Afrique subsaharienne : qu’y a-t-il derrière le Produit Intérieur Brut (PIB) ?

Plusieurs fois par an, de grandes institutions internationales et régionales annoncent les évolutions du Produit Intérieur Brut (PIB) par pays, région ou continent. En Afrique, les données de la Banque Mondiale, de la Banque Africaine de développement et des Banques Centrales sont les plus attendues et les plus écoutées. Celles-ci conduisent à deux constats : le contenu de ces informations reste imparfait, en dépit des améliorations apportées ; malgré les actions mises en oeuvre, les meilleurs taux de croissance peinent à dépasser durablement les 7%/an, ce qui demeure insuffisant pour accélérer le développement espéré.

Pour la valeur des PIB, les Autorités publiques, en particulier, sont, à juste titre, friandes de ces publications et des classements qui y sont attachés : ils permettent en particulier de mettre en valeur les progrès obtenus par rapport aux voisins et aux concurrents. Certaines évolutions sont incontestables et aisément vérifiables. Ainsi, durant la période 1995/2014, celle de l’«Afro-optimisme »,  la réalisation d’importants investissements -d’infrastructures  et productifs-, le grand essor des entreprises privées, la libéralisation de nombre d’économies nationales traduisaient bien sur le terrain le retour à la croissance soutenue des PIB telle qu’annoncé. En revanche, des incertitudes persistent souvent sur cet agrégat, comme sur d’autres données macroéconomiques ou sectorielles, en raison de divers facteurs. Quatre d’entre eux apparaissent essentiels.

L’un est lié à l’importance du secteur informel sur tout le continent. Celui-ci est par définition difficilement quantifiable et mouvant en fonction de la conjoncture et des opportunités. Il peut croître en cas de situation économique difficile, de crises politiques ou de forte inflation, et touche surtout des « poids lourds » des systèmes économiques subsahariens -agriculture vivrière, commerces, services. Sa place tend aussi à enfler dans les pays les moins avancés, ce qui peut provoquer une sous-estimation des PIB correspondants et une détérioration sans fondement de leur position relative. Le second facteur majeur réside dans les insuffisances persistantes des appareils statistiques nationaux : fréquence faible et irrégulière des enquêtes, retards dans la disponibilité et l’exploitation des résultats, manque de ressources humaines et financières, coordination imparfaite des différents Services intéressés. Encouragées au niveau continental, les améliorations existent – la Côte d’Ivoire vient de faire le point de ses avancées – et sont donc à amplifier. Le troisième élément réside dans les changements structurels qui, au fil du temps, affectent entre autres les secteurs d’activités, les modes de production, les habitudes de consommation, les prix relatifs, et en conséquence les modalités de calcul des PIB. Pour éviter de trop grands ajustements liés à cette nécessaire mise à jour, les années de référence utilisées devraient être changées au moins tous les 10 ans. En Afrique, ces « rebasages » ont lieu beaucoup moins fréquemment et provoquent des reclassements brutaux. Enfin, les PIB peuvent être exprimés de nombreuses manières – en USD, à prix courant, constant ou en parité de pouvoir d’achat-, en monnaie nationale, …ce qui entraine des évaluations fort diverses lorsque les taux de change se modifient rapidement. Ces deux derniers points expliquent des changements récents. Ainsi, en USD courants, le « rebasage » du Nigéria en 2014 a fortement contribué à le placer devant l’Afrique du Sud et à devenir la 1ère puissance économique en Afrique. Le même phénomène vient de propulser l’Algérie en 3ème position en 2024 tandis que le Nigéria rétrogradait au 4ème rang en raison de la chute du Naira.

Pour tenir compte de ces limites, les taux de variation annuels des PIB tendent à être plus souvent utilisés que leurs valeurs absolues, notamment sur des périodes de comparaison de courte durée. Ainsi, ils montrent bien le ralentissement de la croissance moyenne de la zone depuis 2015, les écarts notables et parfois durables entre pays, et le fort impact négatif des crises mondiales récemment subies -Covid, forte inflation. Pour 2025, les dernières prévisions du Fonds Monétaire International (FMI) laissent espérer une faible remontée, avec une estimation de +4%, certes une première depuis 10 ans mais une hausse du PIB/tête malgré tout inférieure à 2%. Surtout, les pays qui atteignent sur une période assez longue une hausse du PIB d’au moins 7%/an sont encore très peu nombreux. Dans la période récente, une bonne dizaine de pays ont réalisé cette performance certaines années – Botswana, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Kenya, Rwanda, par exemple -, mais quittent ce groupe à d’autres moments pour différentes raisons.

Une décomposition sommaire des éléments composant le PIB apporte quelques explications de ces difficultés. Chaque pays possède en effet plusieurs secteurs économiques qui favorisent de manière « stable » une croissance soutenue, principalement poussée par des facteurs internes : l’agriculture vivrière, stimulée entre autres par la hausse des populations et des revenus ; les télécommunications, les banques et les activités commerciales qui répondent aux besoins de consommation anciens et nouveaux des agents économiques nationaux. D’autres secteurs présentent au contraire des évolutions fort variables, qui, selon les moments, « boostent »   une croissance nationale ou la ralentissent. C’est le cas des cultures de rente et des productions minières, tournées toutes deux vers l’exportation et dépendant de demandes et de prix fixés à   l’international. Il en est de même pour les investissements, publics et privés, dont le volume est fonction de déterminants nombreux et mouvants : programmes de développement des Etats, attractivité de l’environnement administratif, fiscal et juridique, disponibilité de financements adaptés locaux et/ou étrangers par exemple. Certains secteurs enfin ont souvent un poids relatif faible alors que leur influence, directe ou indirecte, sur la variation du PIB pourrait être importante : les activités industrielles, d’un côté, et l’éducation, le logement et la santé, de l’autre, en sont de bonnes illustrations.

Les voies possibles issues pour une amélioration des taux de croissance moyens, issues de ces brefs constats, recoupent des recommandations connues : consolider les secteurs « stables » en améliorant aussi leur efficacité, surtout pour l’agriculture ; réduire les dépendances extérieures par la transformation de produits exportés ; intensifier les investissements les plus en retard et ayant l’impact le plus large, comme l’énergie ; encourager les industries locales ; faire de l’éducation et de la santé pour tous des priorités nationales. Elles mettent aussi en évidence les données financières et comportementales indispensables pour entretenir ces circuits vertueux. Celles-ci vont de la hausse des ressources fiscales ou du renforcement du rôle des systèmes financiers à une meilleure crédibilité des Etats ou un soutien plus affirmé aux initiatives privées en passant par des stratégies plus pertinentes de l’appui international au développement.

La bonne connaissance du contenu des PIB tout autant que l’obtention pour un bon nombre de pays d’une croissance moyenne plus élevée sont donc des objectifs qui demanderont encore beaucoup d’efforts. Leur atteinte est cependant cruciale pour concrétiser une autre ambition majeure : assurer dans chaque pays la répartition la plus équitable des améliorations du PIB.    

Paul Derreumaux

Article publié le 26/09/2024

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