autres critères tels le ratio d’endettement public, le poids des investissements productifs dans le PIB, la situation budgétaire, la stabilité monétaire, …. C’est par exemple l’exercice auquel se livrent des agences internationales de notation. Dans cette approche, Standard and Poor’s place ainsi en tête dans une comparaison récente le Botswana, dont la réputation de solidité est déjà faite, et situe la Côte d’Ivoire à la 5ème place de son classement, juste derrière l’Afrique du Sud, le Sénégal à la 7ème et le Bénin à la 9ème. Comme on le voit, ces classements économiques sont en partie dépendants des critères retenus et de la situation du pays vis-à-vis de la variable monétaire commune choisie.


Les résultats récents confirment dans tous les cas l’éclosion sur le continent de divers ilots de croissance soutenue, qui pourraient constituer autant de points d’ancrage pour les transformations structurelles attendues de l’Afrique, notamment subsaharienne. On recense ainsi parmi les 10 leaders indiqués par la Banque Mondiale 3 Etats d’Afrique du Nord et 7 situés au Sud du Sahara, et une très grande majorité de nations anglophones. Les difficultés présentes de certains pays -Ethiopie – Ghana par exemple- montrent cependant l’ampleur du chemin restant à parcourir pour que les performances atteintes s’inscrivent dans la durée.

Pour l’heure, la concentration reste (trop) forte. Ensemble, ces 10 pays regroupent près de 73% du PIB des 54 nations africaines. Les 3 premiers représentent à eux seuls quelque 47% de ce total et 64% du peloton de tête, mais seulement 27% de la population de l’Afrique. Ces inégalités sont également un enseignement majeur. Les années qui viennent faciliteront-t-elles à la fois la croissance et la meilleure distribution de ces richesses?  A suivre…

Paul Derreumaux

La hiérarchie des banques africaines s’infléchit doucement sous la poussée des transformations, économiques ou autres, du contient

Une récente publication de #FinancialAfrik sur la situation la plus récente des 30 principaux groupes bancaires africains apporte comme à l’accoutumée de riches informations. A la seule analyse des bilans de ces institutions, on relève quatre principaux constats.

Le premier, sans doute le plus marquant, est la fin de la domination exclusive de l’Afrique du Sud. Certes, ce pays compte toujours 4 établissements parmi les 5 premiers de la liste et la Standard Bank garde de très loin la première place, sans doute pour longtemps. Toutefois, la Banque Nationale d’Egypte double de justesse la First Rand pour la deuxième place et semble durablement installée dans ce trio de tête. Les bonnes performances économiques de l’Egypte et son poids démographique, comparés à celles de l’Afrique du Sud, sont sans doute deux des principales explications de cette montée en puissance.

L’examen de toutes les banques classées fournit d’autres informations. Au sein des 30 leaders, la concentration reste forte: les deux premiers atteignent à eux seuls 35% des bilans de l’ensemble recensé et les 5 premiers avoisinent 70% du total. En revanche, 9 pays et 3 zones monétaires apparaissent maintenant dans ce classement. Cet élargissement témoigne du développement des secteurs bancaires dans beaucoup de parties du continent. L’importance de chaque zone reste fort inégale: le Maroc maintient ses trois principales banques dans le Top 8, le Nigéria place ses 5 grandes banques dans les 20 premières places, l’Angola et la Lybie perdent du terrain mais sont toujours là, mais de nouveaux champions apparaissent dans l’UEMOA, l’EAC ou la CEMAC.

La troisième observation est que la représentativité des pays au sein de ce classement par bilans traduit aussi l’influence combinée d’autres facteurs: écarts dans le niveau de concentration des systèmes bancaires nationaux, puissance économique du pays, diversification du système financier local, poids des financements bancaires par rapport au Produit Intérieur Brut (PIB), évolution démographique. L’importance relative de ces critères se modifie avec le temps même si certaines composantes restent déterminantes. Cette pluralité de facteurs mouvants explique par exemple à la fois la longue domination sud-africaine, la présence continue des banques marocaines dans les premières places, la progression récente des banques ouest-africaines ou kenyanes. Mais elle jouera aussi un rôle dans les changements à venir du classement.

Enfin, on note que ces banques sont pour certaines encore principalement « mono-pays » -Egypte, Ethiopie,..- ,mais pour un bon nombre à la tête d’un réseau au moins régional qui joue un rôle essentiel dans leur progression -Ecobank et Atijari Bank depuis longtemps, Coris, BGFI, Equity Bank plus récemment par exemple. Il est probable que cette expansion géographique des plus puissants tendra à se généraliser.

On peut donc encore attendre des aménagements significatifs de ce classement dans les années à venir…

Paul Derreumaux

Chers amis lecteurs du Blog Regard d’Afrique

Comme l’ont constaté celles et ceux d’entre vous qui se connectent régulièrement, ou occasionnellement, à mon Blog Regard d’Afrique, celui-ci est devenu de plus en plus difficile d’accès depuis 2022 et parfois hors d’atteinte d’une connexion depuis quelques mois. Une analyse informatique de cette situation a donc été menée cet été pour trouver les explications à cet état de fait et corriger les défaillances de ce site.

Au terme de l’étude conduite, il s’avère que les blocages étaient dus pour l’essentiel à des attaques malveillantes de « pirates » cherchant à en interdire l’accès à ses lecteurs habituels en vue de de le détourner pour leurs propres utilisations, inconnues mais sans doute frauduleuses. L’ancienneté du Blog -dont le premier article a été publié en mars 2013- expliquait en partie cette fragilité, l’architecture utilisée à l’époque étant désormais mal adaptée aux contraintes de sécurité devenues habituelles.

Les changements nécessaires ont été opérés et la nouvelle structure est devenue opérationnelle le 10 septembre courant. La page de présentation du Blog est pour l’instant inchangée et toutes les 160 chroniques publiées depuis 2013 ont été maintenues et peuvent être consultées par les lecteurs. Elles retracent 10 ans d’évolution des systèmes financiers, et surtout bancaires, en Afrique subsaharienne, Elles analysent les lignes de force de quelques mouvements qui ont marqué les économies de cette zone sur cette décennie. Elles évoquent plusieurs évènements de portée mondiale de cette période et la manière dont ils ont touché- plus ou moins- l’Afrique. Elles s’attachent enfin à certaines aventures humaines qui nous ramènent aux valeurs qui méritent le plus notre attention.

Ainsi remis à jour, ce Blog va reprendre une vie plus active. Elle sera déjà animée d’ici à fin octobre 2023 par la publication de quatre chroniques déjà présentées sur Linkedin. J’espère que les lecteurs seront au rendez-vous de ces articles. Leur présence m’encouragera à poursuivre la sortie régulière de nouvelles analyses simultanément sur Regard d’Afrique et mes comptes X(Twitter) et Linkedin.

D’ici à la fin de la présente année 2023, j’aurai de plus à partager sans doute avec vous d’autres nouvelles concernant mes publications à venir. Nous en reparlerons.

Bonnes lectures à tous, quel que soit votre circuit de connexion privilégié.

Bien cordialement.

Paul Derreumaux

Banques Subsahariennes : les « grandes manœuvres » continuent

La saison des dividendes versés sur l’exercice 2022 par les banques cotées sur la Bourse Régionale de Valeurs Mobilières (BRVM) de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) s’est terminée en « feu d’artifice » en juillet dernier avec l’annonce par la Société Ivoirienne de Banque (SIB) d’un coupon net de 495 FCFA par action (2,5 fois la valeur nominale et près de 10% de sa valeur de marché), représentant globalement près de 60% d’un bénéfice annuel de 40 milliards de FCFA. Ce résultat est en ligne avec les importants profits dégagés par tout le système bancaire de l’Union en 2022.

Mais, dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, le secteur continue aussi à attirer l’attention par les mouvements capitalistiques qui l’ont animé dernièrement et continue à consolider la place des banques à capitaux régionaux.

La palme revient sans doute en la matière à la nigériane Access Bank, 1er établissement de ce pays et 10ème du continent en 2021 par le bilan. Celle-ci devrait s’installer en effet dans cinq nouveaux pays, allant de la Gambie à la Tanzanie en passant par l’Angola, en acquérant les filiales de l’anglaise Standard Chartered qui quitte ainsi le continent comme l’a fait récemment la française Banque Nationale de Paris (BNP). Dans le même temps, elle ouvre à Paris une succursale de sa filiale londonienne pour récupérer un « passeport européen » pour ses activités de banque correspondante. La zone francophone n’est pas en reste grâce aux opérations menées par deux réseaux pilotés par des Burkinabés. D’un côté, Coris Bank, devenue en 2021 le troisième groupe de l’UEMOA en termes de bilan, annonce le rachat des filiales de la française Société Générale en Mauritanie et au Tchad : elle confirme ainsi sa volonté de dépasser largement le périmètre de l’Afrique de l’Ouest francophone, après sa précédente installation en Guinée. Dans le même temps, Vista Bank a conclu un accord avec la même Société Générale pour reprendre les établissements de cette dernière au Congo-Brazzaville et en Guinée Equatoriale : ces deux pays s’ajouteraient au Burkina Faso, à la Gambie, à la Guinée et à la Sierra Leone et donneraient à la holding une empreinte sur 6 pays fort divers dans leurs structures et leurs régimes monétaires. Après le coup d’éclat réalisé par l’ivoirien Atlantic Financial Group fin décembre 2022 à travers le rachat d’une banque mauricienne parallèlement à une implantation à Madagascar, il s’agirait là d’une nouvelle percée continentale de banques marquant leur spécificité d’un actionnariat en bonne partie ouest-africain.

Les banques d’Afrique orientale anglophone sont dans la même mouvance conquérante comme l’ont confirmé les dernières expansions des kenyanes Equity Bank et Kenya Commercial Bank en République Démocratique du Congo : l’entrée de ce pays dans l’East African Community semble en faire une cible fort attractive. Les conséquences de ces opérations ne se révèleront que progressivement, mais les reconfigurations en cours de l’actionnariat font déjà apparaitre trois constats.

L’un touche toute la zone subsaharienne. Avec ces rachats, le poids relatif des groupes à capitaux régionaux accélère sa croissance, au moins pour les bilans. C’est le cas d’Access qui consolide son statut de banque panafricaine. Mais Coris Bank y contribue aussi en Mauritanie et dans la Communauté des Etats d’Afrique Centrale comme les grandes banques kenyanes dans l’East African Community. De plus l’évolution renforce mécaniquement la place des institutions les plus puissantes dans chaque système bancaire national. Ce ratio avoisine parfois 70% du total des bilans bancaires du pays pour quelques groupes dominants : 4 en Afrique du Sud, 3 au Maroc, 8 au Nigéria, 10 dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Cette concentration est d’ailleurs en général nettement plus importante pour les bénéfices, montrant qu’une taille élevée est aussi génératrice de rentabilité accrue.

Deux autres affectent surtout, pour l’instant, l’espace francophone. D’abord, ces transferts de propriété sont le fait d’actionnaires privés qui poursuivent leurs stratégies. Mais l’histoire récente montre que des Etats s’insèrent dans ces changements du paysage bancaire. La Côte d’Ivoire l’avait prouvé en 2022 avec une reprise de la filiale de la française BNP par des actionnaires étatiques. Le Congo et la Guinée Equatoriale le confirment en 2023 en refusant la cession des entités de la Société Générale sur leur territoire à Vista Bank et en les rachetant eux-mêmes. D’autres pays, tel le Sénégal, semblent prêts à adopter des positions identiques. Avec cette stratégie, opposée à celle des années 1990, les gouvernements disposeront d’outils bancaires pouvant faciliter leurs propres priorités. Reste à voir comment s’exercera la concurrence entre tous les acteurs bancaires du pays.

Une seconde spécificité francophone est le fait que ces « bascules » d’actionnariat et le poids accru des grands groupes dans chaque pays ne conduisent pas à une réduction du nombre de banques agréées. Sous d’autres cieux -tels le Nigéria ou le Ghana- cet effectif a nettement diminué, à la suite notamment de fortes augmentations du capital minimum requis, et est parfois inférieur à celui de nations de l’UEMOA. Au contraire, dans celle-ci, des investisseurs ou des institutions (microfinance, ..) sont encore en embuscade avec de nouveaux projets bancaires. Plusieurs causes peuvent expliquer cette différence : présence en zone anglophone de structures performantes alternatives aux banques (invesment banks, banques rurales…); culture financière différente,.. Un autre constat est à venir. Un actionnariat plus local facilitera-t-il le développement économique ? La condition sera double : les banques devront mieux assurer toutes les missions qu’on attend d’elles et le contexte dans lequel elles agissent devenir plus favorable. Ne l’oublions pas.

Paul Derreumaux

Sommet pour un nouveau pacte financier mondial : Une ambition bien ciblée ?

Trois mois déjà que s’est tenu à Paris le « Sommet pour un nouveau pacte financier mondial ». Il ne faut certes pas bouder le plaisir de voir le sujet du développement économique mis sur le devant de la scène. Toutefois les résultats obtenus dans cette nième réunion « de haut niveau » sont-ils à la hauteur des prévisions ? Et ne pouvait-on imaginer un autre contenu des débats ?

Ce sommet a bien atteint ses objectifs pour la qualité du public qui y a participé – 40 Chefs d’Etat et plus d’une dizaine de dirigeants des plus grandes institutions internationales de financement-, pour l’audience dont il a bénéficié et pour les bonnes intentions manifestées par les représentants des plus puissants pays représentés. Même si, dans leur majorité, les Présidents des pays du G7 étaient absents, les deux camps – celui des bailleurs de fonds et celui des receveurs de financements – étaient bien qualifiés pour tenter de progresser. Mais le format retenu -centré sur deux jours de communications présentées par les participants – était plus favorable au rappel des positions respectives de chacun qu’aux avancées issues de négociations serrées. Plusieurs autres facteurs expliquent aussi la modestie des résultats concrets. Le sommet prévoyait de traiter à la fois des moyens d’accélérer la croissance économique des pays les moins avancés, d’un côté, et de mieux lutter contre le dérèglement et le réchauffement climatiques, de l’autre. Or, tous n’accordent pas, avec juste raison, la même urgence aux deux sujets comme l’a rappelé le professeur Diwan: « Les pays riches évoquent des réformes sur le long terme alors que les pays pauvres ont besoin d’aide sur le très court terme ». Il aurait donc pu être préférable de se limiter à la première question, pour éviter des points de friction sur le financement des actions visant le climat dans les pays en développement ou sur la priorité à donner aux créations d’emplois plutôt qu’à la surveillance du « bilan carbone »  

Surtout, les nations du Nord partaient avec un handicap de confiance vis-à-vis de leurs interlocuteurs en raison de nombreuses promesses passées non tenues.. Ainsi, l’engagement pris de longue date par les Nations Unies d’une affectation de 0,7% du budget des Etats les plus riches aux programmes de développement des pays du Sud n’est à ce jour appliqué que par une partie de l’Europe du Nord. Sur ce même plan, la prise en compte dans cette aide publique des concours financiers de grande envergure accordés à l’Ukraine à la suite de la guerre que celle-ci subit a montré a contrario combien la part des autres destinataires se réduisait. Dans un autre domaine, l’apport annuel de financements d’au moins 100 milliards de USD à partir de 2020 promis depuis la COP 15 aux nations en développement pour leur lutte contre le réchauffement climatique n’aurait été atteint -durablement ? – que cette année.

Pour que ce sommet reste dans les annales, il aurait donc peut-être été plus productif qu’il permette avant tout la finalisation de quelques propositions majeures encore en suspens. En la matière, le déblocage juridique des formalités de création des 100 milliards de Droits de Tirage Spéciaux (DTS) au profit des pays pauvres est une excellente nouvelle, mais qu’il convient encore de transformer rapidement en une mise à disposition de ces fonds aux bénéficiaires à travers le « Fonds pour la Résilience et la Durabilité » De même, la constitution à bref délai du mécanisme d’urgence envisagé à la COP 27 pour le financement dans les territoires les plus démunis de programmes de réaction à des catastrophes naturelles -le » Fonds dit Lula »- comblerait un vide pénalisant. Ces mesures globales compléteraient efficacement les quelques résultats obtenus durant le sommet sur des dossiers spécifiques à quelques pays comme l’Afrique du Sud, le Sénégal et la Zambie. Elles inciteraient aussi les grandes puissances émergentes, telles celles des « BRICS » qui ont tenu tout récemment leur sommet -sans Poutine- bien médiatisé lui aussi, à offrir eux-mêmes des améliorations notables pour garder toute leur attractivité.

 En restant centrés sur les contraintes du développement économique pour les nations les moins favorisées, certaines autres actions auraient pu être utilement proposées pour une rapide mise en oeuvre. Le sommet s’est en effet concentré sur les questions macroéconomiques. Celles-ci sont bien sûr capitales. L’accord sur les DTS a fait l’objet de longues batailles et est un progrès réel. Il en est de même pour l’accord de principe de la Banque Mondiale et de quelques pays sur la suspension des remboursements de dettes des zones touchées par une catastrophe climatique. L’idée lancée d’une augmentation drastique des capacités de financement des banques internationales de développement est également susceptible d’accroitre fortement les moyens d’action de celles-ci et de stimuler les financements des bailleurs privés. Mais ces deux dernières suggestions imposeront de rudes débats pour leur application pratique et sont des évolutions possibles de longue haleine.

A côté de ces pistes de moyen terme, l’atteinte de solutions pour divers problèmes posés de longue date serait aussi un catalyseur du développement économique, mais relève surtout de patientes actions de terrain. Certaines sont très souvent évoquées comme la nécessité pour les partenaires techniques et financiers (PTF) de mieux prendre en compte les besoins des bénéficiaires finals des projets ou l’urgence de trouver des modalités plus performantes pour soutenir les petites et moyennes entreprises. Deux autres exemples peuvent aussi être cités.

Le premier est celui d’une mobilisation plus efficace des financements disponibles. Dans beaucoup de cas, et notamment en Afrique subsaharienne, de meilleures performances pourraient être obtenues au moins à trois niveaux. Celui du rythme et du taux de décaissement  traditionnellement faibles -parfois moins de 50% des montants attribués- des aides et crédits accordés aux Etats. Celui des montants perdus en raison de montages non optimaux ou de possibles surfacturations. Celui des conditions préalables inadaptées ou excessives parfois formulées par des donateurs, des prêteurs, ou des bureaux d’études, qui retardent et renchérissent le coût des investissements prévus. Une mobilisation déterminée sur ces trois aspects relèverait très significativement le volume des projets financés.

Un deuxième effort spécifique devrait concerner le renforcement accéléré des capacités énergétiques. Dans la plupart des pays africains par exemple, les énergies renouvelables sont abondantes, mais particulièrement sous-employées, et spécialement l’énergie solaire, alors que l’accès à l’énergie est encore trop souvent plus rare et plus coûteux que dans d’autres régions en développement. Or, l’élimination des blocages qui  produisent cette contradiction peut être menée par plusieurs angles d’attaque: priorité donnée aux constructions de centrales électriques utilisant des énergies renouvelables, et notamment le solaire ; appui financier, juridique et technique aux Etats pour faciliter le montage des grands investissements en partenariat public-privé (les mécanismes PPP) ; augmentation massive des dons et prêts bonifiés au niveau international pour les projets en « énergie propre » s’ils sont plus onéreux ; meilleure libéralisation du secteur afin d’améliorer les performances du service offert et l’accès à celui-ci, surtout dans les campagnes ; attention portée à l’optimisation des réseaux de distribution. Un Plan Energie pour l’Afrique, un moment envisagé, serait sans doute un levier décisif de changement, s’il se décline en une succession d’étapes réussies et visibles par tous. Un tel plan aurait en outre des retombées positives dans la lutte contre le dérèglement climatique dans les pays concernés.

Le sommet de Paris a confirmé un cap déjà défini en le renforçant d’ambitions quantitatives supplémentaires, pour tenter d’accélérer le développement économique partout où il tarde à s’installer. Mais le « nouveau pacte » annoncé apparait loin d’être abouti et surtout, n’a guère inclus des changements fondamentaux de doctrine ou de méthode. Peut-être étaient-ce pourtant ces transformations, nécessaires et déjà connues, qui auraient le mieux convaincu les participants du Sud. Elles risquent certes d’être aussi difficiles à obtenir que les changements d’échelle des financements, car elles supposent une volonté forte, multiforme et constante de tous les partenaires, bailleurs et emprunteurs, à mettre en pratique sur tous les chantiers ouverts. Mais cette complexité ne doit-elle pas pousser à lui conférer l’urgence absolue, même si ces actions sont moins spectaculaires ? Pour construire une maison solide, il faut que ses fondations le soient d’abord.

Paul Derreumaux

Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) : Menaces de gros temps pour les banques.

Mars 2023 a été un mois difficile pour le secteur financier.

Aux Etats-Unis, la faillite de trois entités de petite ou moyenne importance- Silvergate Bank, Silicon Valley Bank et Signature Bank- a nécessité l’intervention immédiate et massive de la Federal Reserve Bank pour stopper des risques de contagion dans le secteur bancaire et restaurer la confiance du public. En Europe, le Crédit Suisse s’est effondré et a disparu en trois jours tandis que la Deutsche Bank était elle-même attaquée par des spéculateurs aux aguets. Face à ces difficultés, la mission des principales banques centrales de ramener au plus vite l’inflation dans les limites souhaitées sans casser la croissance a été rendue encore plus difficile.

Dans l’UEMOA, les difficultés se sont cristallisées de façon simultanée, sur la liquidité bancaire et sur le financement régional des Etats de l’Union.

Avant 1996 en effet, les Etats étaient autorisés, pour compléter leurs ressources, à faire appel à des avances de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEA0). Constituant directement une création monétaire, ces facilités étaient étroitement réglementées : l’article 16 des statuts de la BCEAO limitait leur encours à 20% des recettes fiscales de l’année précédente. La création en 1996 du marché monétaire élargi a supprimé cette procédure en la remplaçant par celle de l’émission par adjudication par les Etats de Titres de Créances Négociables (TCN), Bons du Trésor (BAT) à court terme et Obligations du Trésor (OAT) à moyen terme, émis sur ce nouveau marché. L’UEMOA rejoignait ainsi les pratiques déjà couramment utilisées dans les pays d’Afrique anglophone et empruntées des pays les plus industrialisés. Avec la naissance de la BRVM en 1998, un compartiment obligataire a été ouvert à tous les émetteurs pour des opérations à moyen terme par syndication : les Etats y ont progressivement pris une place  très prépondérante pour compléter leur dispositif de financement.

La montée en puissance de l’utilisation par les gouvernements de ces nouveaux instruments a d’abord été poussive : leur nouveauté technique dans la zone et l’existence en cette période de plusieurs alternatives expliquent cette modestie. La première émission obligataire a été réalisée par la Côte d’Ivoire en 2002 pour une durée de 3 ans. En 2006, l’encours global des titres des 8 Etats s’élevait à 277 milliards de FCFA et à une part modeste de la dette publique totale. Mais le bon fonctionnement de ces mobilisations de ressources a entrainé deux évolutions majeures. La première est celle du gonflement considérable des émissions : 55 milliards de FCFA en 2001 ; puis, tous types confondus, 1200 milliards de FCFA en 2009, 3304 milliards de FCFA en 2015 et 6600 milliards en 2022. L’encours atteint cette dernière année est d’environ 20500 milliards de FCFA, dont 12600 milliards de FCFA émis par adjudication et plus de 8000 par syndication. Il approche maintenant 20% du Produit Intérieur Brut (PIB) de l’Union, contre 5% en 2010 et 12,5% en 2015, avec deux accélérations marquées en 2009 et 2013. L’autre tendance est une transformation continue de la nature et de la durée des dettes émises. Ainsi, les syndications des émetteurs publics sont devenues depuis longtemps majoritaires sur le département obligataire de la BRVM, en nombre comme en montant, et en représentent à ce jour quelque 90% ; le terme de ces emprunts obligataires a été constamment allongé, pour atteindre aujourd’hui 20 ans – pour le Bénin en mars 2022. De même, pour les adjudications, les OAT ont pris de plus en plus d’importance, hormis en quelques phases d’ajustement. Malgré certaines périodes de tension, comme en début 2017, le placement de chacune des émissions venues sur le marché s’est effectué quasiment sans accroc, quel que soit l’Etat émetteur. L’absence de risque de change lié à ces emprunts, la compétitivité des taux par rapport aux autres sources de financement, les encouragements des Partenaires Techniques et Financiers (PTF) à privilégier l’endettement intérieur, expliquent cette tendance.

Le développement rapide de cet endettement public interne dans l’UEMOA est resté longtemps soutenu par au moins deux facteurs. Le plus important est sans doute l’excellente liquidité des banques dans leur ensemble sur toute la période grâce aux transformations du système bancaire régional. La densification du nombre de banques et l’amélioration des taux de bancarisation ont largement « boosté » la collecte des dépôts tandis que le taux de transformation de ceux-ci en crédits à la clientèle n’a pas progressé avec la même vigueur : ceci a mécaniquement accru les ressources disponibles des banques et les a incitées à renforcer des emplois de trésorerie bien rémunérés. L’attractivité multiforme de ces emprunts d’Etats a été en effet le second moteur de leur succès. Outre le niveau satisfaisant des taux déjà souligné, ceux-ci offrent plusieurs avantages comparatifs : facilité de refinancement auprès de la Banque Centrale, exemption de coûts en fonds propres à la différence des crédits à la clientèle, faiblesse du risque au vu du déroulement jusqu’ici sans incident significatif de ces opérations. En l’absence d’autres grands investisseurs institutionnels dans l’espace régional, tels les fonds de pensions, les banques sont vite devenues les principaux souscripteurs de ces titres. Les deux derniers rapports de la Commission Bancaire ont d’ailleurs confirmé que le poids de ces placements en trésorerie s’alourdissait dans le bilan des établissements financiers.  

Réponse bien adaptée aux besoins croissants de ressources des Etats de la zone, y compris face à la « crise Covid », cette évolution n’était pas exempte d’inconvénients potentiels. Dès 2007, trois principaux d’entre eux étaient identifiés (1) à moyen terme: risque d’éviction du marché du secteur privé pour des raisons de saturation de celui-ci et de coût des ressources ; affectation non optimale des ressources publiques supplémentaires ainsi  mobilisées par suite des difficultés d’identification des priorités nationales et de coordination entre les Etats sur le marché ;  risque d’insoutenabilité de la dette publique en cas de hausse du coût réel de celle-ci, de faiblissement de la croissance et de dégradation des équilibres budgétaires.    

Le système a cependant fonctionné correctement pendant longtemps grâce à plusieurs données favorables. La croissance économique de l’Union jusqu’en 2019 -une des plus fortes du continent avec plus de 5% en moyenne sur les 10 dernières années- en a été le principal moteur, cette croissance alimentant à la fois les ressources des banques, les recettes fiscales des Etats et la consistance du marché financier. La création de l’Agence titres UMOA en 2013, chargée de réguler et de coordonner les émissions publiques, a aussi aidé à la réussite des émissions en coordonnant mieux celles-ci pour éviter l’encombrement du marché.

Cette mécanique s’est grippée à partir de fin 2022, dans le sillage du changement de paradigme engagé par la quasi-totalité des banques centrales : une hausse généralisée des taux directeurs pour tenter d’arrêter puis de réduire une inflation de portée mondiale et touchant de nombreux secteurs. Dans l’UEMOA, cette bataille a été rendue encore plus difficile par le recul brutal de l’EUR face au dollar US – environ 15% en 10 mois- qui a accru l’inflation importée et réduit le niveau des réserves en devises.  Pressée de répondre à ces diverses contraintes, la nouvelle politique de la BCEAO a visé à la fois le renchérissement et la diminution des possibilités de refinancement des banques : relèvement des taux du guichet principal – 4 hausses en 9 mois pour passer de 2% à 3 % –, restriction de l’accès à celui-ci, relèvement notable du coût et du volume de ressources du guichet annexe. Ces mesures ont eu un triple effet. L’un a été le resserrement de la trésorerie mobilisable des banques, particulièrement marqué à partir de février 2023 : le volume hebdomadaire de liquidités mis à la disposition des banques a décru en moyenne de près de 10% en un mois, mais a surtout fait l’objet de réductions variables selon les banques en fonction de critères retenus par la Banque Centrale pour apprécier la solidité de leur situation respective.   Le deuxième a été en conséquence la recherche par les banques d’une augmentation chaque fois que possible des taux d’intérêts débiteurs pour atténuer les effets sur leurs marges de la hausse du coût des ressources et le ralentissement attendu des encours de nouveaux crédits. Le dernier a été en ricochet la perturbation momentanée des émissions de titres publics. Dès février 2023, de nombreuses opérations à court ou moyen terme n’ont pas trouvé preneur pour la totalité des titres proposes, avec parfois des « gaps » atteignant les 2/3 du total émis, et ont dû accepter des taux en sensible hausse. Certaines ont été reportées jusqu’ au retour au calme du marché.

Devant les difficultés issues de ces changements de l’environnement, la fébrilité a gagné le système financier en mars dernier et a accéléré la mise en œuvre de mesures propres à faire face à la nouvelle situation. Les banques, chacune à leur rythme et selon leurs moyens d’action privilégiés, se sont efforcées de mobiliser des ressources additionnelles auprès de leur clientèle, de reporter certaines dépenses non prioritaires, de céder une partie de leurs placements de trésorerie, d’avoir davantage recours aux crédits interbancaires, de ralentir leurs octrois de crédits quand c’était possible. Les Etats, pour lesquels le recours au marché financier régional est souvent devenu vital pour leurs équilibres budgétaires, ont dû accepter des taux plus élevés et ont activement promu leurs emprunts auprès des investisseurs potentiels afin d’atteindre les souscriptions escomptées. La BCEAO a modérément desserré son étreinte par une politique plus pointilliste sans remettre en cause les orientations directrices de sa nouvelle stratégie.

La rapidité des réactions de chacun semble avoir été efficace. En avril courant, la quasi-totalité des dernières émissions étatiques ont été entièrement souscrites, et parfois sursouscrites. L’écart entre demandes et offres sur les guichets de financement de la BCEAO s’est globalement resserré même s’il demeure inégal entre établissements. Les ajustements opérés devraient s’avérer bénéfiques au moins en deux domaines, importants pour l’amélioration de la profondeur des marchés financiers mais jusqu’alors peu performants : celui de la liquidité effective du marché secondaire des titres d’Etat, celui du volume des crédits interbancaires, qui restaient avant largement cantonnés aux crédits à l’intérieur d’un même groupe.

Ainsi un certain équilibre pourrait être restauré, caractérisé par une prudence accrue en matière de crédits et une hausse des taux d’intérêt, au moins pour un temps d’observation. La remontée de 12% du ratio Euro/USD depuis novembre 2022 devrait aussi favoriser l’effet antiinflationniste de cette nouvelle situation. Ce calme relatif permettra sans doute de mieux s’attaquer aux problèmes structurels toujours oppressants dans la région : augmentation souhaitée du poids relatif des concours bancaires par rapport au PIB, priorité accrue à donner à des secteurs comme les petites entreprises et le logement, affectation de l’usage des emprunts publics plus orientée vers le développement économique, maîtrise de la dette publique. Oublier longtemps les priorités de long terme ne peut conduire qu’à l’échec.  

(1) « Le temps retrouvé de l’endettement intérieur en Afrique », par Sylviane Guillaumont et Samuel Guerineau in Revue française d’économie, 2007

Paul Derreumaux

Article publié le 25/04/2023

Prévisions économiques : Le pire n’est jamais sûr…

Une bonne partie du monde avait connu en 2021 une nette reprise économique après le recul subi l’année précédente en raison de la pandémie du Covid -19. L’année 2022 a été au contraire marquée de nouveau par deux perturbations majeures.

Dès février 2022, la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales qui ont rapidement suivi ont développé des effets multiples – économiques, logistiques, politiques – au niveau international. Ce furent notamment une hausse, rapide et vigoureuse, des prix du pétrole et du gaz, le fort renchérissement d’autres matières essentielles -produits agricoles, engrais, ..-, des difficultés d’approvisionnement de ces produits dans certains pays, et la nécessité de reconstruction de nombreux circuits commerciaux. Certes, certains prix ont reflué de leurs pics en cours d’année, tel le pétrole dont le prix du baril WTI est passé en 2022 de 77 USD en janvier à 121 USD début juin avant de se replier à 77 USD en mars 2023. La poursuite de cette guerre tout au long de 2022 et les réactions adoptées de part et d’autre ont cependant menacé l’Europe d’une crise énergétique fin 2022. Elles ont aussi requis des ajustements souvent difficiles pour transformer profondément et durablement la structure, les flux et les coûts du « mix-énergétique ».

La généralisation sectorielle et géographique de ce dérapage des prix a poussé l’inflation à des niveaux inusités depuis longtemps : près de 9% aux Etats-Unis et plus de 10% en Europe dans l’année écoulée, L’ampleur et l’absence de visibilité sur la durée de ce phénomène ont amené les principales banques centrales à abandonner progressivement leur politique de taux d’intérêt bas et de soutien de la liquidité des banques , provoquant un second traumatisme économique. La Federal Reserve américaine a ouvert la voie depuis déjà près d’un an, avec des a-coups parfois brutaux, et ses taux directeurs ont plus que doublé en neuf mois pour s’élever à 4,75% en décembre dernier, un bouleversement oublié depuis longtemps. D’autres banques centrales -Angleterre, Union Européenne, même le Japon -l’ont suivie. Au vu de l’importance du crédit dans le fonctionnement des économies les plus avancées, ces mesures visaient à durcir mécaniquement l’obtention de financements afin de peser sur la croissance et de ralentir l’inflation.

La conjonction de cette montée irrésistible des prix et de la volonté prioritaire des banques centrales des pays les plus puissants de la faire refluer a assombri les perspectives à court terme de la croissance économique mondiale. Les marchés boursiers ont été les premiers à subir ce mouvement tant pour les obligations, par conséquence directe de la hausse des taux, que les actions, par suite des incertitudes croissantes sur le futur et d’un asséchement des financements à coût négligeable, en particulier pour les secteurs des nouvelles technologies. Les indices SP 500 à New York et CAC 40 à Paris ont ainsi reflué jusqu’en début octobre dernier respectivement de 23% et 20% par rapport à leurs maximaux de début 2022. Les politiques économiques, notamment européennes, ont été réorientées à la fois vers la « sobriété » et la défense du pouvoir d’achat plutôt que vers des investissements visant la croissance. Les prévisions d‘évolution du Produit Intérieur Brut (PIB) pour l’année échue ont été abaissées, et sont même parfois devenues négatives. Le net repli de l’Euro face au dollar US- -16% de fin janvier à fin octobre 2022, ramené depuis à -7% en mars courant-  a encore exacerbé les tendances inflationnistes dans l’Union Européenne.

L’Afrique a été entrainée dans les divers mouvements de cette période erratique : de manière positive pour les pays exportateurs de pétrole et d’autres matières premières aux cours en hausse ; de manière négative pour les autres, plus nombreux, subissant le renchérissement de leurs importations, l’impact fréquent d’une forte dépendance aux produits russes ou ukrainiens et l’extension de l’inflation à la plupart des secteurs.  Les subventions publiques au profit de certains produits ou activités ont été variables en fonction des moyens financiers des Etats et de leur capacité à mobiliser des financements spécifiques des bailleurs de fonds internationaux, très focalisés sur l’Ukraine. Les zones CFA, souvent préservées des lourdes hausses de prix, ont été cette fois pénalisées par le recul notable de la valeur relative de l’Euro.

Dans ce contexte mondial plutôt hostile, tous les acteurs ont mobilisé leurs moyens de riposte, parfois aidés par le sort. La pénurie redoutée d’énergie a été ainsi évitée en Europe avec l’aide d’un hiver spécialement clément. La nécessité a obligé beaucoup d’entreprises à aménager avec réussite leurs processus de production pour des économies d’énergie, des améliorations de productivité, des progrès dans les transformations favorables à l’environnement. L’essor des énergies renouvelables a atteint des records imprévus tandis que de nouveaux circuits d’approvisionnement en gaz se sont mis en place. Les ménages ont démontré partout leurs sens des responsabilités et leurs capacités de protection du pouvoir d’achat : comme souvent, la période a été marquée par une modification des habitudes de consommation mais aussi par une augmentation conséquente de l’épargne de protection, encouragée par les hausses de taux d’intérêt. En Europe, et surtout en France, les gouvernements ont largement ouvert le flux des subventions destinées à réduire l’impact de l’explosion de certains coûts, dans l’énergie notamment. Aux Etats-Unis, le pouvoir fédéral a initié en août 2022 un vaste programme d’appui aux entreprises, l’Inflation Reduction Act, pour soutenir des secteurs essentiels pour le présent et l’avenir (véhicules électriques, médicaments,,..).

Cette combativité tous azimuts a été souvent conduite en faisant fi avec pragmatisme de dogmes économico-politiques jusqu’alors ultradominants : aux grands maux, des remèdes récemment impensables ! Ainsi la préoccupation majeure de lutte contre le réchauffement climatique s’est accommodée, même en Europe, de la relance de mines et de centrales de charbon ; les Etats européens réfractaires aux gaz de schistes ont bien été contraints de les acheter aux Etats-Unis; l’opposition de la Commission Européenne aux subventions des Etats membres à leurs entreprises nationales a été largement tempérée tandis que les limitations « recommandées » aux déficits budgétaires et aux endettements extérieurs restent peu audibles depuis le Covid19.

Ces réponses ont apporté une certaine résilience aux multiples adversités de la période. Le rythme de l’inflation s’est réduit au dernier trimestre 2022, même s’il est demeuré supérieur aux objectifs fixés et aux données pré-Covid, et s’il reste préoccupant. Malgré les resserrements monétaires mondiaux, les économies n’ont pas « craqué ». Les évolutions effectives du PIB  des grands ensembles économiques, si elles ont ralenti, sont finalement meilleures en 2022 que les prévisions les plus alarmistes : au moins +2,1% pour les Etats-Unis, +3,5% pour l’Union Europenne,+2,6% pour la France. La consommation a été le principal moteur de cette résistance. De plus, dans tous les pays du Nord, le niveau d’emploi a bien résisté au ralentissement, et les tensions au recrutement continuent même dans plusieurs secteurs d’activité. Une récession générale a donc été jusqu’ici écartée et les prévisions pour 2023, tout en convergeant vers une croissance encore fragilisée, gardent une tendance positive. Aux Etats-Unis, les bourses ont regagné en février 2023 environ 55% de leur chute de 2022, à l’exception du Nasdaq très en retard. En Europe, les replis de 2022 sont maintenant effacés et une certaine euphorie s’est même emparée depuis janvier dernier des principaux marchés mobiliers : le CAC 40 a ainsi curieusement dépassé fin février 2023 tous ses records alors que les anticipations de l’évolution du PIB français pour 2023 sont voisines de zéro.

En zone subsaharienne, on observe cette même ambivalence d’espoirs et d’inquiétudes. Certes, l’inflation s’est ralentie comme ailleurs mais les prix demeurent à des niveaux élevés sur de nombreux produits- carburants, biens alimentaires, …-. Beaucoup de monnaies ont fortement « dévissé » – Ghana, Angola, Ethiopie, Nigéria par exemple – ce qui explique aussi ces envolées des prix et perturbe le fonctionnement des économies touchées comme la capacité des pays concernés à honorer leurs engagements extérieurs -le Ghana est ainsi en « défaut partiel »  .. Les tensions de trésorerie des finances publiques et la raréfaction des financements extérieurs, parfois aggravées des problèmes politiques et sécuritaires, freinent la réalisation d’investissements pourtant indispensables. La Banque Mondiale prédit une probable aggravation de la pauvreté en 2023. Face à cela, le Fonds Monétaire International (FMI) annonce une possible augmentation du PIB subsaharien de +3,7% en 2023, légèrement supérieure à celle de 2022 et supérieure à la moyenne mondiale. En ligne avec les disparités d’évolution entre pays, cette croissance continuerait à être inégalement répartie : en recul et inférieure à la moyenne en Afrique du Sud et au Nigéria, les deux mastodontes du continent ; supérieure au contraire dans l’Afrique de l’Ouest francophone, comme dans les dix années passées. Elle est ici en 2022 « boostée » notamment par une Côte d’Ivoire toujours en forme (+6,5%%) et par le Sénégal et le Niger (respectivement + 8,1% et +7,3%) grâce à la production pétrolière.

Les chocs apportés par les crises majeures de 2022 -guerre et inflation- ont donc violemment frappé l’économie mondiale, mais celle-ci continue jusqu’ici à faire preuve d’une résistance inattendue. Pourtant plusieurs difficultés, particulièrement d’ordre financier, pourraient encore assombrir l’horizon à court terme, comme le montrent les deux exemples suivants. En matière de dette publique, la hausse rapide et généralisée de l’endettement des Etats et la montée des taux ne font que commencer à déployer leurs effets : leur impact sur les budgets étatiques pourrait devenir insupportable si l’activité économique se porte mal. C’est vrai aussi bien pour les marchés internationaux de capitaux pour les pays développés que pour les marchés de capitaux régionaux ou locaux pour les pays en développement. En matière de santé des institutions financières, les bons indicateurs de la période précédente pourraient vite révéler des imprudences et laisser place à un « jeu de dominos » de crises de liquidité bancaire. La faillite actuelle de la petite Silicon Valley Bank(SVB) et ses répercussions encore mal connues, d’une part,  et les vives inquiétudes créées par la réduction brutale des refinancements de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), d’autre part, sont ici  des clignotants d’alerte  à suivre de près.

Le pire n’est jamais sûr, mais le meilleur non plus…

Paul Derreumaux

(Article publié le 14/03/2023)

Les banques subsahariennes à l’offensive

Les années 2021 et 2022 avaient révélé les prémices d’une nouvelle montée en puissance des banques à capitaux privés subsahariens.  L’année 2023 pourrait confirmer la vigueur de ce mouvement de fonds et mériter d’en analyser les limites.

Dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) en particulier, l’accélération du départ de la Banque Nationale de Paris (BNP) a été l’illustration marquante de cette tendance dans les deux années écoulées. Après son départ du Mali et du Burkina Faso, la 1ère banque française par le Produit Net Bancaire (et 9ème mondiale par les actifs) a conclu les accords pour céder ses deux principales filiales – celle du Sénégal au groupe Sunu, celle de Côte d’Ivoire à un consortium public national emmené par la Banque Nationale d’Investissement (BNI). Elle laisse ainsi la Société Générale seul établissement français dans l’Union – à l’exception de la toute récente Orange Bank Africa en Côte d’Ivoire-, mais aussi en Afrique -hormis la BRED isolée à Djibouti- puisque la BNP a cédé également ses filiales au Gabon et aux Comores dans cette même période. La prédominance des banques « régionales » par rapport aux « étrangères » dans l’UEMOA, confirmée dès 2020 au moins pour les bilans et la collecte des dépôts, va s’en trouver sensiblement renforcée. L’évolution pourrait aussi vite s’accélérer sous l’effet de l’élargissement continu de l’empreinte des banques qui aspirent à un réseau couvrant tout ou partie de l’Union : les Maliennes BDM et BMS, l’Ivoirienne Bridge Bank par exemple.

Le bouleversement enfle encore si on ajoute à cette catégorie, dans chaque pays ou zone monétaire spécifique, les entités qui viennent d’autres pays du continent. Toujours dans l’UEMOA, l’annonce récente par la Banque Nationale d’Algérie (BNA) de l’installation en 2023 d’une filiale au Sénégal dotée d’un capital imposant de 60 milliards de FCFA est toutefois une surprise en la matière. Il s’agirait là de la première incursion en territoire subsaharien de la 11ème plus importante banque du continent. L’importance de ses moyens financiers, son réseau de correspondants pourraient en faire rapidement un acteur sérieux de la place, surtout pour les opérations de commerce international. L’encouragement des Autorités algériennes donné aux principales banques nationales pour ces installations outre-Sahara pourrait aussi montrer que la venue de la BNA n’est pas un « coup isolé ». Si ces annonces se concrétisent, ceci renforcerait à nouveau le poids des banques maghrébines en zone subsaharienne et leur rivalité avec les banques « regionales ».

Cette tendance irréversible à la « dé-compartimentation » du continent, engagée dès 2005 par les banques nigérianes, se poursuit aussi ailleurs sous des formes devenues plus « classiques ». La Marocaine Atijari prévoit par exemple une implantation au Tchad, qui élargirait son réseau en Afrique occidentale et centrale. Toujours au Tchad, la Gabonaise BGFI pourrait s’emparer de l’ex-filiale de la Banque Commerciale du Cameroun, en restructuration de longue date. Access Bank, une des trois plus grandes banques nigérianes, déjà opérationnelle au Kenya, ayant échoué à y racheter aussi la Sidian Bank, annonce de nouvelles installations au Kenya et au Ghana mais aussi un plan quinquennal d’extension tous azimuts hors d’Afrique. Les puissantes banques kenyanes accentuent pour leur part leur pression sur la République Démocratique du Congo (RDC) qui vient d’adhérer à l’East African Community( EAC) : Equity Bank se saisirait ainsi de la Banque Commerciale du Congo, première entité du pays et ancien fleuron du Groupe belge Belgolaise, et Kenya Commercial Bank (KCB) de la Trust Merchant Bank qui dispose déjà d’une solide assise régionale en Afrique Orientale.

Mais la nouvelle la plus remarquable de ce début 2023 est sans conteste celle du rachat par le réseau ivoirien Atlantic Finance Group (AFG) de la majorité du capital du troisième établissement mauricien, Afrasia Bank. L’opération frappe à la fois par l’importance du « deal » -le bilan d’Afrasia atteint 4,6 milliards d’USD- et par l’éloignement géographique des centres de gravité des deux banques. Lorsque cette opération sera menée à terme, la banque ivoirienne rejoindra le club encore très restreint des entités subsahariennes véritablement panafricaines, c’est-à-dire présentes dans au moins deux zones linguistiques du continent. De plus, Afrasia, comme ses consoeurs mauriciennes, est active par exemple dans la gestion des titres ou le change, autant de secteurs peu familiers aux banques francophones, ce qui durcit encore ce challenge.

Cette profusion de nouvelles opérations va mécaniquement accroître partout le poids relatif des banques subsahariennes. Toutefois, pour que les changements opérés et/ou annoncés produisent des effets maximaux, beaucoup de conditions sont à remplir.

Les repreneurs des banques françaises devront pour leur part réussir le pari de garder dans leurs nouvelles filiales le public existant mais surtout d’y gagner une clientèle beaucoup plus large et variée et de satisfaire ses besoins de crédit, tout en veillant à maintenir la qualité du portefeuille et des services rendus. La forte présence à Abidjan d’acteurs publics dans l’ex-BNP va aussi constituer une nouveauté au sein d’un système bancaire régional où le secteur privé domine très largement depuis vingt ans. Par ailleurs, tous les acteurs élargissant leur périmètre auront à mettre leurs nouvelles filiales au niveau de leur réseau, et maintenir en même temps la cohésion de celui-ci, dans des environnements changeants, une concurrence plus aigüe et une réglementation toujours plus dure.

Outre ces exigences spécifiques, les systèmes financiers subsahariens doivent en effet continuer dans leur ensemble à relever divers défis. L’un est la hausse continue des ratios prudentiels : elle s’exprime dans l’augmentation du capital social minimal, observée partout et régulièrement, et surtout dans celle des coefficients requis de fonds propres, qui limite strictement les banques dans la progression de leurs crédits, comme on le vérifie actuellement dans l’UEMOA. Dans ce même espace, la Banque Centrale met maintenant l’accent sur une diversification des crédits mieux assurée, pour rattraper le retard par rapport à d’autres régions, telle l’Afrique de l’Est. Ceci va exiger de chaque banque d’importants efforts de recapitalisation qui s’ajouteront, pour toutes celles engagées dans des acquisitions, à ceux des rachats effectués. Le niveau insuffisant des financements bancaires par rapport aux besoins des économies locales, spécialement pour les Petites et Moyennes Entreprises (PME) n’est en outre en rien résolu par ces fusions-acquisitions : cette question dépend de nombreux facteurs économiques, fiscaux, juridiques, politiques, dont la résolution prendra du temps. Enfin, les banques subsahariennes souffrent aussi dans leurs opérations avec l’extérieur de réticences croissantes des grands établissements internationaux, pour des raisons tenant notamment aux règles de conformité, omniprésentes dans les pays du Nord et jugées souvent insuffisantes en Afrique subsaharienne. La disparition qui y est programmée du réseau de la BNP -après celles des Françaises Crédit Agricole et Banques Populaires ou celle de l’anglaise Barclays-, les incertitudes sur la stratégie de Standard Chartered Bank, risquent de renforcer ces réticences de coopération et imposeront aux entités régionales de reconstruire d’autres réseaux de relations.           

Enfin, il faut souligner que, malgré le projet majeur de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAF), les relations économiques, et donc financières, entre zones régionales sont restées jusqu’ici très limitées. Contrairement aux échanges intrarégionaux, elles n’ont jamais pu être un vecteur majeur de synergie et d’expansion des réseaux qui furent les premiers à tenter une construction panafricaine. La prouesse de AFG à Maurice ne prend donc tout son sens que reliée à la récente implantation du Groupe aux Comores et, surtout, à l’obtention annoncée en novembre dernier d’un agrément à Madagascar, où les banques sont encore peu nombreuses et bien rentables.   

En somme, le dynamisme actuel des groupes bancaires africains, et principalement subsahariens, constitue bien « une bonne nouvelle d’Afrique ». Mais il doit avant tout être vu, pour ne pas générer de déceptions, comme le signe d’une détermination des banques concernées à aller de l’avant et à se saisir des opportunités offertes. Il n’est qu’un préalable indispensable pour que les acteurs les plus motivés mettent en place les transformations opérationnelles qui changeront vraiment le visage de ces systèmes bancaires : constructions stratégiques solides, ressources humaines encore plus professionnelles, innovations technologiques adaptées, financements plus nombreux et efficaces, coopérations avec d’autres acteurs financiers,.. L’offensive ne fait que commencer.

Paul Derreumaux

Article publié le 23/01/2023