Afrique de l’Ouest : une année manquée ?

Afrique de l’Ouest : une année manquée ?

 

L’Afrique de l’Ouest va-t-elle manquer le coche de l’année en cours et ne pas profiter au mieux des opportunités qui lui étaient offertes pour être en 2014 un des champions de la croissance subsaharienne ?

Certains des atouts annoncés ont bien été concrétisés. Les investissements en infrastructures se sont effectivement accélérés et quelques projets phares sont lancés comme la Boucle Ferroviaire qui devrait concerner 5 pays de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Le secteur minier est resté très actif et quelques nouveaux gisements ont été identifiés. Le fonctionnement de l’UEMOA demeure une référence en Afrique Subsaharienne et permet de progresser sur divers grands chantiers comme celui de la fiscalité. La Côte d’Ivoire a repris son rôle de moteur économique de la zone, avec un taux de croissance supérieur à 10% en 2013 comme en 2014, et attire des investisseurs étrangers en nombre croissant.

Pourtant, alors que la fin d’année approche, le sentiment d’ensemble est la déception.  

L’occasion offerte d’une concentration de l’attention sur les grands sujets économiques, grâce à l’absence d’élections majeures en 2014 et à la fin des crises ivoirienne et malienne, a été rarement mise à profit. Au Mali, les faibles progrès dans les négociations avec les touarègues et une sécurité encore fragile ont bloqué une bonne part des projets de relance dans la partie Nord du pays tandis que les insuffisances constatées dans la gouvernance freinent le soutien des grands partenaires financiers. Les investissements publics comme privés s’effectuent donc au ralenti et le taux de croissance de 6,5% annoncé pour 2014 semble difficile à justifier. Au Niger, les actions menées dans le cadre d’un ambitieux Plan de Développement à moyen terme ont vu leurs effets pénalisés par de vives tensions politiques et par les grandes faiblesses persistantes de l’administration. Au Burkina Faso, les bonnes performances des années précédentes risquent d’être amoindries en 2014 par les problèmes énergétiques rencontrés et par l’impact négatif sur les investissements des contestations déjà engagées à propos des élections présidentielles de novembre 2015. Au Sénégal, les résultats obtenus par la nouvelle équipe ne sont pas jusqu’ici à la hauteur des attentes. Dans le voisinage de l’UEMOA, deux  pays qui semblaient être des piliers de la croissance régionale font face à de sérieux handicaps : le Ghana en raison de la forte chute de valeur de sa monnaie ; le Nigeria par suite de la montée en puissance du terrorisme dans le Nord du pays.   

Deux principales raisons peuvent être avancées pour ce contretemps généralisé. La région s’est d’abord heurtée à deux handicaps exogènes. Les risques instillés par les groupes terroristes n’ont pas disparu malgré la défaite de ceux-ci au Mali : la menace s’est faite moins directe mais reste toujours pesante dans toute la bande sahélienne et y gêne les investissements, des entreprises comme de l’Etat. Les dégâts causés par le virus Ebola depuis début 2014 se sont rapidement amplifiés et propagés : l’épidémie frappe maintenant officiellement quatre pays, y compris le géant nigérian, mais l’étendue réelle de la contagion est mal connue et les moyens de la stopper non encore identifiés, ce qui provoque parfois une panique contreproductive. A côté de ces éléments externes, le retard croissant pris dans les transformations structurelles constitue sans doute l’élément déterminant des performances décevantes. Les financements requis sont en effet désormais plus facilement mobilisables grâce au renouveau de la confiance envers toute l’Afrique subsaharienne et la diversification continue des bailleurs de fonds. Les priorités stratégiques d’investissements font partout l’objet d’un large agrément, ce qui facilite leur mise en œuvre. En revanche, faute de volonté politique, les réformes les plus difficiles mais aussi les plus décisives sont reportées ou menées à pas trop lents : transformation en profondeur de l’administration afin d’accroitre son efficacité et son honnêteté ; lutte contre la corruption sous toutes ses formes; appui effectif à l’initiative privée tournée vers les activités productives ; modernisation et renforcement de l’agriculture, maîtrise des inégalités et amélioration du caractère inclusif de la croissance. En Afrique francophone plus qu’ailleurs, ces mutations sont indispensables pour détruire les blocages à une croissance économique plus vive et mobiliser au profit de cet objectif toutes les énergies disponibles. L’Etat est en effet dans cette région un acteur économique encore trop important. Il lui faut absolument concentrer ses efforts sur la création d’un environnement mieux adapté au développement, laisser plus de champ libre au secteur privé en exigeant de lui en contrepartie qualité des projets et respect des règles fixées, et veiller à une nette amélioration de la répartition des fruits de la croissance.

L’année 2015 ne sera guère propice à des avancées majeures en ces domaines difficiles. En Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, qui semblent être les pays plus enclins à ce type de réformes, l’attention sera très vite focalisée sur les élections de fin d’année, ce qui devrait ralentir le traitement des sujets les plus difficiles. Ailleurs, il restera d’abord nécessaire de passer en la matière des paroles aux actes. Pour cela, les Autorités doivent être convaincues du caractère vital de ces transformations pour leurs pays. Pour les en convaincre, deux influences extérieures pourraient être déterminantes. Après avoir soutenu très justement la mise à niveau des infrastructures, les partenaires financiers devraient renforcer leur appui financier et technique à ces mutations et en faire une nouvelle priorité. C’est en effet une condition nécessaire pour atteindre l’accélération de la croissance que certains, comme la Banque Africaine de Développement (BAD) appellent maintenant de leurs vœux. Il  faudra cependant de la part de ces institutions un grand effort de réflexion stratégique et de meilleure écoute des contraintes locales pour que leur message soit entendu. L’autre acteur essentiel devrait être l’UEMOA : sa solidité, son fonctionnement sans heurts lui donnent une responsabilité décisive en la matière. Il sera toujours plus facile aux Etats de mettre en œuvre des actions délicates  décidées en commun que de les imposer seuls face à des oppositions ou des lobbys peu soucieux de l’intérêt général. L’Union pourrait donc utilement renforcer son rôle aussi bien dans la promotion de grands investissements structurants que dans celle de réformes institutionnelles ou environnementales.

Le pari est difficile mais il est fondamental. En plus des menaces actuelles déjà évoquées, l’Afrique de l’Ouest doit affronter, peut-être encore plus que d’autres parties de l’Afrique subsaharienne, trois challenges essentiels. A court terme, celui des emplois à offrir en masse à une jeunesse exigeante, mais à laquelle sont données des formations souvent mal adaptées et des opportunités de travail en nombre insuffisant. A moyen terme, une explosion démographique encore non maîtrisée et exceptionnellement rapide. Selon les estimations du « Population Reference Bureau » et faute d’infléchissement des tendances présentes, la population des 8 pays de l’Union devrait être multipliée par 2,5 en 35 ans et dépasser les 250 millions de personnes en 2050, après avoir franchi un seuil de 140 millions d’habitants dans 10 ans. Il est facile d’imaginer l’immensité des actions à accomplir pour apporter à ceux-ci un niveau de vie et de progrès social acceptables. A plus long terme enfin, des modifications climatiques notables, dont les effets sont jusqu’ici très peu pris en compte.

L’urgence devait donc être le maître mot. Le temps politique n’est cependant pas le même que le temps économique… jusqu’à ce que les faits reprennent le dessus sur les promesses.

Paul Derreumaux

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