Croissance économique en Afrique subsaharienne : l’heure de vérité

Croissance économique en Afrique subsaharienne : l’heure de vérité

Selon le récent rapport de la Banque Mondiale, la hausse du Produit Intérieur Brut(PIB) d’Afrique subsaharienne a été de 1,3% seulement en 2016, son plus mauvais score depuis 2000. Si la croissance de 2,6% se confirme pour 2017, le PIB par tête aura diminué pour la deuxième année consécutive. Au vu de ce faux pas, après une série gagnante d’une quinzaine d’années, assiste-t-on à une simple pause ou à un changement de cycle ?

Le panorama de l’Afrique subsaharienne en ce début 2017 affiche en effet de multiples progrès mais aussi des ombres menaçantes.

Les bonnes nouvelles sont nombreuses. On note d’abord une croissance record de près de 5% par an en moyenne sur la période 2000/2014. Même en tenant compte d’une lourde progression démographique de près de 2,6% par an en moyenne, le revenu par tête a  progressé de plus de 40% depuis le début du siècle et cette évolution a touché à des degrés divers la plupart des pays. Surtout, cette hausse a d’autres bases que celles qui avaient conduit aux précédentes « vingt glorieuses » 1960/1980. La poussée des prix des matières premières –pétrole, mines, produits agricoles de rente- avait été le soutien fondamental de cette première période et est restée une cause exogène importante. Mais celle-ci s’appuie aussi sur au moins trois autres piliers endogènes: des investissements de grande ampleur en infrastructures ; un développement accéléré des services et du commerce, et notamment de quelques secteurs modernes comme les banques et les télécommunications ; une croissance régulière du secteur primaire sous l’effet de la progression démographique et de la hausse du niveau de vie.

Cette reprise est aussi une conséquence d’une remise en ordre des cadres macroéconomiques fondamentaux. Presque tous les pays ont connu depuis 2000 une réduction de l’inflation, un redressement des finances publiques, une amélioration de la balance des comptes extérieurs, aidée en particulier par les importants effacements de dette extérieure des Etats. Croissance et restauration des grands équilibres ont ramené la confiance des investisseurs et prêteurs étrangers. C’est vrai pour les partenaires traditionnels, internationaux ou binationaux, de l’Afrique, mais aussi  pour de nouveaux intervenants : fonds arabes créés après les chocs pétroliers ; grands pays émergents, emmenés notamment par la Chine ; fonds d’investissement privés. En 2014, un record de 60 milliards de USD a été atteint pour les Investissements Directs  Etrangers (IDE) après une expansion régulière sur la décennie. Certes ces investissements sont encore trop concentrés sur quelques secteurs et quelques pays, mais ils marquent un changement total par rapport à la période antérieure. A ces flux s’ajoutent enfin des transferts financiers de la diaspora : désormais plus importants que l’aide publique au développement, ils atteignent en moyenne environ 2% du PIB de la zone.

Une dernière avancée majeure est celle de la réduction de la pauvreté. Le nombre de personnes en situation de pauvreté extrême (moins de 1,9 USD par jour) a baissé en valeur absolue sur la période. Avec près de 390 millions d’individus et de 33% de la population, il reste certes encore très élevé et nettement supérieur en nombre et pourcentage à ceux des autres grandes régions en développement. Le progrès est cependant réel et s’exprime aussi par les améliorations dans les Objectifs du Millénaire, tels une hausse de l‘espérance de vie de 7 ans depuis 2000 ou le relèvement à 70% du pourcentage d’élèves qui achèvent le cycle primaire.

Ces transformations  pourraient se résumer en deux images. D’abord, l’Afrique subsaharienne est redevenue sur la période un continent comme les autres qui, pour la première fois depuis les années 1980, ne semble plus condamné à l’échec et à l’immobilisme. De plus, le retard constaté de longue date dans l’introduction en Afrique des technologies de pointe tend à se réduire nettement, voire à disparaitre, à l’exemple des automates bancaires, de la téléphonie 4G, de l’internet et, bien sûr, du paiement par mobile.

Face à ces évolutions positives, des menaces s’amoncellent à court terme. Certaines ont fait l’objet d’une prise de conscience et de réactions, et pourraient donc être jugulées ou contenues. C’est par exemple le cas des infrastructures encore très en retard et dont les insuffisances actuelles coûteraient 2% de croissance annuelle. C’est particulièrement vrai pour les infrastructures énergétiques. En la matière, selon la banque Mondiale, le taux de couverture, corrigé par le nombre d’habitants, ne s’est pas amélioré depuis vingt ans. Ces insuffisances constituent un coût social élevé pour les populations et un coût financier considérable pour les entreprises, notamment industrielles. Beaucoup de pays intensifient cependant le rythme des investissements et certains, du Sénégal au Kenya, donnent une place croissante aux énergies renouvelables qui sont aussi une réponse à la menace climatique de long terme. Le défi consistera à ce que l’ajustement de l’offre aille plus vite que celui d’une demande augmentant avec la démographie, l’urbanisation et la croissance économique. Une autre menace déjà bien combattue est celle de l’insécurité. Toute la zone sahélienne, de la Mauritanie à la Somalie en passant par le Nigéria et le Soudan, en est la plus grande victime, mais le risque est partout. Les effets de cette situation sont catastrophiques pour les régions touchées, qui se trouvent vidées de projets de développement et parfois délaissées par les services publics comme dans tout le Nord du Mali. Les mesures basiques de protection se mettent pourtant en place, avec une vitesse variable selon les moyens disponibles et la combativité des pays. Parallèlement, la coopération régionale et internationale s’organise pour apporter une réponse à la hauteur du danger, comme le montrent la création du G5 au Sahel, le maintien de la force Barkhane et l’attention croissante de l’Allemagne.

Aussi grave est sans doute la faiblesse des Etats. Certes, de nettes améliorations existent par rapport à la période la plus sinistrée de conflits armés multiples et d’élections démocratiques « virtuelles ». Mais 50% des pays sont encore considérés comme fragiles, pour des raisons variées, et les incertitudes touchent les plus grandes nations : l’alternance réussie au Nigéria enthousiasme quand l’Afrique du Sud multiplie les actes de mauvaise gouvernance. Trois difficultés majeures expliquent cette situation. Les challenges sont immenses et les ressources limitées ce qui rend difficile le choix des bonnes priorités. Face à ce handicap, peu de dirigeants font preuve d’une vision stratégique, d’une capacité de transformer les propositions en actes, et d’un sens de l’urgence et du concret adapté à la gravité des problèmes de l’heure. Enfin, même quand ces comportements existent au plus haut niveau, ils se reflètent mal au sein des administrations : harcèlement fiscal des entreprises formelles, inertie de nombreuses structures ; corruption ; comportement inique de la justice malgré les progrès juridiques constatés ; racket sur les routes qui renchérissent et freinent le commerce intra-africain. 

Cette inadaptation des actions étatiques s’observe notamment par rapport à deux autres menaces majeures étroitement liées entre elles, celles de l’emploi et de la formation. Les secteurs formels ayant le plus progressé depuis 2000 sont davantage « capital intensive » que « labour intensive » tandis que les activités les plus créatrices d’emplois, souvent très peu qualifiés, relèvent du commerce ou des services informels. Dans le même temps, l’éducation et la formation, qui touchent heureusement une part grandissante des populations, sont caractérisées à la fois par une qualité souvent en recul due à l’impréparation et aux manques de moyens des enseignants, et par une inadéquation par rapport aux besoins de l’économie et des entreprises. Ces données et l’arrivée massive de jeunes sur le marché du travail entrainent la forte montée du chômage réel, même si celle-ci est souvent camouflée par l’absence de recensement des personnes en emploi « virtuel » dans l’informel. Les plans pluriannuels de création d’emplois ne sont pas présentés comme des priorités et sont d’ailleurs rarement atteints. Les sentiments d’insatisfaction et d’injustice grandissent donc à la fois chez les entreprises comme chez les candidats à l’emploi, et notamment la jeunesse diplômée, et ces hiatus entre offre et demande creusent la menace additionnelle des inégalités sociales.

Face à ces ombres qui gênent la poursuite d’une trajectoire économique favorable du continent, d’autres moteurs pourraient prolonger les bonnes tendances antérieures si certaines conditions sont remplies.

Du côté de ces perspectives positives, il faut d’abord retenir l’amélioration sensible de l’environnement économique international. La croissance a repris un certain tonus en Europe. La Chine, désormais partenaire essentiel de l’Afrique, semble en mesure de stabiliser son développement à un rythme élevé et garde le continent au cœur de sa stratégie. Elle est le premier importateur de ses matières premières, l’a incluse dans les grands projets d’infrastructures des « nouvelles routes de la soie », et y investit désormais dans des entreprises industrielles pour garder sa compétitivité mondiale, comme en Ethiopie. Ces données positives, après deux années difficiles, devraient permettre la poursuite des IDE visant d’abord le marché africain en expansion rapide mais aussi les exportations dans d’autres régions du monde. Elles pourraient aussi garantir le maintien d’un flux financier grandissant venant de la diaspora, pilier de petits investissements collectifs et de la sécurisation de revenus minimaux pour de larges partes des populations.

Le principal espoir de l’Afrique subsaharienne est sans doute la montée en puissance inexorable du secteur privé. Celui-ci a déjà été le grand acteur des mutations intervenues dans les grandes entreprises de la banque et des télécommunications. Mais sa vivacité touche tous les secteurs et toutes les tailles de sociétés. Ce bouillonnement de l’initiative privée est favorisé par les progrès déjà intervenus dans l’environnement, en particulier grâce à la stimulation introduite depuis 15 ans par les indicateurs du Doing Business. Des pays africains figurent chaque année parmi les plus réformateurs et, si leur classement global reste médiocre, il s’améliore progressivement. Les obstacles restent considérables, surtout pour les petites et moyennes entreprises (PME), tant pour le financement que pour la formation des personnels ou les rapports avec l’administration. Pour les industries s’ajoutent encore la protection contre les fraudes, la sécurisation du foncier ou le coût élevé des facteurs. Mais cette situation génère de grandes marges possibles de progrès et évoluera sous l’impulsion des entreprises et de leur réussite, de l’intérêt croissant des consommateurs et de l’appui des partenaires étrangers. En matière de financement, les avancées s’intensifient grâce à la concurrence des banques et l’arrivée de fonds d’investissement nationaux dédiés aux PME. Pour la formation, plus dépendante de l’action des Etats, l’évolution est plus lente et constituera sans doute un goulot d’étranglement majeur.

Une troisième opportunité à court terme devrait résider dans la pression grandissante de la société civile. Celle-ci varie beaucoup selon les pays en fonction de la tradition nationale et du degré de liberté laissée aux initiatives privées, mais la tendance est générale. Dans certains cas, du Sénégal au Kenya en passant par le Burkina Faso, elle devient un accélérateur des changements politiques ou économiques. Elle s’exprime par l’audience exponentielle des réseaux sociaux, le rôle de lanceur d’alerte des Organisations Non Gouvernementales (ONG), la multiplication des associations ou la vigilance de la presse privée. Grâce à elle, les élections sont plus surveillées, les abus plus limités et parfois sanctionnés, les inégalités les plus criardes remises en question et le secteur privé encouragé dans ses combats.

Les changements technologiques jouent aussi en faveur de l’Afrique. Dans la plupart des secteurs, les innovations ouvrent la voie à des activités requérant des investissements plus modestes, à la portée des ressources financières d’acteurs locaux. C’est vrai par exemple pour les applications informatiques qui bouleversent les moyens de paiement et facilitent l’inclusion financière, pour les communications avec la chute du prix des smartphones et l’extension rapide de l’internet mobile, pour l’énergie avec la production de « kits solaires » pour les populations non connectées aux réseaux nationaux, pour l’industrie avec des équipements plus économiques venant des pays émergents. La quatrième révolution industrielle est caractérisée par des contraintes d’agilité et d’adaptation à l’incertitude pour lesquelles les difficultés passées du continent lui donnent aujourd’hui des atouts. Encore  faut-il que les pouvoirs publics encouragent avec vigueur cette poussée des approches innovantes.

Enfin, les potentialités offertes par les regroupements régionaux sont aussi une opportunité de relance. Ils constituent une réponse logique  à la petitesse de beaucoup de marchés, à la mutualisation nécessaire des investissements de grande envergure, aux actions requises pour encourager le développement des échanges interafricains. Certaines régions sont favorisées, comme l’Afrique de l’Ouest francophone, en raison de la consolidation progressive de l’Union en place depuis  60 ans. Dans d’autres parties de l’Afrique, les situations varient mais le mouvement semble inéluctable. Il se heurte cependant à des obstacles redoutables : l’ego de dirigeants qui freine les progrès, comme en Afrique Centrale ; la multiplication des regroupements existants qui amène des redondances ou des incohérences dans les actions ; la prééminence souvent donnée aux préoccupations nationales qui retarde l’application de décisions communautaires.

Pour bien exploiter ces atouts à l’avenir, l’Afrique subsaharienne inventera peut-être sa propre voie de développement. Pourtant, même en utilisant au mieux ses propres atouts, elle devra respecter plusieurs conditions préalables. La première a trait aux mutations structurelles que doivent accomplir les sociétés et les économies africaines. Or, si le secteur privé parait engagé dans cette voie et les populations prêtes à l’accepter, les appareils étatiques pêchent par leur immobilisme, ou même par leurs résistances aux changements, comme signalé ci-avant pour le retard des infrastructures et l’inadéquation de l’enseignement et de la formation. On le voit  pour les pays pétroliers qui n’ont pas profité des années fastes pour épargner et préparer la diversification de leurs économies. On l’observe dans l’incapacité à élever au-delà du seuil modeste de 20% du PIB le poids relatif des recettes fiscales selon des politiques équitables et performantes, pour être moins dépendantes de l’endettement intérieur et extérieur.

Un deuxième point d’attention prioritaire doit être celui du rééquilibrage spatial des territoires. L’urbanisation galopante, la rareté des ressources financières, la faiblesse des réflexions à long terme sur l’avenir souhaitable du pays conduisent presque partout à une dichotomie risquée. D’un côté, une mégapole où s’accumule une part excessive de la population – jusqu’à près de 25% en Côte d’Ivoire-, où apparait la nouvelle classe moyenne et où se concentrent les investissements en infrastructures, qui n’empêchent pas l’explosion de la pauvreté et des bidonvilles. De l’autre des villes moyennes et des campagnes où les services publics sont démunis, les investissements productifs rarissimes, l’insécurité grandissante,  les indices de pauvreté très en dessus de la moyenne nationale. Les régions délaissées ayant jusqu’ici peu de moyens de revendiquer, le danger parait lointain. L’aptitude à relever ce défi, par la création de pôles locaux de développement et une véritable politique d’aménagement du territoire, sera cependant décisive pour identifier les pays qui ont le plus de chances de poursuivre leur progression.

Un troisième challenge majeur est celui de la maîtrise de la croissance démographique. Le trend actuellement suivi par la population d’Afrique subsaharienne, dont les moins de 18 ans représentent 60% du total et qui va doubler en 30 ans, est une première mondiale. Il est souvent présenté comme un atout en raison du « dividende démographique » qui va, dans les vingt prochaines années, augmenter le nombre des actifs et des consommateurs plus que celui des inactifs. Or, ce « dividende » n’est que virtuel si les créations d’emplois ne sont pas au rendez-vous, et toutes les études tendent à prouver que seul le secteur informel serait en mesure d’absorber le surplus de main d’œuvre par des « jobs » essentiellement incertains et de bas niveau. L’ajustement indispensable ne pourra prendre que trois formes. D’abord la réussite nécessaire d’une « transition démographique » encore étrangère pour l’essentiel à l’Afrique subsaharienne où des pays comme le Niger connaissent toujours une accélération de l’accroissement de la population. Ensuite un « big bang » en matière d’éducation et de formation professionnelle, d’une part, et de soutien aux entreprises à forte intensité de main d’œuvre, d’autre part. Un ajustement par l’expatriation, régulée en concertation étroite entre pays de départ et pays d’accueil, qui peuvent les uns et les autres bénéficier  de ces flux migratoires. Une combinaison des solutions parait inévitable.

Placées sous le tir croisé de menaces immédiates, de nouveaux moteurs de croissance et de contraintes à respecter, les nations d’Afrique subsaharienne sont en équilibre instable. Les évolutions possibles sont fort variées selon la capacité des stratégies menées à juguler les périls, à accomplir les mutations requises et à saisir les futures opportunités. Devant ces multiples degrés d’incertitude, elles sont appelées à se différencier de plus en plus en termes de développement économique. Dans cette Afrique à plusieurs vitesses, les pays et régions les mieux placés apparaissent pour l’instant peu nombreux face aux zones fragiles qui dominent. Pour que la situation s’inverse, les Etats ont maintenant une responsabilité première qu’ils ont jusqu’ici du mal à assumer : ils doivent effectuer des efforts considérables de réflexion et d’accélération dans l’action, seuls capables de lever les blocages actuels. Enfin, cette mutation du comportement de la puissance publique est nécessaire mais pas suffisante. Pour réussir, il faudra une coopération plus performante et mieux équilibrée entre les trois acteurs en présence –Etat, secteur privé, partenaires extérieurs -. Alors seulement, le continent aura de bonnes chances que sa marche en avant touche la plupart de ses composantes.

Paul Derreumaux

UEMOA : sale temps pour les banques ?

UEMOA : sale temps pour les banques ?

 

Les banques de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ont vu quelques paramètres déterminants de leur activité  brutalement modifiés en ce début 2017.

Celles-ci étaient en effet devenues en quelques années des partenaires de premier plan dans le nouvel environnement mis en place pour le financement régional des besoins des Etats de l’Union en étant des souscripteurs essentiels dans les émissions d’emprunts obligataires publics. Au moins deux raisons expliquent cette situation. Ces titres publics offrent d’abord un rapport sécurité/rémunération de bon niveau : la signature des Etats garantit normalement l’absence de tout besoin de provision durant la vie de l’emprunt et donc de tout prélèvement sur la rentabilité ; les taux offerts, restés jusqu’ici entre 5,0% et 6,5%, sont en conséquence des taux nets et la défiscalisation de ces opérations conduit à un taux encore sensiblement supérieur en terme de contribution au bénéfice. La surveillance portée par les institutions du marché financier régional, tant dans l’émission de chaque emprunt que durant la vie de celui-ci, apporte un confort supplémentaire pour les détenteurs de ces actifs. En second lieu, la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a décidé que les titres émis par les Etats et la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) seraient tous éligibles au refinancement qu’elle peut apporter aux établissements bancaires, au même titre que les crédits bénéficiant d’un « accord de classement ». Or, ces accords de classement restent fort difficiles à obtenir, malgré quelques adoucissements apportés au fil du temps par l’Autorité monétaire : les critères comptables que doivent respecter les entreprises à qui sont attribués les concours sont en effet rigoureux au regard de l’environnement économique et des méthodes de fonctionnement de la quasi-totalité des entreprises de l’Union, et les accords de classement sont rares et peuvent aussi être brutalement supprimés au vu de mauvais résultats d’un exercice social.

Compte tenu de ces divers paramètres, les titres publics sont désormais pour les banques le support privilégié pour leurs éventuels refinancements mais aussi une composante croissante de leurs actifs. On note ainsi en 2016 que les titres publics représentent près de 30% des emplois bancaires et qu’ils croissent à un rythme nettement plus rapide que les concours à l’économie –respectivement 7,1% et 4,5% durant le premier semestre de l’année dernière-. Dans le même temps, les banques ont bénéficié de refinancements de la BCEAO pour un montant proche de leurs nouvelles souscriptions aux titres d’Etat. Les modalités de fonctionnement des deux guichets de refinancement ouverts par la BCEAO ont facilité cette évolution : le recours au guichet principal est certes resté réglementé et limité, mais la plus grande liberté de fonctionnement du guichet marginal et son coût modeste en ont fait un vecteur privilégié et les niveaux de son utilisation ont connu un grand développement. A fin juillet dernier, les refinancements basés sur ces titres dépassaient 3100 milliards de FCFA et donc la limite de 35% des recettes fiscales de l’UNION pour l’année 2014.

Deux décisions de la BCEAO de décembre 2016 ont brutalement remis en cause ces mécanismes : limitation des refinancements à 200% des fonds propres de l’établissement emprunteur, cette limite étant applicable dès fin juin 2017; relèvement significatif immédiat des taux pratiqués, surtout sur le guichet marginal, par ailleurs supprimé début avril 2017. Avec cette politique nouvelle, la Banque Centrale poursuit plusieurs  objectifs. Elle souhaite d’abord orienter davantage les banques vers les concours aux entreprises et ménages, en vue d’une contribution plus active au développement de l’économie régionale. Elle veut aussi encourager les banques à recourir  au marché interbancaire qui se développe insuffisamment à son gré et demeure surtout limité pour l’instant aux prêts à court ou très court terme, et entre établissements d’un même groupe.

Ces deux principales cibles ne sont pas aisées à atteindre. La confiance entre les banques est encore fragile et n’évoluera que lentement. La montée des risques de crédit freine par ailleurs les ardeurs des banques, notamment vis-à-vis de cibles difficiles comme les Petites et Moyennes entreprises (PME). En revanche, l’effet des mesures sur la participation des banques aux souscriptions de titres publics a été immédiat. Durant les quelques semaines qui ont suivi, les émissions de Bons et Obligations de quelques Trésors Publics n’ont pu être entièrement souscrites par des banques craignant pour leur liquidité. Les émissions suivantes ont en outre été marquées par des taux en hausse notable pour faciliter le placement des titres mis sur le marché. Pour rassurer les banques et lever les inquiétudes possibles de certains Etats quant au financement de leurs besoins de trésorerie, la BCEAO a pris rapidement deux autres mesures ; abaissement de 5% à 3% du coefficient de réserves obligatoires, libérant de la trésorerie à due concurrence ; augmentation massive du montant mis en adjudication de l’injection hebdomadaire de liquidités, de façon à réduire le recours au guichet de prêt marginal.

Il faudra sans doute quelque temps pour savoir si ces différentes dispositions permettent de retrouver un nouvel équilibre satisfaisant pour toutes les parties en jeu. Dans tous les cas, chaque acteur aura à réaliser de nouveaux efforts. Pour les Etats, le levier du marché régional obligataire, solution de plus en plus utilisée ces dernières années, sera sans doute moins aisé, ce qui imposera, pour ne pas retomber dans les excès d’endettement extérieur, des efforts accrus en matière d’impôts et de droits de douanes : les ratios « Recettes fiscales/ Produit Intérieur Brut » peinent en effet à atteindre le seuil souhaité de 20%, tant par suite de la structure présente des impôts que de l’efficacité de leurs recouvrements. Pour le secteur bancaire, actuellement déjà soumis dans la zone aux contraintes résultant du passage des normes de Bâle I à celles de Bâle III, il va s’agir de s’adapter aux nouvelles règles par l’identification de produits de substitution ou une augmentation supplémentaire des fonds propres. Il pourrait en résulter une baisse au moins provisoire de la rentabilité.

Alors, sale temps pour les banques ? Pas si sûr. Les réformes structurelles sont souvent indispensables pour ne pas tomber dans la facilité et pour fonder de nouveaux progrès. La fin des placements de trésorerie rémunérateurs offerts par la BCEAO dans les années 1990 n’a pas empêché, bien au contraire, les établissements bancaires de poursuivre leur expansion et de  gagner une santé florissante. Elle a en même temps fortement contribué à développer les crédits à l’économie et à renforcer le rôle des banques. Une nouvelle fenêtre d’opportunités peut ainsi déboucher des récents changements si certaines conditions sont réunies. La transformation des moyens de paiement devrait accroitre fortement les ressources drainées si les systèmes bancaires prennent bien leur part à la révolution digitale en cours. La multiplication tant souhaitée des PME et des crédits à l’habitat offre des possibilités immenses si les banques réussissent enfin à mettre au point des formules leur permettant une plus grande implication sans augmenter à l’excès les risques encourus. Une modération volontaire et provisoire des dividendes versés et un plus grand recours aux marchés financiers pour des augmentations de capital apporteraient les suppléments de ressources propres requis pour des investissements dans l’organisation, la modernisation, les gains en productivité permettant de mieux franchir de nouvelles étapes.

Comme dans l’art de la guerre, la meilleure défense des banques sera leur capacité de reprendre l’offensive. Elles en ont, ou peuvent trouver, les moyens financiers et peuvent s’appuyer sur une forte attente de leur clientèle et sur le soutien probable des Autorités politiques et administratives. Celles qui passeront le plus vite à l’acte dans ces mutations structurelles seront très certainement celles qui transformeront le mieux cette phase délicate en facteur de succès. 

Paul Derreumaux

Article publié le 28/04/2017

Afrique subsaharienne : comment mieux mobiliser l’épargne intérieure pour le financement des infrastructures

Afrique subsaharienne : comment mieux mobiliser l’épargne intérieure pour le financement des infrastructures

 

L’accélération des investissements en infrastructures a été un des moteurs de la croissance soutenue en Afrique subsaharienne durant les dix dernières années en raison de son impact direct sur le Produit Intérieur Brut (PIB) des pays. Elle est aussi un facteur permissif essentiel des progressions futures possibles de ce PIB par l’amélioration que les nouvelles infrastructures apportent sur la qualité de l’environnement des entreprises et donc sur leur compétitivité. Ces infrastructures sont variées : transports, télécommunications, énergie, adduction d’eau, mais aussi logement et environnement. Elles présentent toutes au moins trois caractéristiques communes. D’abord l’immensité des besoins dus en particulier aux retards existants, à la croissance démographique et à l’urbanisation galopante, comme l’indique le montant annuel de 93 milliards de USD cité notamment par la Banque Mondiale pour chacune des dix années à venir. Ensuite, les montants unitaires élevés de la quasi-totalité des investissements nécessaires par suite de leur nature –pont, aéroport, barrage,..- ou de leur approche jusqu’ici principalement centralisée. Enfin, la diversité des sources de financement qui interviennent pour ces projets et l’insuffisance chronique constatée des ressources disponibles, couramment évaluées à 50% des besoins totaux recensés.

Dans les financements mobilisés, l’insuffisance des ressources intérieures, publiques et privées confondues, constitue une explication importante du « gap » constaté. Parmi ces financements locaux, l’Etat tient une place centrale par les impôts et taxes qu’il draine. Son action est cependant handicapée par le poids élevé et croissant des charges de fonctionnement de la puissance publique et par la faiblesse persistante de la pression fiscale, et cette situation ne devrait s’améliorer qu’à moyen terme. Dans l’attente, les ressources privées pourraient donc prendre une importance grandissante, soit  par le canal des intermédiaires financiers et leur activité de transformation, soit par un investissement direct effectué par les nationaux.

Pour les intermédiaires financiers, plusieurs cas de figure sont à distinguer. Les banques commerciales ont désormais des moyens nettement accrus grâce à l’augmentation de leurs fonds propres et aux progrès de leurs activités. Leurs ratios prudentiels sont certes partout très limitatifs pour des prises de participation. En revanche, l’octroi de concours à moyen et long terme pour des investissements relève directement de leur mission et leurs possibilités de transformation ont été améliorées, comme dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) en 2015 avec l’abaissement à 50% du ratio correspondant contre 75% précédemment. Même s’il est encore trop tôt pour évaluer les effets de cette disposition, il est certain que les banques considèrent avec plus de facilité les financements à moyen et long terme. La nette croissance des concours à l’immobilier dans de nombreuses banques le prouve : cette évolution a d’ailleurs été facilitée également par la mise en place en 2010 de la Caisse Régionale de Refinancement  Hypothécaire (CRRH). Dans l’UEMOA, des accords ont aussi par exemple été mis au point entre des banques et la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) pour cofinancer des prêts accordés à des entreprises de travaux publics chargées de construire des routes,. Ces coopérations privé/public sont aussi appliquées dans d’autres régions, et même à plus grande échelle, notamment par les grandes banques sud-africaines ou nigérianes. Les exemples de syndication de prêts de plusieurs centaines de millions de USD par Nedbank pour le gigantesque parc éolien du lac Turkana au Kenya ou par la First Bank of Nigéria pour le pipeline Accugas III au Nigéria l’illustrent parfaitement.

Les compagnies d’assurance peuvent de leur côté devenir actionnaires de sociétés propriétaires d’investissements, notamment au côté de l’Etat et d’investisseurs privés dans le cadre de projets conçus en Partenariat Public Privé (PPP). Les Autorités de régulation du secteur encouragent en effet la diversification des actifs des assureurs, trop concentrés sur les dépôts bancaires, en direction d’autres actifs financiers ou immobiliers de long terme. Certaines infrastructures à la rentabilité bien établie, comme les autoroutes ou les ponts à péage, ou des centrales électriques, sont donc éligibles pour ces entreprises. Certes ce secteur est encore peu développé, hormis dans quelques pays comme l’Afrique du Sud, le Maroc ou le Kenya, mais la situation devrait changer rapidement avec la croissance des revenus et l’augmentation des moyens d’action des assureurs. Ainsi, dans les 14 pays de la zone CIMA, le quintuplement du capital minimum récemment lancé devrait permettre au secteur des assurances de multiplier ses interventions dans le financement des infrastructures. Avec un poids moyen du secteur aujourd’hui inférieur à 2% du PIB de l’Afrique, on peut donc estimer qu’une progression de 50% des activités, possible dans quelques années, pourrait accroitre de plusieurs milliards de USD les financements destinés aux infrastructures sur le continent.

La croissance progressive des marchés boursiers africains est aussi un moyen pour les Etats de trouver localement des ressources complémentaires aux recettes fiscales pour leurs projets d’infrastructures : cet appel au marché financier local a l’avantage d’exclure tout risque de change, mais aussi de mieux associer les populations aux investissements qui les concernent. Dans la seule Afrique de l’Ouest francophone, les Etats y ont largement recours – jusqu’à près de 4 milliards de USD par an dans les dernières années – et le marché y a répondu très favorablement. On remarque toutefois que, au moins dans cette région, les établissements bancaires sont les souscripteurs très majoritaires de ces emprunts obligataires. Certains s’inquiètent en conséquence d’un détournement possible des banques vis-à-vis de leur mission première de financement des activités économiques. Les dernières décisions des Autorités monétaires de la zone, qui limitent directement et indirectement ces avoirs en titres dans les actifs des banques devraient conduire à des positions plus restrictives de leur part vis-à-vis de ces emprunts, et à de nouveaux équilibres dans l’identité des souscripteurs de ceux-ci.

Outre ces financements « intermédiés », des ressources sont aussi directement mobilisables auprès des populations d’au moins trois manières.

D’abord, des appels de fonds peuvent être effectués sur le marché financier par les entreprises, publiques et privées, responsables des infrastructures en projet. Certes, les règles de fonctionnement des marchés financiers excluent généralement les nouveaux projets. Les sociétés déjà implantées peuvent cependant utiliser cette modalité de financement : c’est ce que font par exemple des entreprises des secteurs de l’énergie, des télécommunications, de la construction, avec un succès variable selon leur santé financière. Ces concours peuvent prendre la forme d’actions, pour des prises de participation au capital, ou d’emprunts obligataires, pour des concours remboursables. Les limitations correspondantes tiennent à la fois à la crédibilité des émetteurs, à la viabilité parfois incertaine des projets financés et à la faible liquidité des marchés secondaires, notamment sur les obligations. Dans l’UEMOA par exemple, les transactions sur les obligations sont encore quasiment inexistantes ce qui détourne de ces titres beaucoup d’investisseurs non institutionnels.

On peut aussi imaginer que certaines catégories, supposées détenir une épargne particulièrement importante et stable, soient spécialement sollicitées. Les diasporas de quelques pays, comme l’Ethiopie, le Kenya, le Mali  ou le Sénégal en sont la meilleure illustration avec des flux collectés plus élevés que ceux de l’aide publique au développement. De manière concrète, les possibilités semblent pourtant limitées. La diaspora est souvent très dispersée, donc difficile à contacter et à mobiliser. Elle est aussi méfiante vis-à-vis de son pays d’origine, soit au vu de l’instabilité politique de celui-ci ou de la faible crédibilité de ses dirigeants, soit en raison du manque de projets attractifs et de montages techniques et financiers adéquats ou insuffisamment rémunérateurs.. D’autres analyses montrent encore que les fonds envoyés par la diaspora sont essentiellement dévolus à des dépenses familiales ou des investissements personnels ou collectifs dans la région d’origine, jugées prioritaires. Il est donc difficile d’aller plus loin et la seule réussite identifiée est celle des bons émis au Nigéria pour 100 millions de USD, montant minuscule dans les quelque 20 milliards de USD que reçoit annuellement le pays. La solution la plus immédiate pourrait être pour les Etats d’instaurer un partenariat, avec un dialogue souple et bien adapté, pour que la diaspora contribue plus significativement à la construction d’infrastructures collectives.

Une autre source souvent ciblée pour le renforcement des financements locaux est celle des caisses de retraite et fonds de pension. Ici encore les sommes théoriquement disponibles sont immenses et la période favorable en raison de l’état de la pyramide démographique des pays africains. Pour les seuls principaux pays anglophones, on estime les sommes gérées par les fonds de pension à près de 380 milliards de USD, dont 322 milliards de USD pour la seule Afrique du sud. Sur ce total, environ 1,5% seraient affectés aux infrastructures, ce qui est déjà un montant conséquent. Ces fonds de pension et caisses de retraite, déjà très sollicités par les Etats, ont cependant connu dans plusieurs pays des mésaventures par suite de prélèvements opérés par les pouvoirs publics dans des conditions douteuses  et qui pourraient être difficiles à récupérer. Ici encore la méfiance règne donc et ces institutions préfèrent souvent protéger leurs avoirs dans des placements qu’elles pilotent elles-mêmes et rarement liés aux infrastructures collectives. Leur rôle pourrait malgré tout être nettement accru si diverses conditions sont réunies telles: l’amélioration de leur gouvernance et une totale indépendance vis-à-vis des Etats ; une formation plus poussée des dirigeants à la gestion des actifs financiers ; l’élargissement de leurs ressources, en particulier par une intégration du vaste secteur informel ; l’existence de garanties de remboursement des ressources prêtées dans les conditions et aux échéances prévues ; la mutualisation de certains investissements et la diversification des placements pour réduire les risques encourus.

Enfin, l’évolution des technologies et des approches des investisseurs apporte une nouvelle façon d’associer l’épargne privée intérieure aux réalisations d’infrastructures. Cette évolution concerne notamment l’électricité, surtout avec les possibilités nées de l’énergie solaire. De nouveaux produits existent en effet pour fournir celle-ci aux ménages ou aux micro-entreprises totalement déconnectés des réseaux d’électricité nationaux. Ces « kits solaires », très économiques, amènent la lumière, mais peuvent aussi recharger un téléphone et alimenter un réfrigérateur, un moulin à céréales ou une télévision et changent donc la vie de leurs propriétaires. L’alliance de ces nouvelles sources d’énergie et des télécommunications permet également de les équiper d’une installation de prépaiement : grâce à celle-ci, l’acquéreur ne doit plus payer le produit mais seulement son usage (« pay as you go »), ce qui règle les contraintes de trésorerie omniprésentes sur le continent. Certaines sociétés privées africaines sont maintenant capables de fabriquer de tels produits à des prix compétitifs. Leur action  allège les manques d’énergie dans les parties les plus reculées du territoire comme dans les zones urbanisées, et donne aux Etats du temps pour mettre en place des réseaux nationaux plus performants. Les mêmes méthodes valent pour l’alimentation en eau à base de forages solaires. Cette approche décentralisée attire désormais des groupes internationaux, comme la société française Engie : elle les fait coopérer avec d’autres partenaires que les Etats, telles des grandes villes, des régions ou des communautés de citadins. Donnant un nouveau souffle à la création d’infrastructures, ce schéma est aussi un vecteur efficace pour la décentralisation.

De nouvelles voies de financement s’ouvrent donc, faisant porter directement la responsabilité de celui-ci sur les épargnants, les diasporas, les caisses de retraite ou les usagers, accroissant d’autant les possibilités de réduire le manque présentement constaté. Pour être pleinement utilisés, ces nouveaux canaux requièrent cependant que les Etats continuent à améliorer les conditions de réalisation de ces  infrastructures. La transparence de leurs financements, leur adaptation optimale aux demandes des usagers, la qualité de leur gestion, l’évidence de leur rentabilité économique, financière ou sociale seront de plus en plus les conditions clés pour la facilitation de leurs financements par des sources toujours plus diversifiées.

Paul Derreumaux

Jour de fête à Djiguiya-Bon

Jour de fête à Djiguiya-Bon

 

Ce samedi de fin février à Bamako, la grande cour de la maison de Djiguiya-Bon s’est animée tôt le matin. Les petites pensionnaires se sont affairées pour que leurs lits soient bien faits et que leurs bâtiments brillent de propreté. Leur travail achevé, elles sont maintenant assises derrière leur Directrice Mariame Sidibe-Togo, attendant sagement leurs invités. Chacune arbore fièrement un t-shirt marqué à l’effigie du centre. C’est en effet jour de fête. L’Association Dambé, amie de longue date de Djiguiya-Bon, apporte aujourd’hui à celle-ci les nourritures de base  qui seront nécessaires pour toute une année.

En ce milieu de matinée, le soleil caresse déjà avec vigueur le Centre et ses occupants. Une légère brise peine à adoucir la température. Au milieu de la cour, le drapeau malien flotte mollement, donnant à l’espace qui l’entoure un air de caserne. Les arbustes des massifs sont poussifs, mais résistent à la sécheresse et à la poussière. Par ci, par là, quelques objets de détente : un panier de basket, un vélo, des cartes à jouer. On sent bien que l’atmosphère est moins au jeu qu’au travail et à la discipline. C’est que la vie n’est pas si facile à la « Maison de l’Espoir » que signifie « Djiguiya-Bon ». Depuis que Ruth Hoffer, allemande visionnaire et tenace, a conçu et lancé le Centre en 2004, celui-ci a traversé des tempêtes qui ont parfois faillé l’emporter, essentiellement pour des raisons financières. Ruth a toujours tenu bon, mobilisant ses amis, imaginant des solutions nouvelles, faisant des miracles avec des « bouts de ficelle », apportant à ses protégées, des jeunes filles âgées de 4 à 18 ans, la sérénité que seule une mère peut donner. Partie du Mali, elle a continué à veiller de loin sur sa « maison » et celles qui y vivaient, tant que les forces lui restaient. Elle n’est plus de notre monde aujourd’hui, mais chacun se souvient, comme on parle des ainés disparus avec tendresse et humilité dans une famille. Seul un petit panneau de bois, cloué au mur d’un des bâtiments, rappelle discrètement son rôle, comme une vigie. Mariame a donc pris le relais, prolongeant la même présence bienveillante mais aussi la même fermeté, apportant sa touche personnelle grâce à sa connaissance du milieu.

En 2013, la menace fut sérieuse : les vivres touchaient à leur fin et la peur s’était installée. Malgré ses quelque dix ans d’existence et ses quelque soixante orphelines qu’elle héberge en permanence, Djiguiya-Bon n’est en effet pas encore sur les radars de ceux qui peuvent changer les choses. L’Etat l’ignore, absorbé par ses contraintes de fonctionnement et les priorités qu’il choisit. Les grands donateurs ont trop à faire en raison de la gravité de la misère ambiante mais aussi de leur intérêt marqué pour des études qui rapportent gros aux consultants. Une fois de plus cependant, le miracle s’était produit et, par chance, les bienfaiteurs alors apparus sont devenus des compagnons de route de Djiguiya-Bon et ont donné quelque quiétude à sa Directrice. Pas de quoi se reposer pourtant, non, plutôt relever de nouveaux défis toujours menaçants. L’un des derniers en date a été de prendre en charge une petite fille de 13 ans promise par sa famille à un mariage précoce dans une ville du centre du Mali. Informé, son instituteur l’a littéralement « exfiltrée » alors que, malgré la loi en vigueur, les préparatifs s’achevaient déjà. Connaissant le centre de réputation, il lui a confié l’enfant. Malgré son jeune âge, Fanta (le prénom a été changé) porte déjà sur son visage les traces de cet épisode douloureux. Elle sourit peu, son regard se perd dans le vague comme si elle était encore ailleurs, sous le poids d’une menace invisible. Pourtant, elle va mieux et se fond plus souvent dans le groupe des jeunes filles de son âge, peut-être parce qu’elle s’y sent plus protégée, peut-être tout simplement parce que la vie et l’espoir sont plus forts que le malheur, surtout chez les enfants. « Personne ne pourra plus nous la reprendre »  coupe Mariame pour mettre fin à cette conversation qui lui rappelle de mauvais souvenirs.

Dans la cour, tout en restant sagement assises, les petites demoiselles s’animent devant l’attente qui se prolonge. Malgré leur jeune âge, leur caractère s’affiche déjà au vu de leurs attitudes et de leurs jeux. Il y a les rieuses, les songeuses, les joueuses, les solitaires, les bruyantes, les moqueuses, les élégantes, les timides, les bavardes, les audacieuses, celles qui ne tiennent pas en place, les peureuses. Toutes, pourtant, ont en commun une certaine sérénité et une grande joie de vivre. Nous profitons de l’attente des marchandises attendues pour prendre quelques nouvelles des anciennes pensionnaires et de la vie de Djiguiya-Bon. Les « petites ladies » grandissent en effet et tachent de prendre leur envol, mais le cercle reste  encore suffisamment restreint pour que personne ne soit perdu de vue. Depuis longtemps, le centre a réussi à mener au bout de leurs études la plupart de ses pensionnaires, mais les filières choisies étaient souvent manuelles : couture, coiffure, cuisine,.. Ces deux dernières années, Djiguiya-Bon a fait plus fort et compte maintenant avec fierté ses premières bachelières : quatre en 2015, trois en 2016. Sept seront candidates en 2018. Elles poursuivent maintenant des études supérieures : presque toutes ont choisi de préparer une carrière d’enseignante en lettres ; l’une est mordue de journalisme et s’accroche vaillamment à cette idée, dévorant les livres des grands auteurs que le amis du Centre lui procurent à sa demande ; l’une des plus jeunes, toujours animée et souriante, est férue de télécommunications et prépare un Brevet de Technicien Supérieur., et mieux si possibilités. Toutes ont dû sortir de leur cocon de Djiguiya Bon, trouver un logement à l’extérieur et se débrouiller comme elles le pouvaient. Elles découvrent ainsi les conditions dans lesquelles se débattent, au Mali comme dans beaucoup de pays africains, les universités : les grèves à répétition, l’insécurité et les vols dans les logements d’étudiants, les polycopiés que vendent les professeurs, les retards dans les cours, le non-paiement des bourses, l’absence de documents de travail. Les bonnes fées qui veillent sur Djiguiya-Bon ont procuré à chacune téléphone mobile et ordinateur : un minimum pour poursuivre ces études dans des conditions acceptables. Beaucoup de celles qui ont choisi des filières professionnelles sont déjà dans la vie active et se débrouillent comme elles le peuvent, souvent en se regroupant. Elles ont rarement coupé le cordon ombilical avec le Centre et leurs cadettes comme le montre la visité de Assitan, ancienne pensionnaire devenue couturière mais aussi formatrice dans le Centre : elle vient ce jour en visite avec ses deux petites filles, vêtues et coiffées comme deux princesses. Ainsi se perpétue et s’agrandit la famille de Djiguiya-Bon.

Le Centre est d’ailleurs toujours au plein de ses capacités ; voire au-delà. Mariame Sidibe raconte que leur capacité de 66 personnes est en ce moment dépassée et qu’ils hébergent à ce jour 71 petites. Ils ont en effet accueilli 8 fillettes de 4 à 14 ans, dont les pères respectifs étaient des militaires récemment morts au combat. Pour beaucoup de ces épouses, souvent jeunes, ce drame familial entraine le retour en province, dans leur famille ou une famille d’accueil, et la misère presque garantie. Mariame n’a pas hésité longtemps : à la demande des mamans en détresse, elle a récupéré les fillettes qui semblaient dans la situation la plus difficile et les a intégrées au Centre : on se serre un peu plus, les plus jeunes dorment à deux dans le même lit, mais l’équipage tient bon. Mama (c’est son surnom) est la cadette de ce nouveau contingent. Haute comme trois pommes, ne tenant pas en place, elle ne peut passer inaperçue. Le visage rond, les grands yeux en mouvement, coiffée d’un foulard aux couleurs passées lui donnant l’air d’une pieuse Hadja, elle va de l’un à l’autre en bavardant sans cesse. Sans s’effaroucher, elle me raconte une histoire que je ne comprends pas mais qui a l’air d’être passionnante. Puis, jugeant sans doute vexant mon silence prolongé, elle repart prestement et va s’assoir au premier rang, les bras croisés, sûre d’être à sa place..

Comme s’ils n’attendaient qu’elle, les livreurs arrivent et commencent à étaler les sacs de riz, de sucre, de poudre de lait qui vont alimenter le Centre pour toute l‘année. Les fillettes s’animent un peu puis viennent s’attrouper autour des sacs de marchandise. Pas de grands discours ni de cérémonial car nous sommes en famille. Seulement quelques photos souvenirs pour garder des traces de ce bon moment. Au vu des regards envieux des badauds qui s’agglutinent à l’entrée, une évidence s’impose : grâce à la discipline collective, le quotidien est finalement mieux assuré pour les pensionnaires que pour les groupes les plus défavorisés de ce quartier de Bamako et les fillettes sont mieux protégées que les nombreux enfants de la rue qui jouent sans s’amuser.

Débarrassée du souci de l’approvisionnement pour « ses » filles pour une bonne période, Mariam Sidibe se remet à penser tout haut à ses autres préoccupations moins immédiates. L’effectif qu’elle a accepté pose au Centre un problème de place disponible .Elle rêve d’ajouter un étage à l’un des bâtiments qui encadrent la cour, mais elle doit d’abord recenser toutes les conséquences financières avant d’aller à la recherche de nouvelles aides financières. Beaucoup de travail et de soucis supplémentaires en perspective mais le spectacle des jeunes filles heureuses balaye ses hésitations.

Bien sûr, au Mali ou ailleurs, il existe beaucoup de centres comme Djiguiya-Bon. Dans les pays en développement en particulier, le rôle de ces « maisons de solidarité » grandit sous des formes variées : orphelinats, pouponnières, centres pour handicapés, encadrement d’enfants de la rue, .. Grâce à elles, misère et détresse humaine reculent un peu, au moins pour quelque temps, pour ceux qui ont la chance d’être pris en charge. Face à ces initiatives privées, locales ou étrangères, les Etats sont écrasés par l’immensité de leurs charges, mais aussi englués dans leurs inerties, leur fréquente inefficacité et le manque d’intérêt réel de beaucoup de leurs représentants. Or les besoins croissent sans cesse sous l’effet de la poussée démographique, de l’exode rural, de l’urbanisation sauvage et de la multiplication des inégalités. Ces actions privées,  incroyables par leur générosité et leur courage, sont donc de plus en plus indispensables, mais ne peuvent être encouragées par la kleptocratie ou les abus de certains dirigeants. Les Etats doivent donc se corriger d’urgence pour que l’ « inclusion » ne soit pas un slogan sans consistance, mais un véritable mot d’ordre, et que les nombreux Djiguiya-Bon se sentent moins seuls.

Paul Derreumaux

Enfin le «Big Bang» des assurances en zone CIMA?

Enfin le « Big Bang » des assurances en zone CIMA ?

 

Face aux progrès rapides et aux profondes transformations de la banque subsaharienne des trente dernières années, le secteur des assurances, qu’il s’agisse des activités vie ou des branches non-vie (IARD), continue à jouer les seconds rôles dans le système financier d’Afrique francophone. Certes, quelques groupes régionaux se sont constitués les dix dernières années et sont devenus des acteurs prédominants du marché. Ils n‘ont toutefois pas conduit à la croissance exponentielle que tous attendaient. Les 14 pays regroupés dans la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA) restent caractérisés par un taux de pénétration très faible tant en valeur absolue (0,27% du produit Intérieur Brut (PIB) pour la vie et 0,65% pour la non-vie en 2014) que par comparaison à d’autres zones : respectivement de 1,1% et 2,1% au Maroc, et 4,2% et 2,7% en Europe par exemple.

De nouveaux atouts s’étaient pourtant ajoutés à l’existence d’un vaste espace aux règles uniformes, embrassant 14 pays (fait sans doute unique au monde) et quelque 150 millions d’habitants. De vrais assainissements ont en effet été introduits ces dernières années : doublement du capital social minimum en 2012 ;  comptabilisation en produits des seules primes encaissées et non des primes émises; accélération de l’indemnisation des sinistres ; exigence nouvelle pour chaque compagnie de scinder  les opérations vie et non-vie en deux entités juridiquement distinctes. De plus, le retour à une croissance économique soutenue et l’augmentation des revenus moyens par tête dans toute la zone étaient aussi des éléments favorables à une relance du secteur. Deux principales raisons expliquent sans doute la déception : d’un côté, la persistance d’un nombre trop élevé de petites compagnies insuffisamment capitalisées et peu structurées ; de l’autre, l’inadaptation des produits offerts et de leur distribution par rapport aux besoins du public.

La CIMA  a frappé en 2016 un grand coup sur le premier plan en imposant une multiplication par 5 du capital minimum à une échéance de 5 ans, avec une étape intermédiaire d’un triplement dans les 3 ans. Pour les entreprises d’assurance actuellement présentes dans la zone CIMA, ce diktat est un coup dur : la plupart des compagnies sont en effet loin du compte et leurs capacités de recapitalisation pour atteindre l’objectif souvent incertaines. La société de Conseil en assurances, Finactu, a conduit en octobre 2016, sur un échantillon de 131 sociétés implantées dans les 11 principaux pays, une analyse détaillée sur les effets à terme de cette mesure, mais aussi sur les risques auxquels conduit celle-ci.

La démonstration effectuée est mathématiquement sans appel. Elle part d’une hypothèse simple mais logique: les actionnaires, anciens ou nouveaux, n’accepteront d’investir que si la profitabilité nette des compagnies atteint au moins 15% du capital. Sur cette base, et compte tenu du nouveau capital minimum imposé et de la rentabilité moyenne observée des sociétés  (8% pour la branche non-vie et 4% pour la branche vie sur la période récente), le nombre de sociétés qui n’ont pas le résultat net ou le chiffre d’affaires annuels suffisants pour la rémunération minimale escomptée par les actionnaires a été recensé. Dans le secteur vie, 38 des 45 entreprises existantes ne satisfont pas à l’une ou l’autre des deux contraintes fixées. Ce nombre est de 54 pour les 86 entreprises de la branche non-vie. De plus, le capital social supplémentaire nécessaire aux 125 sociétés de l’échantillon qui disposent présentement d’un capital inférieur aux 5 milliards de FCFA prévus dépasserait 400 milliards de FCFA, soit 45% du chiffre d’affaires total des 131 sociétés étudiées. L’énormité des accroissements capitalistiques à opérer explique la conclusion de l’étude : il sera impossible à toutes les sociétés d’atteindre l’objectif visé, soit en raison des difficultés à réunir les ressources nécessaires, soit par suite de l’incapacité à élever l’activité jusqu’au chiffre d’affaires minimum requis. Il devrait en résulter la disparition  de nombreuses compagnies par arrêt de celles-ci ou par absorption ou fusion avec les compagnies les plus importantes. Le rapport estime ainsi que le nombre des sociétés devrait dans les 5 ans être réduit à environ 80.

L’évolution décrite s’appuie sur les exemples du Maroc, du Nigéria ou, dans un contexte différent, de France. Les fortes augmentations de capital minimum décidées dans ces pays ont entrainé la fermeture de certaines sociétés d’assurance, alimenté la concentration du secteur, accru la rentabilité des sociétés subsistantes grâce à la diminution des coûts fixes et accéléré notamment une informatisation massive, élément essentiel de cette baisse des charges.

Le cas des pays relevant de la CIMA se distingue cependant de ces exemples et l’ajustement capitalistique demandé pourrait conduire à des résultats moins tranchés pour au moins trois raisons. D’abord, la résistance à un mouvement de regroupement est forte dans la zone, comme l’ont montré les deux dernières augmentations de capital minimum imposées aux banques pour 2007 puis 2017 : le nombre d’établissements ne s’est pas réduit et chaque entité a réussi à trouver une solution individuelle. Le long délai de 5 ans toléré pour ce quintuplement du capital social des assurances va favoriser cette tentation de solutions sans rapprochement inter-compagnies, notamment par des ajustements progressifs rendus possibles par l’augmentation naturelle du chiffre d’affaires sur la période. Par ailleurs, une forte restructuration de la profession, sous forme de disparitions de sociétés ou de regroupements  nombreux, suppose pour être supportable d’importantes mesures de facilitation et d’accompagnement de la part des pouvoirs publics : indemnisation ou reclassement des personnels concernés par les fermetures et les regroupements, paiement des sinistres en instance des compagnies dissoutes, gestion des effets sur les réseaux de distributeurs touchés par ces opérations. La mise en place de structures performantes et dotées de moyens suffisants est donc indispensable pour minimiser, bien répartir et régler dans les meilleurs délais ces inévitables coûts de la réforme : faute de telles structures, le risque du statu-quo n’est pas à exclure. Enfin, les nouveaux critères de capital et les augmentations de chiffre d’affaires qu’ils imposeront à chaque compagnie pourraient conduire dans les plus petits pays à la non-viabilité de toute société d’assurances locale ou à la présence d’un monopole préjudiciable pour le public. Pour empêcher de telles situations, la CIMA aura à faire preuve de volonté et d’imagination. Les solutions de l’agrément régional unique ou d’une autorisation de commercialisation dans un pays des produits d’une compagnie agréée dans un autre pays seraient des choix possibles mais se heurtent à des dogmes jusqu’ici bien installés. En l’absence de telles décisions, des exceptions à la nouvelle règle pourraient être préférées et perturber la transformation du cadre général.

Même si elles sont contraignantes, les nouvelles normes capitalistiques devraient introduire des cercles vertueux capables de provoquer les trois révolutions escomptées dans le secteur.

La première est celle des canaux de distribution, en particulier pour l’assurance vie. A côté des agents généraux et des courtiers, deux nouveaux modes devraient prendre une place dominante, comme dans d’autres zones. C’est d’abord la bancassurance : la densité croissante des agences bancaires et le développement des « packages » font des banques un vecteur naturel des assureurs pour atteindre au moindre coût de nouveaux publics, et la présence d’actionnaires communs facilite parfois cette synergie. C’est surtout le nouveau champ ouvert par le téléphone mobile : grâce à la multiplication incessante des applications disponibles sur celui-ci, la souscription de micro-assurances à des prix très réduits est devenue facile et permet de viser de vastes populations aux revenus modestes et de nouveaux créneaux comme l’assurance maladie ou l’assurance agricole. Des coopérations, voire des alliances, devraient d’ailleurs se développer entre les acteurs du secteur et les sociétés de télécommunications.

Une deuxième est celle des produits offerts. Les récentes améliorations apparues restent modestes par rapport à la gamme sans cesse élargie rencontrée dans les pays du Nord mais aussi l’Afrique du Sud ou le Maroc. Les nouvelles technologies, la transformation des modes de vie sur le continent, la recherche d’une meilleure adéquation du produit avec les services visés et les moyens financiers des assurés multiplient les opportunités à saisir. L’assurance indicielle agricole, apportant une protection contre les phénomènes naturels sur la base de données météorologiques désormais plus fiables, en est un bon exemple : elle devrait avoir un effet très positif sur la productivité du secteur en apportant aux paysans une sécurité auparavant inconnue face aux risques climatiques qui pourraient se multiplier. De même, l’imposition par les Autorités du caractère obligatoire de nombreuses polices civiles ou professionnelles, à l’image des exigences de pays plus avancés, favoriserait la croissance des assureurs tout en protégeant le fonctionnement sans heurt de nombreuses activités.

Une dernière transformation majeure est celle de la rationalisation du fonctionnement, conduisant à la fois à l’amélioration de la qualité de service et à la compression maximale des frais généraux. Le poids actuel de ceux-ci dans le chiffre d’affaires, proche de 25% en moyenne, est sensiblement supérieur aux normes internationales et pénalise la rentabilité des acteurs. En la matière, un effort prioritaire doit être consacré à l’informatisation massive des composantes de l’activité : émission des primes, données statistiques des assurés, gestion des sinistres, réassurance, reportings. Les gains en coût d’exploitation et en rapidité d’action qui en résulteront seront accompagnés de la possibilité d’une meilleure sélection des risques et, une nouvelle fois, d’une hausse de rentabilité.

Ces trois transformations, indispensables pour donner aux assureurs de la zone CIMA une bonne chance de rejoindre les pays africains les mieux placés, impliquent que les acteurs du secteur investissent avec ampleur et innovent avec audace. L’augmentation de capital  imposée trouve donc ici toute sa justification, et la concentration qui devrait en ressortir facilitera sans doute cette mise à niveau. Dans cette phase, certains ajustements pourraient être difficiles, voire douloureux. En ce secteur comme en beaucoup d’autres, les actes concrets posés par les pouvoirs publics, leur suivi attentif des réformes et leur propre capacité  à ajuster ou compléter celles-ci si nécessaire seront donc des éléments aussi décisifs du succès ou de l’échec final que la volonté des entreprises d’aller de l’avant.

Paul Derreumaux

Rattrapage énergétique en Afrique : L’UEMOA en bonne position.

Rattrapage énergétique en Afrique : L’UEMOA en bonne position.

L’actualité a montré en 2016 un surcroît inhabituel d’investissements dans le secteur de l’énergie, notamment en Afrique de l’Ouest francophone. Le progrès varie cependant beaucoup selon les pays, surtout pour les énergies renouvelables, et les retards ne sont pas  comblés.

Le ton a été donné en mai 2016 en Zambie par une Assemblée de la Banque Africaine de Développement (BAD) ayant pour thème « Eclairer l’Afrique ». L’objectif était de mettre en évidence à la fois l’importance des efforts que l’institution panafricaine voulait consentir en faveur du secteur énergétique, mais aussi le bouillonnement des capacités d’innovations des initiatives privées sur le continent. Cette mobilisation de la BAD tombe au beau milieu d’annonces de création de nouvelles capacités énergétiques qui se sont multipliées depuis 2015 et sont une bonne nouvelle. L’énergie est en effet, dans toutes les régions d’Afrique subsaharienne, une des infrastructures qui a sans doute connu le moins de progrès dans les 10 dernières années, en comparaison avec les avancées notées dans les routes, les aéroports, les ports, les voiries urbaines et, surtout, les télécommunications. Seuls les adductions d’eau et les chemins de fer enregistrent des manques aussi criards et pénalisants. Au niveau global, quelques chiffres du début des années 2010 restent hélas d’actualité et  posent bien le débat : sur les quelque 95 milliards de USD d’investissements annuels en infrastructures requis pour la prochaine décennie, 44% concernent l’énergie et une majorité des 1,5 milliards d’individus non connectés à un réseau électrique habitent en Afrique.

Au moins trois raisons expliquent cette situation. D’abord, la correction des insuffisances énergétiques impose de traiter à la fois les problèmes de production, de distribution et de commercialisation : les blocages peuvent intervenir sur chaque plan et la mise à niveau est plus complexe à réaliser qu’en d’autres domaines. En second lieu, les choix à opérer sont plus variés que, par exemple, pour les infrastructures routières, et les décisions plus difficiles et donc plus longues à prendre. Enfin, l’impact négatif d’une énergie rare et chère a tardé à s’imposer comme une des explications possibles des difficultés du décollage économique.

Ce panorama d’ensemble vaut aussi pour l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Le pourcentage des personnes connectées dans la population totale s’échelonnait en 2010 de 60% en Côte d’Ivoire à 15% au Niger. Sans surprise, les grandes villes sont privilégiées tout comme les représentants des catégories socioprofessionnelles les plus favorisées et les ménages jeunes, mais, même pour ces groupes et ces zones, les retards sont très importants. Ailleurs, les manques sont souvent dramatiques. Face à ces graves lacunes, la période récente montre de réelles transformations dans l’Union.

Au sein de celle-ci, les annonces récentes d’investissements ont touché quasiment tous les pays de l’Union. Le Sénégal, longtemps frappé par de graves pénuries d’électricité, réalise de lourds investissements aussi bien en énergie thermique que dans le domaine solaire, et semble avoir tourné une page difficile: la Sénélec annonce ainsi un retour à l’équilibre financier et les tarifs d’électricité devraient être abaissés de 10% en 2017. Les nouvelles les plus significatives viennent cependant de la Côte d’Ivoire. Il est prévu que la capacité de production électrique du pays, de 2000 mégawatts (MW) en 2015, devrait passer à 4000 MW en 2020 et approcher les 6000 MW en 2030. Ce bond exceptionnel résultera d’investissements réalisés ici dans les différentes formes d’énergie : thermique, avec par exemple la centrale de Grand Bassam et une nouvelle extension de la Ciprel, des barrages hydroélectriques comme ceux de Soubré puis de Boutoubré, plusieurs unités de biomasse en projet dont celle d’Aboisso qui serait la plus importante d’Afrique. A côté de ces deux pays leaders, les investissements s’accélèrent aussi dans les autres pays. C’est le cas par exemple au Burkina Faso où sont lancées la construction d’importantes unités thermiques à l’Est de Ouagadougou et de plusieurs unités solaires à Kédougou, Kodeny et Pâ, dont certaines seront opérationnelles avant fin 2017 ; c’est également vrai  au Bénin où une centrale thermique de 400MWdevrait être édifiée en plusieurs tranches successives à Maria Gbéta.

Les centrales solaires apparaissent partout. C’est le cas notamment au Sénégal où plusieurs unités de moyenne importance – Bokhal, Malicounda – ont été lancées et seront opérationnelles avant fin 2018 : elles sont construites par des groupes différents et leurs performances pourront donc être comparées. Au Burkina Faso aussi, des investissements en cours pour près de 70 MW de production concernent l’énergie solaire. Même le Mali, malgré son environnement politico-économique difficile, a lancé une centrale solaire à Segou. Certes, la part relative de cette énergie reste très modeste et la région est très loin du Plan Energie du Maroc qui prévoit une part des énergies renouvelables, et notamment du solaire, à plus de 40% du total en 2020. Mais le mouvement est lancé et devrait s’amplifier.

Une autre nouveauté réside dans la diversification des modes de financement pour ces infrastructures énergétiques. Les prêts aux Etats sont toujours une modalité privilégiée et sont désormais accordés par un plus large éventail de bailleurs : institutions multilatérales et bilatérales des pays du Nord, mais aussi fonds arabes, BAD ou Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD), Chine en particulier. On note cependant l’accroissement du nombre d’opérations financées sous forme de Partenariat Public Privé (PPP). L’urgence des projets, les marges de manœuvre réduites des Etats en termes de financement, la meilleure attractivité financière du continent sur les dix dernières années concourent à cette nouvelle approche. Les opérateurs prennent alors le risque financier de la construction et gèrent l’ouvrage sur une vingtaine d’années ou plus, de façon à récupérer leur mise, avant de restituer le barrage ou la centrale à l’Etat. Les nouvelles centrales solaires en exploitation ou le projet de Santrhiou-Mekhe au Sénégal, ou les trois grosses turbines à vapeur de Songon en Côte d’Ivoire ont par exemple suivi cette voie. Elle présente l’avantage de reporter la charge financière supportée par la puissance publique, mais suppose que l’investissement dégagera une bonne rentabilité financière et fiscale pour ne pas compromettre l’avenir.

On constate aussi que les investissements et initiatives prennent un plus large éventail de formes. L’approche centralisée, avec des investissements majeurs concernant tout un pays, reste dominante, avec les projets de plusieurs dizaines ou centaines de mégawatts qui changent brutalement la capacité de production nationale. Mais les projets décentralisés, visant une région, une ville, une industrie, progressent, encouragés par leur plus grande facilité de financement, de gestion et de mobilisation des populations cibles. De grands groupes internationaux s’y intéressent désormais, attirés par le meilleur impact des actions menées et la possibilité de reproduire ensuite ces opérations locales sur d’autres sites. Enfin, a l’autre bout de l’échelle, des Organisations Non Gouvernementales (ONG) ou des « start-up » africaines ou étrangères profitent des nouvelles technologies pour révolutionner  l’environnement, comme dans le secteur de l’ « off-grid » qui fournit un accès à l’électricité aux ménages non raccordés à un réseau national. Ces nouvelles potentialités s’enrichissent d’ailleurs de modalités d’utilisation de plus en plus diversifiées, grâce à une coopération possible de ces start-up avec d’autres secteurs comme les banques ou les sociétés de télécommunications. La « start-up » sénégalaise Nadji-Bi s’engage résolument sur cette voie.

Une dernière originalité réside dans la place croissante des projets régionaux, associant plusieurs Etats, qui apparaissent à la fois dans la fourniture d’énergie comme dans sa distribution rationalisée. Le barrage de Manantali avait été précurseur en la matière, pour le Mali, la Mauritanie et le Sénégal. Les interconnexions entre réseaux nationaux sont un autre exemple de ces investissements transfrontaliers, qui permettent des économies d’échelle et une meilleure utilisation des investissements réalisés. Grâce à ces investissements, la Cote d’Ivoire devrait ainsi être exportatrice nette d’électricité aussi bien au profit du Burkina Faso et du Mali que de pays côtiers allant du Libéria au Bénin.

Malgré leur importance, ces progrès sont encore notoirement insuffisants à plusieurs titres. Beaucoup d’installations sont anciennes, voire près de l’obsolescence, et souffrent d’un manque d’entretien : ceci explique les pannes ou arrêts fréquents, qui réduisent les capacités de production, et la réhabilitation totale de centrales longtemps arrêtées, comme celle du Cap des Biches au Sénégal, sont des évènements rares. En second lieu, les sociétés nationales assumant le développement et la gestion des réseaux d’électricité sont pour la plupart en mauvaise santé financière : leurs capacités d’investissement sont limitées ainsi que leur aptitude à servir au mieux la clientèle. De plus, les ressources financières publiques pour de nouvelles augmentations de capacité de production sont de plus en plus  insuffisantes ; les Etats doivent donc recourir à des financements de marché, qui sont chers et dont le coût variable entraîne de lourds risques sur le long terme. Enfin, les augmentations de l’offre d’énergie rencontrent maintenant une demande en forte progression sous l’effet simultané du fort accroissement démographique et de la croissance économique plus soutenue de la région.

L’effort doit donc être encore intensifié pour qu’il réponde aux besoins présents et d’un futur proche. Les énergies renouvelables, et surtout l’énergie solaire, pourraient permettre un bond en avant. En effet, l’Afrique est particulièrement bien placée sur ce plan, d’une part, et les coûts d’investissement correspondants ont beaucoup baissé ces dernières années, d’autre part. L’exemple du Chili montre que les progrès peuvent être rapides dès lors que les réglementations nationales sont ajustées pour réguler le marché d’une manière constructive: favoriser toutes les formes de production d’électricité, faciliter l’accès au marché des nouveaux producteurs, rationaliser la concurrence dans un sens favorable aux utilisateurs. Ce souci de l’efficacité et de la performance est souvent entravé sur le continent par la toute-puissance de la bureaucratie et la force de l’immobilisme. La transformation des mentalités et des approches sera donc aussi un moyen d’accélérer notre rattrapage énergétique.

Paul Derreumaux

Publié le 07/02/2017

La (VRAIE) lutte contre la corruption n’est pas si facile…

La (VRAIE) lutte contre la corruption n’est pas si facile…

 

Rajasthan, mi-novembre 2016. Dans la douce chaleur brumeuse de ce début de matinée, la foule habituelle se presse à l’entrée du Taj Mahal à Agra pour admirer le somptueux mausolée de marbre blanc construit par Chah Djahan pour son épouse bien aimée Mumtaz Mahal. Tous deux reposent désormais pour l’éternité dans ce qui est considéré comme l’une des sept merveilles du monde moderne. Magique par sa beauté classique, les symétries parfaites de sa construction et le symbole d’amour éperdu qu’il représente, le « Taj » est particulièrement visité par les touristes étrangers, mais aussi très prisé par la population indienne qui vient, de tout le pays, le visiter en famille.

Malgré la beauté du spectacle, les conversations animées des visiteurs nationaux tournent pourtant depuis quelques jours sur un sujet plus prosaïque que poétique. Le 8 novembre au soir, le Premier Ministre Modi a annoncé à la télévision que les coupures de 500 et 1000 roupies – les plus grosses et valant respectivement environ 6,9 et 13,8 Euros – seraient démonétisées dès le lendemain. Elles ne pourraient ensuite qu’être déposées sur un compte bancaire, avec une pénalité de 100% pour tout versement supérieur à 250000 roupies.

L’explication donnée à cette mesure brutale est la lutte contre une corruption qui gangrène le pays. La monnaie fiduciaire, qui représente encore une bonne part de la masse monétaire nationale, abrite en effet les milliards de roupies provenant des dessous de table, des trafics divers, de la fraude fiscale, des détournements, des fausses factures,… C’est particulièrement vrai pour les deux coupures les plus importantes, visées par la mesure gouvernementale, qui constituent à elles-seules plus de 85% de la monnaie fiduciaire totale. La bataille contre l’argent « sale » était une des priorités affichées par le candidat Narendra Modi lors de la campagne présidentielle de 2014. Devant le peu de progrès  face aux pratiques répréhensibles, le Premier Ministre a décidé une attaque frontale : rendre brutalement inutilisables les produits de ces actes délictueux qui restent souvent stockés en billet de banque.

L’objectif est en partie économique. Le gouvernement fédéral veut assainir l’économie en retirant la masse d’ « argent noir », réduire le secteur informel encore largement dominant, augmenter la matière taxable. Il espère ainsi  augmenter les recettes fiscales et accroître la capacité de financement d’investissements de l’Etat, et développer les ressources des banques et donc leurs moyens d’actions. Mais l’ambition est surtout politique : d’abord respecter les engagements pris en termes de moralisation de l’économie ; en même temps réduire les avoirs des partis concurrents, et notamment le puissant Parti du Congrès, qui sont constitués en bonne partie de masses de billets aux origines incertaines et largement distribués lors des campagnes électorales.

La soudaineté et la généralité de la mesure ont pris de court tous les agents économiques. Les banques ont été prises d’assaut pour le dépôt des anciens billets et l’obtention de nouvelles coupures. Cette opération était cependant rendue très complexe par l’énormité de la population, la masse des billets concernés en circulation (plus de 24 milliards de coupures), le nombre élevé de personnes qui ne disposent pas encore de compte bancaire (taux de bancarisation  proche de 50%), mais aussi par les dysfonctionnements dans l’approvisionnement des banques commerciales en nouveaux billets. Dans les villes comme dans les campagnes, les interminables files d’attente aux guichets ont attesté de la mauvaise organisation de cet échange. Les Guichets Automatiques de Banques (GAB), parfois inadaptés aux nouveaux billets, ont connu une situation aussi tendue, émaillée de fréquents dérapages dus à l’exaspération des clients. Dans le même temps, toutes les « ficelles » possibles pour tourner les règles instaurées pour cet échange ont été utilisées par certains citoyens, souvent les plus fortunés ou ceux dont la richesse était d’origine contestable. L’imagination a fait fleurir les moyens envisageables pour se débarrasser sans délai des coupures désormais démonétisées : stockage de produits en grande quantité, achat massifs de billets d’avion ou de train en vue de leur revente ultérieure, achats d’or, … L’Etat fédéral a à chaque fois vigoureusement combattu ces pratiques, malgré les effets collatéraux négatifs que pouvaient parfois entrainer les interdictions édictées, telles le repli des cours de bourse de nombreuses entreprises ou la baisse immédiate du cours international de l’or. Même les contre-attaques politiques et judiciaires n’ont pas fait fléchir les Autorités.

« Donnez-moi 50 jours pour débarrasser l’Inde de la corruption» avait demandé le Premier Ministre. Ce délai ne semble pas avoir suffi. Plus de deux mois après le début de l’opération, la mise en circulation des nouvelles coupures reste problématique et l’encombrement des agences bancaires toujours au maximum. Au niveau économique, l’activité bancaire a été plutôt ralentie par ces difficultés logistiques et l’embellie escomptée est toujours en attente. De dernières prévisions concluent même que la croissance du Produit Net bancaire (PNB) serait réduite d’au moins 0,5% en 2016 en raison des perturbations observées. Dans ce contexte, les plus touchés ont été les membres des classes les plus pauvres, sans compte bancaire, sans autres ressources que les quelques billets qu’ils possédaient et désormais sans valeur, sans autre solution que de patienter des journées entières devant les banques commerciales. Pourtant, toutes les interviews effectuées montrent que ces catégories de la population sont favorables à la poursuite de l’opération, car elles sont persuadées qu’elle portera un grand coup contre la corruption des politiques et des hommes d’affaires qui les exploitent.

L’expérience est intéressante pour les pays, très nombreux, qui clament sans cesse leur volonté de lutter contre la corruption. Elle met en avant quatre principales leçons. D’abord, les actions concrètes sont possibles : elles impliquent seulement, pour sortir du discours, que des réflexions sérieuses soient menées sur les circuits qu’utilisent les fraudeurs et les corrupteurs, en fonction des possibilités de leur environnement national, pour mener à bien leurs délits. En second lieu, ces actions sont pour le moins difficiles en raison de leurs caractéristiques nécessaires : soudaineté voire brutalité, originalité, impossibilité de contournement par le public visé, fréquente hostilité allant bien au-delà de ce public, durabilité des effets provoqués. Par leur nature imprévue et leur opposition aux pratiques en vigueur, ces actions anti-corruption font immédiatement l’objet d’une forte opposition tous azimuts et imposent donc que le pouvoir qui les édicte possède la légitimité et la force nécessaires pour les imposer. De plus, en heurtant de nombreux intérêts ou groupes de pression puissants, ces mesures déclenchent toujours les réactions de catégories sociales ou d’individus qui, même de bonne foi, cherchent à arrêter l’expérience. La troisième leçon est donc celle de la ténacité requise pour que les mesures aient le temps d’être menées à leur terme et de produire leurs effets. L’exemple indien est pertinent à ce point de vue : malgré la gêne occasionnée pour de nombreuses personnes, et notamment pour ceux que l’Etat veut défendre, les longues perturbations sont le prix à payer pour terrasser la corruption. Enfin, même si elles portent leurs fruits, les actions anti-corruption ne peuvent être efficaces à 100% ou de manière définitive. Certains individus ou sociétés visés passent entre les mailles du filet et les circuits de la fraude et de la délinquance financière se reconstituent. En Inde toujours, une démonétisation identique avait eu lieu il y a 38 ans : l’opération conduite en janvier 1978 s’était déroulée pour les mêmes objectifs et avec le même effet de surprise, et avait conduit à la même panique et aux mêmes débordements. Elle n’a visiblement pas éradiqué pour toujours l’argent noir. Avec le développement connu par le pays ces dernières décades et l’expansion correspondante de la circulation monétaire, l’opération actuelle n’est que beaucoup plus délicate.

Malgré leurs difficultés et inconvénients et la modestie de leur intérêt économique, de telles opérations présentent d’importants effets psychologiques positifs : elles renforcent en effet la crédibilité des Autorités politiques qui les réalisent, dès lors qu’elles ont la force et l’assise suffisantes pour mener ces réformes jusqu’au bout. Le Premier Ministre indien a déjà annoncé qu’il réaliserait d’autres actions « musclées » de ce genre, notamment dans le secteur toujours délicat de la propriété foncière.  Les purges de grande ampleur effectuées en Chine au sein des ploutocrates du régime en donnent une autre illustration.

On peut donc se demander pourquoi les Etats africains sont si réticents à suivre cette voie. Les discours des plus hautes Autorités mettent toujours la lutte contre la corruption en bonne place mais en restent la plupart du temps aux grandes intentions tandis que les exemples délictueux se multiplient à tous les niveaux et sont souvent connus de tous. Sans doute la faiblesse généralisée des appareils étatiques et de la priorité donnée au bien public sont-elles les principales raisons de cette trop fréquente inertie. Les mesures, même à des niveaux plus limités, visant à endiguer la corruption seraient pourtant particulièrement appréciées des populations qui subissent chaque jour les conséquences néfastes de celle-ci. Le monnayage de formalités par les fonctionnaires, l’achat des diplômes, la spéculation foncière, sans parler de la déliquescence de la justice, pourraient ainsi faire l’objet d’attaques bien ciblées et intelligemment conçues. L’impunité des fautifs, l’exploitation des plus faibles, le renforcement indu des inégalités figurent parmi les maux les plus graves qui pèsent sur les sociétés en développement et freinent directement leur croissance. Aucun combat contre ces lèpres sociales n’est donc inutile, même s’il est difficile et n’est pas assuré d’un succès total.

Paul Derreumaux

Article publié le 19/01/2017

L’intégration financière régionale en UEMOA : progrès et résistances

L’intégration financière régionale en UEMOA : progrès et résistances

L’intégration financière dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a été d’abord impulsée par le secteur bancaire. Récemment, les évolutions ont été plus multiformes, moins linéaires et rencontrent diverses résistances. De nouvelles avancées sont possibles mais nécessiteront des mutations.

Une bonne intégration financière dans l’UEMOA peut servir trois principaux objectifs : assurer la meilleure homogénéité possible des systèmes financiers entre les pays de la zone ; faciliter l’application des politiques monétaires et financières régionales sur toute l’Union ; accroitre partout la croissance économique et son caractère inclusif pour tous les agents économiques. En la matière, la période 2000/2010 avait été surtout marquée par la montée en puissance et la transformation du secteur bancaire, redevenu dynamique et rentable après le séisme des années 1980, modernisé dans ses pratiques, plus imaginatif dans ses produits et services, appuyé sur des réseaux d’agences bien densifiés. De plus, ce secteur était profondément renouvelé dans ses acteurs : des groupes à capitaux privés régionaux, nés lors de cette crise systémique, avaient joué un rôle pionnier dans les mutations et progressivement tenu une place essentielle sur chaque place de l’Union. Face à ces deux données favorables, des faiblesses restaient encore recensées. En particulier, les composantes non bancaires du secteur financier demeuraient faibles, en dépit de premières améliorations, telles celles notées sur le marché financier régional. Enfin, l’environnement était toujours fragile en de nombreux domaines –taux débiteurs élevés, carences de la justice, fiscalités disparates, rareté des crédits interbancaires, formation des équipes à renforcer –,  générant autant de freinages.

Depuis 2010, de nouvelles tendances apparaissent, mettant en évidence quelques replis mais aussi de nouveaux moteurs d’intégration. Au niveau des acteurs, les mouvements dans le « tour de table » des principaux groupes depuis 2010 ont accentué la concentration du système bancaire régional mais ont surtout octroyé une place dominante aux banques à l’actionnariat majoritairement étranger à l’Union, inversant ainsi la tendance précédente. Ces groupes  détiennent maintenant à eux seuls plus de 50% des parts de marché de l’espace francophone de l’Ouest, situation inédite depuis longtemps. Ces changements ne sont pas sans effet. Des centres stratégiques importants sont ainsi redevenus extérieurs à l’UEMOA. Pour ces institutions, les liaisons « verticales », entre le siège et les filiales, priment désormais sur les liens « horizontaux » précédemment développés entre les établissements régionaux d’un même groupe, comme le montrent à la fois des montages de crédit ou des structures organisationnelles. Pour la Banque Centrale du Maroc (BCM), le poids des engagements subsahariens des trois principaux établissements marocains, qui représentent les deux tiers des bilans bancaires du pays, est en outre devenu un risque systémique : il entraine une surveillance rapprochée sur toute nouvelle décision d’extension géographique ou même de politique de crédit. Il en résulte pour les leaders du marché une  priorité donnée à la consolidation des structures en place, de préférence à des extensions, et une prise en compte privilégiée des contraintes fixées par les sociétés mères et leurs Autorités de contrôle. La poussée de l’intégration devient aujourd’hui le résultat essentiel des groupes bancaires « outsiders ». Suivant leurs devanciers, ceux-ci accélèrent la construction de leurs réseaux : trois groupes prennent place dans le club restreint de ceux qui rassemblent plus de 2% des actifs bancaires de l’Union et quelques autres suivent. Ainsi, la burkinabé Coris Bank, est présente désormais dans quatre pays et se demarque par sa capacité d’innovation. La remontée en puissance des institutions régionales reste donc envisageable à moyen terme. De nouvelles institutions comme le Fonds Financier Yeelen, impulsé par la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD), pourraient servir de catalyseur à la mobilisation des moyens nécessaires.

La question  des moyens de paiement est sans doute le domaine où les transformations actuelles sont les plus profitables à l’intégration. A côté des circuits bancaires classiques, les sociétés de transfert rapide avaient été, malgré leur cherté, un premier vecteur d’inclusion financière pour les transferts internationaux de petit montant. La monétique a pris le relais : produit initialement élitiste monopolisé par les banques françaises, elle a été démocratisée sous l’impulsion des principales banques privées africaines, puis largement déployée dans l’espace régional, en particulier grâce au groupement GIM-UEMOA. Celui-ci a réduit les difficultés financières et techniques d’accès à ce service et, dix ans après sa création, englobe la quasi-totalité des banques de l’Union -108 sur 129 établissements agréés -, assure une grande interconnexion entre opérateurs et a fortement développé sa palette de produits. Avec l’apparition des cartes prépayées, les banques ont marqué un progrès supplémentaire en ouvrant les services monétiques aux personnes ne disposant pas de compte bancaire. L’introduction récente du « mobile banking »  se situe dans cette même lignée  d’innovations: Grâce à leur formidable expansion, les opérateurs de téléphonie mobile permettent à un large public encore exclu des systèmes bancaires d’effectuer des opérations de paiement basiques par la seule utilisation de leur téléphone. Le système, démarré en Côte d’Ivoire en 2009, est devenu en quelques années un produit courant aux multiples usages. Economique, sécurisé, facile d’accès, répondant à des  besoins prioritaires, il a été plébiscité. Selon la Commission Bancaire ; on compte en 2015 plus de 25 millions d’utilisateurs du paiement par mobile dans l’Union, pour près de 500 millions de transactions avoisinant 15% du Produit Intérieur Brut (PIB) de la zone. Devant l’importance de ce produit, la BCEAO a ajusté sa réglementation et ouvert la possibilité de création de sociétés spécialisées comme Emetteur  de Monnaie Electronique (EME). L’opérateur Orange a déjà utilisé cette possibilité mais il est vraisemblable que la même démarche sera suivie par d’autres sociétés de télécommunications. Le champ d’action de ces EME s’étend en permanence : des accords passés avec certaines banques permettent par exemple d’approvisionner directement le portemonnaie électronique à partir d’un compte bancaire tandis que les cartes prépayées des EME  autorisent leurs clients à sortir du numéraire d’un distributeur de banque. Ainsi se prépare sans doute une troisième génération de monnaie électronique qui sera caractérisée à la fois par une large interopérabilité entre les produits des divers acteurs, par une facilité accrue du passage d’une monnaie à l’autre et par un élargissement constant des secteurs utilisant cette nouvelle monnaie –assurances, crédit à la consommation, transferts internationaux -. Cette mutation profonde et rapide des moyens de paiement va renforcer considérablement l’inclusion financière, en haussant brutalement les taux de bancarisation.

Le troisième trait majeur de la période  est le développement significatif de quelques autres composantes du secteur financier : il constitue également un outil précieux pour l’intégration en apportant aux entreprises et aux ménages un éventail plus large de réponse à leurs besoins. Le plus marquant est celui du marché boursier. Sa progression, longtemps hésitante, s’est fortement accélérée depuis 2013. La hausse cumulée des capitalisations sur les trois exercices 2013-2015 a dépassé 70% et place la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) au 6ème rang des marchés financiers africains, tandis que 2016 voyait pour  la première fois l’entrée en bourse de quatre nouvelles sociétés. Six pays sont aujourd’hui présents sur la BRVM. Celle-ci a pris une nouvelle dimension, avec sa cotation quotidienne désormais en ligne, sa communication plus agressive, ses efforts de partenariat avec des places voisines, l’accroissement de ses transactions quotidiennes.. Une transformation majeure du même type pourrait s’opérer dans les assurances. Le secteur demeure jusqu’ici éparpillé entre de nombreuses compagnies, peu capitalisées et souvent à la limite de la rentabilité, et le poids financier du secteur reste infime – moins de 1% – au sein du PIB régional. La récente décision de l’organisme régional de contrôle, la CIMA, de multiplier par cinq le capital minimum des compagnies pour le porter à 5 milliards de FCFA devrait entrainer un profond renouveau et une grande revitalisation du secteur. La mise en œuvre de cette mesure, normalement génératrice de nombreuses concentrations, va cependant se heurter aux résistances à se regrouper des sociétés existantes et à l’étroitesse du marché actuel. Pour atteindre les objectifs visés, elle doit être accompagnée d’une meilleure adaptation aux besoins des produits offerts, et d’une transformation des canaux de distribution. Pour les autres composantes, les progrès sont plus lents à se concrétiser. En micro-finance, les acteurs grandissent et se multiplient mais manquent souvent de fonds propres et gardent un périmètre d’action purement national, voire local. Quelques groupes, tels Microcred, commencent cependant à construire un réseau pluri-national et pourraient suivre une approche plus intégrée, propice à l’harmonisation des environnements financiers. Pour les fonds d’investissement, la société Cauris, née en 1996, a longtemps été seule présente dans l’Union et ses participations ont avant tout concerné des sociétés de bonne importance. De nouvelles institutions de cette catégorie s’implantent pourtant peu à peu et diversifient leurs cibles. L’initiative la plus récente de  la société IPDEV2 vise même le créneau des micro-entreprises et la création en 10 ans de 50 nouvelles entreprises dans chacun de ses pays d’implantation.

Malgré les progrès réalisés, le chemin à parcourir reste long et nécessite une action conjuguée à au moins trois niveaux.

Le premier est celui des acteurs financiers eux-mêmes. Il s’agit d’abord de renforcer encore massivement la pénétration des institutions financières dans les économies de chaque pays. Les créations par les banques de points de vente supplémentaires produisent leurs effets, mais, en raison de la lourdeur des investissements requis, l’évolution est trop lente face aux retards et à la poussée démographique. La nouvelle concurrence de la monnaie électronique favorise l’accélération de cette bancarisation, sous une nouvelle forme, mais les possibilités ouvertes aux titulaires de ces comptes « virtuels » ne couvrent pas encore toute la palette des produits financiers. Les deux mouvements doivent donc se poursuivre simultanément et les passages possibles entre ces deux circuits se multiplier. Une deuxième obligation est que les banques s’engagent plus profondément dans la révolution de la digitalisation. Leur grande réticence jusqu’à une période récente explique en partie le succès du « mobile banking » et l’avance technique et commerciale prise par les opérateurs téléphoniques. Dans les dernières années, seule la Société Générale apparait avoir retenu cette approche comme un de ses axes stratégiques pour la clientèle de particuliers, tandis que les banques africaines sont restées plus attentistes, à l’opposé de leur politique des deux décennies précédentes. Il est donc impératif que toutes les institutions bancaires s’approprient d’urgence ces nouvelles technologies pour résister à la concurrence musclée des sociétés de télécommunications, et inventent la « banque africaine du XXIème siècle ». Celle-ci concernera aussi bien la réalisation des opérations que les points de contact avec la clientèle ou la politique commerciale : elle sera plus proche, plus facile à comprendre, moins coûteuse, mais aussi plus sûre. Une bonne intégration financière suppose aussi que les flux financiers interbancaires s’intensifient. Ceux-ci restent rares, hormis à l’intérieur d’un même groupe, illustrant la méfiance des institutions entre elles et l’étroitesse d’un marché monétaire manquant d’instruments et d’organisation. Une amélioration de ces divers aspects augmenterait les possibilités de mobilisation de ressources dans l’Union. Les acteurs portent aussi une quatrième responsabilité : celle d’accroître les concours à des secteurs encore délaissés, en imaginant les solutions répondant aux besoins comme aux capacités des bénéficiaires, et aux exigences légitimes de maîtrise des risques: les Petites et Moyennes Entreprises(PME) et l’habitat sont les exemples les plus connus de ces créneaux peu favorisés. Le dernier est aussi lourdement pénalisé par le maintien de taux d’intérêt élevés, spécialement pénalisants pour les crédits à long terme nécessaires à l’immobilier. Ici encore, la baisse des taux est engagée, mais encore insuffisante et inégale selon les pays, ce qui ralentit l’intégration.

Le deuxième niveau relève de la responsabilité des Autorités et s’observe sous plusieurs angles. Pour la fiscalité par exemple, il est remarquable que les décisions prises au plan régional et destinées à encourager l’épargne et les marchés de capitaux soient rendues applicables avec autant de retard, voire encore laissées en attente, dans les législations de certains membres de l’Union : l’adoucissement de la taxation sur l’épargne longue, les avantages accordés aux sociétés cotées, la loi nouvelle sur les établissements d’investissement à revenu fixe ou variable, les dispositions spécifiques aux relations entre « sociétés mère-fille » en sont quelques illustrations. Ces décalages freinent des avancées notables, comme si les Etats n’appréhendaient pas les impacts positifs en résultant pour la modernisation et le dynamisme de leur économie. Les politiques publiques pourraient aussi être utilisées pour stimuler la consolidation de champions financiers régionaux. Même si ceux-ci naissent avant tout des forces naturelles du marché, les politiques des Autorités sont déterminantes pour assurer leur pérennité. Ainsi, l’application à bref délai des normes de Bâle III et de ratios prudentiels plus contraignants jouerait un rôle crucial pour le renforcement des institutions bancaires et leur meilleure résistance face aux risques croissants. La mise au point effective de mécanismes de « résolution » offrant une protection plus efficace des déposants et une meilleure sécurité des opérations en cas de crise bancaire consoliderait aussi tout le système financier régional. De même, une plus grande utilisation par les Etats de la BRVM pour la privatisation d’entreprises publiques ou la cession de leurs participations dans des sociétés privées renforcerait le poids du marché financier régional et sa liquidité. Un troisième vecteur d’intégration réside dans la qualité, la continuité et la cohérence des politiques de convergence économique : plus celles-ci seront pertinentes et suivies avec détermination par chaque Etat, plus les institutions financières des pays de l’Union seront placées dans des contextes analogues qui les inciteront à des orientations stratégiques similaires. L’existence d’une politique monétaire commune a déjà montré les effets favorables d’une telle unicité. Des progrès dans la rapprochement des politiques budgétaires, sociales, environnementales auront les mêmes résultats, qui se renforceront progressivement les uns les autres. Enfin, les Autorités régionales et/ou nationales peuvent impulser elles-mêmes dans toute l’Union les secteurs qui leur paraissent prioritaires. La création, sous l’égide de la BOAD, de la Caisse Régionale de Refinancement Hypothécaire (CRRH) apporte ainsi aux banques des refinancements à long terme qui encouragent le financement de l’habitat. L’apparition dans plusieurs pays de Fonds de Garantie pour les PME apporte des fonds propres ou des cofinancements à cette composante essentielle du système économique régional.

L’évolution positive de l’environnement serait aussi un troisième facteur décisif d’intégration. L’accroissement généralisé de la place du secteur privé et son rôle décisif dans la croissance et l’innovation en sont la meilleure preuve. Toutefois, beaucoup reste à faire. Dans la facilité de création et de fonctionnement des sociétés, dans leur accès dans de bonnes conditions aux financements, dans les conditions d’attribution des marchés, dans les contraintes foncières, les indicateurs du « Doing Business » montrent la diversité des situations selon les Etats et la vitesse variable des progrès. Par ailleurs, alors que les innovations offrent de plus en plus de « sauts technologiques » permettant aux pays en retard de rattraper les pays plus avancés avec un coût limité, les appuis publics financiers ou de formation sont rarement disponibles alors que le dynamisme et la soif de réussite de la jeunesse africaine sont au rendez-vous. L’exemple type est celui de la « fracture numérique » : faute dans certains pays de matériels appropriés, de formateurs disponibles, et surtout de volonté politique, les nations de l’UEMOA, et leurs habitants, risquent d’être dans des positions inégales devant les progrès possibles nés de l’automatisation de certains travaux et du traitement de nombreuses opérations. Mais la remarque vaut aussi pour beaucoup d’autres aspects, allant de la recherche agronomique aux services de santé, où le défaut d’encouragement et de vulgarisation de l’innovation maintient des économies et des populations hors de la modernité. Sur un autre plan, l’obligation qui serait faite d’associer, même pour une part minime, les banques locales aux financements de grande envergure, pour des projets nationaux ou régionaux, aurait très certainement un effet bénéfique pour l’intégration financière et le renforcement de l’expérience des institutions bancaires locales.

Si le rôle moteur des banques dans l’intégration financière régionale tend à marquer une pause, les relais existent donc pour réaliser de nouveaux progrès. Ceux-ci devraient conduire en même temps à un renforcement du poids des crédits au secteur privé dans le PIB Régional : avec un taux moyen présentement inférieur à 30%, tout accroissement de ce pourcentage aurait un important effet induit potentiel sur le développement économique de l’Union. Il reste à ne pas oublier que les systèmes financiers puissants et de qualité sont une condition nécessaire de la croissance, mais pas une condition suffisante pour l’obtention de celle-ci.

Paul Derreumaux

Elections américaines : quelles conséquences pour l’Afrique ?

Élections américaines : quelles conséquences pour l’Afrique ?

Pour les Africains, dirigeants comme citoyens, les dernières élections présidentielles aux Etats-Unis appellent deux questions : Quelle sera la spécificité de l’ « expérience Trump » pour les quatre ans à venir ? Qu’apportera à l’Afrique le nouveau dirigeant de la première puissance mondiale ?

Ainsi donc les sondages ont été démentis, les prévisions contredites et M. Trump a gagné. Une fois la surprise passée, deux explications du résultat peuvent être tentées.

D’abord l’originalité de la démarche de Donald Trump. Celui-ci, qui n’avait rien à perdre vu son statut de riche homme d’affaires, a décidé dès le départ de mener sa bataille électorale sur des attaques personnelles, menées avec outrance contre les minorités raciales, l’immigration,  les lois sociales du Président Obama, le libéralisme, l’ « establishment » sous toutes ses formes. Dépassant les thèmes habituels anti démocrates, ses propos se sont calés sur les problèmes de la masse d’américains blancs, victimes du chômage, de la délinquance, de la pauvreté, du déclassement et d’une montée des inégalités qu’ils considèrent comme irréversible avec les politiques actuellement menées. Les critiques de plus en plus extravagantes contre l’adversaire démocrate ont finalement plu au noyau dur de son public au lieu de lui faire peur : malgré sa richesse, et peut-être grâce à sa violence, Trump leur est apparu comme l’un des leurs.

Face à lui, Hillary Clinton n’a pas pu (ou su) mobiliser avec la même vigueur tout le camp démocrate. Dans celui-ci, on compte en particulier une bonne part des populations noires et hispaniques, de plus en plus nombreuses, dans la ligne de mire des menaces de Donald Trump. Cette partie des électeurs avait été décisive dans la réélection de Barack Obama face à Matt Romney, et devait logiquement l’être davantage ici en raison de son poids croissant dans la population totale. Pourtant, ce soutien n’a pas été à la hauteur escomptée : ni la grande expérience des affaires publiques de la candidate, ni l’appui annoncé de Bernie Sanders, ni l’engagement à ses côtés du Président Obama n’ont suffi pour compenser une campagne insuffisamment orientée vers les préoccupations des classes les plus populaires, ni faire oublier les déceptions ressenties après les deux mandats du Président sortant.

La carte des résultats de l’élection de novembre illustre cette fracture : les régions économiquement « en panne », voire déshéritées, ont été plus favorables à M. Trump que les grandes villes offrant à chacun plus d’occasions de faire sa place. Les manifestations « anti-Trump » après la victoire de celui-ci en sont une démonstration a contrario.

L’élection surprise du candidat républicain conduit de toute façon à de grandes interrogations. Dans son « programme », finalement peu débattu et mal connu, les principales idées frappent par leur brutalité et parfois par leur incohérence. Il est probable, comme le montrent de premiers exemples, que le Président Trump se sentira d’autant moins lié par ses promesses qu’elles étaient imprécises. En bon homme d’affaires qu’il est, il sera surtout pragmatique, soucieux de l’évaluation des effets de ses politiques et capable de modifier celles-ci si nécessaire. Il reste à savoir quels seront dans ce cas ses véritables objectifs puisque sa base électorale se constitue à la fois des populations blanches paupérisées mais aussi des classes républicaines les plus aisées, deux catégories plutôt contradictoires.

Pour les questions économiques et sociales nationales. le vaste programme d’infrastructures et d’investissements publics envisagé peut soutenir l’activité, et redonner vie aux régions en détresse qui ont soutenu sa candidature. Son financement sera cependant difficile. Les baisses d’impôts, déjà annoncées, imposeront un gonflement du déficit budgétaire qui risque d’accélérer la hausse des taux d’intérêt. Celle-ci pourrait protéger le pays de l’inflation mais aussi gêner la consolidation de la croissance économique. Au plan social, les premières orientations fiscales ne semblent pas aller vers une réduction des inégalités tandis que la couverture sociale des populations les plus pauvres, un moment menacée de démantèlement, pourrait finalement être en partie préservée. Le rejet des immigrés clandestins et une politique plus restrictive vis à vis des travailleurs étrangers pourraient défavoriser de nombreux secteurs d’activité. Dans tous les cas, le Président n’aura pas les mains totalement libres pour conduire sa politique de rupture : la Chambre des Représentants et le Sénat, malgré leur majorité républicaine, garderont normalement une vision plus orthodoxe tandis que la puissante Réserve Fédérale maintiendra une vision indépendante des positions présidentielles.

Au plan international, l’avenir devrait être dominé par deux orientations. Incertitudes des alliances d’abord: le Président Trump ne parait pas un fervent admirateur de l’Europe ; le Traité Transatlantique risque d’être jeté aux oubliettes et le Transpacifique profondément réformé ; au Moyen Orient, les relations avec l’allié proche qu’est Israël et avec le partenaire privilégié qu’était l’Arabie saoudite sont perturbées en raison du terrorisme et du rapprochement avec l’Iran ; la Turquie s’engage dans une direction qui inquiète de plus en plus. Face à ces détériorations, la méfiance devrait être encore plus présente et la tendance au repli sur soi plus forte. Accroissement des rivalités ensuite : la compétition pour la place de première puissance mondiale va s’intensifier avec la Chine et les grands pays émergents sur les plans commercial, monétaire, politique et d’influence économique. Une autre inconnue essentielle résidera dans les rapports avec la Russie : les appétits d’Empire de celle-ci se heurteront aux positions américaines, mais le pragmatisme et le tempérament de Trump pourraient s’accommoder d’arrangements avec Vladimir Poutine pour régler des problèmes brulants, notamment en Europe de l’Est et dans la zone Irak-Syrie. D’autres menaces prioritaires sont toujours présentes, tel le terrorisme islamique. Tout en affirmant que « l’Amérique sera plus forte », Donald Trump  souligne que ces combats n’incombent pas aux seuls Etats-Unis et cherchera à réduire cette charge, soit en la partageant avec ses alliés, soit en se retirant du jeu chaque fois que possible.

Dans ce futur semé d’embûches, et sans grand dessein, il est remarquable que l’Afrique est retombée dans l’oubli. Barack Obama avait soulevé un immense espoir, tant parce qu’il était le premier Président de couleur que parce qu’il avait réservé ses premiers voyages officiels en 2009 à l’Afrique -Egypte et Ghana-. La déception avait vite suivi, lorsqu’il apparut que, même si l’Afrique faisait moins peur, les grands principes et orientations des Etats-Unis ne changeaient pas. Après sa réélection, le Président Obama était d’abord parti en Asie et s’est encore moins tourné vers l’Afrique. Cette fois, celle-ci n’a même pas été évoquée lors de la campagne. Il est vrai que l’attractivité de la zone subsaharienne s’est bien affaiblie : moindre intérêt des investissements pétroliers suite à la meilleure indépendance énergétique des Etats-Unis et la chute des prix du pétrole ; médiocres performances économiques récentes moyennes de l’Afrique ; aggravation des risques terroristes dans plusieurs pays ; évolution démocratique négative en divers endroits. Alors que la mondialisation a moins bonne presse et que les centres d’intérêt et de tension géostratégiques sont ailleurs, l’Afrique devrait être la première sacrifiée dans les préoccupations américaines.

Les Etats subsahariens sont moins désarmés qu’auparavant face à ce désintérêt. Leur situation économique s’est globalement améliorée durant les dix années écoulées et a éveillé l’attention de nombreux autres partenaires, au premier rang desquels la Chine et d’autres grands pays émergents. Ils trouvent donc ailleurs les financements, les équipements et les éventuels marchés. En apportant ces soutiens, leurs nouveaux partenaires  se fournissent en matières premières et donnent de l’activité à leurs grandes entreprises. Ils occupent peu à peu,  à côté des anciennes puissances coloniales, un rôle économique essentiel mais aussi une influence politique grandissante. L’Afrique tient ainsi, malgré ses faiblesses, une place non négligeable dans l’écriture des nouveaux équilibres mondiaux.

Malgré leur relative embellie économique et leurs nouveaux partenariats, les Etats africains auraient pourtant bien besoin du soutien des Etats-Unis en de nombreux domaines où ceux-ci ont une expertise de premier plan : ils vont par exemple de la lutte contre le terrorisme aux investissements dans les domaines énergétiques en passant par l’ouverture des marchés américains pour les exportations africaines et un soutien actif dans la lutte pour la protection de l’environnement. Il n’est pas certain que le nouveau Président prête attention à des dossiers qui lui paraitront secondaires ou contraires aux intérêts à court terme des Etats-Unis, mais que  l’Afrique devra pourtant affronter dans tous les cas.

En sortant ainsi la zone subsaharienne de leur champ d’horizon, les Etats-Unis commettent bien sûr une erreur pour au moins trois raisons. Même si l’évolution n’est pas linéaire et sera de plus en plus inégale selon les pays, l’Afrique devrait poursuivre une croissance économique consistante à moyen terme. Quelle que soit la conjoncture internationale, des moteurs internes de croissance existent en effet, si les politiques d’accompagnement sont bien menées par les Autorités nationales. En outre, le marché africain, en grandissant pour des raisons économiques comme démographiques, devient un enjeu croissant pour les pays les plus avancés et leurs grands groupes : les places à prendre seront de plus en plus chères et les Etats-Unis pourraient perdre des opportunités futures. Enfin, le soutien politique des nations africaines jouera inévitablement un rôle dans les recompositions géopolitiques qui s’annoncent avec la montée de nouvelles grandes puissances et le regain du protectionnisme.

Pour l’Afrique comme pour le reste du monde, l’élection de Donald Trump ouvre ainsi une vaste période d’incertitude et de fragilité au moment le moins opportun. Le pire n’est cependant jamais sûr. En brisant les schémas traditionnels, le Président américain ouvre un nouveau champ des possibles. Reste à voir quelle a été sa part de théâtre dans ses discours et, parmi tous les tabous qu’il a dénoncés, ceux auxquels il s’attaquera vraiment et par quoi il les remplacera.

Paul Derreumaux

Publié le 30/11/2016

Banques et télécommunications en Afrique : vers l’affrontement ?

Banques et télécommunications en Afrique : vers l’affrontement ?

Démarré au Kenya il y a moins de dix ans, le « mobile banking » – paiement par téléphone mobile – a déjà révolutionné en Afrique les instruments de paiement. Une lutte pourrait s’engager à bref délai entre banques et sociétés de télécommunications pour la domination de cette partie de l’industrie financière.

Le succès du produit M’Pesa de Safaricom à Nairobi a été fulgurant. Géniale création commerciale ou produit à visée sociale, l’origine de sa création est oubliée. Dans tous les cas et malgré la modestie de chaque transaction traitée, les volumes concernés sont vite devenus gigantesques : 17 millions de kenyans, plus de 35% de la population, utilisent aujourd’hui M-Pesa et les flux annuels  gérés représenteraient plus de 35% du Produit Intérieur Brut (PIB) kenyan, soit 20 milliards de USD. Dans ce pays à la pratique financière sophistiquée, le système s’est étendu dans trois directions : chez des sociétés téléphoniques concurrentes avec des produits similaires ; chez certaines banques comme Equity Bank, qui a repris l’offensive en créant Equitel, opérateur téléphonique virtuel (MVNO) lui permettant d’offrir les mêmes services ; à travers M-Pesa lui-même qui a diversifié sa gamme de services, y compris jusqu’au crédit avec le produit M-Shwari.

Cette réussite a d’abord essaimé dans quelques pays d’Afrique de l’Est et Australe puis, à partir de fin 2008, en Afrique francophone, en particulier sous l’impulsion de la société française Orange, témoin au Kenya de la réussite de M-Pesa. L’environnement de la zone franc est fort différent de celui du Kenya : Autorités monétaires plus conservatrices, système bancaire moins développé, taux de bancarisation plus faible. Pourtant, ce retard du système bancaire va en partie faire le succès d’Orange Money, notamment dans les pays les moins favorisés. Le nouvel instrument apporte en effet à la population un accès plus facile, plus sécurisé et moins onéreux aux opérations très courantes que sont les transferts à la famille. Il permet aussi l’introduction d’autres services comme le paiement de factures et d’achats chez des commerçants, puis, plus récemment, les transferts. Initié en Côte d’Ivoire, Orange Money va particulièrement se développer au Sénégal et au Mali, grâce à la prédominance de l’opérateur. Dans ce dernier pays, Orange Money compte fin 2015, après trois ans seulement d’activité, plus de clients actifs qu’il n’existe de comptes dans tout le système bancaire, et des flux annuels d’opérations représentant plus de 10 % du PIB national. Fort de ces succès, Orange exporte l’initiative dans une bonne part de ses pays d’implantation en Afrique du Nord et Subsaharienne tandis que ses principaux concurrents déploient leurs propres solutions: Mobicash pour Etisalat/Maroc Télécom, Mobile Money pour MTN, Airtel Money pour Airtel. Le paiement par mobile entre progressivement dans les mœurs sur tout le continent et facilite l’inclusion financière.

En la plupart des pays, ce système garde cependant un handicap pour les opérateurs téléphoniques : il nécessite un accord avec une ou plusieurs banques qui gardent la responsabilité, aux yeux des Autorités monétaires, de la monnaie électronique émise et qui maintiennent en leurs livres, à leurs conditions de rémunération, sa contrepartie en numéraire. Maîtres du jeu au plan technique, les sociétés de télécommunication ne retirent pas tous les avantages financiers possibles. Grâce aux modifications de la législation bancaire, elles vont franchir une étape supplémentaire : devant les innovations, un nouveau type d’agrément est apparu, celui d’Emetteur de Monnaie Electronique (EME). Les exigences sont identiques à celles des banques pour ce qui concerne par exemple l’audit interne et la connaissance des clients (le « KYC »), mais plus modérées pour le capital minimum. Cette adaptation a été introduite dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) dès 2006 et le groupe Orange est le premier à franchir le pas. Son Plan Stratégique 2020 met en effet en bonne place à la fois le continent africain, avec un dense programme de nouvelles implantations, et les instruments de paiement, considérés comme un facteur primordial de fidélisation de la clientèle. Sa forte présence dans l’UEMOA lui permet aussi de mutualiser les coûts liés : trois EME ont donc été agréés en 2016 –Côte d’Ivoire, Mali et Sénégal – s’appuyant sur une structure commune, le CECOM, pour le contrôle des opérations de ces nouvelles filiales. D’autres groupes lui emboiteront très certainement le pas et, avec cette nouvelle organisation, les sociétés de télécommunications s’affranchissent des banques et entrent même sur leur terrain.

Dans les nouvelles perspectives qui s’annoncent ainsi, trois éléments apparaissent déterminants. Le premier est l’intérêt du « mobile banking » pour tous les groupes de télécommunications. Après des années de très forte croissance, la période récente est caractérisée par un ralentissement sensible de la progression du chiffre d’affaires et des résultats. L’atteinte de taux de pénétration désormais élevés, le repli des chiffres d’affaires moyens par abonné (l’ARPU) et le durcissement de la concurrence montrent les limites des « business models » antérieurs. Deux mouvements s’observent donc : d’abord, une concentration des acteurs qui s’accélère au profit de quelques groupes qui possèderaient alors la plus large empreinte sur tout le continent ; ensuite, une focalisation des efforts sur les activités les plus porteuses – trafic internet et « mobile banking » -. Celles-ci sont d’ailleurs facilitées par une transition qui se déploie vers la technologie 4G, plus performante, et l’apparition de smartphones à bas prix, plus accessibles au public africain.

Le second résulte des difficultés auxquelles se heurtent en ce moment la plupart des grands groupes bancaires subsahariens : freinage de l’expansion imposé par leur Banque Centrale aux banques marocaines par crainte de risque systémique ; répercussions sur les groupes du Nigéria de la crise qui frappe leur pays ; graves perturbations réglementaires pour les banques kenyanes ; accroissement général des créances en souffrance avec le ralentissement de la croissance économique ; augmentations du capital minimum exigées ou prévues dans plusieurs zones. Plutôt sur la défensive face à ces contraintes, les banques montrent aussi une faible capacité de riposte et d’innovation devant les incursions des géants des télécommunications sur le terrain des moyens de paiement. La création par Equity Bank d’un opérateur virtuel au Kenya est la principale contre-offensive menée à ce jour et son succès n’est pas assuré.

Le troisième est l’émergence de nouvelles technologies susceptibles de prendre une place dans le domaine des instruments de paiement. La plus porteuse est sans doute celle des « paiements sans contact ».Les banques et leurs partenaires des cartes de crédit y ont une longueur d’avance avec la norme « Near Field communication » (NFC) qui commence à s’installer aussi sur les téléphones mobiles, comme chez Airtel au Gabon : banques et opérateurs téléphoniques ont donc tous deux leurs chances. Certaines banques font aussi alliance à de petits acteurs sans licence téléphonique mais disposant d’une application de « mobile banking », espérant que leur réseau d’agences leur permettra d’atteindre les seuils minimaux de rentabilité. Les sociétés de transfert express gardent enfin d’importants atouts, si elles acceptent de réduire leurs coûts face aux nouveaux arrivants.

Même si le jeu reste ouvert, les opérateurs téléphoniques marquent des points. En France, le nouveau produit Orange Cash donne à Orange Money la possibilité de pénétrer le marché juteux des transferts internationaux, et l’opérateur pourrait s’intéresser à de nouveaux services. Mais les limites des périmètres de chaque camp restent floues. Les banques vont-elles se replier sur les gros paiements et les crédits, ou mener une contre-attaque fondée sur de nouvelles technologies ? Les sociétés téléphoniques vont-elles rester sur les territoires récemment conquis ou s’attaquer à d’autres marchés comme celui de la micro-finance ou du crédit, dont l’exemple de M-Schwari au Kenya montre toutes les difficultés ? Rien n’est joué, mais l’Afrique est déjà gagnante : non seulement elle n’est plus techniquement en retard, mais ses enjeux inspirent des stratégies sur d’autres continents.

Paul Derreumaux

Tribune publiée dans l’Opinion.fr le 24 Octobre 2016